« Le Journal d’Anne Franck » : une belle réussite marseillaise!
« Le Journal d’Anne Franck » Opéra-Monodrame de Grigori Frid
Livret du compositeur/Version Orchestre de chambre en Allemand surtitré
Lundi 7 et Mardi 8 décembre 2015 – 20h
La Criée Théâtre National de Marseille (Petit Théâtre) 30 quai de Rive Neuve 13007 Marseille
Avec Emilie Pictet soprano/Macha Makeïeff récitante
Ensemble orchestral de musiciens de l’Orchestre philharmonique de Marseille
Vladik Polionov piano célesta/Marc Albrecht direction
Création en France/En Partenariat avec La Criée Théâtre National de Marseille
A l’occasion de l’anniversaire des Musiques Interdites, Michel Pastore a fait découvrir à un public marseillais ravi un mono opéra autour d’extraits emblématiques du « Journal d’Anne Franck ». La version concertante, épurée pour mieux nous faire entendre la beauté de l’œuvre, avec son ensemble orchestral de très belle tenue, a été présentée dans le petit théâtre de la Criée début décembre.
Grande œuvre pour petite salle
L’œuvre ici dévoilée méritait cependant d’être jouée dans une grande salle, tant pour son actualité d’une évidence étonnante et déconcertante en ce lendemain d’élection que pour la qualité de son interprétation musicale et vocale.
En effet, le récit lucide de la montée de la haine antisémite fait par la jeune fille enfermée dans sa cachette à Amsterdam, où les juifs étaient pourtant bien acceptés dans la cité par le passé, n’est pas sans rappeler la montée des racismes qui aujourd’hui font craindre cette forte percée d’un parti d’extrême droite qui sans le nommer est en passe de ravir de bien nombreux postes dans les régions, si ce ne sont les régions elles-mêmes. Dans son journal, pourtant, Anne Franck transmet son irrésistible envie de vivre et sa foi en l’humanité : par cette phrase, ” Le courage et la joie de vivre sont plus importants que la richesse et le pouvoir”, elle nous rappelle un élément essentiel au vivre ensemble, ce devoir de dignité ou respect de soi et de l’autre, oublié par les politiques en tout genre et par nous-mêmes, qui nous abandonnons à la recherche d’un bonheur matériel par nature insatisfaisant et insatiable, à notre époque où les valeurs humaines sont mal menées par les capitalismes. Non seulement le texte est d’une beauté à couper le souffle, il est également porteur d’amour : amour de la vie et croyance en sa splendeur ; amour de l’autre et du genre humain, croyance en une fraternité possible entre les hommes.
Pour transcrire les joies et les craintes, les espoirs et les pensées de la jeune fille, la composition musicale, poignante et fort réussie, aux accents lyriques et réalistes, mêle plusieurs styles musicaux pour s’accorder au mieux au texte et aux émotions qu’il véhicule. Le célesta avec ses sonorités cristallines et pures répond aux sombres et inquiétants percussions et cuivres, voire aux mélancoliques violons. Les envolées lyriques laissent place à de merveilleux morceaux jazzy, légers et joyeux, et à de délicieux pizzicatos… Entre texte chanté et parlé, passacaille et récitatif, la soprano Emilie Pictet réussit le pari d’interpréter une œuvre toute en nuance et en rupture, avec humour (la scène de la dispute des époux Van Damm) et sobriété (la découverte de la cachette), faisant montre ainsi de l’étendue de son talent. Les musiciens dirigés d’une main de maître par le chef Marc Albrecht, sont tous excellents, avec une mention spéciale pour le jeune violoniste et le percussionniste.
La mise en espace, avec ses jeux de lumières sobres et ses projections, joue sur la complémentarité voulue entre l’interprétation de la soprano et la récitante, cette dernière se trouvant en fond de gradins, derrière le public, qui de ce fait – à moins de se retourner- n’entend que sa voix (hélas) amplifiée par un microphone. Un choix judicieux et intéressant si ce n’étaient certains effets de voix de la récitante, Macha Makeïeff : le choix du dire du texte (avec cet étirement de certaines syllabes en fin de phrases qui se terminent en un chuchotement parfois peu audible) rendait plus difficile son appréhension, d’autant plus qu’il était difficile de la voir.
Néanmoins, ce fut un très beau mono opéra auquel nous avons assisté et il est à regretter qu’il ne fut présenté que deux jours en notre ville : cette œuvre humaniste, à la fois légère et profonde, aux questionnements universels, est d’une grande beauté musicale et révèle un compositeur contemporain de grand talent à découvrir ou redécouvrir. L’adaptation proposée a conquis à juste titre un public de mélomanes avertis. Bravo. DVDM

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