La Banane américaine
Chroniques d’une enfance ordinaire
Une chaise placée au centre de la scène et une malle côté jardin sont les uniques éléments de décor de ce « seule en scène ». Un espace dépouillé, sur fond noir, qui laisse le champ libre à la comédienne, Elise Noiraud et à la multitude de personnages féminins auxquels elle donne vie. Il y a d’abord les femmes de la famille, la mère dépressive, la tante hystérique, la grand-mère sourde auxquelles s’ajoutent la vendeuse-commère du village et la prof de musique exaltée. Autant de portraits qui peuplent l’enfance du personnage principal d’Elise petite fille.
Une autofiction qui prend place quelque part dans le Poitou, un lieu où « Ségolène Royal dédicace ses livres ». Une petite fille qui grandit dans les années 90, qui porte une banane américaine autour de la taille « pleine de poches secrètes », qui se réjouit de la semaine sportive, qui veut faire des cadeaux à sa maîtresse, qui veut apprendre le piano et qui se retrouve à faire de la flûte traversière… des petits riens qui s’emboîtent et fabriquent une enfance comme tant d’autres. Ces moments sont surtout prétexte à poser un regard sur le monde adulte, plus difficile à contenter, l’humour permet quant à lui, de mettre en évidence le grotesque de chacun. L’enfant s’interroge mais ne juge pas et a même cette capacité d’accepter les travers des grands avec bienveillance : sa maman veut se reposer tranquillement à partir de 19H30 dans son canapé, Elise va prier très fort « faîtes qu’il n’y ait aucun bruit dans la rue, pas de gens qui se promènent, pas de jeunes avec leurs mobylettes, pas d’avion dans le ciel et faîtes que le gouvernement annule cette heure d’été qui dérange tous les gens comme maman qui veulent se reposer mais ne peuvent pas à cause du soleil qui ne veut pas se coucher ».
La comédienne occupe tout l’espace scénique et met son talent au service de chacun de ses personnages énergivores, qu’elle agrémente parfois d’un accessoire, un sac à main pour la mère, un bob pour la grand-mère, une flûte traversière et son étui pour Elise, trouvés dans sa malle au trésor. Des portraits qui font rire parce qu’ils rappellent à tous un entourage existant, une mère dépassée qui en a marre qu’on la prenne pour la « boniche de service », une tante mal aimée, une grand-mère envahissante… Une génération de femmes que l’on devine en conflit latent et au milieu Elise, une petite fille qui ne veut pas faire de peine à sa maman mais qui aime bien aussi aller chez sa grand-mère. Le rapport mère-fille se tisse en arrière plan ce qui rend le spectacle drôle mais pas seulement. Le personnage d’Elise enfant touche une autre corde sensible qui selon le vécu de chacun fait venir la larme à l’œil. Car Elise est confrontée aussi à la violence des adultes, même s’il s’agit d’une violence involontaire, comme lorsque sa mère déverse son mal être, ou la culpabilise. Elle ne décrypte pas encore ce qui se joue mais qui va forcément laisser une trace sur la femme en devenir.
La comédienne ne se contente pas de mimer une enfant à grands traits, ni de la surjouer, elle est allée puiser au fond d’elle-même cette candeur qui passe par le regard, comme petite flamme vivace. Une performance qui rend le personnage attachant. C’est le premier spectacle de la comédienne en tant qu’auteure, et c’est une réussite. Son jeu est brillant et généreux, il fait oublier certaines longueurs, notamment la saynète sur la prof de musique qui est très drôle mais qui pourrait être plus courte pour laisser plus de place, peut-être, à un autre personnage. L’artiste précise que « La banane américaine n’est pas une thérapie sur scène. Elle porte, au contraire, l’espoir de pouvoir parler à chacun de sa propre histoire. L’espoir fou que ce soit au cœur de l’intime qu’une notion d’universel puisse émerger… ». Pari gagné !
La Banane américaine (Chroniques d’une enfance ordinaire)- Ecrit et interprété par Elise Noiraud-Festival Off d’Avignon- Jusqu’au 28 juillet-Espace St Martial à 18h30-Tarifs : 14 euros / 9 euros (réduit). Durée : 1h. Tout public, à partir de 10 ans. A reçu le prix « Spectacle vivant » du festival ICI&DEMAIN 2012 à Paris.
Par Samantha Rouchard


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