Clear life ? +
De et avec Vera Chen /Cie Multi-X
Durée 45min / Tous les jours à la condition des soies 13 rue de la Croix à 11h10 (Relâche le 23 juillet 2012)
Tarifs de 6 à 13 euro/Réservation : 04 32 74 16 49
Jeune femme au bord de la crise de nerf
La jeune et pétillante Vera Chen, artiste pluridisciplinaire, autant au théâtre qu’au cinéma, a collaboré avec de nombreuses compagnies à Taiwan dont le Golden Bough Theatre, compagnie créée en 1993 par M. Wang. Cette compagnie, basée au nord de TAIPEI, à Bali, offre un enseignement théâtral inspiré de la méthode Grotowski privilégiant un jeu organique et un don de soi total de l’acteur. Pour mémoire, Grotowski militait pour un théâtre pauvre et ascétique. Inutile de préciser alors que la jeune artiste, qui fut en résidence à la cité des arts à Paris puis à Treasure Hill Arts Village à Taipei, propose un théâtre physique. Ses créations basées sur son observation du monde questionnent via le medium des nouvelles technologies notre société d’aujourd’hui. ‘Clear life ? +’ nous plonge de pleins pieds dans notre monde moderne sans cesse en mouvement.
Sous ses allures anodines et légères, cette création questionne, avec intelligence et finesse, la société actuelle, au travers du récit du quotidien d’une jeune femme soumise au dictat de la mode : par exemple, il lui faut acheter le dernier vélo à la pointe du progrès. Prise en sandwich entre deux écrans transparents coupant l’espace en trois plans façon cinéma, notre ‘fashion’ victime, vêtue d’une robe moulante l’engonçant dans une démarche de midinette bourgeoise bon chic bon genre, est en prise avec le culte du jeunisme de toute société moderne où l’apparence prime sur l’être. Pour se faire, il est de bon ton de pratiquer le yoga –devenu à la mode ces dernières années-, prendre de multiples pilules pour lutter contre les radicaux libres – vitamines de toutes sortes et autres produits revitalisants bons pour le corps et la santé…. Chaque scène est croquée avec humour, utilisant le médium de la vidéo. Cette dernière devient pour la comédienne un partenaire de jeu, la jeune femme interagissant avec les éléments projetés : un intérieur de magasin sportif où la jeune femme est harcelée par les commentaires du vendeur – les bulles envahissent progressivement l’écran, poussant la comédienne à ne plus savoir où donner de la tête ; un décor de ville moderne colorée, avec ses cafés aux devantures chatoyantes et, sur la terrasse, deux femmes vantant les mérites du yoga et notre héroïne de cette bande dessinée théâtrale écoutant leur discussion avec intérêt avant de se mettre au yoga* : la scène de la séance de yoga est jouissive ; celle où la jeune femme à force de prendre des pilules de toutes sortes rêve qu’elle se fait attaquer par ces mêmes pilules est fort réussie techniquement. La comédienne qui possède une aptitude clownesque indéniable – notamment dans sa gestique – et un sens de l’humour mêlant légèreté et ironie plonge alors notre héroïne dans le quotidien du net, avec ses flux interminables d’informations l’aspirant dans un monde virtuel inhumain. La tension dramatique allant crescendo, l’aspect cartoon du spectacle laisse place à une mise en espace plus ‘classique’ – qui n’est pas sans rappeler ‘Loop me’ d’une autre taïwanaise: l’héroïne tente vainement de reproduire les mouvements de ses doubles projetés. Vainement car dans ce monde aseptisé, uniformisé, notre héroïne peine à se fondre dans la masse. C’est là tout l’intérêt du spectacle : après avoir montré les efforts d’une jeune femme pour être comme tout le monde et la violence qu’elle se fait ainsi à elle-même, et par conséquent questionné le public sur la vanité de nos tentatives désespérées de s’approprier un monde qui nous dépasse et qui pourtant nous envahit au quotidien, Vera Chen nous propose de découvrir le monde sous un autre angle. Ôtant ses habits, et sortant du théâtre, elle laisse le spectateur face à une vidéo filmée sur place, nous offrant à voir un ciel lumineux, symbole d’un espoir de changement dont nous pouvons être acteur si nous nous débarrassons de ce superflu érigé en besoin fondamental par les sociétés capitalistes modernes.
Au final, cette création, sous son apparente légèreté, nous interroge sur la nécessité d’être soumis au dictat du monde au risque d’en devenir fou, de perdre notre être et notre âme dans le ‘on’ pour reprendre une formule heideggérienne**? Ne doit-on pas choisir notre vie en fonction de ce que nous sommes au lieu de laisser le monde nous dicter nos choix de vie? Par extension, cela pose la question de la place de l’artiste aujourd’hui… Son rôle n’est-il pas de questionner le spectateur, et l’interpeller sur ses habitudes de vie, ses non choix ‘imposés’ par une société dont la violence symbolique est ici vivement critiquée? Un grand bravo pour ce travail de belle tenue à portée universelle. Preuve est ici faite qu’il est possible de parler de la violence du monde sans pour autant user de violence sur scène. DVDM
* pour cette scène la jeune femme s’est inspirée de discussion entendue à une terrasse de café.
** Dans ‘ÊTRE ET TEMPS’, Heidegger parle de la nécessité de se perdre dans le ‘on’, le temps du monde – de l’horloge, avant de trouver son être, autrement dit son propre temps.




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