Les quatre saisons des grands théâtres marseillais
Les quatre saisons des grands théâtres marseillais : Rien de nouveau sous le soleil*…
Marseille Provence Capitale Européenne de la Culture 2013 oblige, les quatre grands théâtres marseillais – citons par ordre de grandeur, le TNM La Criée, le Toursky, le Gymnase et le Gyptis- se parent des couleurs de la Méditerranée, inscrivant leur programmation dans la logique de la manifestation tant attendue. Au menu, se sera donc une multitude de propositions aux accents méditerranéens, des propositions qui dans l’ensemble sont plus musicales que théâtrales, exception faite du Gyptis plus fidèle à l’art dramatique. Que nous réserve donc cette saison 2012/2013 ?
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La Criée : quand un centre d’art dramatique se transforme en salle de concert ….
Macha Makeïeff opère un changement radical par rapport à son prédécesseur dans la programmation de la Criée : la saison 2012/2013 s’ouvre largement à la musique sous toutes ses formes – du classique au rock en passant par la comédie ballet ; une ouverture qui peut sembler excessive au regard de la dénomination du lieu et de ses obligations dramatiques1. Sur 52 propositions artistiques, le spectateur pourra découvrir près de 26 concerts ou spectacles musicaux, pour seulement 13 propositions théâtrales2. De plus, autre différence d’avec les programmations précédentes, le nombre de représentations par proposition est réduite : faute d’argent, explique la nouvelle directrice. Il s’agit néanmoins d’un choix artistique : il semblerait que la directrice préfère offrir une programmation foisonnante où chacun trouvera son bonheur. Il serait difficile sur 52 propositions de ne pas en trouver une à son goût – même pour les plus réfractaires- tant la programmation est éclectique – nous ne préjugeons point de la qualité artistique de la programmation ici- : de la pop philosophie au spectacle de cabaret avec Oliver Py en passant par l’accueil de concerts de la Roque d’Antheron ou la projection de courts métrages. Le public des 15/25 ans est la cible avouée de Macha, ce qui justifie en partie son choix de programmation, mais non la tarification du lieu qui pour certains spectacles passe de 24 à 34 euro. Ceci dit, 13 propositions sont en entrée libre, incluant la Mise à feu du weekend d’ouverture le 20 octobre. Au final, il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. A noter, la reprise de ‘la curiosité des anges’ et du ‘concert ‘d’Arletti, lors de la semaine dédiée à F. Cervantes en résidence depuis plusieurs années à la Friche belle de mai (mars 2013) ainsi que la présentation tout au long de l’année de nombreux classiques : ‘la vie est un rêve’, ‘baba yaga’, ‘Ubu roi’, ‘le bourgeois gentilhomme’ dans sa version originale de comédie ballet, ‘tartuffe’, ‘le jeu de l‘amour et du hasard’, ‘beaucoup de bruit pour rien’ et ‘la flûte enchantée’ avec les marionnettes de Salzbourg. Une ouverture sur le conte en partenariat avec la Baleine qui dit vagues ; une autre sur la danse avec le ‘Titanic’ de Flamand, directeur du Ballet National de Marseille, complètent une programmation dense dont nous ne nous en faisons que l’écho partiel. Notre regret néanmoins est l’absence d’une ligne artistique claire : cette saison promet d’être joyeuse mais à l’image de la création de Macha, ‘les Apaches’- repris en novembre-, elle ressemble par trop à un patchwork mêlant music hall, magie, clown, marionnette, musique et spectacle – au sens de ‘show’- au détriment du théâtre. Tout comme le livret de la saison, au graphisme très 70’s mais à la lisibilité ardue, elle peut dérouter grand nombre d’habitués … et concurrence fortement ce qui faisait jusqu’alors la spécificité du Toursky.
Le Toursky : un savant mélange de tète d’affiches et d’accueil de compagnies régionales
L’éclectisme et la diversité, c’était le credo de Richard Martin : son théâtre défend depuis toujours un théâtre populaire -veuillez excuser le pléonasme- en proposant chaque saison des spectacles de musique, théâtre, danse, marionnettes, burlesque, le tout à des tarifs allant de 3 euro pour les Rsastes – pardonnez ce barbarisme- à 36 euro pour les accueils les plus couteux3. Choix artistique qui lui fut souvent reproché même si sur 38 spectacles présentés, plus de la moitié sont des propositions théâtrales. Cette année, bien entendu, il reste fidèle à ses habitudes et poursuit son compagnonnage avec de nombreux artistes marseillais et régionaux. Outre un concert surprise de Didier Lockwood et son quartet de Jazz le 26 octobre, ce même mois, le public aura le plaisir de découvrir des créations originales telles que ‘l’Odyssée Burlesque’ d’après Homère relatant sous forme de cabaret ‘le récit du voyage d’Ulysse’ avec un Ulysse de pacotille qui, en toute femme, voit sa chère Penelope. Une comédienne incarnera toutes les femmes rencontrées par le héros qui ne voulait pas partir en guerre. La Compagnie Miranda, niçoise, interroge ici la place de la femme dans ‘l’Odyssée’ d’Homère. Puis, ce même mois, suivra une coproduction entre le LEDA ATOMICA, GAYAM 16 et le Théâtre Marie Jeanne autour du gamelan, instrument de musique javanais, et du théâtre masqué. Une aventure artistique entre Marseille et Yogjakarta racontée par chacun des protagonistes en 7 tableaux présentés sous formes de rêves. D’où le titre ‘ne pas réveiller avant la fin du rêve’. Des classiques avec ‘la femme du boulanger’, ‘Gigi’, ‘les femmes savantes’, ‘les chaises’, ‘le Roi Lear’, ‘Jean la chance’, ‘le misanthrope’ émailleront cette saison : décidément, 2012/2013 revient sur ses classiques. A noter, quelques rendez vous : en décembre, Julien Cottereau, clown et mime de son état, coup de cœur du Toursky, viendra régaler le public avec ‘Imagine- toi’. Puis, en janvier, ouverture avec le nouveau cirque national de Chine – académie de Tianjian – dans une mise en scène acrobatique d’’Alice au pays des merveilles ‘; le retour de Philippe Genty avec ‘Ne m’oublie pas’ en février avant le FESTI’FEMMES puis Marie Claude Pietragalla et Julien Drouaut dans ‘Mr et Mme Rêve’ en Mars, la semaine précédent le festival russe et le festival Mai-diterranée dont une semaine sera consacrée à la Slovaquie. Soulignons le retour d’Edmonde Franchi en avril : elle y présentera ‘le Tourbillon de l’amour, saison 2’, mise en abime d’un feuilleton radiophonique en train de s’enregistrer mettant en scène quatre comédiens nous interrogeant sur le métier d’acteur et les catégories sclérosantes dans lesquels chaque artiste se retrouve en fonction de son physique, de son âge et de son domaine de jeu, le tout à la sauce bollywood et en verve. La saison s’achèvera avec une nuit Léo Ferré, un des auteurs préféré du nouveau président de la république, souligne R. Martin, tout heureux. Tous les artistes de la saison et de nombreux guests dont Yerso donnent rendez vous au public pour un show rare suivi d’un bal populaire, le 14 juillet. Une programmation toujours aussi dense qui vous sera détaillée tout au long de l’année. Une inquiétude néanmoins, la réduction drastique de la programmation du festival russe qui, cette année, ne présentera qu’un spectacle, faute de subsides.
Le Gymnase : retour vers le Music Hall, clin d’œil à l’histoire du théâtre
Dominique Bluzet, le directeur du Gymnase, du Jeu de Paume et du Grand Théâtre de Provence, propose une programmation en accord avec le projet du pôle théâtral d’Aix-Marseille développé depuis plusieurs années avec un budget pour les trois théâtres de plus de 13 millions d’euros dont près de 5 millions d’autofinancement. Pour fêter l’année capitale, public et medias étaient conviés aux Docks des Suds où le comédien Dominique Bluzet, himself, s’est amusé à offrir une présentation de saison façon one man ; ce qui n’a pas été pour déplaire au public l’applaudissant à tout rompre. La saison ne démarrera officiellement qu’en janvier 2013, à l’exception des plateaux libres qui auront lieu de septembre à décembre 2012 avec l’accueil de résidences d’artistes régionaux dont Charles Eric Petit, Olivier Thomas, Joëlle Cattino, ou encore la star montante de la chanson française Nevchehirlian pour ne citer qu’eux. Partage, convivialité et solidarité : voilà ce qui a poussé le directeur à ouvrir ses plateaux à des artistes pendant les quatre mois précédent l’année capitale. Marie Provence, après une résidence en septembre, verra sa création ‘l’enfant sauvage’, spectacle tout public, programmée au Jeu de Paume du 14 au 16 mai 2013. De nombreux temps forts viendront rythmer l’année capitale avec un focus sur Camus – plusieurs créations autour d’œuvres de Camus seront proposées au public dont une d’Abd Al Malik au GTP; une variation chorégraphiée de ‘l’Étranger’ par et avec Erno Greco au Jeu de Paume- et de nombreux spectacles de cabaret en hommage au passé du Gymnase. Le jeune Thomas Leleu, le tubiste récompensé aux victoires de la musique classique, sera invité au Jeu de Paume pour un concert unique. Citons Romane Bohringer qui viendra accompagnée de son père en février au Jeu de Paume, ou Bartabas qui présentera une nouvelle création au GTP en octobre-novembre 2013. Des têtes d’affiches comme Rolando Villazon, Jane Birkin, les Bonimenteurs, Fellag, Arielle Dombasle, Laurence Ferrari seront au menu de cette année 2013. Parmi ce large choix d’artistes et de spectacles, deux compagnies ont retenu notre attention. Il s’agit de l’Agence de Voyages Imaginaires qui présentait dernièrement avec succès ‘Antigone’ aux Bernardines. Après un départ en fanfare le 9 juin, la compagnie revient en février présenter au Théâtre du Gymnase ‘le CID’ de Corneille. Originalité de la démarche : créer un spectacle en caravane au cours d’un périple de plusieurs mois leur faisant traverser l’Espagne et le Maroc. Une tragi-comédie avec de la chair et du sang autour du thème de la conquête que nous vous conseillons de découvrir… Autre création dont le propos a attiré notre regard, celle d’Aurélien Bory, installé à Toulouse, ‘Azimut’ – de l’arabe as-samt signifiant le chemin, en septembre 2013 au GTP. Faisant appel aux acrobates de Tanger avec lesquels il avait travaillé 10 ans auparavant sur ‘Taoub’, il propose ici un théâtre physique qui parle de l’envol. Sujet fascinant que le vol souvent associé aux figures acrobatiques et à la machinerie théâtrale. Le terme ‘azimut’ renvoyant à l’astrologie et aux étoiles mais aussi à la folie, le spectacle questionne la fragilité de l’existence dans notre époque azimutée, entre les révolutions technologiques et réelles. A noter que le système d’abonnement est bien moins contraignant qu’auparavant avec de nombreux tarifs avantageux pour les gourmands de spectacles.
Le Gyptis : De nombreuses reprises, faute de moyens
Françoise Chatôt et Andonis Vouyoucas ont choisi de suivre une ligne artistique fortement opposée à celle des autres grands théâtres. Point de foisonnement labyrinthique d‘œuvres en tout genre, point de têtes d’affiche onéreuses. Le Gyptis ne cède point aux sirènes du box office ; ce qui est tout à l’honneur de ses directeurs. Il est hélas bien plus difficile de convaincre et le public et les tutelles de soutenir un lieu où les artistes invités ne sont pas des personnalités connues du grand public. Ce ne seront point 100 spectacles ni 17 créations mais une dizaine de propositions pour la plus grande majorité théâtrales. Parmi les spectacles présentés, le curieux pourra venir fêter les 20 ans de la compagnie Grenade les 19 et 20 octobre. La compagnie reviendra pour ‘Hypathie’ et ‘Mac Beth’. Les 8 et 9 novembre un jeune auteur arménien, Paron Agop, viendra présenter un spectacle tout public ‘Monsieur Agop’, en hommage à son grand père né en 27 à Marseille. Ce récit est tiré d’une histoire vraie d’un enfant muet adopté en Arménie pendant la guerre. Il s’agit pour son auteur de parler de la guerre aux enfants, avec violence, humour et générosité. Ce spectacle tournera dans le département, ayant fait l’objet d’une sélection par le conseil général 13 pour être présenté aux collégiens. Une carte blanche aux bancs publics sera également proposée dans le cadre des rencontres à l’échelle en novembre. Suivront du 20 au 24 novembre et du 4 au 8 décembre, les reprises du ‘journal d’un fou’ de Gogol et de la seconde version de ‘la seconde surprise de l’amour’ de Marivaux par la compagnie Tandaim. Reprise du 12 au 16 mars d’’Hypatie’, la création d’Andonis Vouyoucas qui obtint au beau succès en 2009/2010, une œuvre politique signée Pan Bouyoucas sur la place des femmes dans notre société. La création de l’année sera celle de ‘Macbeth’ : Françoise Chatôt avait préféré monter un texte sur Marseille mais faute de financements, la commande n’a pu être passée. Néanmoins, le ‘Mac Beth’ de Shakespeare n’est pas sans rappeler Marseille- dixit F. Chatôt. Intéressée par la problématique du Mal soulevée dans cette pièce, la directrice va s’attacher à montrer visuellement et musicalement la contagion progressive du monde par le Mal : lady Macbeth pousse son mari à tuer Duncan, le bon roi, pour assouvir son avidité de pouvoir et contamine Mac Beth. Suivant un engrenage inéluctable, le monde merveilleux dans lequel ils vivaient va se transformer en chaos. Ce projet sera présenté du 22 janvier au 9 février et est soutenu par MP2013. Une autre création sera présentée du 9 au 13 avril : une histoire féerique sur les amours intermittentes, ‘le songe d’une nuit d’été’ du même Shakespeare, dans une adaptation de Charles Eric Petit qui questionne ici la notion de magie. Qu’en est-il aujourd’hui de la croyance en des dieux et des démons ? Qu’est ce que la magie théâtrale ? Mais avant cela, sera créé pour le 14 février un spectacle intitulé ‘lettres d’amour et des amours’, sur une idée de Benito Pelegrin qui a collecté les lettres d’amour dans l’art lyrique du XIIIème siècle à nos jours. Le tout mis en musique ; chanté par des artistes issus du CNIPAL ; Françoise Chatôt et Jean Claude Nieto en seront les récitants. Une programmation dense en classiques théâtraux qui s’enrichira de surprises musicales en fin de saison. Certes, elle peut paraitre moins riche que celle des autres théâtres mais les financements sont moindres. Gageons néanmoins que le théâtre trouvera son public, étant bien implanté dans le quartier de la belle de mai.
Que dire de cette saison ? Il semblerait hélas que les théâtres marseillais n’innovent pas pour 2013, de nombreux artistes reviennent d’années en années et le public marseillais ne découvrira pas forcément du sang neuf : les toutes jeunes compagnies régionales, non encore reconnues, n’ont hélas que très peu le droit de cité en notre ville – l’excellence pour la majorité des programmateurs rime avec reconnaissance des institutions or chacun sait que l’institutionnalisation des artistes n’est pas un gage de qualité, c’est un fait politique dépendant des ‘acquaintances’ politiques entre artistes et décideurs et des politiques culturelles retenues arbitrairement en haut lieu par les hommes politiques. Néanmoins, chacun pourra au fil de la saison découvrir quelques spectacles originaux et retrouver les artistes qu’il affectionne mais il faudra faire vite car les spectacles – exceptées bien entendu les créations maison- sont présentés maximum 4 fois quand ce n’est pas une ou deux fois en moyenne. Ce qui nous questionne sur le processus même de la représentation théâtrale, réduite à des one shot. DVDM
* paroles de Salomon dans l’Ecclésiaste, reprises par Hegel dans ‘la Raison dans l’histoire’ pour qualifier les cycles de l’histoire.
1 Jean Louis Benoit, fidèle au cahier des charges du TNM, rappelait lors de son mandat que la mission d’un CDN, à la différence d’une scène nationale -qui peut présenter des œuvres chorégraphiques ou musicales en grand nombre- est de montrer essentiellement des œuvres théâtrales.
2 Ici, en accueillant des productions coproduites par les théâtres nationaux de France, la nouvelle directrice semble remplir le cahier des charges en termes de représentations données de spectacles théâtraux mais non en termes de spectacles à proprement parlé. Les œuvres musicales sont présentées une ou deux fois – la plupart sont des one shot- et les spectacles théâtraux jouissent en moyenne de 3, voire parfois 5 représentations, pour les spectacles tout public de la grande salle – exception faite de la création maison, Ali Baba avec 14 représentations- et 4 ou 6 représentations pour les spectacles jeunes publics – deux représentations dans la journée- ou tous publics proposés dans le petit théâtre. Soit une moyenne de trois jours pour les spectacles de théâtre contre un jour pour les spectacles musicaux.
3 Le Toursky ne bénéficie pas d’un budget aussi important que le théâtre de la Criée ou le Gymnase
