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Ce n’est qu’un au revoir

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Sur Richard, tout a déjà été dit en l’espace de quelques heures : sa générosité, sa gentillesse, sa bienveillance, sa disponibilité, sa sincérité et son amour de l’autre ont été à juste titre soulignés. Son engagement, sa passion, sa fougue de saltimbanque ont été largement égrénées au fil des publications sur les réseaux sociaux. Alors que dire de plus sur l’Homme qui a eu un courage et une audace folle de créer un théâtre digne de ce nom, un Grand théâtre, en plein coeur du quartier le plus déshérité d’Europe? Peu de choses ou plutôt si, une chose qui me tient à coeur de relater.

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Richard dans ses jeunes années ©DR

Il y a un peu plus de 20 ans, j’avais à peine plus de 25 ans, voire 26 ans. Je débutais en tant que critique culturelle dans un osbcur petit média, j’étais la plus jeune de tous et toutes, un bébé quoi !, mais Richard et Sergio m’ont toujours accueillie avec enthousiasme et bienveillance. Un beau jour, alors que l’idée de créer une Revue de Théâtre où la critique – la Vraie, pas le j’aime, j’aime pas qu’on lit partout – tiendrait la place principale – avec des papiers excédant de loin en nombre de caractères le feuillet traditionnel ou l’entrefilet – commençait à émerger dans ma tête, Sergio à qui j’en avais parlé, m’a dit « Va voir Richard et parle-lui de ton projet. Je suis sûr qu’il sera intéressé. » 

Me voilà donc, avec ma gueule enfarinée de Bébé, face à Richard. Il aurait pu être mon grand-père et insitait pour que je le tutoie. Je lui présente mon projet et la maquette que j’avais créée de mes petites mains. Il m’a écoutée avec attention avant de me féliciter de cette initiative, folle mais enthousiasmante. A cette époque, il n’existait pas de revue de critique de théâtre à proprement parler. Puis, lui, de me dire : « si tu as besoin d’un bureau pour ta revue, tu es ici chez toi. » Cette petite phrase est depuis restée gravée dans ma mémoire. Et même s’il m’arrivait d’égratigner toujours avec bienveillance un spectacle dont la mise en scène et la direction d’acteur n’étaient pas abouties, il respectait mes arguments, me disant « ce que tu écris, ça, c’est de la critique » au sens noble du terme. Récemment, il m’a dit que je devais me mettre à la mise en scène, un jour peut-être !

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Richard et Martinette ©DVDM

Ce souvenir d’un Richard humain et humaniste, fraternel et simple, amoureux des animaux, restera à jamais dans mon coeur. J’ai vu naître sa chatte, Martinette, dans le petite cour jouxtant le tout petit théâtre en bas des escaliers menant aux bureaux. J’ai connu Liberté quand il l’a reccueillie, toute maigre mais si douce. Je l’ai vu nourrir les oiseaux tous les jours à 15h. Et je ne parle pas de l’homme de théâtre dont la voix hypnotique clamait avec une verve sans pareille les poèmes et textes de son ami Léo. Ni de son jeu théâtral tant sa présence suffisait pour qu’il devienne personnage, ou clown.

Sa disparition est un double choc. Elle intervient 14 ans après le décès d’une autre figure du théâtre que j’aimais tant, Edmée Santy. Oui, Edmée qui avait inauguré en grande pompe le Toursky à sa création. Edmée qui fut la marraine de ma Revue jusqu’à la fin. Edmée et ses coups de coeurs, ses coups de griffe. Edmée, qui m’a tout appris du métier. Et aujourd’hui, Richard qui fut le premier soutien de ma Revue. Richard qui va rejoindre Léo, Michael, Tania, Fifi, Vlad et tous les autres. N’oublie pas de saluer Edmée pour moi. Bon voyage à toi, ami ! Tu nous laisses orphelins. Je pense fort à ta famille, de sang et de coeur. Adieu. DVDM

En une, Richard déclammant Léo ©Jean Barak

Richard Martin, directeur du Théâtre Toursky, est décédé

Publié Par Rmt News Int Sur Dans Article/Critique,Coup de Coeur,Entretien/Portrait,Flash Information(s),Marseille,Région PACA,Save the Date,Théâtre/Opéra | Commentaires désactivés
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 « A vos plumes poètes, la poésie crie au secours » 

« à Richard, notre ami »

« Les plus beaux chants sont des chants de revendication. Le vers doit faire l’amour dans la tête des populations. A l’école de la poésie, on n’apprend pas ! On se bat ! » (Léo Ferré – L’école de la Poésie)

 Ces mots, extraits du poème de Léo Ferré, il les avait fait siens, il les avait fait nôtres. Hier, 16 octobre 2023, Richard Martin a rejoint Léo Ferré et tant de ses compagnons de route au paradis des poètes. Nous demeurons en enfer dans un monde déchiré, dans une inhumanité qu’il a sans cesse combattue, de toutes ses forces. Nous restent les images gravées de son talent, son message de fraternité, ses paroles fortes qu’il assénait avec sa gouaille de saltimbanque, la puissance de sa foi en l’être humain et en l’avenir. Richard Martin était un homme et, comme nous tous, il pouvait se tromper mais, par-dessus-tout, Richard Martin savait aimer.

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Richard MARTIN et Léo FERRE

 Crier tes mots

Peut-on écrire sous le coup de l’émotion, peut-on parler de celui qui n’est plus, qu’on aime toujours, qui manque éperdument sans faillir à la déontologie du journaliste ? Je ne sais pas et  je ne veux pas savoir. J’ai envie d’écrire pour soulager ma peine. Te rendre hommage, bien sûr, mais chacun de nous, en écrivant ton nom, en publiant ta photo, en s’adressant à toi, cherche inconsciemment à apaiser son cœur. Je fais partie de tous ceux-là. Je n’ai ni plus ni moins de chagrin qu’une autre, qu’un autre et je veux dire, je veux crier ton nom. Crier les moments qui ne reviendront plus, crier ta fraternité, crier ta passion de liberté. Saltimbanque, épris de théâtre et de justice, amoureux des mots et des autres, tes frères en éternité, comme Léo, tu vas nous manquer poète ! Tu vas tellement nous manquer !

« Frères humains qui après nous vivez,

N’ayez les cœurs contre nous endurcis,

Car, si pitié de nous pauvres avez,

Dieu en aura plus tôt de vous mercis. » (François Villon – La Ballade des pendus)

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Richard MARTIN et Michael LONSDALE

 Orphelins d’amour

Ce soir, tu seras seul dans ton cercueil sur la scène du Toursky, ce théâtre, le tien, que tu as fait, que tu possédais dans tes veines et qui te possédait merveilleusement, diaboliquement, corps et âme. Ce soir, demain, après-demain, nous serons des centaines, des milliers sans-doute, à venir te voir une dernière fois et pour la première fois dans ce théâtre, au milieu de ton public. Je serai seule avec toi, chacun d’entre nous sera seul. Depuis hier, Richard, nous sommes tous un peu plus orphelins d’amour.

« Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
On oublie les passions et l’on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid
Avec le temps
Avec le temps, va, tout s’en va
Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu
Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard
Et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard

Et l’on se sent floué par les années perdues, alors vraiment
Avec le temps on n’aime plus »

« Avec le temps on aime plus »

Tu avais changé le vers final que tu sublimais en insistant sur le ‘s’, pour dire ton amour toujours plus grand. Et la salle entière se levait, transportée transcendée, éblouie, pour te rendre cet amour inconditionnel, ce cadeau unique que seul un homme comme toi pouvait faire à son public, toujours.

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Richard clamant le poète

« Ta main avait la chaleur de celle de mon père. »

Je voudrais te dire, te dire nos discussions à bâtons rompus ; te dire ce verre que tu prenais avec nous à ‘la table des amis’ ; te dire mon bisou sur ta tête « Je t’aime quand-même » quand tes récentes prises de position n’étaient pas les miennes ; te dire ma tendresse quand ta voix secouait le théâtre « Mes amis…. » ; te dire mon admiration quand tu levais les poings ; te dire notre plaisir à entendre ton rire réveiller les consciences ; te dire les bises que tu faisais claquer sur les joues de tes amis ; te dire tes yeux plissés sous ton sourire, te dire ta force, ton intelligence, ta perspicacité, ton talent, et surtout ta foi en l’humain et en l’avenir, malgré tout ! Te dire aussi que ta main avait la chaleur de celle de mon père…  

On te pensait éternel

Je te connais depuis si longtemps que je te croyais éternel. Je pense aux tiens, à tes proches, à ton épouse, je m’associe à leur douleur. Jamais l’idée ne m’effleurait que tu puisses partir. Tu es l’âme de ce théâtre, son cœur battant, ton sang pulse dans ses veines. Te promettre qu’on ne t’oubliera jamais ? Tout s’oublie Richard, tout. Ne restent que les idées que l’on a transmises, les vocations que l’on a suscitées, les espoirs que l’on a fait naître, les batailles que l’on a menées, que tu as menées et qui nous ont fait grandir. Nous avons, tous, grignoté une part de ta vie et c’était ta victoire. Celle ou celui qui a eu le bonheur de te croiser, de t’entendre, tous ceux qui ont eu la chance d’être bousculés par toi, le savent, Richard Martin a vécu pour et par le théâtre, pour son Toursky, pour et par sa volonté d’humanité sans frontière. Je pense aux tiens, à tes proches, à ton épouse, je m’associe à leur douleur. Pour nous tous, je le sais, tu resteras vivant jusqu’à notre dernier souffle car tu nous as transmis le tien.

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Richerd Martin et Serge Alexandre

Le goût de la culture par procuration

Tu as donné à ce théâtre, il y a 50 ans, le nom d’un poète marseillais, Axel Toursky, disparu tragiquement alors que tu avais décidé de t’installer dans le quartier le plus pauvre de Marseille. C’était là et pas ailleurs ! c’est là qu’on doit amener la culture. Et tu as réussi, 50 années durant, à faire de ce lieu un havre de paix, de rencontre, de métissage. Sous les grands arbres de la terrasse, on pouvait venir à son aise à n’importe quelle heure, se reposer, lire, réfléchir, apercevoir, croiser, discuter, se cultiver, comprendre, apprendre. Dehors, les enfants de l’école pouvaient lire, affichés, les mots des poètes. Combien d’enfants du quartier as-tu fait entrer en catimini dans les coulisses, qui observaient les acteurs de leurs grands yeux étonnés ? Ils s’appellent Louis, Jean-Jérôme ou encore Bouchta et tant d’autres. Tu leur as donné le goût de la culture par procuration ; ce sont en quelque sorte, eux aussi, tes enfants. Ils sont devenus grands. Beaucoup sont devenus comédiens, grâce à toi. Ils s’en souviennent.

Vive le Théâtre

Qu’il soit en accord ou en désaccord avec moi, Richard aimait ma manière d’écrire, il me le disait. Mais il n’apprécierait pas que je termine cet article –que je lui dédie– sans une note positive, un cri d’espoir. Le théâtre, à plus forte raison le théâtre populaire, lieu de culture, ne doit pas mourir. Après le grand Jean Vilar, le Festival d’Avignon perdure. Qu’il s’appelle Toursky, le Balcon, la Criée, Badaboum, la Joliette ou autre… La mairie de Marseille, mairie de gauche, son maire Benoît Payan et son élu à la culture, Jean-Marc Coppola, ont la culture ancrée au cœur. Pardonne-moi Richard, je crois en eux comme je crois en ton message. Le Théâtre Toursky vivra.

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Richard Martin Serge Barbuscia Pierre Forest dans Petit boulot pour vieux clowns, mise en scène Virginie Lemoine

« A vos plumes poètes, la poésie crie au-secours »

Il y a peu, il a demandé à une petite fille, Anna, de lui écrire un poème. Du haut de ses huit ans, elle lui a envoyé ces quelques mots qui suivent et qu’il a adorés. Adieu mon ami. Merci Richard.

« Tu as fait d’un vieil hangar poisseux

Un théâtre merveilleux, 

Tu as rendu des gens heureux, 

Des tous petits et des plus vieux,

Ils veulent prendre ton Toursky, ta maison, toute ta vie, 

Et même si je suis petite, je te soutiendrai jusqu’au bout, 

Mes jambes courent un peu moins vite,

Mais je me mets pas à genoux !

J’ai pas appris à obéir

Comme un soldat sans réfléchir,

Avec moi, on va y arriver,

Ton théâtre, tu vas le garder ! »

Anna Puget – 8 ans

 « Si ce n’est pas demain, ce sera dans cent ans ! »

Il clamait haut et fort sa confiance en une Méditerranée commune, en un monde de fraternité. Pour la culture, pour Richard, à vos plumes poètes, la poésie crie au-secours !

 Danielle Dufour-Verna