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Prodigieuse Traviata à l’Opéra de Marseille

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Le splendide Opéra de Marseille propose jusqu’au 15 février La Traviata, chef d’œuvre de Giuseppe Verdi avec Clelia Cafiero à la direction musicale et Renée Auphan à la mise en scène réalisée par Yves Coudray.

Il est de mise de ne pas user d’adjectifs dithyrambiques dans la critique d’un spectacle. Que nenni avec cette Traviata ! Plus de deux heures d’un bonheur absolu… ici, tout prête à la démesure !

Clelia Cafiero, cheffe d’orchestre, tout en maitrise et passion

-Qu’il s’agisse de la direction musicale menée de main de maitre, avec un orchestre à l’écoute des chanteurs, tout en nuances et force. La Maestra cheffe d’orchestre, Clelia Cafiero, dirige avec passion et retenue. La musique envahit l’espace et les âmes, sublime les voix, anticipe le drame, jaillit, accompagne, caresse…

-Qu’il s’agisse de la mise en scène, exigeante, soignée, parfaite.

-Qu’il s’agisse des costumes, magnifiques, de Katia Duflot, illuminant les très beaux décors de Christine Marest.

– Qu’il s’agisse des chœurs de l’Opéra de Marseille dont Florent Mayet est le chef, exceptionnels comme à leur habitude.

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Traviata 2024 © Ch Dresse

Marie Duplessis, la Marguerite Gauthier de Dumas et la Violette immortelle d’un génie nommé Verdi

– Qu’il s’agisse du livret de Francesco Maria Piave et de l’histoire, une intrigue simple et efficace. Trois personnages centraux  dont une merveilleuse héroïne, une courtisane. C’est elle qui donne le titre à l’ouvrage, la Traviata signifie la dévoyée. Une courtisane qui se prend à rêver à une autre vie, à un amour véritable, mais qui est rapidement rappelée par sa condition et sa situation. Si la maladie ronge son corps, son esprit, ses espoirs, ses désirs sont depuis longtemps enterrés. Violetta meurt dans les bras des hommes qui ont contribué à son désespoir. En écrivant la Dame aux camélias, Alexandre Dumas faisait de Marguerite Gauthier –dans la vie Marie-Alphonsine Plessis appelée plus tard Marie Duplessis– la Violetta immortelle d’un génie nommé Verdi.   

-Qu’il s’agisse de Violetta.

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Ruth Iniesta et Julien Dran ©Ch Dresse

Impériale, sublime en Violetta, Ruth Iniesta au sommet de son art

Si le succès de cette Traviata ne lui est pas dû en exclusivité, la Violetta de Ruth Iniesta, le lyrisme absolu de la Diva, déchaine l’hystérie du public à la fin de la représentation dans un crépitement d’applaudissements et une immense clameur. Bouleversante de beauté, d’élégance, de grâce, de pureté, la voix ciselée de la soprano, ajouté à un jeu particulièrement expressif sans forcer le trait, est un enchantement. Dans le premier acte, Ruth Iniesta donne à entendre un soprano d’agilité, lyrique dans le deuxième, avec des inflexions tragiques et puissantes notamment dans le poignant « Amami, Alfredo » et, enfin, un soprano dramatique tout en nuances, au dernier acte. Ruth Iniesta est au sommet de son art ; elle triomphe en Violetta et le public marseillais l’a adoubée.

Si, au départ, l’Alfredo de Julien Dran est un peu en retrait, il acquiert force et conviction et monte en puissance, emportant largement l’assentiment d’un public ravi.

Jérôme Boutillier est un excellent Germont (le père). Frédéric Cornille (le marquis), Svetlana Lifar (Amina), Carl Ghazarossian (Gastone) et Jean-Marie Delpas (le baron Douphol) tiennent leurs rôles avec rigueur et adresse. Accent particulier sur Flora, Laurence Janot, dont le rôle met l’accent sur ses qualités de chanteuse mais également de danseuse, ce qu’elle exécute avec brio.

Au final, une représentation à dévoyer tout un public, dont beaucoup de jeunes, qui debout, de l’orchestre au ‘poulailler’,  après tant d’émotions retenues, a clamé, hurlé, son enthousiasme. Que vivent la musique et la culture !

Danielle Dufour-Verna

Crédit photos: Christian DRESSE

Opéra de Marseille 
2 rue Molière 13001 Marseille
 
Dimanche 11.02.2024 – 14h30
Mardi 13.02.2024 – 20h00
Jeudi 15.02.2024 – 20h00
 
Informations billetterie
billetterieopera@marseille.fr [4]
Téléphone : 04 91 55 11 10 / 04 91 55 20 43
 
Tarifs: de 10 à 81€
 
La Traviata / Verdi

OPÉRA EN 3 ACTES

Livret de Francesco Maria PIAVE

Création à Venise, le 6 mars 1853, au Teatro La Fenice
Dernière représentation à Marseille, le 2 janvier 2019

PRODUCTION Opéra de Marseille
Direction musicale Clelia CAFIERO
Mise en scène Renée AUPHAN réalisée par Yves COUDRAY
Décors Christine MAREST
Costumes Katia DUFLOT
Lumières Roberto VENTURI

Violetta Ruth INIESTA
Flora Laurence JANOT
Annina Svletana LIFAR

Alfredo Julien DRAN
Germont Jérôme BOUTILLIER
Gastone Carl GHAZAROSSIAN
Le Marquis Frédéric CORNILLE
Le Baron Douphol Jean-Marie DELPAS
Le Docteur Yuri KISSIN

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Premier Festival LGBT à Marseille : LGBTous! s’installe au Théâtre du Têtard

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Du 1er au 29 février 2024, le Théâtre du Têtard accueillera la première édition du Festival LGBTous!, un événement inédit à Marseille célébrant la diversité et la création artistique Queer. Une première !

Une célébration de la diversité sous toutes ses formes

Le festival, qui se veut convivial et rassembleur pour tous- Et toutes rajouterons-nous !-, est « une véritable Ode à la diversité, au-delà des étiquettes », comme l’explique Thierry Wilson, l’initiateur de cet événement. Pendant un mois, le public aura l’opportunité de découvrir une programmation riche et éclectique mêlant théâtre, cabaret, chanson, stand up et conférences, mettant en avant les cultures et identités lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT).

Le Festival LGBTous! se veut pluridisciplinaire en faisant coexister différentes formes d’expression artistique autour des thématiques LGBTQI+. La marraine de l’événement est l’humoriste Zize Dupanier, une figure emblématique de la scène marseillaise, qui clôturera le festival dédié à Corinne Chiche, à laquelle Thierry a rendu un vibrant hommage lors de la conférence de presse.

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Une marraine de choc : Zize

Thierry se confond en souvenirs dans l’exercice délicat auquel il s’attelait ce jour-là. Il nous racconte comment Zize a fait ses débuts au théâtre du Tétard. Zize, qui restait cachée contre le mur côté jardin de la scène, Zize qui s’invite dans son couple et dans son quotidien, Zize qui malgré des spectacles cartonnant dans les plus grands lieux parisiens dédiés à l’humour n’a jamais été invitée à un festival en dehors du Festi’femmes d’Eliane Zayan, Zize considérée comme un travesti.

« Mais n’est-ce pas le plus difficile que de jouer une femme quand on est un homme ? » Un clin d’œil à Richard Martin qui lors d’une répétition de l’Opéra des 4 sous disait cela à un de ses comédiens. Thierry avait 13 ans et se souvient encore de ces paroles. « Zize, ce n’est pas du travestisme comme on le voit dans les cabarets de chez Michou, c’est un rôle de composition », assène-t-il. Et les artistes masculins qu’il a invités sont pour la plupart des hommes jouant des personnages féminins !

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Un festival inclusif et ouvert

Au-delà des représentations, le Festival souhaite susciter le débat sur les questions LGBT, questionner l’hétéro-normativité ambiante et interroger nos certitudes lors des rencontres conviviales organisées avant et après les spectacles : espaces d’échanges, de débats et de rencontres avec des associations à l’image des Vieilles Canailles dont l’objet est de permettre, en mettant en contact les gens esseulés, « de vieillir en étant entourés et non dans la solitude comme c’est souvent le cas quand on est gay, célibataire et sans enfants » indique Thierry, à la barre du festival.

Un atelier d’écriture et une conférence sont au programme. L’atelier d’écriture sera animé le 18 février à 10h, par Lionel Parrini, auteur de la magnifique pièce de théâtre intitulée « le chien bleu », sur le thème du « coming out » et le 25 février, à 17h, la psychiatre et psychanalyste Catherina Kiss tiendra une conférence théâtralisée intitulée « Les chemins sinueux du désir », une réflexion sur les arts et la psychanalyse. Un vaste programme.

Les débats et ateliers visent à favoriser les échanges citoyens. « LGBTous! ne se veut pas communautaire mais vise à sensibiliser sur les discriminations » précise le président, Pierre Levi. « Le Festival se veut inclusif et festif » insiste Thierry qui souhaite l’ouvrir également aux artistes en situation de handicap. Un événement ambitieux qui promet de belles soirées de spectacle dans une ambiance conviviale.

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La scène queer à l’honneur !

L’objectif est de faire découvrir au plus grand nombre, quelles que soient leurs orientations ou identités, « la bonne humeur, l’autodérision, le kitsch pailleté et l’humour des cultures LGBT » selon les mots de Zize. Des artistes confirmés comme Carolina ou Yvette Leglaire viendront présenter leurs spectacles, aux côtés de jeunes talents comme Eva Jean ou Clémence de Villeneuve.

Le spectacle d’ouverture est assuré par Carolina le 1er février : dans son cabaret au carrefour du music-hall et du théâtre, la sémillante Carolina dévoilera ses secrets inavouables. La légendaire Yvette Leglaire viendra les 9 et 10 février donner de la voix avec « Place aux femmes ». Eva Jean se produira le 15 février avec « JE SUIS TON PÈRE avec le look de ta mère ». Odile Dabzol présentera son one-woman show « Docteur, j’ai peur de ne plus avoir peur ! » le 16 février. Clémence de Villeneuve, « artiste à l’humour noir qui propose une galerie de personnages déjantés » développeThierry, sera « Bienveillante » le 23 février. Jérem Rassch viendra proposer la suite de son spectacle « Pourquoi pas », le 24 février. Enfin, la soirée de clôture du 29 février sera assurée par Zize avec un Best Ouf de son cru.

Si cette première édition rencontre son public, ce dont on ne doute pas, les organisateurs espèrent pérenniser l’événement les années suivantes, faisant du Festival LGBTous! un rendez-vous incontournable de la scène culturelle phocéenne. Diane Vandermolina

Infos pratiques :

Tarif : 15€ sur Billetreduc.com – 18€ sur place sauf pour Zize, tarif unique : 25€ / Formule Dîner-Spectacle : 33€. Horaire : 20h. Renseignements : Théâtre du Têtard 33 rue Ferrari – 13005 Marseille/04 91 47 39 93.

Crédit photo : Fox’Eye Brigitte Arakel

Nos disparitions de et par Anne-Marie Bougault à l’Atelier de Mars

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Bonheurs de Jimmy Jackson

En plein cœur du Panier, à l’Atelier de Mars, ce petit théâtre où nous avions présenté notre «Je vous salue mamelles », dirigé avec quelle belle énergie par Florence Morana, nous avons assisté à une représentation d’un solo bouleversant : « Nos disparitions », une pièce de théâtre de et par Anne-Marie Bougault.

Extrait

« Parfois, on voudrait disparaître. Se dérober, s’enfuir, se réinventer. Disparaître et re-être.

Parfois une rencontre advient qui vous éblouit à jamais.

Parfois on sent qu’avec soi-même, avec la possibilité d’un amour, c’est aussi le monde, la totalité du Monde connu, du monde vivant, espéré, attendu, qui est en train de disparaître.

Année 2035, dehors, tout vacille. Dedans seule depuis trop longtemps, une femme parle. Elle n’a rien oublié. Cette nuit elle raconte toutes ses histoires. » Anne-Marie Bougault

Notre avis

Un spectacle fascinant, en clair-obscur, qui donne la parole à cette femme mystérieuse, dénuée d’artifices, et pourtant nous entraîne dans les méandres de sa quête et de ses contradictions, où se construit tout de même une colonne vertébrale, celle d’un amour…. Il y a cette voix magnifique d’Anne-Marie Bougault, qu’elle donne à son propre texte, la lente chorégraphie de ce corps las (subtile et belle mise en scène de Florence Morana, et une bande son aussi énigmatique que fascinante…. Un grand moment de théâtre, sans affèterie, qui, peu à peu, prend la place d’un miroir…. JM

Bon à savoir

Atelier de Mars – 44 rue du refuge 13002 Marseille 04 9191 2600 / atelierdemars@free.fr [8]

Dernière représentation le 13 janvier à 20h

 LA VEUVE JOYEUSE Die lustige Witwe Opérette en trois actes de FRANZ LEHÁR

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Livret de Victor LÉON et Léo STEIN, d’après L’Attaché d’ambassade (1861) d’Henri Meilhac.

Pour les fêtes fleurissent les veuves joyeuses, soyeuses, tant cette opérette festive centenaire n’a pas pris une ride mais nous déride par sa joie de vivre d’une époque qui ne fut la Belle époque, comme toute époque, que de certains, qui n’imaginaient pas, à l’orée d’un siècle nouveau, qu’il risquait d’être le dernier à cause de la catastrophe proche d’une guerre qui faillit tout balayer.

Elle fut créée à Vienne en 1905 et nul n’imaginait non plus, alors, que cette Europe de l’est exploserait en Première Guerre Mondiale à peine une décennie après, emportant à jamais dans son vent la dite Belle époque de l’Art Nouveau d’un siècle qui se lançait avec enthousiasme dans la modernité. Guerre qui fit le plus grand nombre de veuves que le monde ait connu et qu’on n’imagine pas forcément toutes très joyeuses.

Et encore moins dans cette principauté d’opérette par définition, imaginaire, d’Europe centrale (ou des Balkans), la Marsovie, dont l’ambassadeur en France s’appelle Popoff et qui ressemble, mais en version comique, à ces pays tragiques aujourd’hui, dont on pouvait encore rire innocemment alors, comme des clichés tranquillement misogynes qui nourrissent l’œuvre.

 MISOGYNIE JOYEUSE DU VIEUX PATRIARCAT

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          Même sous les joyeux apprêts du comique du genre, cette célébrissime opérette du début du XXe siècle, contemporaine des premières grandes manifestations à Vienne revendiquant le suffrage universel —dont le droit de vote des femmes— donne, en toute bonne conscience, avec sa traditionnelle et tranquille misogynie institutionnelle, la mesure de la distance qui nous en sépare avec notre brûlante actualité d’un féminisme revendicatif qui donne aujourd’hui  mauvaise conscience au patriarcat, à l’éternel pouvoir masculin au détriment de la femme.

Vision des femmes

Grisettes en goguette

Or, en l’absence d’un féminisme alors balbutiant, cette œuvre m’apparaît comme une innocente représentation de l’apogée du machisme d’une époque, belle pour certains, les hommes, bourse(s) bien pleine(s), les femmes n’étant là que pour leur service —et de services à sévices, il n’est que d’une lettre— la fastueuse galerie d’hommes fêtards fardant mal la galère des femmes.

Dès le premier air, d’entrée l’Attaché d’ambassade, le Prince Danilo Danilovitc, héros en état d’ébriété, gourmet peu gourmé, gourmand d’affriolantes gourgandines parisiennes, donne le ton et la place des femmes, chantant la philosophie du noceur, du viveur, son credo libertin, « voltigeant à la ronde, /De la brune à la blonde », distillant sa donjuanesque liste, roucoulant avec délice les noms des filles faciles interchangeables :

« Manon, Lison, Ninon, Suzon, Fanchon, Toinon,

 C’est tout un demi-monde où jamais on n’dit non. »

Si la belle Veuve ne sera même pas coquette (sa fortune tient lieu d’appas), c’est plutôt lui le coquet caquetant comme un coq dans le poulailler de ces dames vénales qu’il n’a même pas à séduire, à conquérir ni simplement à prendre, mais juste à ramasser.

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C‘est l’univers de ce Gai Paris si joyeux pour les gens fortunés comme le disait déjà le Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach.

Les « p’tites femmes » à la fête du mâle louées, allouées, filles du petit ou demi-monde qui ont intégré en conscience et consentement toute l’idéologie machiste du monde, de leur monde, dont elles vivent, entrent consciemment dans le stéréotype, le cliché masculin, se définissant allègrement en levant la jambe et la voix :

 « Nous sommes les p’tites femmes frivoles ! »

Les épouses

Certes, c’est la troupe des danseuses mais le troupeau des autres, dames du monde, épouses de diplomates et d’aristocrates, ne présente guère un tableau flatteur : toutes prêtes ou déjà faites à cocufier leur digne et grotesque mari comme le prouve l’épreuve de l’éventail compromettant perdu, même si la femme de l’ambassadeur n’a pas encore franchi le pas, sauvée in extremis par la généreuse Veuve qui prendra sa place dans le proche pavillon bien près pour l’adultère. Le couple de jeunes premiers, pris dans leur double jeu de dépit sans répit amoureux, d’amour et désamour, avoué, démenti, est décliné, décalqué comiquement dans deux autres couples, celui de l’ambassadeur Popoff, croyant aveuglement en l’amour de sa femme Nadia qui, cela crève les yeux, ne rêve que d’adultère avec le fringant et pressant Camille de Coutançon, et celui du jaloux Kromski se jurant de trucider son infidèle de femme Olga qui n’en a cure, une sorte de mise en abyme, j’ose dire en précipice, des mariages convenus, convenant mal aux désirs des femmes, comme l’irrésistible érotomane Sylviane Bogdanovitch, nobles dames s’estimant trop haut pour s’abaisser à la vulgarité bourgeoise de la fidélité.

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 L’éternel féminin ?

 L’acte III et son dynamique septuor masculin satirique et condescendant, « Ah, les femmes, femmes, femmes ! », délivre clairement la vision de la misogynie du temps —pas si lointain— où l’on aimait la facile gaudriole et tous les clichés misogynes d’un supposé « éternel féminin », de diabolique origine chez les filles d’Ève, impossible tirade contre laquelle on tirerait à boulets rouges aujourd’hui : 

« Le jour qu’elle écouta le Malin,

Commença l’éternel féminin… »

           Mais c’est irrésistible de gaîté et, quel que soit le glacial puritanisme qui s’abattrait aujourd’hui sur de tels propos, ce galop digne d’Offenbach est si diablement entraînant, que toute la salle, hommes et femmes confondus (on respire !) en accompagne le rythme en le scandant des mains.

 La Veuve

          Ni rieuse ni joyeuse, la Veuve, Missia, seul personnage échappant à la caricature, héritière de son banquier de mari, est la preuve flagrante de la misogynie du temps : courtisée tous azimuts pour ses millions actuels, elle fut jadis rebutée, orpheline et pauvre, par la noble famille de Danilo refusant la mésalliance, un prince pouvant violer mais non épouser une bergère. Sa fortune l’ayant anoblie, changé la donne, elle pardonne et revient, midinette au cœur fléché par cet ancien amour, espérant réparation matrimoniale, mais affrontée à l’affront d’un amoureux réticent et jouisseur, dont la devise est : « fiancé, toujours, marié, jamais », même s’il drape son refus dans la dignité de ne pas vouloir la main, désormais prodigue en richesse, de celle que, pauvre, il refusa.

Et même lorsqu’enfin convaincu, ils convolent, les millions s’envolent : par testament, le banquier Palmieri, sans doute jaloux de sa jeune et jolie femme au-delà de la mort, sans doute pour s’en conserver la fidélité, avait disposé qu’en cas de remariage, la fortune de la Veuve irait au mari. En somme, belle somme : sans l’autorité d’un père, la femme, toujours mineure, est passée du mari au mari. Et les millions aussi.

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INTRIGUE POLITICO-FINANCIÈRE

Je m’étais écrié, à une belle version à l’Odéon,« Vive la Veuve ! », tout en conseillant de ne pas crier pour autant « Mort aux maris ! » par prudence, puisque presque chacun l’étant, l’ayant été ou le sera. Mais ce vieil époux en question, le banquier Palmieri de Marsovie, qui a l’élégance de mourir très vite, laisse à sa jeune épouse Missia un héritage fabuleux, bref, qu’on dirait en termes bourgeois une belle Pension de réversion : cinquante millions de dollars et autant de raisons à la Veuve de n’être, sinon joyeuse, pas trop marrie de la perte du mari. Le montant suffirait à restaurer le budget de la petite principauté de Marsovie ruinée, mais assiégée par une myriade internationale de prétendants, des soupirants intéressés aspirant à la main de la Veuve pour établir ou rétablir hors frontière leur fortune, pour la dilapider en restaurants chics parisiens avec champagne à gogo et gogo girls en goguette et campagne, dans cette capitale du monde et de la fête qu’est ce Paris de la fin du XIXe siècle où tout le monde se retrouve, mondains comme fripouilles, entre le Maxim’s cher déjà à tel Président d’hier, cher à faire rire jaune même un gilet d’aujourd’hui, et autres lieux de plaisirs racaille et canaille des hauteurs de la Butte à putes de Pigalle et Montmartre.

Mais, pour éviter l’évasion fiscale de la Veuve, fatale aux finances de la Marsovie, l’Ambassadeur à Paris, Popoff, complote pour lui donner pour époux un Marsovien non venu de Mars, le Prince Danilo Danilovitch attaché d’Ambassade, très attaché, on l’a vu, aux dessous, très féminins, de ce Paris, apparemment bien remis de la lointaine blessure amoureuse qu’il infligea à la récente Veuve, apparemment peu tenté par la tentante Missia pour laquelle son cœur battit autrefois avant que celui du mari n’en claquât.

La jeune femme, entourée, sollicitée, assiégée, garde le sourire et la tête froide au milieu des assauts galants de galants en frac par l’odeur de son fric attirés. Ils ont beaux jouer les boys empressés de comédie américaine lui promettant —espérant plus— des trésors d’amour, celui de jeunesse pour le joyeux et facile Danilo, reste pour elle un joyau d’une autre trempe, même perdu.

RÉALISATION ET INTERPRÉTATION

Beauté d’épure d’un fond bleu nuit d’où se détachent des dignitaires en habit, le torse ceint d’une écharpe rose jouant avec l’uniforme d’une nuée de serviteurs, de grooms en uniformes du même rose, couleurs et teintes élégamment déclinées dans tous les costumes et tableaux. D’une scène centrale à degrés, comme un temple, sous un immense cœur fléché par un prodigue archer Cupidon, surgira au sommet, comme un rêve, arborant un long fume-cigarette, telle une future Marlène Ange bleu, en smoking masculin et haut de forme, Missia, la Veuve, impériale en sa descente théâtrale, très café-concert du temps, des escaliers. Des basques de sa veste, coulent les vastes pans d’une volante jupe de ce même bleu fondamental, semé de floconneuses fleurs, roses, rouges, bleues, qui envahiront au dernier acte l’espace, les murs, les portants, la volière du pavillon d’amour, et cet onirique manteau sur robe à volants roses, comme le rêve prolifique expansif d’un Mucha semant au vent les cadres de ses filles-fleurs ou les ornements floraux de ses affiches pour Sarah Bernhardt. Sans débauche d’amas de signes Art Nouveau, Liberty ou Tiffany, c’est esthétiquement très beau, comme les plastiques groupes sculpturaux détachés sobrement sur cet immuable bleu sombre contrastant.

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Déroute des couples

Imposant comme une évidence théâtrale, voix puissante, sans un air à chanter, Marc Barrard a bel air, des airs et une grande gueule pour courte vue face aux velléités adultères de sa femme Nadia, la belle Perrine Madœuf qui, telle Zerline, veut et ne veut pas céder même si elle cèderait volontiers son potentiel et séduisant amant, le Français Camille de Coutençon, dans le lit nuptial de Missia pour s’en protéger, ou protéger son mariage, ou plutôt sa position sociale, quitte à faire capoter les plans capitaux de son diplomate d’époux qui cherche à conserver le capital de la Veuve dans la nécessiteuse Marsovie. Le couple d’amants ratés est gratifiés d’airs enjôleurs où la voix ronde et tendre de Madœuf se marie, sublimant l’adultère, avec la fièvre débordante en aigus puissants de l’amant frustré, le ténor Léo Vermot-Desroches.

À Figg, autre personnage sans air, Jean-Claude Calon sait donner de l’éloquence comique, même dans son silence. Quant à Simone Burles, comme une prédestination, elle donne un burlesque coquin à Sylviane par d’ardeur érotique saisie, et non par son mari, Jean-Luc Épitalon. Rivaux dans leur prétention à conquérir la riche main de la Veuve, l’avantageux D’Estillac de Matthieu Lécroart et l’exotique Lérida d’Alfred Bironien forment un couple hilarant de parfaits prétentieux prétendants ratés. Autre couple en partance et souffrance sous l’humour, et non l’amour, de la couverture vaudevillesque, finalement amère, celui de Kromski, Jean-Michel Muscat et de sa femme, incarnée par Perrine Cabassud,  dont un seul geste expressif traduit l’agacement ou la haine de l’époux sûrement imposé et non choisi.

Le couple central est campé par le baryton Régis Mengus, plein d’allure, voix sûre et pleine, sans peine un séduisant Danilo au timbre viril, rien de vil dans ce débauché dont les nobles scrupules financiers rachètent finalement la crapule finance d’autrefois sous prétexte de noblesse opposée au mariage avec la roturière pauvre. Missia, c’est Anne-Catherine Gillet, voix pure et limpide comme ce personnage blessé mais n’en gardant pas rancune, au contraire obstinée à faire du passé table rase. Au milieu du chœur follement féminin du bon plaisir des hommes, elle a même sagement convoqué les « P’tites femmes » de Maxim’s pour complaire au client Danilo et lui faire fête. La Veuve dite faussement joyeuse chante une nostalgique ballade, la légende de Vilya, « la dryade aux yeux mystérieux », la nymphe des bois, dont un jeune chasseur tombe amoureux, amour impossible qu’il ne cessera de chercher, de chanter comme elle espère sans doute chez l’homme aimé. C’est un moment de poésie, un appel, un rappel au passé d’un amour vivant adressé à Danilo. Tout en se gardant des pianissimi dangereux, Gilet exprime cet air avec une infinie douceur, pleine de mélancolie.

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Et l’on peut rester sceptique sur le happy end. Dans cette œuvre où je vois, sous le comique, la faillite du couple, celui si joliment formé par les héros, est-il finalement mieux loti que les autres ? On peut se demander si Missia, jeune fille autrefois blessée dans son amour, pourra jamais, même en récupérant Danilo, cicatriser sa blessure de jeune femme rejetée. Même sous couvert d’ironie, elle rejoint l’opinion de Danilo pour qui le mariage est « un point de vue très dépassé ». En effet, quand elle feint d’épouser le Français Coutençon, tout en affectant d’embrasser les mœurs conjugales de son nouveau pays et mari, c’est une règle générale qu’elle détaille. Sommet cynique et satirique de l’œuvre sur, ce fond d’adultère généralisé, elle donne ainsi une amère définition du mariage à la mode de Paris (où Danilo est finalement chez lui) : « un ménage sans contrainte » où chacun vit sa vie :

 « On s’aimera un peu, on se trompera beaucoup », comme on fait à Paris ! 

 Bref un mariage « avec aller-retour », en rien figé dans une prétention de durée. Et n’est-ce pas ce que chante la mélancolie de la valse finale de l’accord qui dit l’« Heure exquise… », « la promesse du moment » mais ne semble pas viser à l’éternité.

 Éternité de l’œuvre

Ce qui est indiscutable, si le sujet a vieilli, c’est que la musique reste toujours jeune. On goûte la beauté concise mais prenante, entêtante, des airs, l’entraînante gaîté des différentes danses traditionnelles d’époque valse, polka, mazurka, galop, et ces pas de kolo (danse folklorique des Balkans), on s’agite  et claque des mains à  l’irrésistible fougue du cancan servi par une merveilleuse troupe de danseurs acrobates.

À la direction musicale, Didier Benetti mène l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Marseille tambour battant mais tout en respectant la finesse de cette musique à l’habile harmonie : les plages musicales reprenant les thèmes des airs jamais alourdis de glose, cela fait un délicat tapis roulé et déroulé avec verve et douceur et l’oreille ne perd jamais la référence, d’un air à l’autre, même à distance comme l’amorce  mystérieuse du refrain de la chanson de Vilja est déjà celle de « Heure exquise. » Benito Pelegrín

 Die lustige Witwe, opérette en trois actes de Franz Lehàr

Opéra de Marseille

Vendredi 29 déc | 20h
Dimanche 31 déc | 20h
Mardi 2 janv | 20h
Jeudi 4 janv | 20h
Dimanche 7 janv | 14h30

PRODUCTION Opéra de Saint-Etienne
Création le 29 décembre 2022 à l’Opéra de Saint-Etienne
Décors, costumes et accessoires réalisés dans les ateliers de l’Opéra de Saint-Etienne

Direction musicale Didier BENETTI
Mise en scène Jean-Louis PICHON
Réalisée par Jean-Christophe MAST
Décors et costumes Jérôme BOURDIN
Lumières Michel THEUIL
Chorégraphie Laurence FANON

Missia Anne-Catherine GILLET
Nadia Perrine MADOEUF
Olga Perrine CABASSUD
Sylviane Simone BURLES

Danilo Régis MENGUS
Le Baron Popoff Marc BARRARD
Camille de Coutançon Léo VERMOT-DESROCHES
Figg Jean-Claude CALON
D’Estillac Matthieu LÉCROART
Lérida Alfred BIRONIEN
Kromski Jean-Michel MUSCAT
Bogdanovitch Jean-Luc ÉPITALON
Pritschitch Cédric BRIGNONE

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

 Photos Christian Dresse 

  1. Apparition de Missia ;
  2. Le cœur et les flèches;
  3. Danilo et Missia ;
  4. Nadia et Coutençon,
  5. Popoff et Missia;
  6. Le pavillon;
  7. Cancan.

A la Paix d’après Aristophane

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SCATOLOGIE CONTRE ESCHATOLOGIE : EXORCISME ?

            L’Opéra et la Criée, sans s’être concertés—mais on aime ce concert, cet accord, parallélisme sinon de concert, de conserve— programmaient deux œuvres anciennes, l’une antique, qui interrogent, hélas, notre plus brûlante actualité, Autodafé de Maurice Ohana (1971), et cette paix qu’on cherche sans trouver depuis une éternité, La Paix d’Aristophane de près de 2600 ans, (421 av. JC), presque contemporaine de la fondation de Marseille. Étrange coïncidence du tragique et du bouffe, à plus de deux millénaires de distance, pour dire la pérennité désespérante de la misère humaine, misérablement et tenacement accomplie par les hommes, acharnés à détruire entre eux et autour d’eux.

À LA PAIX !

 D’APRÈS ARISTOPHANE,

 PAR ROBIN RENUCCI ET SERGE VALLETTI

Marseille, la Criée, du 8 au 26 novembre 2023

Donc, sans aller me faire voir chez les Grecs, c’est le Grec Aristophane que je suis allé voir chez nous à Marseille, pardon, Phocée, donc, chez eux, chez lui, cette histoire fondue non de fondation, de fondement, de sinon Phocée, de fosse septique débordante pour fausse sceptique réception qui me fait en appeler à ma CULtuelle CULture, pourtant en rien cucu, ni cucul la praline, pour torcher un papier dont il faudrait sans doute des tonnes comme pendant la pénurie de la pandémie, pour en essuyer l’excès excrémentiel.

Sans reCULade, j’en appelle donc à ma CULture comme moindre des maux pour user de mots qui ne sont guère les miens[1] [15]. Il y eut Rabelais ne reCULant pas devant les jeux défécatoires sans déférence et Montaigne : « Si haut que l’on soit placé, on n’est jamais assis que sur son cul. »

Mais qu’advint-il, depuis, de ces gauloiseries se bouchant le nez, mettant le mouchoir par-dessus de la pudeur victorienne voisine ? La périphrase voilée drapant les gros mots, « le petit coin pour aller faire la grosse commission », et mot imprononçable sauf par tel intrépide héros : « Le mot de Cambronne », à voix basse, « le mot de cinq lettres ». En 1896, Ubu roi d’Alfred Jarry faisait scandale en levant le rideau sur le tonnant, détonnant, tonitruant bi-syllabe : « Merdre ! »

Ce fut le règne des points de suspension laissant en suspens, audacieux pour le bourgeois délicieusement effarouché, le mot irrévérencieux, innommable même pour nommer une professionnelle du service de bouche : La P… respectueuse du libertaire Sartre jadis. Même si les « Putain ! » fleurissant naguère encore seules les interjections viriles sont désormais devenues exclamations généralisées, banalisées, fleurissant aujourd’hui jusqu’au bouches de pures jeunes filles qui ne reCULent même pas à proférer de mâles protestations : « Je m’en bats ! », sans doute plus usées sémantiquement par l’inflation langagière que par la revendication d’égalité féministe ou le vindicatif triomphalisme castrateur brandissant comme trophées de victoire sur le patriarcat des attributs masculins émasculés par des femmes se proclamant « couillues. »

Après tout, merde !, puisqu’il faut l’appeler par son nom, sans jugement de valeur ou diagnostic critique de moliéresques médecins savamment penchés sur les selles que le Roi Soleil, à peine descendu de sa chaise percée, condescend à soumettre à leur docte examen, ou l’autre Bourbon Ferdinand Ier des Deux-Siciles, le Nasone des Napolitains, beau-frère de Marie-Antoinette, coprophile avéré, mettant en scène devant ses courtisans, après ou pendant la table, repus de repas, ses « déventrées », que rapporte en témoin effaré son autre beau-frère l’Empereur Joseph II, décrivant le monarque, culotte aux chevilles, vase à la main, courant à la ronde pour faire admirer joyeusement au public ébahi le produit de sa défécation.

Eh bien, merde ! j’ose le mot, sans vouloir être plus merdique que le très long merdier du prologue pas emmerdant mais merdeux, qui se suffit bien à lui-même, filant bien longuement la métaphore de la merde du monde, du monde de merde qui est le nôtre, décliné en diarrhée verbale : certes, quand on est dans la merde jusqu’au cou, on est bien obligé de marcher tête haute. D’ailleurs, merde et théâtre font bon ménage : puisque y marcher dessus suppose porter bonheur, « merde ! » c’est le terme propitiatoire que l’on offre en souhait de chance, de succès, à l’acteur, au chanteur avant d’entrer en scène.

[16]

Ce préambule suit l’exact original grec : désespéré de la situation politique (le conflit entre Sparte et Athènes, la Guerre du Péloponnèse), belliqueux partisan de la paix, un vigneron a élevé un bousier, coléoptère coprophage, mangeur de bouses, d’excréments, pour voler vers l’Olympe et demander aux dieux la raison de la déraison des Grecs déchirés entre eux.

Dans cette vision moderne, le bousier est devenu une énorme cuve de vinification appartenant à un hirsute patron vigneron Yves Rogne (ivrogne). En panne : on peste contre la puante, pétante, pétaradante machine dont, de manière crue, on nous informe qu’elle se nourrit de merde, insatiable, alimentée par des tuyaux qui sont sans doute ceux que l’on voit même dans la Marseille actuelle vidanger les trop rares mais replètes cabines de toilettes publiques. Cela nous vaut scènes et tirades sur la merde avec un humour moins potache que pot de chambre avec explicitation bégayante de la métaphore guère obscure du caca-pipi, ca-pi-talisme : la merde, non seulement humaine, la fiente, on la flaire, on foule la matière fécale, on y patauge à plaisir, ou déplaisir selon sa nature.

Plus plaisante est, à notre époque où se pose avec acuité le problème des combustibles fossiles en voie d’épuisement, ou dangereux pour les écosystèmes de la planète, ressources énergétiques naturelles non renouvelables, tels charbon, gaz naturel et pétrole, la subtile proposition du carburant le moins dangereux, le plus organique qui soit, en plus inépuisable : la merde. De cette rigolarde régression au stade anal on passe à la progression scientifique de transformation du méthane (émission de gaz généré par le bétail, le fumier et les rejets gastro-intestinaux d’origine humaine) dangereux pour le climat, en source d’énergie renouvelable, en biogaz, carburant naturel.

En tous les cas, c’est grâce à ce merdique carburant que, sur son spécial vaisseau spatial, Yves Rogne (Guillaume Pottier, gueule entre pâtre grec grandi trop vite en trogne et voix jupitériennes), élevant et allégeant le débat merdeux d’ici-bas, s’envole pour l’Olympe. C’est d’une grande justesse historique en regard de la comédie ancienne grecque où le vigneron, soulignant l’effet virtuose, s’adressait autant au public qu’au machiniste réglant son envol périlleux vers les cintres, superbe technique de machines à rêve, dont héritera le théâtre baroque. Cela nous vaut de belle scènes planantes et volantes de personnages dans la brume onirique et les fumées des songes.

À la question angoissée du héros en quête de paix ne répond que le silence éternel de la divinité : les dieux, de guerre lasse, ont laissé les Grecs aux leurs, les ont abandonnés à leur inlassable folie fratricide. Comme interlocuteur, notre héros aura Hermès, cuirassé entre Guerre des étoiles et armure d’Heroic fantasy, descendant en fusée verticalement de l’empyrée, gardien ombreux des lieux, fusant un refus rogneux à Rogne Yves : Alex Fondja, ôté son casque spatial, plus emmitouflé que camouflé par son armure, gros poupon de celluloïd sombre se laissant vite bercer aux boniments que lui verse, non sans vers, la douce vigueur rhétorique de l’habile et labile vigneron qui entend le gagner à la chevaleresque cause de la Paix disparue, belle héroïne prisonnière, qu’il faut arracher, digne exploit de mythiques héros, à son horrible geôlière pour recréer l’harmonie du monde. Il tente de le séduire, de le soudoyer par des arguments captieux et capiteux, bien marseillais, lui susurrant :

 « Tu auras une chambre à l’année dans l’hôtel Hermès, celle avec la terrasse. Même Guédiguian, il fera un film sur toi. Hermès et Jeannette, tu imagines ! Tu recevras la médaille de la ville ! On te verra au balcon de la Mairie ! Y aura des grands défilés de camions-pizza sur la Cannebière avec ton portrait en grand ! »

Dans une scène infernale, tout en cannibalesque fumet et fumées toxiques on découvre la Cruella qui enferme la Paix dans un trou sous une énorme dalle scellée. Sur un trône et autel sacrificiel, devant une énorme marmite bouillonnante, la Guerre (Anne Lévy, bellement effrayante, hérissée, hystérisée, fumante et fulminante) mi-Gorgone mais entière Maîtresse au fouet, volcanique cuisinière de Vulcain (pardon, Héphaïstos en grec) concocte un peu ragoûtant ragoût : une pincée de Talibans, une poignée de Syriens, des Slaves hachés menu, des Jaunes blanchis, des Blancs montés en neige. Comme condiments corsés et contrastés, elle rajoute des Corses et des Parisiens, des Aixois et des Marseillais (elle aurait pu ajouter des supporters de l’OM et du PSG ou de l’OL !). Elle salive, la salope, et se ravit rageusement de la réussite de sa recette : « Cela va faire une chiée de problèmes ! ». Apéritif ou dessert, au menu, elle ajoute des Libanais mis à mijoter avec des Israéliens (la version de la pièce est antérieure au conflit avec le Hamas), et « passe au chinois les Ouigours ». En somme, avec cette addition politique au sommet de l’Olympe, et après l’état écologique accablant de la planète à ras de terre, du début à la fin, c’est un réquisitoire, un constat actuel de notre monde de merde.

[17]

Le problème du patriarcat ne pouvait manquer dans ce répertoire des maux de notre société, dès l’alerte jeune ouvrière du début, style femme de ménage en gants rouges et bleus de travail.

L’inclusion de femmes est un hommage à l’auteur antique qui avait écrit au moins trois pièces dont elles sont les héroïnes : L’Assemblées des femmes montrait leur prise du pouvoir qui les amène à faire tout le contraire de ce que font les hommes (en rien féminin puisque c’est le propre de tout pouvoir de défaire ce qu’a fait le prédécesseur). On connaît aussi d’Aristophane Les Thesmophories, où les femmes organisent une véritable assemblée et légifèrent. Mais on n’oublie surtout pas sa pièce en un acte sur la grève du sexe des femmes athéniennes pour protester contre la guerre des hommes, et l’on se souvient que Serge Valletti avait produit une adaptation de la pièce la plus célèbre d’Aristophane Lysistrata, sous le jeu anagrammatique du titre La Stratégie d’Alice.

Dans À la Paix ! Les femmes sont partenaires et complices des hommes et la véhémente femme politique masculinisée par son allure de chef(f)e est digne d’un homme par sa tentative cynique de récupération de la gloire de l’héroïque vigneron.

Cependant, la délicieuse mais trébuchante énonciatrice de la brève inclusion d’écriture inclusive incompréhensible (« acteur-trice », ou « auteur-trice » ?) est la flagrante condamnation orale de ce délire linguistique féministe qui ignore la loi universelle —qui n’a pas de genre, de sexe— d’évolution des langues, par le moindre effort, le raccourci : on est venu au théâtre ou au ciné —plus au cinématographe— à vélo, pas à vélocipède, en métro, pas en métropolitain, en auto, pas en automobile, etc.

Trop rapides pour pouvoir les capter toujours, les jeux de sons, jeux de sens répondent aussi au genre ancien, et il y a une logique de situation du cheval volant Pégase devenu Pet/gaz par le miracle du coursier du héros virevoltant dans les airs. Le jeu déconcertant proposé d’emblée au public de claquer des mains, comme à des enfants en défaut de joie ou dans des jeux télévisés infantilisants, gêne un peu. On nous tend la perche et l’on tire la corde, un peu grosse, de la solidarité forcée pour délivrer la Paix de la dalle qui ferme sa cave, qui s’avère une ambiguë Boîte de Pandore puisque la Fête qui célèbre son retour en révèle la fragilité : pour des broutilles, des brouilles. Bref, embrouilles, carambouilles : guéguerres, guérillas, plus que fête des voisins, dégénérant en guerres.

Revenons à nos Grecs, nous leur devons tant et tant de mots savants : scatologie vient de skôr « excrément », et logos, « parole », donc, ‘parole sur la merde’; eschatologie vient d’eschato, « l’extrémité, le dernier », et de logos : en philosophie et théologie, c’est une parole, un traité sur les fins dernières de l’homme, microcosme, et la fin du monde, cosmos, tout entier. Alors, je disais bien : exorcisme, rituel religieux, magique, pour conjurer un démon, un danger menaçant, la scatologie contre l’eschatologie. En somme, hérité des Grecs, le théâtre. Alors oui, merde !

Le texte original, La Paix : statique énonciation devient optative ; À la Paix ! extatique souhait de l’ivresse après avoir tant trinqué ici-bas : on trinque à la paix ? On accepte l’augure, même si l’angélisme pacifiste de cette fable, sur rap naïf d’IAM à l’appui, semble le sourire volontariste du pessimisme : un vœu pieux ?

Benito Pelegrin

À la Paix ! d’après Aristophane
Théâtre National de La Criée
Marseille

Adaptation Serge Valetti et Robin Renucci
Mise en scène Robin Renucci,
assisté d’Aurélien Baré
Avec Guillaume Pottier, Kristina Chaumont, Alex Fondja, Anne Levy, Frédéric Richaud, Aurélien Baré, Heddy Salem, Claire Bonfils, et les élèves comédiens de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et de Marseille, Maël Chekaoui, Victor Franzini, Marie Mangin, Gaspard Juan, Julia Touam
Scénographie de Samuel Poncet
Costumes de Jean-Bernard Scotto, assisté de Cécilia Delestre
Son de Jérémie Tison
Lumières de Julien Guerut
Régisseur général Philippe Chef
Fabrication machine par les Ateliers Sud Side, Marseille, du décor par Eclectik Scéno, Dijon et Atelier théâtre de La Criée
Chorégraphie Aurélien Descloizeau
Avec le regard amical de Catherine Germain

Photos : Raynaud de Lage

[1] [18] Il y a longtemps, comme je dictais au téléphone ma chronique hebdomadaire, « L’humeur de Benito Pelegrin » au Provençal, à propos du Minitel rose, comparant la drague drue moderne à l’amour courtois, à ma phrase : « la main sur le cœur est remplacée par la main sur le cul », terme pour la première fois employé par moi, mon petit garçon s’écria : « Maman, papa, il dit des gros mots ! », tant mon libertinage vrai s’accommodait mal à la liberté des mots.

Un de la Canebière

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BOUFFE MAIS PAS BOUFFIE

Cette nouvelle production de cette opérette à l’intrigue digne d’un opéra-bouffe mise en scène par Simone Burles qui, en multicolores coiffures bouffantes ou ébouriffées, est bluffante de justesse comique sans boursouffler le trait marseillais de marseillades de mauvais aloi.

UN DE LA CANEBIÈRE

OPÉRETTE EN DEUX ACTES de VINCENT SCOTTO

Livret d’ALIBERT, Raymond VINCY et René SARVIL
Création le 1er octobre 1935, à Lyon, au Théâtre des Célestins

Théâtre Odéon, samedi 18 novembre

Unique en France, le temple marseillais de l’opérette, l’Odéon, puisqu’il faut l’appeler par son nom, tout en haut de la Canebière, présentait à heure et jours présentables pour seniors et enfants, à 14h30, samedi et dimanche 18 et 19 novembre, Un de la Canebière, opérette marseillaise de 1935 La musique est de Vincent Scotto [19], connu de tout le monde, et paroles, que tout le monde connaît, de René Sarvil [20], que tout le monde ignore, comme dit un livre qui lui est consacré, Sarvil, l’oublié de la Canebière. Et pourtant, même si Vinci et Alibert participèrent aussi au livret d’Un de la Canebière, en plus des textes d’opérettes célèbres en leur temps, c’est Sarvil qui a écrit la plupart des chansons célébrées de Scotto, non seulement celles fameuses interprétées par Alibert, qui était de la création d’Un de la Canebière, en fait créée à Lyon, mais aussi d’autres succès interprétés par des chanteurs célèbres de l’époque, Mayol [21], Fernandel [22], Rellys, Sardou, (père), Andrex [23], Reda Caire [24] et même Maurice Chevalier [25]. Sans oublier Tino Rossi que nous pouvons encore écouter comme ces autres sur Youtube, non avec l’accent corse mais marseillais dans l’une des chansons d’Un de la Canebière, Le plus beau tango du monde, un succès méritant d’être mondial en ce temps où l’opérette marseillaise lançait, au moins en France, ce qu’aujourd’hui on appellerait des tubes : et classés désormais au répertoire précieux de Patrimoine populaire national.

[26]

Dans le hall d’entrée, où l’on se pressait —comme des sardines naturellement— des hommes-sandwiches appétissants, les bras musclés nus émergeant de la boîte à l’enseigne des Sardines de Tante Clarisse, hélaient et appâtaient la foule en distribuant le programme alléchant : d’emblée, une sardine sans arêtes, qui nous en bouche un coin sans boucher le Port de Marseille. On les retrouvera souvent, avec les acteurs et chanteurs, déambuler ou courir dans la salle parmi les spectateurs selon les vagues d’une action débordant du plateau, pour se répandre en ondes au parterre, entraînant encore plus le public dans leur joyeuse bande et sarabande.

Lieux de Marseille

Le premier tableau, c’est le Vallon des Auffes, son viaduc de la Corniche surplombant l’anse et les bateaux, et l’enseigne aujourd’hui fameuse de Fonfon, clin d’œil actuel comme plus tard le fanion de l’OM, inexistants alors : le petit patron pêcheur, Toinet (Grégory Benchenafi), ses deux associés Girelle (Claude Deschamps), Pénible (Jean-Claude Calon) et ses marins, mousse, matelots, recousant les filets : scène ordinaire de la vie de pèche sans péché, apparemment pour l’heure aussi échouée que le paraît le museau du pointu qui pointe. Un autre tableau, c’est la simple mer mouvante, émouvante comme une femme pour l’ode ondeuse, ondoyante, le fox-trot voluptueusement chanté par Toinet, le beau jeune premier, J’aime la mer comme une femme. Un autre tableau aura inévitablement la Bonne Mère pour fond avec le dos massif de l’ascenseur disparu, un simple étal de fruits devant figurant, à l’économie, le travail des partisanes, les fraîches comme leurs primeurs Francine (Caroline Géa) et Malou (Priscilla Beyrand), les revendeuses de légumes qui se seront rêvées, faisant rêver les garçons se rêvant industriels de la sardine, « estars » de cinéma. Jeu de jupes, de dupes, le temps d’une nuit où les chats et chattes sont gris, griserie de l’ivresse, dans un lieu factice propice au rêve de grandeur : la Réserve, luxueux hôtel Palace, ouvert en 1860 sur la Corniche entre le Vallon des Auffes et le Vallon de l’Oriol, détruit en 1960.

[27]

Distinction prolétaire

Et même dans la fantaisie de l’opérette de 1935, juste avant les remous ouvriers de 36, ce trait me semble juste psychologiquement et socialement : si les gens de la haute, à pognon, aimaient s’encanailler dans les bouges ou tripots populaires, les gens du peuple, à l’inverse, s’endimanchaient pour se glisser —quand ils avaient pu économiser suffisamment pour se l’offrir le temps d’un soir— dans les lieux huppés, fétiches du prestige mondain, de la distinction sociale. C’est dire l’erreur de ces bobos d’aujourd’hui en politique, prétendus de gauche, bruyants, braillards, débraillés pour faire populaire, insultant le sens de la dignité du peuple : même de mon temps, on n’allait pas danser sans costard cravate aux « Salons de l’Alhambra » de l’Estaque, ni à l’Ermitage en plein air, pour les quartiers nord. Il n’y a aucune invraisemblance donc que les modestes Cendrillons partisanes, parées, pomponnées, aillent oublier ce que la vie ou survie fait d’elles chaque jour, pour vivre, le temps d’un soir de fête, à en perdre la tête, ce qu’elles sont au fond d’elles-mêmes : des princesses trahies par le sort. Et pareil pour les garçons qui se sont mis sur leur trente et un sans attendre le trente-six du mois !

Évidemment, difficile de ne pas perdre un peu la tête entre valses, tangos, javas, charlestons et fox-trots à la mode du temps, l’amour en beau costume des sentiments, comme la bien habillée déclaration toute fleurie de Toinet, le faux industriel à la belle Francine minaudant en fausse star incognito : Vous avez l’éclat de la rose […] Les bleuets sont moins bleus que vos prunelles, dont a du mal à croire aux yeux de Caroline Géa qui, heureusement, porte des lunettes noires hollywoodiennes —Pardon HollyWOdiennes.

[28]

Amours et jalousies

Mais à trop boire, les déboires : comment justifier en actes, sinon de foi, les belles paroles foisonnant de richesse sardinière ? Car la chanson d’auto-promotion, du trio de lascars, « Les pescadous ou-ou… » bien marseillaise, —« coquin de sort, elle exagère! » — car les trois amis pèchent peut-être par excès d’intention peccamineuse, pécheresse, mais ne pêchent guère les cœurs et ne ramènent pas dans leurs filets la pêchue pêche féminine espérée. Bref, il y a les épines dans toute rose : la fille, futée, froide la tête devant ces bouquets débités de compliments, et le garçon, refroidi, en est pour ses frais effeuillés de marguerites, sans qu’elle morde à l’hameçon.

Mensonge contre mensonge, mais vérité de la séduction dans le miroir biaisé des apparences trompeuses. Mais vrai moteur de l’action : nos « pescadous ou-ou », avec moins de sous que de soucis, vrais requins coquins de l’arnaque, voudront leur usine à sardines et l’auront. Mais, après avoir réussi ce coup non sans drolatiques coups bas, inventant puis noyant la rétive tante Clarisse de Barbentane (hilarante Anne-Gaëlle Peyro) resuscitée en deus ex-machina providentiel et provisionnant de sa bourse l’entreprise, parvenus enfin en haut de l’échelle sardinière, ce sont les filles qui, glissant sous les doigts des pescadous comme des anguilles, se cacheront, honteuses de n’être pas à l’échelle sociale de leurs amoureux. Sous les énormes mensonges, délicatesse des sentiments.

[29]

Mais que de péripéties pour les faire advenir en vérité ! Il y a du jeu du « Je t’aime, moi non plus » : Toinet aime Francine, Girelle aime Malou, aimée vainement de Bienaimé des Accoules ; Pénible, peine à se faire aimer par Margot qui aime Girelle, qui ne l’aime donc pas, fermant le cercle amoureux alimentant intrigues, jalousies, passions trahies : cela pourrait être une tragédie de Racine comme Andromaque aimée de Pyrrhus aimé par Hermione aimée par Oreste, amours sans réciprocité, ou une autre de Shakespeare comme Othello, jaloux de sa femme Desdémone qu’il tue.

Et là, oui, nous l’avons le méfiant, le jaloux mari en la personne de Charlot, le digne Wattman du tramWay à klaxon, en uniforme presque d’Amiral de seul maître à bord (quand il n’y a pas sa femme !), faisant patienter les passagers, impatient de retrouver son épouse, la belle et tempétueuse Marie (Estelle Danière), qu’il soupçonne d’infidélité, mais rassuré en apprenant qu’elle ne le trompe qu’avec leur ami commun, le beau Toinet, tout se passant donc en famille (élargie), simplement vexé d’être le dernier à savoir ce que tout le monde sait. Et il faut voir Yves Coudray, lui-même metteur en scène, se laisser ici mettre en boîte (de sardines, bien sûr) dans le sommet comique de la pièce : la jalousie de sa femme, non envers lui, mais envers Toinet le volage rêvant de voler, sinon convoler avec une autre, jalouse furie demandant des comptes, sinon à l’amant, au mari (on a connu…) : en effet, l’affront fait à la maîtresse est affront fait au mari au front déjà assez bien orné ; manquer à la femme, c’est manquer au mari qui « manque » (comme on dit ici), qui perd la face face au voisinage témoin de ce manquement aux lois de l’adultère librement consenti. Qui parle de faux consentement ?

[30]

Autre malheureuse et jalouse en amour, brave, pauvre Margot ! Dans cette opérette où les femmes n’ont pas le beau rôle chantant, réduites à faire chœur à cœur avec le couplet et couple de l’homme, dans l’un des deux seuls airs féminins, elle chante amèrement le malheur d’aimer un Girelle amoureux de Malou ! Simone Burles, mettant en scène les autres, ne se met pas abusivement en avant, ne tire pas la couverture à soi, mais garde dans la voix une tradition d’émission vocale perdue dans la variété, passant, sans les mêler, du registre de poitrine à l’aigu de tête : tête multicolore par les couleurs de sa permanente commencée à l’électricité, modernité oblige, et finie à la bougie, faute de jus.

Pour détromper ses crédules amies partisanes, elle veut éventer l’invention de la sardinerie qu’elle flaire, sentant forcément que le poisson pourrit par la tête. La sienne, à part la brouillonne couleur des cheveux, bouillonne d’idées et entraîne dans un complot anti-pescadous le riche et respectable Bienaimé des Accoules, dignement campé, sérieux, sûr de lui puis méfiant, par Antoine Bonelli, tiré à quatre épingles et à hue et à dia par Margot et la maline Malou, la pimpante et piquante Priscilla Beyrand: bon prince généreux, il passera commande de huit-cent-milles boîtes de sardines, pour forcer les imposteurs à mettre la clé sous la porte, faute d’usine qu’ils n’ont pas. Mais à être une bonne pomme, on finit par se payer sa poire. Et lui, la commande.

À côté de ces personnages comiques, comédie de la tête aux pieds, visage, voix, corps en perpétuel mouvement, en Girelle, Claude Deschamps, apparemment hors de la prise du temps, déploie une époustouflante, soufflante souplesse juvénile à couper le souffle. Forcément forcé à plus de statisme sinon à la paralysie arthritique de tante Clarisse travestie, le Pénible de Jean-Claude Calon a sa dynamique heure et nuit de raide gloire érotique vantée par Margot elle-même, vaincue et convaincue. Tiré vocalement de quelque opéra slave, Fabrice Todaro, est un tonnant et tonitruant Garopouloff, oligarque russe au yacht échappé aux sanctions internationales et à la police, ayant acheté le silence des pescadous. Comme il sait tout faire, on ne s’étonnera pas de voir Jean Goltier, en Groom pressé et Maître d’Hôtel empressé affligé d’un tic de la tête sur l’épaule, contagieux aux autres.

[31]

Grégory Benchenafi, Toinet, et un idéal jeune premier par le physique avantageux, le jeu, la belle voix large, vibrante et comment ne vibrerait-elle pas, malgré les masques, sa Francine, une jolie Caroline Géa enjouée, qui existe vocalement dans ces faux duos de l’œuvre où la voix de femme ne fait qu’un pâle écho à elle de l’homme, mais qui, à son seul air, entourée de soupirants, elle avoue ne soupirer que pour un seul, d’une voix facile, fruitée comme ses fruits, doucement sensuelle, et si brillamment sonore seule au milieu de la salle pourtant pleine à craquer de spectateurs, à l’acoustique fatalement feutrée d’étouffoirs de moquette et vêtements.

Hors les chansons, l’opérette a plus de texte que de musique mais Didier Benetti, à la direction musicale, en tire le meilleur parti, nous offrant de jolies surprises de timbres instrumentaux. La souple chorégraphie de Maud Boissière pour le tableau de la Réserve, ses danseuses en lanières sexy ou jupes striées comme les sardines plus tard, permet à son habile troupe, de se mêler parfaitement à l’action et même, de faire joyeusement chorus avec choristes et chanteurs.

Les autres costumes sont sagement d’époque, et le wattman, en uniforme historique, et même la tenue d’Arlésienne de la tante de Barbentane ; pantalons corsaire, vareuse, casquette en toile, espadrilles pour Toinet et son équipe de pescadous en marinières rayées ; pantalons à bretelles, débardeur Marcel, petit foulard au cou, casquette ou Borsalino, tricot de peau, pour l’échantillon de Marseillais autour de Francine. Pas d’interprétation excessivement coloriste de la couleur locale, tout a une vague teinte pastel. Et je dirais de même pour la langue : je redoute, dans les opérettes les jeux de langue forcés, et les pagnolades pernicieuses dans ce qui se veut typique ou local. On sourit à « d’asperges», à « incinérations » pour insinuations, glissements plausibles, ou malentendus possibles « philosophe » pour « je file aux Auffes ». Quant à « Droit au but » dans un contexte logique et fin de métro à 21h30 sont de légères actualisations sans insistance.

[32]

Local ou mafieusement méditerranéen, ou universel, « acheter le silence » des pescadous par Garopouloff qui veut laver sa mauvaise conscience, c’est l’argent sale avec lequel les trois Marseillais achètent proprement une véritable usine de sardines, honorent leur contrat pour honorer leurs belles. Qui finalement, n’en demandaient pas tant puisque, abdiquant la folie des grandeurs, à défaut de châteaux en Espagne ou ailleurs, pour être heureux, il suffit sinon d’une chaumière et deux cœurs, d’un petit cabanon pas plus grand qu’un mouchoir de poche, fredonné aussi par la salle ravie, tout comme ces autres chansons aujourd’hui de tous Le plus beau de tous les tangos du monde.

Si les chansons marseillaises n’ont pas toutes fait le tour du monde, la réputation sulfureuse et joyeuse de notre turbulente ville l’a fait nommer dernièrement, première « ville la plus dangereuse d’Europe » mais ville renommée à visiter aux USA, et l’on voit que les touristes sont loin de la fuir. Ajoutons que la Coupe du monde de rugby et les matches qui s’y sont déroulés, ont vu venir des supporters de tous les hémisphères, de l’autre bout de la terre. Quant à la visite du pape François, non en France, mais à Marseille, consacrée et sacrée, a été aussi un événement mondial qui redonne couleur et actualité à la mythique chanson d’Alibert, qu’on a envie de chanter, l’hymne national marseillais :

On connaît dans chaque hémisphère
Notre Cane… Cane…Cane… Canebière,
Et partout elle est populaire
Notre Cane… Cane… Canebière.
Elle part du vieux port et sans effort,
Coquin de sort, elle exagère.
Elle finit au bout de la terre
Notre Cane… Cane…Cane… Canebière

Benito Pelegrin

Photos Christian Dresse

1. Toinet, Girelle, Pénible ;

2. Malou, Francine, Margot, Bienaimé des Accoules,

3. Bienaimé, Girelle, Toinet, Francine, Malou, Pénible ;

4. Girelle, Toinet, Pénible travesti en Tante Clarisse ;

5. Les pescadous industriels de la pêche :  contrat avec Bienaimé ;

6. Francine et sa cour de Marseillais, marlous et matelots ;

7. Bienaimé, la vraie Tante Clarisse, Garopouloff;

8. Pénible et le Wattman.

CHANSONS DE L’OPÉRETTE SUR YOUTUBE, PAR LES CRÉATEURS OU CONTEMPORAINS :

Le plus beau tango du monde, par Tino Rossi avec l’accent marseillais !


2) Les pescadous, par Ginette Garcin :

3) Vous avez l’éclat de la rose par le créateur Alibert :

4) Le petit cabanon, java chantée par Darcelys et une inconnue

5) Canebière par Alibert

6) Enregistrement, par Alibert lui-même, en 1935 : J’aime la mer comme une femme

I. SUR L’OPÉRETTE MARSEILLAISE: OPÉRETTE MARSEILLAISE

II. SUR SIMONE BURLES ET ANTOINE BONELLI : VOIR SUR CE BLOG ET SUR UNE PRÉCÉDENTE PRODUCTION D’UN DE LA CANEBIÈRE EN 2018 : DEUX POUR LE PRIX D’UN [33]

UN DE LA CANEBIÈRE VINCENT SCOTTO

Direction musicale : Didier BENETTI/ Mise en scène : Simone BURLES
Création des décors : Théâtre de l’Odéon/ Costumes : Opéra de Marseille
Distribution:
Francine : Caroline GÉA
Malou : Priscilla BEYRAND
Margot : Simone BURLES
Marie : Estelle DANIÈRE
Tante Clarisse de Barbentane : Anne-Gaëlle PEYRO
Toinet : Grégory BENCHENAFI
Girelle : Claude DESCHAMPS
Pénible : Jean-Claude CALON
Bienaimé des Accoules : Antoine BONELLI
Garopouloff : Fabrice TODARO
Charlot : Yves COUDRAY
Le Groom / Le Maître d’Hôtel : Jean GOLTIER
Orchestre de l’Odéon: Alexandra JOUANNIÉ, Éric CHALAN, Claire MARZULLO , Alexandre RÉGIS, Pierre NENTWIG, Auguste VOISIN, Caroline DAUZINCOURT
Pianiste-répétiteur : Caroline DAUZINCOURT
Maud Boissière : chorégraphie
Ballet : Marie GIBAUD, ANNE-CÉLINE PIC-SAVARY, MARION PINCEMAILLE, Guillaume REVAUD, Rudy SBRIZZI, Vincent TAPIA, Léo VENDELLI

C’est dans la boite, un spectacle de Kamika, le magicien BIO

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Kamika et son Voyage Enchanteur : Naviguer vers un Avenir Durable

Le bateau est un magnifique moyen de transport, permettant de découvrir à son bord, des contrées encore inconnues à nos yeux de jeunes marins novices. N’y aurait-il pas un commandant pour nous accompagner dans cette aventure, qui pourrait nous donner la ou les bonnes marches à suivre ?

La lumière de la scène s’obscurcit, nous ressentons la présence de quelqu’un ou de quelque chose qui se déplace, l’inquiétude demeure. Petit à petit, la lumière revient, nous découvrons un homme seul, en ciré rouge avec une casquette et des chaussures rouges aussi, dont une est non lassée, serait-il notre commandant pour ce voyage ? Il nous regarde et parle avec une voix chevrotante en notre direction. Il explique qu’il a en sa possession une petite boite qui appartenait à sa grand-mère – de plus pour lui, elle est magique, elle contient à elle seule le spectacle que nous allons découvrir.

Il enlève le couvercle, et sort de celle-ci, des objets tantôt réalistes, d’autres qui tantôt nous amènent à développer notre imaginaire à l’instar des cartes se transformant en oiseaux migrateurs ou des pièces de monnaie symbolisant les ressources limitées de notre planète.

Pendant près de 50 minutes, ce seul en scène nous fait voyager sur son bateau traversant les océans pour arriver en bonne compagnie à bon port. Les tours de magie s’enchaînent avec un plaisir non dissimulé de part et d’autre de l’assemblée. Les interactions avec le public se font avec bienveillance et délicatesse. Il arrive à prendre le commandement du spectacle et à transformer le public en de fidèles matelots qui l’accompagnent vers une direction qui s’appelle: Plaisir.

Le tout en envoyant pendant le spectacle un signal fort, sur l’importance de respecter notre Eco-système par des gestes simples, mais qui, mis bout à bout, feront des miracles pour les générations futures.

Un spectacle, dans lequel nous apprécions de nous laisser emporter avec délice. Benoît Bertrand Corso

« C’est dans la boite » a été joué à Marseille, à la Divine Comédie, les 31 octobre, 1er et 2 novembre 2023.

Bon à savoir :

Ce spectacle de magie pour enfant dès 4 ans s’inspire de la transat réalisée par le magicien Kamika en 2017 [36]

LES BARBARES PARMI NOUS

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Meilleur moyen de gagner un match : empêcher qu’il se joue. Non match nul mais annulé, pour cause du caillassage des cars de l’équipe et supporters de l’OL par d’insupportables fanatiques de l’OM, droit au but de la bêtise. Ainsi, trouble-fête d’une rencontre sans rencontre, ces barbares auraient pu mesurer leur triste victoire à l’aune du triomphe festif, à la même heure, que notre Opéra faisait au « Barbare » presque par antonomase, Attila. Mais il est vrai, de Verdi.

ATTILA

Livret de Temistocle Solera, musique de Giuseppe Verdi

Opéra en trois actes et un prologue

Opéra de Marseille

VERSION CONCERTANTE

Dimanche 29 octobre

En ces temps troublés où la terreur barbare frappe nos sociétés et nos consciences, l’Opéra de Marseille nous en réveille et offre une figure archétypale en la personne d’Attila, « fléau de Dieu », sous les sabots du cheval duquel l’herbe ne repoussait pas, selon la terrible image que la mémoire en a conservé. C’est le redoutable roi des Huns du cinquième siècle de notre ère, mais sous la seule forme où nous voudrions vraiment l’accueillir : lyrique, musicale, en harmonie, bref, civilisée.

Les Huns dans l’histoire

          Nous sommes à la fin de l’Antiquité, de l’Empire romain, époque des grandes invasions selon l’expression française, des migrations ou d’errance des peuples ailleurs. Les Huns, étaient un peuple turco-mongol des plaines d’Asie centrale qui, au IVe siècle de notre ère, avançant vers l’ouest, vers 370, atteignent et s’installent d’abord entre la mer Caspienne et la mer Noire, où la toundra de la Volga et du Don leur rappel leurs steppes originelles. Ils vont étendre leur domination en Europe centrale, s’implanter solidement dans le bassin du Danube, la Pannonie, l’actuelle Hongrie, qui, en latin, lui devrait son nom dérivé de Huns : dans ce pays, Attila est célébré comme un héros fondateur. 

Au passage, d’est en ouest, les Huns ont fait fuir de peur, ont poussé devant eux ou intégré d’autres peuples germaniques qui vont aussi déferler sur l’Europe, tels les Alains, les Goths et Ostrogoths. Certains, déjà plus ou moins assimilés, luttent ou pactisent avec l’Empire romain d’Occident ou d’Orient. Ils y créeront des domaines fédérés alliés puis des royaumes indépendants : les Wisigoths, les Goths de l’ouest, obtiennent des Romains l’Aquitaine où ils se sédentarisent, avec pour capitale Toulouse, avant de gagner l’Ibérie, où ils luttent contre les Vandales installés dans ce qui deviendra la Vandalousie, l’Andalousie, qui chassés d’Hispanie, traversent la mer et se taillent un royaume en Afrique du Nord. Le futur saint Augustin, alors évêque d’Hippone, connaîtra le siège de sa ville par les Vandales.

[37]

Attila dans l’Histoire

Attila naît vers 395 dans les plaines du Danube et mourra en 453. Plus que roi de ce qui n’est pas un empire au sens administratif, mais une « emprise », une domination non organisée, c’est le « Chef de guerre ». Il ne réussit pas à conquérir Constantinople, mais en obtient une rançon contre la promesse de la paix. Il pousse vers l’ouest, atteint la Gaule en 451, ravageant tout sur son passage, massacrant toute la population de Metz puis rasant la ville, il assiège Lutèce (Paris), échoue à prendre Orléans et, alourdi par l’énorme butin de ses pillages, recule jusqu’en Champagne. Il y sera battu près de Châlons, dans les Champs Catalauniques par les troupes romaines secondées par les tribus germaniques déjà installées en Gaule, les Wisigoths d’Aquitaine, les Francs, les Burgondes qui, fédérées à Rome, en obtiendront ainsi, de facto ou de juro, ces territoires qui s’érigeront en royaumes à la chute de l’Empire.

          Attila, se tourne alors vers l’Italie ; passant les Alpes en 452, il ravage la plaine du Pô, détruit la ville d’Aquilée, dans le Frioul, où nous le retrouvons avec l’opéra de Verdi. Si l’Italie n’en fait pas un héros national comme la Hongrie, à juger par l’intérêt culturel qu’on lui porte, il ne semble pas l’épouvantail ni l’Antéchrist. En 1667 Corneille, donne à la troupe de Molière sa tragédie Attila, Roi des Huns, qui n’est pas mal reçue par la critique. Seul un contresens répété sans vérification prête à Boileau un sévère « Après l’Attila, holà !», alors qu’il s’adresse, comme il l’explicite dans une de ses Satires, non à Corneille, mais à un public, prétendument connaisseur, osant critiquer le grand dramaturge. Dans la pièce, Attila, assez galant, amoureux, moins barbare que politique, pour sceller des alliances, hésite entre la sœur de Mérovée, franque, et une romaine, sœur du jeune Empereur Valentinien.

[38]

          L’Attila de Verdi

Il me semble intéressant, ce à quoi on ne s’intéresse guère apparemment, de contextualiser la pièce dont s’inspire Verdi. En 1808, année du soulèvement de l’Espagne contre Napoléon, qui sape le mythe de l’Empereur invincible qui domine l’Europe, paraît la tragédie romantique allemande de Zacharias Werner, Attila, König der Hunnen (qui n’ignore pas celle de Corneille). Elle est créée à Vienne l’année suivante, six mois après l’indécise bataille d’Essling près de Vienne qui, après les défaites espagnoles, montre, malgré quelques victoires comme Wagram, que l’on peut résister à la Grande Armée de Napoléon qui n’est plus ce qu’elle fut, comme les hordes d’Attila, échouant devant Rome, à un an de la mort du chef.

Verdi en demande à Piave d’abord, puis à Temistocle Solera, un livret, compliqué ou complété et modifié finalement par Piave. Ce n’est pas le chef-d’œuvre de Verdi, on le sait. Mais quoiqu’en disent ceux qui font la fine bouche, cet opéra d’un encore jeune compositeur de trente-trois ans annonce sa production ultérieure.

L’œuvre est créée à la Fenice le 17 mars 1846, dans cette Venise effervescente, ruant sous le joug des Autrichiens. C’est plus qu’un brouillon du génie futur : on trouve ici, dans le livret du même Temistocle Solera, le même thème d’un peuple opprimé que dans Nabucco (1842). Si, dans ce dernier, le chœur « Va, pensiero… », devenu hymne presque national d’une Italie qui n’est pas encore une nation, devenu universel, se contente de chanter la nostalgie du pays perdu, passivement soumis, dans Attila, comme dans une évolution de la conscience politique, c’est la résistance à l’oppresseur pressant qui s’organise et emblématise dans la figure d’une femme héroïque, Odabella, se rêvant nouvelle Judith décapitant Holopherne pour délivrer sa patrie. Son fiancé retrouvé aura aussi ses couplets patriotiques, ainsi que le général romain Ezio d’abord traître collaborateur, marchandant l’Italie contre l’Empire avec un Attila vainqueur qui refuse noblement cette ignominie et lui fait la leçon, lui reprochant d’être parjure à son maître l’Empereur. La vision hallucinatoire du pape Léon, marquera l’arrêt de la marche des Huns sur Rome, signant la fin de l’invasion.  

[39]

L’Attila marseillais

Salle délirante d’enthousiasme à juste titre. Et je note d’un public assagi et attentif, qui attend chaque fois la toute fin de l’air et des notes de l’orchestre pour applaudir sans interférer sur la musique.

Sous la baguette attentive à son plateau de solistes derrière lui et face à plein d’un Orchestre qu’il domine et maîtrise, qui le suit en parfaite symbiose, Paolo Arrivabeni, ovationné par le public, nous aura offert une parfaite illustration du meilleur de la traditionnelle direction italienne lyrique, sachant servir les voix sans asservir l’orchestre, dans un équilibre entre les deux qu’on dirait génétique si ce terme n’était aujourd’hui si galvaudé : disons expérience des exigences humaines du chant et connaissance profonde de l’instrumentarium orchestral.

Dès les sombres accords de cuivres lourds, angoissants, menaçants bien que lointains encore de l’ouverture, un nappage étale de cordes graves, déchiré d’un aigu plaintif, il ménage une montée éclatante, fracassante, d’une maîtrise qui ne se démentira jamais, avec un contrôle d’une rare précision dans les ensembles nombreux, du duo au trio jusqu’au quintette.

          Le rideau se lève sur la liesse des Huns et des Ostrogoths leurs alliés, qui chantent leur dieu Wotan et célèbrent leur roi Attila, vainqueur après la destruction de la ville d’Aquilée. Sous la férule de Florent Mayet, ce chœur masculin est aussi précis qu’expressivement barbare, qualités que l’on retrouvera, dans le registre inverse, dans le chœur dolent des rescapés, des druides (sans doute des Gaulois celtes inféodés aussi aux Huns) et, plus tard, des femmes.

          Un esclave d’Attila, Uldino, dont la longue silhouette juvénile et la voix fragile d’Arnaud Rostin-Magnin sont à l’image de sa pitié, a épargné du massacre général un groupe d’irréductibles femmes combattantes, menées par Odabella, fille du gouverneur d’Aquilée, mort ou disparu, comme son fiancé, le chevalier romain Foresto.

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Amazone en fureur, vierge vengeresse guerrière, faute d’hommes massacrés, Odabella, au nom du père et du fiancé morts, élevant son destin individuel ravagé par l’Histoire collective au niveau de la tragédie universelle, en vient à incarner la résistance, le cri de liberté contre l’oppression. Et c’est par un air d’entrée immédiat, immense cri de douleur et de rage, hérissé des zigzags verticaux, vertigineux du grave à l’aigu extrême sans préparation, hérissé de notes piquées, plantées comme des dards, avec une puissance tragique que Csilla Boross, soprano hongroise —de la patrie d’Attila !— s’offre à nous, dans l’évidence, la puissance, d’une incarnation vocale d’un héroïsme à couper notre souffle et pas le sien, qui semble infini. Plénitude d’une voix de chair mais agile, claquant comme un fouet dans les forte, survolant avec une aisance toujours expressive les défis de sa partition de fureur puis, adoucie en berceuse à la longue ligne de cantilène de son autre air contrastant, déchirant de douloureuse nostalgie. Subtilement, Verdi arrache la soprano, héroïne conventionnelle de l’opéra de cette époque au cliché du couple avec le ténor, longtemps éclipsé, pour la confronter immédiatement avec la basse d’Attila, affrontement violent de la femme révoltée, invaincue, puis jeu ambigu de séduction envers le vainqueur pour servir son lent désir ombreux de vengeance.

La basse italienne Ildebrando d’Arcangelo est un ennemi à la hauteur de cette Némésis, nocturne déesse de la vengeance : sans forcer le trait dans la version concert, sa barbarie exprimée, purgée dans le fracas des chœurs ivres de victoire et de l’orchestre qui la traduisent, il a l’allure et la figure noble, imposante par nature physique plus que par jeu, d’un rayonnant héros qui n’a pas à en rajouter à sa gloire d’indiscutable vainqueur. Du sombre grave aux aigus pleins, égale en volume, sa voix puissante, tonnante sans étonner ni détoner d’excès, correspond à sa personne, à ce personnage finalement chevaleresque : non seulement il ne tient pas à grief la désobéissance du tendre Uldino qui a contrevenu à ses ordres impitoyables en exceptant les femmes du massacre, mais, chevaleresque, saluant la vaillance d’Odabella, avec panache, hommage ou défi, il lui offre même son épée comme l’arme que la prisonnière réclame pour continuer le combat et le tuer. Il est remarquable d’intériorité superstitieuse dans ses hallucinations dignes de Nabucco face au fantomatique vieillard qui s’avère Leone, l’Évêque de Rome (ce n’est que progressivement que l’évêque de Rome aura le titre de pape avec préséance sur tous les autres évêques d’une pluralité d’Églises autocéphales, indépendantes). Avec simplement quelques phrases, la basse française Louis Morvan impose une sombre autorité qui donne envie de le réentendre plus longuement.

Le baryton espagnol Ezio Juan Jesús Rodríguez incarne de toute la puissance de sa superbe voix éclatante, Ezio, général romain, le seul personnage, avec Attila, de quelque complexité psychologique, traversé de sentiments complexes, même contradictoires. Rebelle tonitruant prêt à franchir le pas de la révolte contre le jeune et faible Empereur Valentinien III dont les ordres lui sont une humiliation, on découvre qu’il s’est battu victorieusement en Gaule contre Attila près de Châlons, ces Champs Catalauniques, déroute des Huns prenant alors la route d’Italie. S’autorisant d’une estime entre adversaires loyaux, bassement, baissant à l’insinuation venimeuse sa puissante voix, le glorieux général romain, prêt à collaborer avec le vainqueur du jour, offre à Attila l’encore immense Empire romain en échange de l’Italie qu’il se réserverait. Attila, qui admire la grandeur et le courage qu’il a salués en Odabella, réprouve et condamne ce vil marché d’un parjure traître à sa patrie et refuse, rêvant la conquête totale en commençant par Rome. Beau retournement de la leçon du barbare : offensé, Ezio se retourne fièrement contre lui, se détourne du projet et entrera en second dans le plan, le complot contre Attila tramé dans l’ombre par Odabella.

          Cependant, Foresto, qu’elle croyait mort, réapparaît sur un navire, avec un groupe de rescapés. Il déplore la perte d’Odabella, ignorant qu’elle est vivante et projette de construire une nouvelle ville, sur des îlots d’une lagune protectrice : ce sera Venise, effectivement bâtie dans les marécages et l’eau pour se protéger des incursions barbares. Entre la grandiose stature héroïque d’Attila, dont Odabella est en fait une digne ennemie, le rôle de Foresto est faible mais, Antonio Poli, ténor, par la vaillance solaire de sa voix, une projection impétueuse et contrôlée, lui donne, au niveau lyrique, une grandeur qui l’élève à leur niveau, nous offrant le luxe de demi-teintes d’une douloureuse douceur qui arrachent le personnage à la fadeur.

[41]

          Même dans un opéra supposé historique l’intrigue amoureuse, compliquée par les héros eux-mêmes, ne peut manquer : Foresto se croit trahi par Odabella au profit d’Attila. Pis encore : alors que, dans un festin où, bon prince, Attila invite généreusement son rival romain, Foresto trouve le moyen de verser du poison dans le verre du roi Hun, mais Odabella empêche Attila de le boire. Imaginez la réaction du fiancé qui y voit la confirmation de la trahison de sa promise dont on lui annonce le mariage avec Attila. On ne sait comment, les deux amants se retrouvent, réglant leurs comptes mais cela nous vaut un beau duo haletant, animé par le dépit, la passion jalouse, de Poli-Foresto vitupérant l’infidèle, les vaines protestations d’amour de Boross-Odabella, devenant trio arbitré par Ezio-Rodríguez, cherchant à les calmar car le temps presse et ils risquent d’être découverts : nous sommes pratiquement dans le registre inversé de l’opéra-bouffe, et l’on pense au trio Rosina-Almaviva faisant les jolis cœurs alors qu’ils perdent un temps précieux pour l’évasion devant un Figaro impuissant à les calmer.

Mais Odabella n’a sauvé le barbare que pour le bonheur de le tuer elle-même en sacrifice à son père. Elle le tue donc, assumant sa vengeance et Attila a pour elle presque les mots de César à Brutus son fils adoptif qui l’assassine avec les conjurés : « Et tu pure… ? », ‘Et même toi… ?’

          En fait, Attila mourra dans son lit l’année suivante, en 453 sans doute empoisonné ou étouffé par l’effet ravageur de sa propre ivresse, mais par aucun de nos deux héros. Son empire s’effondre presque aussitôt. Benito Pelegrín

 

ATTILA

de Giuseppe Verdi

Opéra de Marseille

VERSION CONCERTANTE

Jeudi 2 novembre, 20h /Samedi 4 novembre 20h

Direction musicale : Paolo ARRIVABENI

Assistant à la direction musicale : Federico TIBONE

Régisseur de production : Jacques LE ROY

Surtitrage Richard NEEL

Régie de sur-titrage : Qiang LI

DISTRIBUTION

 Odabella : Csilla BOROSS

Attila : Ildebrando D’ARCANGELO

Ezio : Juan Jesús RODRÍGUEZ

Foresto : Antonio POLI

L’Évêque de Rome Leone : Louis MORVAN

Uldino : Arnaud ROSTIN-MAGNIN

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Chef de Chœur : Florent MAYET

Pianistes / Cheffes de chant Astrid MARC et Fabienne DI LANDRO

PHOTOS :  CHRISTIAN DRESSE

Ce n’est qu’un au revoir

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Sur Richard, tout a déjà été dit en l’espace de quelques heures : sa générosité, sa gentillesse, sa bienveillance, sa disponibilité, sa sincérité et son amour de l’autre ont été à juste titre soulignés. Son engagement, sa passion, sa fougue de saltimbanque ont été largement égrénées au fil des publications sur les réseaux sociaux. Alors que dire de plus sur l’Homme qui a eu un courage et une audace folle de créer un théâtre digne de ce nom, un Grand théâtre, en plein coeur du quartier le plus déshérité d’Europe? Peu de choses ou plutôt si, une chose qui me tient à coeur de relater.

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Richard dans ses jeunes années ©DR

Il y a un peu plus de 20 ans, j’avais à peine plus de 25 ans, voire 26 ans. Je débutais en tant que critique culturelle dans un osbcur petit média, j’étais la plus jeune de tous et toutes, un bébé quoi !, mais Richard et Sergio m’ont toujours accueillie avec enthousiasme et bienveillance. Un beau jour, alors que l’idée de créer une Revue de Théâtre où la critique – la Vraie, pas le j’aime, j’aime pas qu’on lit partout – tiendrait la place principale – avec des papiers excédant de loin en nombre de caractères le feuillet traditionnel ou l’entrefilet – commençait à émerger dans ma tête, Sergio à qui j’en avais parlé, m’a dit « Va voir Richard et parle-lui de ton projet. Je suis sûr qu’il sera intéressé. » 

Me voilà donc, avec ma gueule enfarinée de Bébé, face à Richard. Il aurait pu être mon grand-père et insitait pour que je le tutoie. Je lui présente mon projet et la maquette que j’avais créée de mes petites mains. Il m’a écoutée avec attention avant de me féliciter de cette initiative, folle mais enthousiasmante. A cette époque, il n’existait pas de revue de critique de théâtre à proprement parler. Puis, lui, de me dire : « si tu as besoin d’un bureau pour ta revue, tu es ici chez toi. » Cette petite phrase est depuis restée gravée dans ma mémoire. Et même s’il m’arrivait d’égratigner toujours avec bienveillance un spectacle dont la mise en scène et la direction d’acteur n’étaient pas abouties, il respectait mes arguments, me disant « ce que tu écris, ça, c’est de la critique » au sens noble du terme. Récemment, il m’a dit que je devais me mettre à la mise en scène, un jour peut-être !

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Richard et Martinette ©DVDM

Ce souvenir d’un Richard humain et humaniste, fraternel et simple, amoureux des animaux, restera à jamais dans mon coeur. J’ai vu naître sa chatte, Martinette, dans le petite cour jouxtant le tout petit théâtre en bas des escaliers menant aux bureaux. J’ai connu Liberté quand il l’a reccueillie, toute maigre mais si douce. Je l’ai vu nourrir les oiseaux tous les jours à 15h. Et je ne parle pas de l’homme de théâtre dont la voix hypnotique clamait avec une verve sans pareille les poèmes et textes de son ami Léo. Ni de son jeu théâtral tant sa présence suffisait pour qu’il devienne personnage, ou clown.

Sa disparition est un double choc. Elle intervient 14 ans après le décès d’une autre figure du théâtre que j’aimais tant, Edmée Santy. Oui, Edmée qui avait inauguré en grande pompe le Toursky à sa création. Edmée qui fut la marraine de ma Revue jusqu’à la fin. Edmée et ses coups de coeurs, ses coups de griffe. Edmée, qui m’a tout appris du métier. Et aujourd’hui, Richard qui fut le premier soutien de ma Revue. Richard qui va rejoindre Léo, Michael, Tania, Fifi, Vlad et tous les autres. N’oublie pas de saluer Edmée pour moi. Bon voyage à toi, ami ! Tu nous laisses orphelins. Je pense fort à ta famille, de sang et de coeur. Adieu. DVDM

En une, Richard déclammant Léo ©Jean Barak