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SHIRUKU par CANTICUM NOVUM, OLIVIER BARDON, SUR LA ROUTE DE LA SOIE/Label Ambronay

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La Route de la soie, immémoriale, reliant autrefois l’Asie à la Méditerranée, est redevenue d’actualité avec le projet actuel de la Chine de la réinventer, d’inclure dans son trajet l’Afrique et la Russie, pour servir ses intérêts. Celle que nous propose ce CD est simplement et superbement artistique, humaine, pour ne servir que le rapprochement des peuples par leur culture.

Créé en 2009 par Olivier Bardon, l’ensemble Canticum Novum, fait, en tissant des musiques anciennes traditionnelles, un chant nouveau, comme l’indique son nom, qui est vocation et programme, tissant des liens entre la musique d’Europe occidentale et le répertoire du bassin méditerranéen, riche de l’union du monde chrétien et d’un orient marqué d’une double hérédité juive et mauresque, dont l’Espagne fut un temps le réceptacle miraculeux, longtemps pacifique. On se souvient de leur premier disque de 2011, dont le nom, le vœu rêvé de paix, en espagnol, arabe, hébreux, Paz, Salam, Shalom, hélas, est resté un vœu pieux à la triste lumière des événements récents.

Avaient suivi d’autres ambitieux déchiffrages et défrichages de cultures profondes, qui nous semblent lointaines et exotiques, mais qui nous sont pourtant un terroir commun d’une Méditerranée élargie, dont les flots et vagues culturelles ont porté plus loin que les vaines et artificielles frontières politiques qui séparent arbitrairement un continuum humain difficilement séparable, qui n’a pas de compartiments étanches. Nous avions ainsi salué, Aashenayi (2015), ‘Rencontre’ en persan, un programme de musiques issue de l’Empire ottoman au temps de Soliman le magnifique au XVIe siècle ; Ararat (2017) sur ces musiques arméniennes peu fréquentées d’un peuple martyr que la terrible actualité rappelle à nos mémoires ; Laudario (2019), musiques au temps de saint François d’Assise ; Al-Basma (2021), un retour, un ressourcement dans la péninsule ibérique, où coexistèrent pacifiquement un temps, à l‘époque médiévale, dans le fascinant Al-Andalûs, les cultures arabo-musulmane, du judaïsme arabophone et du christianisme. Samâ-ï (2022) était centré sur Alep la cosmopolite, dans cette quête d’interrogation des identités, de l’oralité, de la transmission et la mémoire, à partir de lieux symboliques et culturels de rencontres et non d’affrontements de cultures. Ajoutons que certains de ces programmes, de ces concerts aussi très visuels, spectaculaires, avec la mise en évidence, en audience, d’instruments insolites, anciens ou actuels venus d’ailleurs, on fait l’objet de captations pour la télévision par les Films de la Découverte. On comprendra que l’ensemble soit conventionné par le Ministère de la Culture.

Après ces recréations et créations musicologiques à partir de documents rares ou de témoignages recueillis dans les brumes de la mémoire ou bégaiements de la transmission orale, à partir du noyau de l’Al-Andalus ibère et séfarade aux chants d’amour nomades des steppes d’Asie, en passant par des mises en musique de poèmes afghans ou perses, turcs ou arméniens, voici enfin, une percée vers l’Extrême-Orient tout frais sorti et non encore en vente à l’heure heureuse de cette émission, Shiruku (2023), qui signifie ‘soie’ en japonais. Pour ce disque, géographiquement audacieux, s’adjoignant les services talentueux de trois musiciens traditionnels japonais, Emmanuel Bardon pousse ou tisse les limites ou confins de sa Route de la soie jusqu’au Japon, qui en était bien loin depuis son île séparée du continent asiatique. Mais, dans le texte introductif du CD, très documenté, d’Annick Peters Custot de l’Université de Nantes, on en voit la justification : en effet, l’hispanique futur saint François-Xavier, dont je rappelle qu’on pense qu’il parcourut quelque 80 000 kilomètres en Asie (et songez aux moyens de l’époque !), dans sa foi missionnaire et visionnaire de jésuite, de l’Inde au Japon, tissa des liens, mourant en 1552 sur l’île de Sancian, face à Canton de cette Chine qu’il rêvait d’évangéliser. En somme, si le grand empereur Mongol Kubilaï Khan (1260-1294) qui régnait sur la Chine échoua dans son désir de conquérir l’archipel nippon, bien pacifiquement, Emmanuel Bardon annexe pour notre plaisir curieux cet Empire du Soleil levant dont voici un air de la Préfecture de Toyama, une invitation au chant par un musicien accompagnateur :

1) PLAGE 9 

« Comment peut-on être Persan ? », s’étonnait un naïf badaud parisien des Lettres persanes de Montesquieu. Alors, imaginons, au XVIe siècle, ces hardis navigateurs européens chrétiens, se croyant jusque-là le centre, le nombril du monde, découvrant ces terres lointaines, ces cultures étrangères, étranges, qui relativisaient ou questionnaient la nôtre ! Presque à la fin de la République, au début de l’Empire, les Romains connaissaient, par l’Égypte, les soieries chinoises d’un pays très lointain, bien au-delà de cette Inde jusqu’où était arrivé Alexandre le Grand. Par la fameuse longue poudreuse et poreuse Route de la soie parvinrent en Europe des inventions chinoises, la poudre, la boussole, l’imprimerie et, naturellement, la soie ou le thé. Le Livre des merveilles (en italien Il Milione) récit magnifique et mirifique de Marco Polo, décrivant l’empire mongol et chinois de Kubilaï Khan pour lequel le Vénitien travailla de 1275 à 1290 comme « messager » ou émissaire impérial, tout en faisant rêver, ouvrait grandes des portes jusqu’alors à peine entrouvertes.

Constantinople, sur les deux rives du Bosphore, entre Orient et Occident, riche des héritages grecs et latins, byzantins, perses et turcs et de leur transmission à un Occident et vers l’Orient, était une charnière, un relais essentiel sur cette route. Coupée par les Turcs après la prise de Constantinople en 1453, contournée par l’Afrique par les Portugais en quête de la conquête des épices, par la voie maritime nous parviendront plus tard les fascinantes porcelaines. Cependant, l’habile Venise, jouant sur les deux tableaux, plus économiques que politiques, commerçait toujours avec les Turcs et faisait payer très cher aux occidentaux ce qu’elle en avait obtenu. D’où la présence logique de musique vénitienne dans ce CD, cette jolie aubade où un amant chante à sa belle qu’il est temps de se réveiller : « Sù, sù, leva, alza le ciglia… » :

2) PLAGE 7 

Bien sûr, la Grèce était aussi un aboutissement des ramifications multiples de cette route de la soie. Voici une jolie chanson chantée, de la tradition de l’Épire, Petit citronnier…, dont je rappelle qu’il est venu, depuis très longtemps, du Cachemire, aux confins de la Chine :

3) PLAGE 13 

On apprécie donc le vaste panorama musical, symbole de toute la culture qui, par cette Route de la soie que veut aujourd’hui actualiser la Chine, embrassée par ce disque. Du Japon, à l’Europe, ces routes, dans les deux sens, dans le temps long de l’Histoire, mais d’autant plus profond, grâce à des explorateurs et des missionnaires, échangèrent des marchandises, brassèrent des idées, creuset d’échanges, de syncrétisme, tissant une millénaire chaîne de rencontres. Ne peut manquer ici l’Espagne des trois religions et le poète Alphonse X le Sage qui, au XIIIe siècle s’en proclamait roi. Mais nous quittons ce CD su un beau romance sépharade, de ces Juifs chassés d’Espagne, ayant transporté leur culture dans la multiculturelle Constantinople, une douce berceuse à l’aimée : « durme, durme, hermoza donzella… », inverse de l’aubade pour la réveiller :

4) PLAGE 19 

La Route de la soie, le projet actuel de la Chine de la réinventer, d’inclure dans son trajet l’Afrique et la Russie:

https://www.challenges.fr/monde/asie-pacifique/comment-pekin-impose-sa-loi-avec-sa-nouvelle-route-de-la-soie_475692 [2]

ÉMISSION N°702 DE BENITO PELEGRÍN

CANTICUM NOVUM

Akihito Obama, shakuhachi (flûte droite japonaise)
Yutaka Oyama, tsugaru-shamisen (luth japonais à trois cordes)
Tsugumi Yamamoto, koto (instrument japonais à 13 cordes pincées s’apparentant à une cithare)
Barbara Kusa, Emmanuel Bardon, chant
Valérie Dulac, Emmanuelle Guigues, vièles
Nolwenn Le Guern, vièle & luth
Philippe Roche, oud
Spyros Halaris, kanun
Guénaël Bihan, flûtes à bec
Léa Maquart, flûtes kaval & ney
Henri-Charles Caget, Ismaïl Mesbahi, percussions
Emmanuel Bardon, direction musicale

Mozart : Symphonies Nos. 29 & 40, Oboe Concerto/Un CD Aparte

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Il Pomo d’Oro : Orchestra
Maxim Emelyanychev: conductor
Ivan Podyomov :
hautbois

Je ne connais pas le précédant enregistrement de Maxim Emelyanychev, à la tête de l’orchestre Il Pomo d’Oro, intitulé —en anglais cela va de soi pour un pianiste et chef russe, The beginning and the end, ‘le début et la fin’ Il est vrai que c’est le jeune chef du Scottish Chamber Orchestra et du Pomo d’Oro au nom italien, d’origine non précisée mais formée de brillants experts de musique baroque. Ce premier CD mettait en miroir la première et la dernière symphonie de Mozart. Mais, à écouter celui-ci, qui confronte la 29e symphonie avec la si connue 40e, cela donne une grande envie de les entendre. Ces deux enregistrements sont, nous dit-on, les prémices d’un vaste projet : une intégrale des grandes symphonies de la maturité de Mozart, mises en regard, en écho plutôt, avec des œuvres de jeunesse. Évidemment, on peut se demander où commence et finit la jeunesse d’un enfant prodige, déjà auteur d’une symphonie à sept ans sur les quarante et une qu’il composera durant sa brève vie puisqu’il meurt à trente-cinq ans à peine, ce qu’on nomme, pour le courant des mortels, le début de la maturité.

Il est vrai que la première symphonie de ce CD, la 29e, en A major (La majeur) composée en 1774, à dix-huit ans, sans que je donne à ce terme un sens qualitatif, est juvénile, joyeuse, fraîche, pimpante, et servie je dirais aves les mêmes termes par le chef et l’orchestre si juvénilement agile. Je ne crois pas être démenti si l’on écoute la vivacité enjouée de ce début, son rythme, son tempo Allegro moderato primesautier, plein de joie de vivre : 

1) PLAGE 1 I Allegro moderato

Mozart est dans sa ville natale de Salzbourg, où son père Leopold est violoniste à la cour depuis trente et un ans, rêvant logiquement de voir son fils lui succéder dans le confort d’un poste peu brillant mais sûr pour gagner sa vie. Mais en 1772, l’accession au trône du Prince-archevêque Colloredo, d’origine italienne, va déranger le confort et la sympathie dont jouissait Mozart fils, protégé de la cour, complaisante à la jeune gloire locale que l’Europe avait célébré tout enfant. Moins sensible à ses charmes, le nouveau Prince s’accommode mal de ce remuant prodige qui a sans doute l’insolence et l’impatience de sa célébrité encore vive en lui, qu’il désire faire vivre hors les limites de cette ville, puisqu’on l’invite ailleurs à faire jouer ses œuvres.

Les musiciens n’étaient alors que des serviteurs ; le caractère autoritaire ou tyrannique de Colloredo entend soumettre à la domesticité le fougueux jeune homme auquel la cour permettait des absences servant sa carrière. Cependant, occasionnellement, Mozart en quête de nouveaux publics, réussit à fuir Salzbourg : on le trouve à Munich, à Mainnheim puis à Paris avec sa mère, qui y meurt en 1778. Mais, lié par son contrat, il est rapidement contraint de revenir dans la ville sous la férule de ce maître détestable, indifférent à son génie qui fait pourtant rayonner Salzbourg à l’étranger. C’est encore là qu’il compose ce Concerto pour hautbois, en C major (Do majeur) ici interprété par le brillant soliste russe également, Ivan Podyomov, premier hautbois du Royal Concertgebouw Orchestra. Voici avec quelle vivacité il ouvre le 3e mouvement Rondo allegretto, ludique et piquant :

2) PLAGE 6 

En 1781, Mozart déserte Salzbourg et se rend à Munich pour la création de son Idoménée, roi de Crète [3] qui y triomphe. Au lieu de rentrer sagement à Salzbourg, il passe par Vienne, capitale politique et musicale dont il rêve. Il s’y installera finalement, puisque, en mai de cette même année, l’intraitable Colloredo, étranger aux succès de son musicien officiel, le démet officiellement de ses fonctions. Mozart y trouve sa liberté mais aussi l’angoisse d’un créateur, souvent assailli par ses créanciers, sans l’assurance financière d’un mécène ou protecteur pour vivre et nourrir sa famille, livré aux aléas de commandes dans une ville, certes éprise de musique, mais où abondent d’autres musiciens de talent dont la vogue suit le caprice changeant des modes.

Le disque est accompagné, en trois langues, d’un intéressant livret technique sur les œuvres signé par Yann de Vaugiraud. Cependant, je regrette que, même en passant, sur le plan biographique, il sacrifie, comme jadis Rémy Stricker ou Dominique Fernandez au mythe du mythe psychanalytique d’un œdipien Don Giovanni archétypal du conflit de Mozart avec son père comme s’il avait été l’auteur du livret. Or, comme tous les compositeurs, Mozart n’écrit aucun texte, il n’y aura, en gros, que Berlioz et Wagner pour écrire leurs propres livrets. Mozart prend celui proposé par Da Ponte qui ne fait que suivre, parfois à la lettre, celui du Don Giovanni Tenorio de Bertati/Gazzaniga, donné huit mois plutôt à Venise, qui ne fait que suivre celui scénarisé du lointain original espagnol attribué à Tirso de Molina, sans aucune preuve aujourd’hui attestée.

Mozart n’a pas besoin de ces légendes parasites comme celle, détestable, du film par ailleurs somptueux Amadeus de Miloš Forman (1984), colportant abusivement son faux conflit avec Salieri, alors le grand compositeur officiel de la cour de Vienne. Le cinéaste y peint un discutable Mozart, niais petit oiseau qui ne sait pas comment il chante, alors qu’il n’est que de lire sa correspondance avec son père, dont une épigraphe, extrait d’une lettre, figure judicieusement ici en tête du livret, ou à sa sœur Nanerl, pour voir la conscience aiguë qu’avait Mozart de son travail, de sa recherche, quelle que fût sa facilité remontant à l’exigeant dressage musical de son enfance. Que le père Léopold Mozart soit mort vingt jours après la création de l’opéra (qui ne s’est pas écrit en un jour tout de même !) est certes une triste coïncidence mais sûrement pas une mécanique de cause à effet d’un fils adulte, depuis longtemps émancipé du père et père lui-même depuis 1782, même si seuls deux de ses six enfants ont atteint l’âge adulte.

Avec la charnière encore salzbourgeoise et juvénile, du Concerto pour hautbois, ce beau CD se clôt avec fièvre sur la grandiose, 40e Symphonie, en sol mineur écrite en1788, trois ans avant sa mort à l’apogée de sa brève gloire viennoise. C’est une œuvre dramatique et puissante, empreinte d’un sombre sentiment de fatalité, dont il est impossible que vous n’ayez pas entendu, au moins grâce à la publicité, ce début sur lequel nous nous quittons :

3) PLAGE  8 

ÉMISSION N°709 DE BENITO PELEGRÍN

Johann Sebastian Bach – Les Variations Goldberg par Jean-Luc Ho/(2CDs) Encelade

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Sommet mythique de la production clavier de Bach, ce monument musical connu sous le nom de Variations Goldberg est sans doute aussi un mythe, une mystification, sûrement une légende. En effet, le vrai titre donné à ce recueil de 1742 par Bach, au crépuscule de sa vie mais au plein éclat de son génie, (BWV 988) est Aria mit verschiedenen veränderungen vors Clavicembal mit 2 (zwei) Manualen (‘Aria, air, avec différentes variations pour un clavecin à deux claviers’). Cela en faisait la quatrième et dernière partie de son Clavierübung, ‘Pratique du clavier’ de 1735.

Mais la légende auréole l’œuvre légendaire d’un joli conte à tiroirs : on raconte que le comte von Keyserling, ancien ambassadeur de Russie auprès de la cour de Saxe, souffrant d’insomnies, cherchait l’apaisement et le sommeil dans la musique que lui prodiguait son jeune claveciniste Goldberg qui aurait été élève de Bach. On rapporte, il est vrai, que Bach offrit au comte un exemplaire des Variations, et ce dernier en récompensa le compositeur par une coupe remplie de pièces d’or après les avoir entendues interprétées par son claveciniste personnel Goldberg, qui en usurpe le titre. Légende dorée, conte à dormir debout, mais à la langueur caressante et rêveuse avec laquelle Jean-Luc Ho promène ses doigts sur le clavier, qui résisterait à la douceur berceuse de cette tendre sarabande invitant au sommeil, mais l’empêchant par le bonheur oniriquement curieux d’en connaître la suite ?

1) Spotify PLAGE N° 1 : Aria 

Cette douce cantilène n’est pas non plus de Goldberg mais de Bach lui-même, qu’il reprend du second Clavierbüchlein qu’il avait composé pour sa seconde femme Anna-Magdalena en 1725 après en avoir écrit un premier en 1720 pour son fils Wilhelm Friedemann.

La variation est une technique essentielle de la composition musicale classique, on la retrouve dans tous les genres musicaux, et le jazz en a fait pratiquement une marque de fabrique, une signature. La variation consiste à poser, exposer un thème principal bien marqué et à le modifier par de multiples phrases musicales sous forme mélodique, rythmique et harmonique. Il arrive parfois que le thème original devienne presque méconnaissable dans le cas de la variation « centrifuge », qui le fuit, qui s’en écarte de plus en plus jusqu’à ce qu’on l’oublie. Ainsi, dans les Variations Diabelli sur l’air d’une valse de ce compositeur, le motif est tellement varié, changé, qu’on en perd la sensation et lorsque Beethoven le réexpose pour conclure, c’est pratiquement une surprise parce qu’on avait oublié le motif de départ.

Les variations de Bach, on les dirait centripètes, tournant plutôt autour du thème que le fuyant, elles ne perdent jamais la sensation du centre premier en conservant presque toujours la tonalité initiale, solaire, de sol majeur, avec trois rares modulations mineures, (13e, 15e, 21e) ce qui, avec la permanence de la basse obstinée, mais assez souple pour répondre aux diverses variations rythmiques, renforce le sentiment d’unité de l’ensemble. Un canon intervient toutes les trois variations : un canon est un procédé polyphonique de voix en imitation qui se répètent l’une l’autre avec un décalage dans le temps, comme « Frère Jacques, Frère Jacques, dormez-vous, dormez-vous ?» est la plus simple expression. Évidemment, ceux de Bach sont d’une tout autre ampleur et complexité.

Écoutons ainsi la variation numéro trois, enrichie du premier des dix canons celui-ci à l’unisson, où l’interprète voit « gémellité, symbole de perfection » :

2) PLAGE 4, Var. N° 3 

Jean-Luc Ho, qui signe de plus un livret riche et détaillé et analyse les dix canons, voit dans la forme du canon, procédé contrapunctique, cette reprise par le bas ou après un motif exposé en haut, ou d’abord, une forme d’injonction à se plier à une loi supérieure, une loi divine selon lui, à laquelle obéit cette construction dans une recherche d’unité, une quête de perfection. Le canon serait le « symbole de la science de l’art, de la fore interne qui sous-tend la beauté. » Il ajoute : « Du Canon vient la teneur hautement scientifique, spirituelle de Variations. »

À la suite de Glenn Gould, qui en signa une fameuse version piano, les pianistes se sont appropriés de cette œuvre, explicitement destinée par Bach pour un instrument précis, un clavecin à deux claviers. Le compositeur indique que certaines variations sont expressément écrites pour ce clavecin à deux claviers ; pour les autres, un clavier sera suffisant ; enfin, pour trois d’entre elles, l’interprète a le choix entre un ou deux claviers. Une précision de grande importance technique : l’œuvre a des exigences virtuoses, semée de difficultés qui ne font que croître du début à la fin, obligeant l’interprète à une complexe gestuelle qui en fait aussi un spectacle visuel (du moins, précisons, pour le spectateur assez près de cet instrument intimiste), avec des passages de mains croisées, des martèlements d’accords pour assurer ces glissades chromatiques, ces arpèges rapides. Selon Jean-Luc Ho, dans ce monument à la fois sérieux et fantasque, plein de fantaisie, « Bach explore comme jamais l’indépendance des claviers. » Gageure impossible dans l’étroitesse du clavier unique du piano.

En revanche, en respectant le vœu explicite de Bach des deux claviers, jouant sur un instrument, copie d’époque, fidèle au style et à l’esprit, Jean-Luc Ho, déploie agilité et gravité dans cette œuvre également ludique, comme cette foisonnante variation en mineur.

3) PLAGE N°13, Variation 28 à 2 claviers :

Nous quittons ce beau disque sur sa fin, qui est son début, le da capo, le retour au thème :

4) PLAGE 16: Aria da capo e fine.

ÉMISSION N°689 DE BENITO PELEGRÍN

Hero Festival 2023 : Deux Jours d’Héroïsme, de Culture Pop, et de Collaboration Cinématographique Inédite les 11 et 12 novembre au Parc Chanot

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Le Hero Festival, lors de sa 9ème édition au Parc Chanot, s’annonce comme un événement épique sur deux jours, réunissant une pléiade de héros et d’activités captivantes. Découvrez les moments forts, les invités prestigieux, et les univers fascinants qui font de cet événement un incontournable pour les passionnés de pop culture.

Retour triomphal des héros et rencontre exclusive avec Richard Dean Anderson

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Les deux jours du Hero Festival sont marqués par le retour éclatant des héros, animant le Parc Chanot de leur présence magnétique. Les festivaliers auront l’occasion de plonger dans plus de 25 000 m² d’expositions, répartis sur 3 halls et 4 scènes, où chaque coin réserve une aventure unique. En tant qu’invités d’honneur, des légendes telles que Richard Dean Anderson, célèbre pour son rôle dans MacGyver, et des scénaristes de renom, dont Joe Kelly, créateur de récits captivants pour X-men, Spiderman, et Deadpool, apportent une dimension exceptionnelle à l’événement.

Collaboration Cinématographique Inédite avec le Musée Cinéma et Miniature

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À l’occasion de la venue de Richard Dean Anderson, le Hero Festival s’associe de manière exclusive au Musée Cinéma et Miniature pour offrir aux festivaliers une exposition unique au monde. Parmi les trésors exposés au sein du Musée à Lyon, la caméra utilisée par Alfred Hitchcock sur « Sueurs froides », la canne emblématique de Charlie Chaplin, des artefacts de « Men in Black » et « Beetlejuice », ainsi que l’armure de « Robocop » et d’autres éléments emblématiques de films tels qu' »Entretien avec un vampire » ou « Thelma & Louise ».

A l’occasion du Hero Festival, l’exposition « The MacGyver Collection » présente des objets originaux de la série MacGyver, issus de la plus grande collection privée au monde, constituée par Marc-Antoine Bressand après douze ans de recherches.

Village du Livre : Rencontre avec les Auteurs et Élargissement des Horizons Littéraires

Le Village du Livre, point de ralliement des amoureux de la lecture, s’enrichit cette année avec la présence de 3 librairies, 10 maisons d’édition, et plus de 50 auteurs. Des rencontres privilégiées avec des auteurs renommés, dont l’illustrateur Jérôme Alquier, sont au programme. Couvrant les trois univers du Hero Festival – Krypton, Konoha avec un focus sur Dragon Ball, et Brocéliande avec la présence de Serge Papagalli & Gilles Graveleau, comédiens de la série Kaamelott – le Village du Livre offre une expérience littéraire immersive.

Espace Broadway : Spectacle, Conférences et Cosplay

La nouveauté de cette année, l’espace Broadway, étend le divertissement sur plus de 2 500 m² avec une Grande Scène, des conférences, des shows d’hypnose, et des concerts. Cette scène majeure accueille une programmation continue, comprenant des conférences et des séances de questions/réponses avec les invités d’honneur, des défilés de cosplay, le Concours Cosplay du dimanche, et des concerts enchanteurs.

Cosplay à l’Honneur : Expérience Améliorée pour les Passionnés

Cette année, le Hero Festival met à l’honneur le Cosplay avec des aménagements dédiés, une programmation spéciale, des invités exceptionnels, et des événements uniques. Les festivaliers auront l’opportunité de rencontrer 25 cosplayeurs talentueux dans l’Artist Alley Cosplay du Hall 1 ainsi que dans les allées du Hero Festival. Parmi eux, des figures renommées telles que Dothy Trunks, Kotori Doll, et Lioko Cosplay offriront aux visiteurs une expérience immersive et interactive.

Le Hero Festival 2023 promet d’être une célébration de la pop culture, réunissant héros, auteurs, et passionnés dans un tourbillon d’aventures et de découvertes. Avec des univers variés, des invités d’exception, et une programmation riche, cet événement s’annonce comme un rendez-vous immanquable pour tous les amateurs de l’extraordinaire. Que la célébration des héros commence ! DVDM

Infos pratiques :

HeroFestival Saison 9 – 11 & 12 Novembre 2023 Parc Chanot, Marseille

9h00 pour les Légendaires | 9h30 pour les préventes 10h00 pour la billetterie sur place

Samedi Soirée Concert : 17h00 – 21h00/ Dimanche fermeture : 18h30

Lien de la billetterie : https://www.herofestival.fr/billetterie [11]

Offre Pass Culture : https://bit.ly/44eZL91 [12]

Les Accès : Privilégiez les transports en commun 🙂 Accès direct en trains, bus, métro.

Le Parc Chanot est un parking public (1800 places disponibles – voir tarif sur place)

Infos PMR & Sécurité :  https://www.herofestival.fr/infos-pratiques [13]

Jean Sébastien Bach : Sei sonate a Cembalo certato e Violine solo

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Jean Sébastien Bach : Six sonates pour clavecin obligé et violon

BWV 1014-1019/ Ambroise Aubrun (violon), Mireille Podeur (clavecin)/ 2 CD Éditions Hortus

Le talent, le génie, qualités les plus individuelles qui soient, ne se peuvent exprimer, se manifester que si on leur en donne l’occasion et si on leur offre les conditions matérielles de s’épanouir. Il faut oublier la fausse idée moderne d’un art libre de ses faits et gestes, de ses créations : l’art, l’artiste a toujours dépendu, pour vivre, pour exister, de subventions officielles aujourd’hui, des commandes de grands mécènes autrefois qui ont permis, pour servir leur propre gloire, de faire éclore celle d’artistes à leur service : littéralement, des serviteurs. Si l’histoire de la musique a retenu les démêlés et la rupture du jeune Mozart avec le tyrannique Prince archevêque de Salzbourg, dont son père était déjà musicien, titulaire, simple employé qui voulait faire succéder son rebelle de fils à son poste enviable qui assurait le gagne-pain, on se souvient des rapports harmonieux de Haydn, tout aussi serviteur du Prince Esterházy qui laissait noblement son musicien devenu célèbre en Europe, et lui avec, libre d’assumer des concerts à l’étranger, le faisant rayonner de sa propre gloire.

Ainsi, on doit admirer ces protecteurs, ces employeurs moins connus, dont on ne mentionne au moins le nom que par l’emploi, la protection qu’ils ont octroyée à de grands artistes, des musiciens ici, dont les œuvres, les chefs-d’œuvre qu’ils leur ont permis de créer pour leur bonheur, sont arrivés, pour le nôtre, jusqu’à nous.

En décembre 1717, Bach est nommé Maître de chapelle du Prince Leopold Anhat-Coethen, qu’il servira jusqu’en 1723, à Köthen, dans la petite mais brillante cour comme il en existe tant dans une Allemagne non unifiée encore, fragmentée en principautés qui rivalisent entre elles de luxe et d’éclat. Son emploi de Maître de chapelle le fait responsable de la musique, de toute la variété des instruments de l’orchestre qu’il va étudier, exploiter, élargissant sa palette de claviériste de violoniste reconnu. C’est une époque aussi prolifique que bénie de sa création dont témoignent les œuvres qu’il nous lègue : Livre I du Clavier bien tempéré, les Six suites françaises et anglaises, la Fantaisie chromatique et fugue, les exercices pédagogiques pour son fils et sa femme, la transcription pour clavecin de seize concertos pour orchestre de divers auteurs, les célébrissimes six Concertos brandebourgeois, six suites pour violoncelle, etc, et tout l’éventail d’instruments à sa disposition qu’il découvre sans doute ou approfondit, dont ces Six sonates pour ces instruments, violon et clavecin, dont il a  déjà la pratique et même  belle une réputation de claviériste.

         Ces sonates ont la forme canonique de la sonata da chiesa, la ‘sonate d’église’ dont le moule a été imposé par le grand musicien italien Corelli, en quatre mouvements alternant en contraste les tempos lent-vif-lent-vif, sauf la sixième et dernière qui, sans doute après révision, présente une structure en cinq mouvements, dont le troisième, sans violon, est juste un solo, de clavecin au tempo allegro. Nous écoutons un extrait de ce troisième mouvement de la Sonate N°6 en sol majeur, et l’on percevra parfaitement les deux voix du clavecin, la main gauche pour la basse, grave, et la main droite qui chante une mélodie :

1) DISQUE II, PLAGE 11

          Cette netteté distincte des deux registres du clavier, le grave et l’aigu, main gauche et main droite, fait que, quand intervient le violon, ajoutant sa voix aux deux autres, cela en fait ce qu’on appelle des sonates à trois, à trois voix, violon et registre aigu du clavecin offrant des mélodies s’appelant, se répondant, s’affrontant, se poursuivant, jouant entre elles horizontalement tandis que la voix de la basse de la main gauche leur offre l’assise solide mais souple, d’un contrepoint assurant l’assise de leur mélodie.

         En effet, Bach, homme du nord de l’Allemagne, qui n’a pas fait le voyage d’Italie presque obligé pour les artistes, peintres et musiciens de son époque, comme Händel, n’est pas moins à l’écoute attentive de ce qui vient du sud, de la France mais, surtout de l’Italie de la musique. En effet, il réussit la synthèse des diverses influences qu’il avait subies dans ses années d’apprentissage, puis à Weimar et qu’il arrive à magnifier dans cette mirifique Coethen qui lui offre cet arc-en-ciel orchestral. Il adoucit le contrepoint solide mais sévère hérité des musiciens d’Allemagne du Nord en l’auréolant de la souple mélodie italienne, si sensible chez Corelli, et il crée, de ce métissage musical, une chantante polyphonie bien à lui.

         Voici un extrait de la Sonate N°4 en do mineur, le largo, qui semble implorer au violon dans une ligne implorante qui évoque comme un horizon de la Passion selon Saint-Mathieu, que le clavecin paraît ponctuer de larmes d’argent :

2) Disque II, PLAGE 1, Sonate N°4 en do mineur, Largo 

         Même si, effet de la prise de son, le violon semble plus sensible, la sensibilité du clavier n’est pas moins également présente et, les deux instruments jouent, se déjouent, se poursuivent, se rattrapent mais sans rivalité ni compétition, nous régalant d’une égale présence élégante, galante parfois, dans ce qui semble un duo parfois grave ou ludique, une conversation, harmonieuse forcément. 

Les deux interprètes interprètent justement le parcours de tempi lents ou vifs, jamais mécaniquement repris, mais avec des nuances dont ils s’expliquent subtilement dans le livret érudit signé Mireille Podeur, révélant une hiérarchie nuancée du plus vif au plus lent, Presto, Vivace, Allegro, Allegro assai, Andante, Andante un poco, Largo, Adagio. Avec justesse, ils raccordent cette palette de tempi aux nuances de l’expression baroque des affects, des sentiments, dont Mattheson, compositeur, érudit, ami de Händel, avait dressé l’inventaire dans Der vollkommene Capellmeister « Le Parfait Maître de chapelle’). En somme les pulsations physiques et sentimentales ont leurs transcriptions dans les tempi de la musique : « affliction, lamento et plainte pour l’Adagio, (mouvement lent) soulagement pour le plus large Largo, espérance pour l’Andante, réconfort pour l’Allegro, désir pour le Presto. »

Nous quittons ce disque sur l’Allegro de Sonate N°4 en do mineur

3) Disque II, PLAGE 2 

 Émission N°690 de Benito Pelegrín

STABAT MATER, LITANIES À LA VIERGE NOIRE de POULENC

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            Du grand compositeur Francis Poulenc (1899-1963), on oubliera l’agaçante étiquette qu’on lui colla, « moine et voyou », et qu’il aimait répéter avec un faux effroi et une complaisance de grand bourgeois richissime qui jouait  à s’encanailler, pour retenir au moins, de « moine », ce goût sinon ascétique, sincèrement mystique qu’il conserva dans sa brillante et légère vie dans le grand monde de l’argent et des arts. L’heureux héritier du puissant groupe pharmaceutique Rhône-Poulenc, aux apparences si frivoles, confiait quelque temps avant sa mort : « J’ai la foi d’un curé de campagne ». On ne glosera sur ce que peut être « la foi d’un curé de campagne », malgré la sympathie et l’empathie déclinée avec une certaine supériorité sociale par ce citadin huppé et bien peu campagnard. Cependant, il semble bien que Poulenc, éloigné de la religion à la mort de son père, y revient à la suite de deux chocs émotionnels, la perte de deux chers et très proches amis et, en 1935 d’une visite à la Vierge noire de Rocamadour, dans son humble chapelle creusée à même la roche, qui, dit-il, le ramène à la foi naïve de son enfance. Bouleversé par le lieu, commençant le soir même et finissant en sept jours, qu’il estime miracle, il écrit ces austères Litanies à la Vierge noire, pour chœur de femmes et orgue. Il s’en étonne lui-même et trouve saisissant, nous ne le démentirons pas, cette composition pour trois tessitures de femme, altos, mezzos et sopranos, qui, dans un tempo « calme », alternant avec des fracas de l’orgue, implorent Dieu, Jésus, la Vierge, commençant par

« Seigneur ayez pitié de nous… ». Nous écoutons un extrait :

1) PLAGE 1 

          Cette foi éveillée ou réveillée, Poulenc poursuit sur cette lancée de musique sacrée et vont suivre la Messe en sol majeur pour chœur mixte a cappella (1937), les Quatre motets pour un temps de pénitence (1938-39). Il n’en abandonne pas pour autant son œuvre profane, humoristiques très souvent, le ballet les Animaux modèles (1942), des musiques de films, en 1945, le conte musical, Histoire de Babar, le petit éléphant. C’est en 1950 qu’il compose ce Stabat mater qui fait le cœur de ce CD. Par ailleurs, à travers un livret italien, d’après un texte inédit de Bernanos, il s’attelle avec passion aux Dialogues des carmélites, l’opéra qui sera créé triomphalement à la Scala de Milan en 1957 et, encore une fois, c’est confronté à l’angoisse renouvelée de l’agonie d’un autre de ses compagnons, qu’il nous saisit par la violence et révolte de la Première Prieure à l’heure de la mort. Dans le registre sacré, il composera encore un Gloria (1960), pour soprano solo, chœur mixte et orchestre. L’œuvre fut mal accueillie par la critique qui lui reprocha sa légèreté. Poulenc, peu avare de paroles et écrits sur ses œuvres, riposta a avec humour  qu’en composant ce Gloria, il avait pensé à une fresque « où les anges tirent la langue, et aussi à ces graves bénédictins que j’ai vus un jour jouer au football. »

          Ce n’est certes pas l’humour qui caractérise les œuvres religieuses de ce Cd, litanies implorantes de la misère humaine ou déploration de la mort du Christ dans le Stabat mater, cependant, très subtilement, Mathieu Romano, pour compléter le CD de ces deux œuvres relativement brèves, leur donne le complément, apparemment profane, d’une chanson courtoise de Clément Janequin : « Ô doulx regard, ô parler gracieux ». On ne peut qu’abonder dans son sens : en effet, l’amour courtois, né en pleine époque mariale de dévotion à la Vierge Marie, qui chante les perfections de la dame aimée, en trouve pratiquement toujours la perfection absolue en celle de la Dame parfaite entre toute, la Vierge. C’est ainsi que le roi de Castille Alphonse X le Savant, ou le Sage, l’auteur des Cantigas de Santa María, monument célèbre de la musique médiévale, dès la première cantiga, chanson, se déclare le troubadour de la Vierge. Quoiqu’il en soit, le poème de Janequin dédié à cette douce et gracieuse dame, à la « face un peu brunette », comme la Vierge de Rocamadour après tout, « céleste planette », sous le signe de laquelle le poète chanteur dit avoir eu « naissance » et en espère récompense, ce texte dont n’injurie en rien un grave Stabat Mater dont Poulenc confessait avoir voulu faire « requiem sans désespoir », d’autant que, frappé encore sous le coup de sa mort, il le dédiait à son collaborateur et très intime ami, le décorateur Christian Bérard, qu’il appelait tendrement « Bébé », par ailleurs héritier d’une entreprise de Pompes funèbres.

Écoutons un extrait de la chanson de Janequin et apprécions la finesse, la délicatesse, l’homogénéité parfaite du Chœur Aedes qui semble ne faire qu’une seule et même voix de leur polyphonie qui en unit tellement :

2) PLAGE 2 

          Le Stabat Mater, qui les précède de quatre ans, anticipe cependant les Dialogues des Carmélites par un sens théâtral, dramatique manifeste dans les contrastes très marqués entre des moments tragiques et d’autres résignés, d’une grande douceur. Voici le début du poème médiéval de Jacopone de Todi, Stabat mater dolorosa/ juxta crucem lacrimosa/ dum pendebat filius (‘La mère douloureuse, en larmes se tenait près de de la croix d’où pendait le fils’). En général, on s’attend à une voix narratrice qui nous décrit la scène. Ici c’est l’entrée murmurée du chœur qui s’enfle doucement et de l’Orchestre des Siècles, sans un hiatus, comme un vaste panoramique qui embrasse, embrase tout de croissante émotion :

3) PLAGE 1

           Mais tout la résignation chrétienne n’empêche pas cette protestation, cette révolte contre l’injustice :

4) PLAGE 7

 Et nous quittons ce très beau CD sur la voix déchirante de la soprano Marianne Croux :

5) PLAGE 8 : FIN

ÉMISSION N°701 DE BENITO PELEGRIN

STABAT MATER, LITANIES À LA VIERGE NOIRE de POULENC par l’ENSEMBLE AEDES—LES SIÈCLES/ Direction Mathieu Romano, un CD Aparte

https://open.spotify.com/intl-fr/artist/0uHZWan2YMmgWsfibd9QM1 [14]

LES BARBARES PARMI NOUS

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Meilleur moyen de gagner un match : empêcher qu’il se joue. Non match nul mais annulé, pour cause du caillassage des cars de l’équipe et supporters de l’OL par d’insupportables fanatiques de l’OM, droit au but de la bêtise. Ainsi, trouble-fête d’une rencontre sans rencontre, ces barbares auraient pu mesurer leur triste victoire à l’aune du triomphe festif, à la même heure, que notre Opéra faisait au « Barbare » presque par antonomase, Attila. Mais il est vrai, de Verdi.

ATTILA

Livret de Temistocle Solera, musique de Giuseppe Verdi

Opéra en trois actes et un prologue

Opéra de Marseille

VERSION CONCERTANTE

Dimanche 29 octobre

En ces temps troublés où la terreur barbare frappe nos sociétés et nos consciences, l’Opéra de Marseille nous en réveille et offre une figure archétypale en la personne d’Attila, « fléau de Dieu », sous les sabots du cheval duquel l’herbe ne repoussait pas, selon la terrible image que la mémoire en a conservé. C’est le redoutable roi des Huns du cinquième siècle de notre ère, mais sous la seule forme où nous voudrions vraiment l’accueillir : lyrique, musicale, en harmonie, bref, civilisée.

Les Huns dans l’histoire

          Nous sommes à la fin de l’Antiquité, de l’Empire romain, époque des grandes invasions selon l’expression française, des migrations ou d’errance des peuples ailleurs. Les Huns, étaient un peuple turco-mongol des plaines d’Asie centrale qui, au IVe siècle de notre ère, avançant vers l’ouest, vers 370, atteignent et s’installent d’abord entre la mer Caspienne et la mer Noire, où la toundra de la Volga et du Don leur rappel leurs steppes originelles. Ils vont étendre leur domination en Europe centrale, s’implanter solidement dans le bassin du Danube, la Pannonie, l’actuelle Hongrie, qui, en latin, lui devrait son nom dérivé de Huns : dans ce pays, Attila est célébré comme un héros fondateur. 

Au passage, d’est en ouest, les Huns ont fait fuir de peur, ont poussé devant eux ou intégré d’autres peuples germaniques qui vont aussi déferler sur l’Europe, tels les Alains, les Goths et Ostrogoths. Certains, déjà plus ou moins assimilés, luttent ou pactisent avec l’Empire romain d’Occident ou d’Orient. Ils y créeront des domaines fédérés alliés puis des royaumes indépendants : les Wisigoths, les Goths de l’ouest, obtiennent des Romains l’Aquitaine où ils se sédentarisent, avec pour capitale Toulouse, avant de gagner l’Ibérie, où ils luttent contre les Vandales installés dans ce qui deviendra la Vandalousie, l’Andalousie, qui chassés d’Hispanie, traversent la mer et se taillent un royaume en Afrique du Nord. Le futur saint Augustin, alors évêque d’Hippone, connaîtra le siège de sa ville par les Vandales.

[15]

Attila dans l’Histoire

Attila naît vers 395 dans les plaines du Danube et mourra en 453. Plus que roi de ce qui n’est pas un empire au sens administratif, mais une « emprise », une domination non organisée, c’est le « Chef de guerre ». Il ne réussit pas à conquérir Constantinople, mais en obtient une rançon contre la promesse de la paix. Il pousse vers l’ouest, atteint la Gaule en 451, ravageant tout sur son passage, massacrant toute la population de Metz puis rasant la ville, il assiège Lutèce (Paris), échoue à prendre Orléans et, alourdi par l’énorme butin de ses pillages, recule jusqu’en Champagne. Il y sera battu près de Châlons, dans les Champs Catalauniques par les troupes romaines secondées par les tribus germaniques déjà installées en Gaule, les Wisigoths d’Aquitaine, les Francs, les Burgondes qui, fédérées à Rome, en obtiendront ainsi, de facto ou de juro, ces territoires qui s’érigeront en royaumes à la chute de l’Empire.

          Attila, se tourne alors vers l’Italie ; passant les Alpes en 452, il ravage la plaine du Pô, détruit la ville d’Aquilée, dans le Frioul, où nous le retrouvons avec l’opéra de Verdi. Si l’Italie n’en fait pas un héros national comme la Hongrie, à juger par l’intérêt culturel qu’on lui porte, il ne semble pas l’épouvantail ni l’Antéchrist. En 1667 Corneille, donne à la troupe de Molière sa tragédie Attila, Roi des Huns, qui n’est pas mal reçue par la critique. Seul un contresens répété sans vérification prête à Boileau un sévère « Après l’Attila, holà !», alors qu’il s’adresse, comme il l’explicite dans une de ses Satires, non à Corneille, mais à un public, prétendument connaisseur, osant critiquer le grand dramaturge. Dans la pièce, Attila, assez galant, amoureux, moins barbare que politique, pour sceller des alliances, hésite entre la sœur de Mérovée, franque, et une romaine, sœur du jeune Empereur Valentinien.

[16]

          L’Attila de Verdi

Il me semble intéressant, ce à quoi on ne s’intéresse guère apparemment, de contextualiser la pièce dont s’inspire Verdi. En 1808, année du soulèvement de l’Espagne contre Napoléon, qui sape le mythe de l’Empereur invincible qui domine l’Europe, paraît la tragédie romantique allemande de Zacharias Werner, Attila, König der Hunnen (qui n’ignore pas celle de Corneille). Elle est créée à Vienne l’année suivante, six mois après l’indécise bataille d’Essling près de Vienne qui, après les défaites espagnoles, montre, malgré quelques victoires comme Wagram, que l’on peut résister à la Grande Armée de Napoléon qui n’est plus ce qu’elle fut, comme les hordes d’Attila, échouant devant Rome, à un an de la mort du chef.

Verdi en demande à Piave d’abord, puis à Temistocle Solera, un livret, compliqué ou complété et modifié finalement par Piave. Ce n’est pas le chef-d’œuvre de Verdi, on le sait. Mais quoiqu’en disent ceux qui font la fine bouche, cet opéra d’un encore jeune compositeur de trente-trois ans annonce sa production ultérieure.

L’œuvre est créée à la Fenice le 17 mars 1846, dans cette Venise effervescente, ruant sous le joug des Autrichiens. C’est plus qu’un brouillon du génie futur : on trouve ici, dans le livret du même Temistocle Solera, le même thème d’un peuple opprimé que dans Nabucco (1842). Si, dans ce dernier, le chœur « Va, pensiero… », devenu hymne presque national d’une Italie qui n’est pas encore une nation, devenu universel, se contente de chanter la nostalgie du pays perdu, passivement soumis, dans Attila, comme dans une évolution de la conscience politique, c’est la résistance à l’oppresseur pressant qui s’organise et emblématise dans la figure d’une femme héroïque, Odabella, se rêvant nouvelle Judith décapitant Holopherne pour délivrer sa patrie. Son fiancé retrouvé aura aussi ses couplets patriotiques, ainsi que le général romain Ezio d’abord traître collaborateur, marchandant l’Italie contre l’Empire avec un Attila vainqueur qui refuse noblement cette ignominie et lui fait la leçon, lui reprochant d’être parjure à son maître l’Empereur. La vision hallucinatoire du pape Léon, marquera l’arrêt de la marche des Huns sur Rome, signant la fin de l’invasion.  

[17]

L’Attila marseillais

Salle délirante d’enthousiasme à juste titre. Et je note d’un public assagi et attentif, qui attend chaque fois la toute fin de l’air et des notes de l’orchestre pour applaudir sans interférer sur la musique.

Sous la baguette attentive à son plateau de solistes derrière lui et face à plein d’un Orchestre qu’il domine et maîtrise, qui le suit en parfaite symbiose, Paolo Arrivabeni, ovationné par le public, nous aura offert une parfaite illustration du meilleur de la traditionnelle direction italienne lyrique, sachant servir les voix sans asservir l’orchestre, dans un équilibre entre les deux qu’on dirait génétique si ce terme n’était aujourd’hui si galvaudé : disons expérience des exigences humaines du chant et connaissance profonde de l’instrumentarium orchestral.

Dès les sombres accords de cuivres lourds, angoissants, menaçants bien que lointains encore de l’ouverture, un nappage étale de cordes graves, déchiré d’un aigu plaintif, il ménage une montée éclatante, fracassante, d’une maîtrise qui ne se démentira jamais, avec un contrôle d’une rare précision dans les ensembles nombreux, du duo au trio jusqu’au quintette.

          Le rideau se lève sur la liesse des Huns et des Ostrogoths leurs alliés, qui chantent leur dieu Wotan et célèbrent leur roi Attila, vainqueur après la destruction de la ville d’Aquilée. Sous la férule de Florent Mayet, ce chœur masculin est aussi précis qu’expressivement barbare, qualités que l’on retrouvera, dans le registre inverse, dans le chœur dolent des rescapés, des druides (sans doute des Gaulois celtes inféodés aussi aux Huns) et, plus tard, des femmes.

          Un esclave d’Attila, Uldino, dont la longue silhouette juvénile et la voix fragile d’Arnaud Rostin-Magnin sont à l’image de sa pitié, a épargné du massacre général un groupe d’irréductibles femmes combattantes, menées par Odabella, fille du gouverneur d’Aquilée, mort ou disparu, comme son fiancé, le chevalier romain Foresto.

[18]

Amazone en fureur, vierge vengeresse guerrière, faute d’hommes massacrés, Odabella, au nom du père et du fiancé morts, élevant son destin individuel ravagé par l’Histoire collective au niveau de la tragédie universelle, en vient à incarner la résistance, le cri de liberté contre l’oppression. Et c’est par un air d’entrée immédiat, immense cri de douleur et de rage, hérissé des zigzags verticaux, vertigineux du grave à l’aigu extrême sans préparation, hérissé de notes piquées, plantées comme des dards, avec une puissance tragique que Csilla Boross, soprano hongroise —de la patrie d’Attila !— s’offre à nous, dans l’évidence, la puissance, d’une incarnation vocale d’un héroïsme à couper notre souffle et pas le sien, qui semble infini. Plénitude d’une voix de chair mais agile, claquant comme un fouet dans les forte, survolant avec une aisance toujours expressive les défis de sa partition de fureur puis, adoucie en berceuse à la longue ligne de cantilène de son autre air contrastant, déchirant de douloureuse nostalgie. Subtilement, Verdi arrache la soprano, héroïne conventionnelle de l’opéra de cette époque au cliché du couple avec le ténor, longtemps éclipsé, pour la confronter immédiatement avec la basse d’Attila, affrontement violent de la femme révoltée, invaincue, puis jeu ambigu de séduction envers le vainqueur pour servir son lent désir ombreux de vengeance.

La basse italienne Ildebrando d’Arcangelo est un ennemi à la hauteur de cette Némésis, nocturne déesse de la vengeance : sans forcer le trait dans la version concert, sa barbarie exprimée, purgée dans le fracas des chœurs ivres de victoire et de l’orchestre qui la traduisent, il a l’allure et la figure noble, imposante par nature physique plus que par jeu, d’un rayonnant héros qui n’a pas à en rajouter à sa gloire d’indiscutable vainqueur. Du sombre grave aux aigus pleins, égale en volume, sa voix puissante, tonnante sans étonner ni détoner d’excès, correspond à sa personne, à ce personnage finalement chevaleresque : non seulement il ne tient pas à grief la désobéissance du tendre Uldino qui a contrevenu à ses ordres impitoyables en exceptant les femmes du massacre, mais, chevaleresque, saluant la vaillance d’Odabella, avec panache, hommage ou défi, il lui offre même son épée comme l’arme que la prisonnière réclame pour continuer le combat et le tuer. Il est remarquable d’intériorité superstitieuse dans ses hallucinations dignes de Nabucco face au fantomatique vieillard qui s’avère Leone, l’Évêque de Rome (ce n’est que progressivement que l’évêque de Rome aura le titre de pape avec préséance sur tous les autres évêques d’une pluralité d’Églises autocéphales, indépendantes). Avec simplement quelques phrases, la basse française Louis Morvan impose une sombre autorité qui donne envie de le réentendre plus longuement.

Le baryton espagnol Ezio Juan Jesús Rodríguez incarne de toute la puissance de sa superbe voix éclatante, Ezio, général romain, le seul personnage, avec Attila, de quelque complexité psychologique, traversé de sentiments complexes, même contradictoires. Rebelle tonitruant prêt à franchir le pas de la révolte contre le jeune et faible Empereur Valentinien III dont les ordres lui sont une humiliation, on découvre qu’il s’est battu victorieusement en Gaule contre Attila près de Châlons, ces Champs Catalauniques, déroute des Huns prenant alors la route d’Italie. S’autorisant d’une estime entre adversaires loyaux, bassement, baissant à l’insinuation venimeuse sa puissante voix, le glorieux général romain, prêt à collaborer avec le vainqueur du jour, offre à Attila l’encore immense Empire romain en échange de l’Italie qu’il se réserverait. Attila, qui admire la grandeur et le courage qu’il a salués en Odabella, réprouve et condamne ce vil marché d’un parjure traître à sa patrie et refuse, rêvant la conquête totale en commençant par Rome. Beau retournement de la leçon du barbare : offensé, Ezio se retourne fièrement contre lui, se détourne du projet et entrera en second dans le plan, le complot contre Attila tramé dans l’ombre par Odabella.

          Cependant, Foresto, qu’elle croyait mort, réapparaît sur un navire, avec un groupe de rescapés. Il déplore la perte d’Odabella, ignorant qu’elle est vivante et projette de construire une nouvelle ville, sur des îlots d’une lagune protectrice : ce sera Venise, effectivement bâtie dans les marécages et l’eau pour se protéger des incursions barbares. Entre la grandiose stature héroïque d’Attila, dont Odabella est en fait une digne ennemie, le rôle de Foresto est faible mais, Antonio Poli, ténor, par la vaillance solaire de sa voix, une projection impétueuse et contrôlée, lui donne, au niveau lyrique, une grandeur qui l’élève à leur niveau, nous offrant le luxe de demi-teintes d’une douloureuse douceur qui arrachent le personnage à la fadeur.

[19]

          Même dans un opéra supposé historique l’intrigue amoureuse, compliquée par les héros eux-mêmes, ne peut manquer : Foresto se croit trahi par Odabella au profit d’Attila. Pis encore : alors que, dans un festin où, bon prince, Attila invite généreusement son rival romain, Foresto trouve le moyen de verser du poison dans le verre du roi Hun, mais Odabella empêche Attila de le boire. Imaginez la réaction du fiancé qui y voit la confirmation de la trahison de sa promise dont on lui annonce le mariage avec Attila. On ne sait comment, les deux amants se retrouvent, réglant leurs comptes mais cela nous vaut un beau duo haletant, animé par le dépit, la passion jalouse, de Poli-Foresto vitupérant l’infidèle, les vaines protestations d’amour de Boross-Odabella, devenant trio arbitré par Ezio-Rodríguez, cherchant à les calmar car le temps presse et ils risquent d’être découverts : nous sommes pratiquement dans le registre inversé de l’opéra-bouffe, et l’on pense au trio Rosina-Almaviva faisant les jolis cœurs alors qu’ils perdent un temps précieux pour l’évasion devant un Figaro impuissant à les calmer.

Mais Odabella n’a sauvé le barbare que pour le bonheur de le tuer elle-même en sacrifice à son père. Elle le tue donc, assumant sa vengeance et Attila a pour elle presque les mots de César à Brutus son fils adoptif qui l’assassine avec les conjurés : « Et tu pure… ? », ‘Et même toi… ?’

          En fait, Attila mourra dans son lit l’année suivante, en 453 sans doute empoisonné ou étouffé par l’effet ravageur de sa propre ivresse, mais par aucun de nos deux héros. Son empire s’effondre presque aussitôt. Benito Pelegrín

 

ATTILA

de Giuseppe Verdi

Opéra de Marseille

VERSION CONCERTANTE

Jeudi 2 novembre, 20h /Samedi 4 novembre 20h

Direction musicale : Paolo ARRIVABENI

Assistant à la direction musicale : Federico TIBONE

Régisseur de production : Jacques LE ROY

Surtitrage Richard NEEL

Régie de sur-titrage : Qiang LI

DISTRIBUTION

 Odabella : Csilla BOROSS

Attila : Ildebrando D’ARCANGELO

Ezio : Juan Jesús RODRÍGUEZ

Foresto : Antonio POLI

L’Évêque de Rome Leone : Louis MORVAN

Uldino : Arnaud ROSTIN-MAGNIN

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Chef de Chœur : Florent MAYET

Pianistes / Cheffes de chant Astrid MARC et Fabienne DI LANDRO

PHOTOS :  CHRISTIAN DRESSE

L’AFRIQUE FRÔLÉE

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L’AFRICAINE

OPÉRA EN 5 ACTES de Giacomo Meyerbeer, Livret d’Eugène Scribe. Création à Paris, le 28 avril 1865. OPÉRA DE MARSEILLE, 8 octobre 2023

Dernière représentation à Marseille, le 18 janvier 1964, il y a donc près de soixante ans. Meyerbeer, longtemps délaissé, pour diverses raisons, est revenu en force sur les scènes nationales, et la nôtre grâce au flair de son Directeur Maurice Xiberras, qui nous dévoile des œuvres inconnues, méconnues, oubliées. La dernière saison lyrique tirait triomphalement le rideau sur l’opéra devenu rare de Meyerbeer Les Huguenots et la nouvelle, lève le rideau sur l’Africaine, autre ouvrage rarissime du même Meyerbeer et des mêmes solides librettistes, Eugène Scribe, à l’évidence plus soucieux d’une précision historique qui ne soucie guère les drames romantiques. Mais sa mort laissera à d’autres, dont Fétis, les modifications exigées par le compositeur, dont la mort aussi avant la création, léguera un titre sans plus de rapport avec le sujet, d’où les fluctuations entre une Afrique frôlée en son répété promontoire du Cap, mais effacée au profit d’une île indienne qui adore Brahma et Siva…

L’Africaine a eu cependant un meilleur sort, plus fréquentée en scène, que les Huguenots. Trente ans séparent les deux ouvrages, c’est dire le soin qu’y apporta le compositeur, littéralement, jusqu’à son dernier souffle. Il l’achève le 1er mai 1865… et meurt le lendemain, achevé sans doute par cette tâche immense, dont il ne verra pas la création.

[20]

          SUJET

Passionné, à juste titre, par une traduction des Luisiades de Camões du milieu du XVIe siècle, vaste poème épique portugais dont le cœur est la découverte de la route maritime des Indes, en doublant le Cap de l’Afrique, par Vasco de Gama, Meyerbeer voulait un opéra éponyme à la gloire du grand navigateur, à son rêve héroïque de gloire. Peu importe, infraction à la vérité historique, que son héros fût marié et déjà mûr, riche de son passé de marin expérimenté. Pour un opéra, il le faut inévitablement jeune et amoureux : d’une noble beauté de la cour de Lisbonne, Inés, qui a « la vertu des femmes de marins » comme ironisait Barbara, attendant longuement, patiemment et fidèlement, le retour du héros de ses expéditions, après deux ans sans nouvelles : partir, c’était bien « mourir un peu », souvent beaucoup dans ces longs voyages vers l’inconnu dont ne pouvons aujourd’hui avoir l’idée. Et, sinon fatalité de marin avec une femme dans chaque port, Vasco revient enfin de son rêve, mercantile et géographique, non avec de l’or comme Colomb naguère, mais escorté de deux esclaves, Sélika, une reine asservie en plus par son amour, mais fiancée —on ne sait— flanquée d’un congénère peu commode, Nélusko, qui rue dans les fers, tentant deux fois de tuer son rival, mais désarmé à temps par l’amoureuse trouvant son bonheur dans l’esclavage. Comme la Malinche maya qui aida Hernán Cortés, un vrai conquistador, lui, à faire la conquête du Mexique aztèque, Sélika, ouvrant la porte à l’invasion portugaise, indique à Vasco la route des Indes.

          Mais ce serait trop simple pour un opéra qu’un simple amour : il y a un fatal quatuor ou quadrille amoureux dans lequel se débat notre héros découvreur, aimé et sauvé par deux femmes : à Lisbonne, il avait laissé Inés, sa fiancée aussi aimante que chérie qui, par fatal dépit amoureux le croyant infidèle en le voyant rentrer avec Sélika, et pour le sauver et tirer de prison, épouse Don Pedro, autre rival navigateur. Au Portugal, Sélika, de reine, devient esclave et, retournement, Inés, prisonnière des Indiens, le sera à son tour.

          Causé par ces rivalités amoureuses, c’est le romanesque et ses petites histoires qui l’emportent sur la grande. Ainsi, Don Pedro, devenu le méchant, ayant épousé Inés et obtenu du roi du Portugal la tête de la nouvelle expédition arrachée à Vasco, nous le retrouvons sur un navire avec Inès et Sélika, descendant les côtes d’Afrique. Nélusko, connaisseur des lieux à qui Don Pedro a confié le commandement du vaisseau, n’a d’autre but que de l’égarer et écraser contre des récifs ; dans une superbe ballade, il invoque Adamastor, le géant de la tempête, qui serait le gardien du Cap. Vasco, qui les suivait sur un autre navire, tente d’avertir l’Amiral Don Pedro qui, jaloux, croyant qu’il vient lui ravir Inès, le condamne à mort. Mais Nélusko réussit à échouer le navire sur la côte de l’île et les indigènes s’emparent du navire et des Européens intrus, devenus à leur tour esclaves quand ils ne sont pas massacrés. Vasco, condamné à mort, Sélika le sauve encore, le proclamant son époux. Celui-ci lui déclare son amour mais, revoyant Inès  miraculeusement sauvée et promise à l’esclavage, il ne peut s’empêcher de revenir à elle. Généreuse, Sélika les laisse partir vers le Portugal et, préfigurant Lakmé, se donne la mort sous l’ombre et les effluves toxiques d’un mancenillier, en suivant le navire des yeux.

          Eugène Scribe, s’était attaché à dénoncer l’esclavage et la colonisation, sujet brûlant dans ses premières ébauches ; l’esclavage aboli en France en 1848, si le thème n’était plus d’actualité française lors de la création de l’opéra en 1864, il palpitait encore dans la terrible guerre de Sécession américaine (1861-1865).

[21]

Esclavage

          C’est à Nélusko, le seul personnage de quelque épaisseur de l’œuvre, qu’en est prêtée la véhémente dénonciation. Quand le Conseil portugais l’interroge sur son pays d’origine (on ne sait dans quelle langue, à moins qu’il n’ait appris le portugais durant le long voyage…) :

Lorsque vous marchandez
Un bœuf pour le labeur, pourvu qu’il ait la taille,
Que rudement chaque jour il travaille
De son pays jamais vous ne vous informez. 
Que vous importe donc d’où peut venir un homme, 
Qui n’est pour vous qu’une bête de somme ?  

          Quand la compatissante Sélika veut l’empêcher de tuer son « Maître », il lui reproche sa mansuétude envers l’esclavagiste acheteur, et qui, de plus, les offrit en cadeau à sa fiancée Inés :

À prix d’or au marché nous lui fûmes vendus…
Voilà tous ses bienfaits !
Pour l’acheteur, jamais la marchandise
N’eut de la reconnaissance… jamais ! jamais !… 

          Sélika ne semble s’en offusquer qu’en termes d’injure :

          Vendue à ma rivale/ Si brillante et si belle ! 

ÉPOQUE ÉPIQUE 

          Pour une rare fois sur la souvent fantasque scène lyrique, les notations historiques et la mention des personnages réels nommés sont justes sauf quelques péripéties fantaisistes comme Vasco en prison et ses démêlés amoureux.

          Plus que la mythique Africaine du titre, le héros, c’est donc le célèbre Portugais. Vasco de Gama (1460 ou 1469/ 1524). Nous sommes à l’époque des grandes découvertes. Mais la finalité de ces explorations du monde par les Portugais et les Espagnols en ce XVe siècle finissant est mercantile. Les Turcs, ayant pris Constantinople en 1453, barrent la fameuse Route de la soie et des épices vers l’Inde et la Chine. Les épices, on l’oublie, plus qu’un condiment raffiné de tables luxueuses est presque une nécessité : la conservation des aliments, notamment par le froid, n’existait guère. On mangeait pratiquement, des viandes faisandées, avariées, dont seule des sauces lourdes et des épices pouvaient masquer le goût douteux. Les Vénitiens, qui en contrôlaient le commerce filtré par les Turcs, se faisaient payer des sommes exorbitantes pour ces épices : un clou de girofle valait de l’or et servait aussi de monnaie, d’où l’expression « payer en espèces » qui signifiait « payer en épices » ( species en latin).

Les routes commerciales terrestres bloquées, comme celles de la Méditerranée, c’est par l’Atlantique qu’Espagnols et Portugais tentent d’atteindre les mirifiques Indes, par l’ouest comme Christophe Colomb, qui en 1492, aborde dans ces Indes occidentales (il ignore que c’est le continent que l’on nommera Amérique). De leur côté, les Portugais tentent de descendre le long des côtes africaines pour atteindre les mirifiques Indes orientales.

[22]

Or, si les Espagnols découvriront et cacheront longtemps (secret d’état) les pratiques vents alizés qui soufflent régulièrement d’est en ouest, et presque à l’inverse, facilitant les terribles et longues traversées de plusieurs mois, la longue côte africaine, balayée de vents soufflant du sud au nord, freinant ou empêchant la course descendante des navires, paraissait une infranchissable barrière entre l’Atlantique et l’Océan indien. Dans son Orlando furioso (‘Roland furieux’), Ludovico Ariosto, dit « l’Arioste », au début du XVIe siècle, très attentif aux grandes découvertes des Espagnols et Portugais, offrant sa voix à une supposée prophétesse indienne, lui prête ces vers que j’ai traduits dans un livre [1] [23] :

Et pour cela, depuis notre Levant indien,

Pour voguer vers l’Europe il n’est aucun navire,

Tout comme de l’Europe il n’est aucun marin

Qui notre bord lointain atteindre un jour désire

Car, à trouver ainsi cette terre devant,

Aucun navigateur qui au retour aspire

Ne peut imaginer, si longue la voyant,

Qu’il existe un accès vers un autre océan.

Les plus hardi des navigateurs descendaient le long des côtes de ce continent interminable dont ils ignoraient s’il avait une fin avant que Bartolomeu Dias n’en atteignît le bout, sans qu’il pût le franchir. En effet, la pointe extrême de l’Afrique, le Cap, surnommé le Cap des tempêtes (symbolisé par Adamastor, le géant de la tempête invoqué par Nélusko) paraissait une limite infranchissable, à cause de ses vents tempétueux opposant leur refus, une malédiction divine à l’intrusion européenne.

Pour contourner ces vents contraires, les Portugais devaient prendre le vent bien plus au large à l’ouest (ce qui leur fera apercevoir dans le lointain ce qu’ils croiront une île, en fait le Brésil) et c’est notre héros Vasco de Gama qui, le premier, réussit le contournement de l’Afrique lors de son premier voyage (1497-1499), par ce Cap, appelé ainsi de Bonne Espérance puisqu’il ouvre la route espérée des Indes. Il est le héros de l’épopées des Luisiades de Camõens[2] [24] qui séduisit Mayerbeer qui décida de lui consacrer un opéra, Vasco de Gama, puisque tel était le titre originel de l’œuvre.

[25]

La romance d’Inès se remémorant l’air mélancolique que lui chanta Vasco la veille de son départ, « Adieu, mon doux rivage », me semble un souvenir de l’un des plus beaux sonnets des Luisiades que j’ai traduit aussi dans mon livre, plein déjà de cette saudade, cette nostalgie qui baigne encore les fados portugais, qui serre le cœur à mesure que le navire, gagnant la haute mer, lancé vers l’inconnu, perd de vue les rives rassurantes de la patrie, dont on ne perçoit encore que les sommets :

Déjà notre regard tout doucement s’éloigne

Des monts de la patrie, qui derrière restaient :

Le cher Tage restait et la fraîche montagne

De Cintra embuée, où nos yeux s’attardaient ;

La terre bien-aimée restait au cœur ému

Qui derrière laissait les souvenirs amers ;

Et lorsqu’enfin tout au loin disparut,

Nous ne vîmes plus rien que le ciel et la mer.

Dans son meilleur, le livret vibre de ces images épiques exaltant l’héroïsme et la curiosité de Vasco qui, après l’échec de l’expédition avec Bartolomeu Dias qui y laissa la vie, entend achever la folle entreprise de passer le Cap redoutable :

Terrible et fatal promontoire,

Que nul n’a pu doubler encor,

Le cap de la Tempête et ses flots furieux !

D’apercevoir de loin, sans l’avoir pu franchir,

Ce géant de la mer, ce cap de la Tempête,

Du pied touchant le gouffre et le ciel de sa tête,

J’ai gravi ces rochers et ce sol ignoré

Où nul Européen encor n’a pénétré.

            Pour vaincre les résistances du Conseil, il pare son désir personnel de gloire de la raison politique coloniale :

Ces pays inconnus, je les veux découvrir ;

Donnez-moi les moyens de vous les conquérir.

On comprendra, à l’émerveillement de Vasco de Gama, abordant dans l’île paradisiaque, qu’il mêle ces deux ambitions, vivre son rêve et servir matériellement son roi.

[26]

RÉALISATION ET INTERPRÉTATION

          À la tête de son équipe si rôdée, pas du tout érodée par le temps, Emmanuelle Favre (décors), Katia Duflot (costumes), le metteur en scène Charles Roubaud ne nous inflige pas la disgrâce de la réécriture en scénario du texte (comme l’actuel Löhengrin à Paris, Don Giovanni naguère à Aix), il nous fait grâce en ne situant pas l’action dans un camp de concentration ou de Palestiniens, ni dans un MacDo, ni dans une clinique pour virilités défaillantes de la Carmen aixoise, ou autre lieu incongru selon la mode de metteurs en scène qui désormais, apparemment, tiennent non les applaudissements mais les huées qui saluent leur travail comme titres de gloire. Il se contente d’en rester à l’académisme usagé, qui depuis Ponnelle et Chéreau et leurs réussites, révolutionnaires en leur temps, affligent les scènes depuis plus d’un demi-siècle, accablant le spectateur assidu de répétitions de répétitions puissance mille, sans nulle puissance, recettes éculées, usées de trop d’usage. Il ne m’en voudra pas si, je lui répète amicalement, spectateur érodé vraiment à tant être rôdé, qu’on ne renouvelle pas une œuvre en en changeant simplement les costumes. Il ne s’agit pas de prêcher pour en revenir à des mises en scène de papa ou grand-papa, mais de revenir à l’œuvre elle-même. Quand la lecture nouvelle ne vient pas de l’intérieur, on reste forcément à l’extérieur de l’œuvre, à un placage sur la surface, simplement décoratif : même si le décor est beau comme cette structure géométrique de Favre, un cadre en pure épure praticable, mâchoire oppressante de la prison de l’Inquisition prête à écraser, avec l’espoir évidé, évadé, de cette vaste fenêtre de liberté au-dessus, qui sera habile mise en valeur du temple indien en vivante carte-postale exotique encadrée. Le talent de Katia Duflot est largement ample, pour, peut-être, proposer des costumes, sinon d’époque platement stricte, du moins imaginés à partir de ceux du temps, comme le firent autrefois de célèbres costumiers, laissant un reliquat d’historicité à quoi raccrocher la mémoire ou l’imagination.

          On rappellera que Ponnelle et Chéreau avaient « actualisé » des œuvres ahistorique, d’un temps mythique, poétique, de Wagner, sans inscription historique. Le problème, c’est quand un drame, daté dans l’Histoire, en est arraché. Impossible à inventer mais plus à pleurer qu’à rire, comment oublier, il y a déjà plus de vingt ans, cet étudiant interrogé lors d’un oral de licence en lettres sur le Cid ? Invité, pour l’aider, à préciser plus ou moins l’époque, il me répond, avec une assurance retrouvée :

          « Oh, c’est vieux, très vieux : au moins du siècle dernier ! »

Aujourd’hui, on découvre les ravages des cours d’Histoire par thèmes mais sans chronologie imposés aux enfants, alors, en une époque où pères et repères se perdent, je ne crois pas, qu’au-delà de l’effet spectaculaire —ou comique— on serve la mémoire historique des jeunes qui découvrent l’opéra en mêlant les époques, en machant, mâchouillant le sujet, prétendant le moderniser, prêt à digérer —ce qui reste sur l’estomac des spectateurs non ignares qu’on insulte en les estimant incapables de voir la modernité, l’actualité d’une œuvre ancienne toujours vivante, qui concerne toujours notre plus actuelle humanité.

          Tant qu’à faire, au connaisseur, en l’occurrence de cette Africaine usurpant le titre à Vasco de Gama, le parallèle —et la distance— s’imposent de comparer ces aventuriers et découvreurs marins d’autrefois, lancés avec des instruments rudimentaires à la découverte hasardeuse du monde inexploré, quand un minime degré d’erreur sur l’astrolabe se payait en milliers de kilomètres de route erronée, d’échouages, de naufrages sur des récifs et côtes inconnus, avec notre moderne et mathématiquement et minutieusement précise exploration de l’espace. D’autant que Roubaud a la bonne idée de projeter une carte ancienne de ces routes maritimes, et nous faire frémir avec une tempête impressionnante avec ses moyens habituels de la vidéo (Camille Lebourges), ce qui est bien dans l’esthétique du grand opéra à la française qui usait des moyens scéniques les plus modernes de son temps. Cartes anciennes, mais pour modernisation douteuse, qui les brouille.

[27]

Il reste que, comme toujours avec cette équipe, le résultat est esthétiquement beau : collusion du sabre et du goupillon, costumes sévères, militaires ou civils, sombres, pour l’austère Conseil portugais, bardés de décorations, parés de croix, d’écharpes bleues sur fond gris sous l’écrasant, impérieux et impérial blason du Portugal, les deux femmes en vêtements New look années 50, référant sans doute à l’époque rigide du monacal Salazar, mais qui n’avait pas encore déchaîné les guerres de décolonisation, comme le sera l’Angola. On aurait pu souffler à l’ami Charles l’iconique et ironique FFF : Fátima, Fado, Football, religion et divertissements, opium du peuple portugais, du cirque et pas forcément du pain, du bon Docteur Salazar.

Comme toujours aussi, Roubaud sait manier les masses, ces chœurs affrontés du Conseil, avec un autre bel effet choral de fresque, presque en ombre, des marins en noir avec le seul saisissant Nélusko contrastant et presque dansant en clair, seul personnage complexe de ces héros univoques, héroïque Vasco, femmes aimantes d’une pièce, se sacrifiant à l’homme aimé guère aimant, sans guère se jalouser. Les couleurs solaires, safranées des costumes orientaux, leurs tissus légers, contrastent avec la grisaille et noirceur, la raideur de ceux des Portugais, dont le cuir brutal de Vasco, et la parure vert et rose du navigateur serrant l’or jaune de l’Indienne lors du mariage est d’un grand raffinement pictural.

          Raffinement et force font celle, convaincante et séduisante, de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille sous la conduite minutieusement attentive et explosive du chef Nader Abbassi qui en fait presque une formation chambriste pour les délicats solos instrumentistes de l’ouverture et des préludes, et en déchaîne la puissance dramatique a tutti, sans jamais mettre en danger les voix, des pianissimi poétiques de l’héroïne dans son air du sommeil aux éclats vainqueurs du héros de cette exigeante partition.

          Christophe Talmont, actuel chef de chœur intérimaire, fait une belle première démonstration de maîtrise en dirigeant superbement sa phalange marseillaise. La distribution, des premiers aux derniers rôles nécessaires, est toujours aussi soignée, signature de Xiberras, parfait connaisseur reconnu des voix. Tous méritent un salut, le matelot de Jean-Pierre Revest ; même en passant, on reconnaît Wilfried Tissot, passé d’huissier à matelot et prêtre. La stature athlétique et vocale de Cyril Rovery, Grand Prêtre de Brahma répond, en indien, à l’imposant Grand Inquisiteur lusitanien de Jean-Vincent Blot, aussi odieusement fanatiques, faisant planer, tonner excommunications et malédictions en baryton et basse. Dans cette œuvre aux registres sombres de mâles ombrageux, Christophe Berry, Don Alvar, ténor, est un clair conseiller de bonne nouvelle en contraste vocal avec la basse de François Lis, Don Diego, père noble et autoritaire, soucieux d’alliances rentables, offrant sa fille, à défaut d’un Vasco supposé puis espéré mort, au puissant et arrogant Don Pedro, l’immense et sépulcral Patrick Bolleire, rival du héros en amour, émule en navigation.

          Cependant, le véritable rival en musique de Vasco de Gama, c’est Nélusko, seul personnage échappant au stéréotype, portant le seul discours faisant sens politique, historique, dénonciateur du colonialisme et de l’esclavage, rebelle, assoiffé de vengeance ; la convention lyrique en fait l’esclave d’amour fidèle à sa reine, forcé cruellement à la complicité qu’elle lui impose pour sauver son rival, douloureusement impuissant à la sauver. Il est campé par le baryton Jérôme Boutillier aussi excellent acteur que chanteur, qui exhale ses désespoirs, sa déchirure, son impuissance avec puissance, sans déchirer sa voix dans des aigus percutants impressionnants.

          Le Vasco de Meyerbeer, tout d’une pièce héroïque, sans une faille morale ou sentimentale, tout à son rêve de gloire par sa grandiose entreprise qui l’immortalise, c’est Florian Laconi, étoffe vocale de héros, qui entre tout naturellement dans le costume du personnage, avec une aisance tout autant de rêve, aigus aussi pleins et solaires que sa course vers un autre soleil, un autre hémisphère, assuré que le monde lui appartient. Le compositeur, habilement, en parallèle avec l’air de douceur de l’héroïne, tempère sa trempe épique par un air rêveur, vaporeux, sur l’île paradisiaque qu’il découvre, avec ravissement, mais qu’il veut offrir à son roi, conquête oblige de ce navigateur et non brutal conquistador espagnol.

          Seconde dame, donc après la prima donna de la convention de l’opéra, Hélène Carpentier en Inès fiancée de Vasco et rivale de la reine esclave, démontre aussi qu’elle peut être première dans un rôle ajusté à sa voix claire, égale sur tout le registre, conduite avec maîtrise, actrice sensible et crédible, à la parfaite diction. Nous aimons, comme toujours depuis toujours, à ses côtés, l’élégance de Laurence Janot, Anna, qui arrive à exister scéniquement même dans ce simple rôle de suivante. 

[28]

De Karine Deshayes, je me souviens, en 2010, elle débutait à Avignon avec La Cenerentola de Rossini, signé par la même équipe artistique, Roubaud, Duflot, Favre, qu’une prétendue critique voulant doucher mon enthousiasme pour sa voix et sa technique, haussant des épaules dédaigneuses, avec une assurance arrogante et imbécile, décréta : « Peuh…elle n’ira pas loin… ». Je ne sais jusqu’où est allée cette prophétesse de malheur critique, mais nous voyons les sommets qu’a atteints la chanteuse, fleuron incontesté de la France lyrique, et que le bonheur nous redonne dans cette œuvre ardue de Meyerbeer. Le compositeur est expert en art lyrique, ménageant à ses chanteurs, en les ménageant sans doute plus que dans Les Huguenots à la vocalité échevelée pour des vedettes acrobatiques de son temp, des plages de charme à côté des airs de fureurs, de tourment, tels que les avait catalogués le chant baroque. Son Air du sommeil, au deuxième acte, dans la tradition de l’amante veillant tendrement sur le sommeil de l’aimé, est une merveille de délicatesse et de nuances émotionnelles et musicales, avec des sauts piqués en douceur, pleins de poésie, donnant l’impression qu’elle a des rossignols dans la gorge. Son long monologue final sous le mancenillier fatal du suicide, préfigurant Lakmé, qui la voit osciller, vaciller, entre forte et piani, est une scène digne de celle de la folie mortelle de Lucia.

Même si le jaillissement de fleurs, peut-être du datura mortel de Lakmé, à la mort de l’héroïne nous rappellent les roses sur la tombe de la Didon de Purcell que chante le chœur, l’image nous semble douteuse.

Un triomphe à tous niveaux, applaudi unanimement à juste titre. Benito Pelegrín

L’AFRICAINE de Giacomo Meyerbeer

 OPÉRA DE MARSEILLE – NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale : Nader ABBASSI

Mise en scène :  Charles ROUBAUD

Décors : Emmanuelle FAVRE

Costumes :  Katia DUFLOT

Lumières : Jacques ROUVEYROLLIS

Vidéos : Camille LEBOURGES

Selika : Karine DESHAYES 

Ines : Hélène CARPENTIER

Anna: Laurence JANOT

Vasco de Gama : Florian LACONI

Nélusko :  Jérôme BOUTILLIER

Don Pedro : Patrick BOLLEIRE

Don Alvar :  Christophe BERRY

Don Diego : François LIS

Le Grand Prêtre de Brahma : Cyril ROVERY

Le Grand Inquisiteur :  Jean-Vincent BLOT

Un Matelot / Un Prêtre / Un Huissier : Wilfried TISSOT

Un Matelot : Jean-Pierre REVEST

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille, Christophe Talmont

 Crédit Photos : Christian Dresse

  1.  Le Conseil Vaco en une ; 2. Sélika (Deshayes) ; 3. D. Pedro, D. Alvar, Anna, Inés (Bolleire, Lis, Janot, Carpentier) ; 4. La prison ; 5. Tempête et abordage ; 6. Le temple Sélika, Nélusko (Deshayes, Boutillier) ; 7. Mort de Sélika.

In[1] Figurations de l’infini, 2000, le Seuil.

[2] [29] J’en traduis aussi des strophes dans le même ouvrage.

Les plus beaux Ave Maria : Nathalie Manfrino en concert exclusif à Notre Dame de la Garde

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Après ses débuts à l’Opéra de Marseille en 2001, où elle a immédiatement conquis le public et la critique en incarnant le personnage de Mélisande dans la production de Pelléas et Mélisande, dirigée par Charles Roubaud, Nathalie Manfrino a continué à nous éblouir au fil des ans. En 2012, elle a enchanté le public avec son interprétation de Mimi dans La Bohème de Puccini revisitée par Jean Louis Pichon, et cette même année, elle a surpris tous les spectateurs en jouant le rôle de Clelia dans La Chartreuse de Parme, production mise en scène par Renée Auphan.

Aujourd’hui, nous avons la chance de la voir à nouveau dans notre ville pour un récital exceptionnel le 14 octobre à 18h, où elle chantera, accompagnée à l’orgue par Danièle Sainte-Croix, bien connue des amateurs de musique classique marseillais, au sein de la Basilique de Notre Dame de la Garde, « les plus beaux Ave Maria » composés par les plus grands maestros d’Opéra. Elle en interprétera les versions de Schubert, Massenet, Caccini, Verdi, Mascagni, Gounod.

Très discrète sur les réseaux sociaux, elle a entamé un tour de France des sanctuaires mariaux pour proposer ce récital d’une heure en entrée libre afin que tous puissent venir découvrir la beauté de ces chants sacrés. « C’est un projet qui me tient infiniment à cœur. Chanter ces Ave Maria a pris un sens immense depuis que je suis devenue maman. Nous avons décidé de faire ce concert dédié à Marie, dans le cadre de la venue du Pape François, pour prolonger sa prière mariale à Notre-Dame de la Garde » précise-t-elle avec la simplicité qui la caractérise.

Un projet né d’une rencontre humaine

DVDM : D’où vous est venue l’idée de chanter à Notre Dame de la Garde, à Marseille, la ville de vos débuts ?

Nathalie Manfrino : « Ce projet est parti d’une aventure humaine, de Marseillais que j’ai rencontrés suite à mon concert en Bretagne. Charmés par ma prestation, ils m’ont dit qu’il fallait que je vienne chanter à Marseille. Il y avait aussi cette histoire de la venue du Pape en septembre. Comme ils connaissaient le recteur de la Basilic de Notre Dame et que j’avais déjà chanté dans des hauts lieux religieux, aussi dans de toutes petites églises, avec ce projet, ça s’est monté assez rapidement ». De plus, « il n’y a pas grand-chose à Notre Dame de la Garde, pourtant, c’est un lieu incroyable, il faudrait le faire exister culturellement et musicalement. Avec ce concert, c’est ce qu’ils ont voulu faire ».

Hommage aux compositeurs d’Opéra et à Marie, Ode à l’Amour universel

DVDM : quelle est la particularité de ces Ave Maria ?

N.M : « Ce sont des Ave Maria opératiques. Ce sont les plus beaux Ave Maria, écrits par des compositeurs qui subliment ces prières, j’avais envie de ce projet car il faut rendre grâce malgré ce qu’on a vécu : on a tous des choses à porter, il me semble important de rendre grâce quand on arrive à s’en sortir. Par exemple, je suis tombée tardivement enceinte et je ne l’imaginais pas, je rends grâce à Marie d’avoir ce petit bonhomme. Et comme disait Saint Augustin, chanter c’est deux fois prier et le chant sacré peut élever encore plus l’âme que nous soyons croyant ou non. Dans ce concert, on trouvera le seul Ave Maria composé par Verdi extrait de son opéra Othello. Il y a aussi Mascagni : il a peu écrit mais dans Cavalliera Rusticana, il y a un intermezzo qu’on entend souvent dans les films de mafieux, dans lequel il a composé un Ave Maria. Puis, Massenet qui a écrit un Ave Maria sur la Médiation de Thaïs pour violon solo, un texte très connu mais personne ne le chantait. Je l’ai trouvé dans un vieux recueil de partition. Puis Caccini, c’est un tube absolu ». Avec ce récital, « je souhaite faire plaisir et offrir quelque chose de sacré et lyrique, comme un hommage à ces compositeurs qui ont rendu hommage à Marie. Ça rend le concert moins classique, puisque certains Ave Maria sont en italiens. C’est plus festif même si bien entendu ça va faire appel à des souvenirs touchants mais Marie est là pour nous protéger comme elle veillait sur les marins à Marseille. Pour moi, le propos de ces concerts est ouvert et universel, chacun reçoit ce qu’il veut recevoir, en toute humilité et bienveillance. J’espère très humblement, par ma voix, faire résonner dans les cœurs, cette espérance que l’on souhaite à tous, croyants ou non, une lumière bénéfique par le prisme de la musique, langage aussi universel que l’Amour. En espérant que ces airs très connus dédiés à la Vierge Marie, devenus populaires dans le bon sens du terme, continueront longtemps d’habiter nos cœurs. »

Offrir la musique sacrée en partage

DVDM : Le concert est gratuit. C’est important pour vous cette gratuité de l’accès à l’Art ?

N.M : « Oui, comme c’est en entrée libre, chacun peut contribuer comme il le souhaite. En pratiquant la libre participation, on espère que les gens qui n’osent pas se rendre à des concerts classiques ou qui n’en ont pas les moyens viennent, que ça les amène librement à la musique et à l’art. Quand j’ai chanté en Bretagne, on a eu une cinquantaine d’enfants, tous très respectueux et concentrés : c’était magique car certains n’avaient que 3 ans. J’espère que des grands parents viendront avec leurs petits enfants à Marseille. »

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Nathalie Manfrino © Robin François

Chanter à Notre-Dame : L’émotion de ses débuts

DVDM : Qu’est-ce que cela vous fait de revenir à Marseille après toutes ses années ?

N.M : « Je suis très honorée de pouvoir chanter pour la première fois dans ce haut lieu sacré. J’ai toujours eu une affection très particulière pour cette ville, il y a une énergie extrêmement particulière dans cette ville, et la vision de « La Bonne Mère » a imprégnée le début de ma carrière. Pour moi, le choix de Notre Dame de la Garde est très fort. Car lors de ma première venue, je jouais dans Pelléas et Mélisande. J’avais 20 ans et c’était ma première expérience professionnelle : je ne m’attendais pas à cette difficulté du métier, je sortais à peine de l’école et du conservatoire, j’étais un peu comme un petit poussin sorti du nid. Comme c’était difficile, je me suis tournée vers Notre Dame de la Garde et la Vierge, vers ce haut lieu qui surplombe la mer et toute la ville et c’est quelque chose qui m’a imprégnée. »

La jeune maman continue néanmoins sa carrière de Soprano même si de son aveu elle a levé le pied et pris du recul par rapport à son métier pour être plus proche de son petit bonhomme. Elle souhaite continuer avec des projets qui ont « de l’âme, qui soient pertinents avec la seconde vie que j’ai. J’ai besoin d’aventures humaines, faire de belles choses, des projets caritatifs, qui ont du sens. »

En espérant que les Marseillais viendront en nombre à ce concert unique. Diane Vandermolina

Encadré

Lucide mais toujours aussi passionnée par son art, Nathalie Manfrino nous a livré quelques-unes de ses réflexions sur le métier de Soprano, ses sacrifices et ses freins, et l’importance du vécu dans l’interprétation d’un rôle. Elle se confie également sur la nocivité des réseaux sociaux dont elle ne partage pas l’éthique.

De la difficulté d’être maman dans le milieu de l’Opéra

Rares sont les sopranos maman qui continuent leur carrière, certaines s’arrêtent pour s’occuper pleinement leur enfant, d’autres sont moins désirables aux yeux des directeurs d’Opéra et sont laissées de côté au profit d’artistes lyriques plus jeunes comme dans le Cinéma, rappelle Nathalie. « Être maman, c’est encore tabou et ça met la plupart du temps un frein à notre carrière. La première chose que je demande à une jeune chanteuse lyrique, c’est : est-ce que vous voulez avoir une vie de famille, des enfants parce qu’être chanteuse lyrique, ce sont des sacrifices énormes que l’on fait et pour nous, les femmes, l’horloge biologique tourne. On n’en parle pas forcément dans les écoles de musique. Si par exemple, tu t’arrêtes à un moment donné, on t’oublie très vite. Il y a, comme pour les actrices d’ailleurs, ce phénomène de jeunisme de vouloir tout ce qui est jeune et beau, car on va pouvoir plus facilement faire du buzz sur quelqu’un de nouveau. »

Du savoir-faire du chanteur artisan

 « Le savoir-faire est primordial dans notre métier car on est des artisans : plus on vieillit, plus on maîtrise ce savoir et les coups de la vie, les drames, la maladie, les décès, les divorces etc…  vont faire qu’on va devenir un artiste plus accompli qu’à 20 ans. Aujourd’hui, je n’interprète pas les rôles de la même manière qu’il y a 20 ans. Cela s’appelle la maturité. J’ai entamé une seconde vie après avoir vécu un drame dans ma vie personnelle. Il y a un avant et un après et quand on est sur scène, à 20 ans, on n’a pas vécu tout ça, on fait semblant, on peut très bien chanter et avoir une belle voix mais quand le public sent qu’il y a des tripes, de l’émotion, ça change. »

De la tyrannie des réseaux sociaux

Le métier d’artiste lyrique, entre compétition et concurrence des uns envers les autres, est de nos jours très difficile, notamment à l’heure où les réseaux sociaux ont envahi tout l’espace médiatique : la très grande majorité des chanteurs lyriques sont sur les réseaux sociaux et peuvent regarder les comptes des uns et des autres, compatibiliser les like ou encore se prendre en photo en toute circonstance, ce qui développe une curiosité malsaine et excite les jalousies. « Aujourd’hui, être chanteur lyrique est d’autant plus compliqué qu’avec les médias sociaux, il y a l’image, il faut du contenu, être beau, faire rêver… Je ne sais comment ils font pour travailler leur rôle en faisant tout ça mais aujourd’hui, si on n’est pas sur ces réseaux, on est artistiquement mort. Tout le monde est sur les réseaux sociaux même les directeurs d’Opéra. Pire, j’étais à un concours de chant francophone, avec 40 autres jurés, le niveau des jeunes chanteurs était très haut et j’ai discuté avec eux de la problématique des réseaux sociaux, car, pendant le concours, il y avait un Facebook live où on pouvait lire des commentaires très durs, violents… C’est terrible. »

Propos recueillis par DVDM

[31]

Nathalie Manfrino dans la Bohème à Marseille en 2012 ©DVDM

Bio Express de Nathalie Manfrino, soprano

Après avoir brillamment achevé sa formation à l’École Normale de Musique de Paris, Nathalie Manfrino a remporté le Concours international de chant de Toulouse en 2000, puis le Concours international Operalia. Ces succès l’ont propulsée vers les sommets de la scène lyrique, où elle a fait montre de son talent vocal et de ses qualités théâtrales dès 2001 à l’Opéra de Marseille. C’est en 2006 que le monde de la musique classique a véritablement découvert Nathalie Manfrino. Elle a été couronnée Révélation de l’année dans la catégorie Artistes Lyriques aux Victoires de la Musique Classique, un honneur bien mérité vu son talent exceptionnel en tant que chanteuse et interprète.

Son engagement exclusif avec Universal Music et ses enregistrements sous l’illustre label Decca ont marqué le début de sa carrière discographique. De son premier album solo, « French Héroïnes, » à « Méditations, » une exploration profonde de l’œuvre de Massenet, et jusqu’au tout dernier opus « Destin de femmes, » Nathalie Manfrino continue d’ajouter des chapitres captivants à son parcours musical. Sa discographie s’est vue honorée du prestigieux Orphée d’Or et du prix Sir Georg Solti, soulignant la qualité exceptionnelle de ses enregistrements. En 2011, elle a été distinguée en tant que Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, une reconnaissance bien méritée de sa contribution à l’art lyrique.

Elle a illuminé les scènes du monde entier de Berlin à Barcelone, en passant par Rome et Paris (Garnier, Comique, Châtelet, Théâtre des Champs-Elysées), parmi de nombreuses autres destinations prestigieuses et les festivals internationaux, tels que Caracalla (Rome) et Mozarteum (Brésil) ou encore les Chorégies d’Orange (France), en interprétant un éventail de rôles captivants. Elle a été la Marguerite dans « Faust, » la Roxane dans « Cyrano, » la Micaëla dans « Carmen, » Sarah dans « Le Revenant, » Eurydice dans « Orphée et Eurydice, » Juliette dans « Roméo et Juliette, » Fiordiligi dans « Cosi fan tutte, » Rozenn dans « Le Roi d’Ys » de Lalo, le rôle-titre dans « Manon » de Massenet, Mimi dans « La Bohème, » et le rôle-titre dans « Thaïs, » pour n’en nommer que quelques-uns.

Travaillant en étroite collaboration avec des maestros renommés tels que Michel Plasson, Sir Colin Davis et Placido Domingo, Nathalie Manfrino continue d’apporter son éclat aux scènes du monde entier. Récemment, elle a séduit le public en incarnant Leila dans « Les Pêcheurs de Perles » à Séoul et en interprétant Juliette dans « Roméo et Juliette » de Gounod, toujours à Séoul avec le Korea National Opéra. Sa très attendue Micaëla dans « Carmen » à l’Opéra-Comique, à Shangaï et à Pékin, initialement prévue pour l’automne 2020, avait été reportée à 2023.  La rédaction