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CONCERT HOMMAGE À BEETHOVEN

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 PAR L’ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE SANREMO & MICHEL BOURDONCLE (Piano)

       20 février 2024 –Théâtre de la Chaudronnerie

Le 20 février 2024, dans ce magnifique Théâtre de la Chaudronnerie à La Ciotat, un évènement admirable est programmé : le Concert Hommage à Beethoven par l’Orchestre symphonique de Sanremo avec l’immense pianiste Michel Bourdoncle au piano.

Nous avons rencontré Michel Bourdoncle

 « J’avais cinq ans quand j’ai commencé le piano. Je lisais les notes avant de savoir lire. J’ai commencé à jouer à l’âge de 18 ans. C’est dans les années 2000 que j’ai connu le paroxysme ; pendant quelques années, j’ai fait une centaine de concerts par an. Je jouais beaucoup en Asie, en Amérique latine, en Europe avec tous les grands orchestres nationaux. Depuis environ cinq ans, j’ai mis un peu la pédale douce pour m’occuper de la carrière de mes enfants, très prometteuse également. »

 « Les plus grands bonheurs sont ceux que l’on partage »

Michel Bourdoncle n’est pas seulement un pianiste d’exception, c’est aussi un homme passionné, voué à la musique et intensément respectueux des autres, à leur écoute. Jouer, seul ou au sein d’un groupe, donner la parole, soutenir la voix des instrumentistes à cordes ou à voix, aborder les concertos dans tous les répertoires, rencontrer, partager avec les musiciens lors des concertos, sont dit-il, des moments de rare intensité. Homme de communication, homme de lien, Michel Bourdoncle traverse la musique, toutes les musiques, depuis plus de quarante-cinq ans avec le même bonheur à la jouer que les spectateurs ont à l’entendre.

« J’ai un plaisir fou à jouer, à enseigner, à partager. Quand on parle plusieurs langues, c’est sensationnel. Je rencontre quelqu’un à Moscou qui me parle pendant trois heures de la chute d’Allende. En Chine, j’essaie d’apprendre le chinois… Tout me passionne ; la musique me passionne. Je fais maintenant une cinquantaine de concerts par an et cela me suffit amplement. Le Festival, Les Nuits Pianistiques,  l’Académie, me prennent du temps ; c’est une responsabilité »

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Un professeur bienveillant

Michel Bourdoncle est également un professeur attentif, exigeant mais bienveillant, qui continue à avancer en transmettant. De cours de piano au Conservatoire de musique d’Aix-en-Provence en master-classes dans de nombreux pays à travers le monde, Michel Bourdoncle donne une importance cruciale à la diffusion musicale est très importante. 

« On ne peut pas interpréter un concerto si on ne brise pas la cuirasse. »

 « Il y a des compositeurs dont je me sens proche pour l’aspect humain. Par exemple, si nous évoquons Liszt, pianiste, organiste, transcripteur, improvisateur, chef d’orchestre, organisateurs de festivals, en dehors du géant qu’il a été, et de ce qu’il représente pour la musique, il a été d’une générosité inouïe en aidant beaucoup de compositeurs. Il a soutenu et essayé de faire connaître des compositeurs qui n’étaient pas connus. C’était un professeur très apprécié. II a inventé le récital de piano. Je sens cette infinie tendresse qu’il avait et cette infinie passion qu’il avait aussi. Il disait de lui-même « Je suis à la fois Tzigane et Franciscain » ; tout ce dont un artiste doit avoir envie, c’est-à-dire une palette inouïe : la rigueur, le sérieux, l’analyse, la construction, et en même temps, la folie, l’outrance. On ne peut pas interpréter un concerto ou une sonate de Liszt ou de Brahms si on est quelqu’un tout le temps dans ses chaussures, qui ne brise pas la cuirasse. De temps en temps, c’est absolument nécessaire. C’est un exemple pour nous tous. Pour jouer avec  orchestre, c’est une dimension extrême qu’il faut avoir. »

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L’Orchestre Symphonique de Sanremo

Sous l’impulsion de Giancarlo De Lorenzo, l’Orchestre Symphonique de San Remo, qui compte une quarantaine de musiciens est un des grands orchestres nationaux italiens avec lequel Michel Bourdoncle a joué deux fois : une première fois à Monte-Carlo et une autre fois en Italie. Véritable vivier de talents émergents, le prestigieux orchestre de Sanremo a célébré son cent-vingtième anniversaire le 1er janvier 2023. Son répertoire va de Vivaldi à Penderecki, de Monteverdi à Ligeti, des grands compositeurs baroques et classiques aux artistes d’aujourd’hui. 

 Si Michel Bourdoncle n’a pas de préférence parmi les grands compositeurs –il les admire tous- cette soirée rendra hommage au grand Beethoven, un spectacle présenté par Les Nuits Pianistiques.

La Ciotat, splendide ville culturelle, le Théâtre de la Chaudronnerie, lieu emblématique de culture, le merveilleux orchestre Italien de Sanremo, le modeste et prodigieux Michel Bourdoncle au piano, tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce mardi 20 février 2024 à 20 heures un moment de bonheur intense, à partager. Il faudrait être sourd à la musique pour résister à son appel.

Danielle Dufour-Verna 

Crédit photo: DR

De L’Allemagne d’après le roman éponyme de Germaine de Staël

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S’adressant à un public peut être averti, le spectacle n’avait pas de notice fournie sur cette grande dame des Lumières. Je l’ai toujours admirée et j’en offre ces lignes, tirées d’une causerie, à l’usage des lecteurs.

 GERMAINE DE STAËL (1766-1817)

Elle naît à Paris, mais de parents suisses, protestants. Elle est la richissime, fille du ministre des Finances de Louis XVI, Jacques Necker, qui se paie le luxe de payer le budget de la France ruinée, de prêter au Royaume une somme colossale que Germaine mettra presque toute une vie à récupérer. Elle est élevée dans un milieu de gens de lettres.

En 1786, à vingt ans, elle épouse —on lui achète un mari et un titre—le baron Staël, ambassadeur du roi de Suède auprès de la cour de France. Sans enthousiaste, avec esprit mais cruellement, elle dit :

 « De tous les hommes que je n’aime pas, mon mari est celui que j’aime le mieux. »

 Mariage de raison à la mode dans leur grand monde : les époux s’aiment sans doute un peu et se trompent beaucoup. Le baron a des aventures, Germaine, des passions tapageuses, dans les dangereuses liaisons libres d’une époque risquée traversée, après la chute de l’ancien Régime, de la Révolution et sa Terreur, du Directoire et du Consulat et d’un Empire autocratique qu’elle annonce et dénonce. Sa vie sentimentale agitée, orageuse avec Benjamin Constant, de Lausanne —auquel elle inspirera le personnage suicidaire à répétition d’Ellénore du roman Adolphe— la fixe dans ce couple tourmenté de Suisses, intransigeants donneurs de leçon républicaine à la neuve République française, la rendant indésirable, plusieurs fois forcée à l’exil à travers l’Europe, suivie de Benjamin qui, plus habile, s’arrangera avec tous les régimes, arrangeur même de la Constitution napoléonienne qui la révulse.

Elle divorce en 1800, épousera un homme plus jeune.

Femme généreuse, elle se mêle de tout. Favorable à la Révolution et aux idéaux de 1789, critique dès 1791, opposante à tous les extrémistes, elle est gênante à tous, un temps protégée par le statut diplomatique de son mari, elle doit se réfugier auprès de son père en Suisse à plusieurs reprises.

Fascinée par le jeune Général Bonaparte vainqueur des Autrichiens en Italie qui rentre en restaurant les finances d’une république appauvrie, elle le harcèle de questions, rapporte Talleyrand :

« Général, quelle est pour vous la première des femmes ? », demande-t-elle se posant sans doute imprudemment en première.

— Celle qui fait le plus d’enfants, Madame », lui aurait répondu sèchement le misogyne Corse, tout dévotion pour sa Laetizia de maman.

 Peut-être début ou symptôme d’une guerre répulsion/fascination entre eux. Mais, plus politiquement, elle le voyait en libéral, mais lucide, avec le coup d’état du 18 Brumaire (9 novembre 1799), approuvé par l’opportuniste Benjamin Constant, elle voit qu’il signe la fin de la Révolution et que le Consulat, le faisant Premier Consul, en fait un dictateur à vie. La suite lui donne vite raison : le régime consulaire se transforme en empire héréditaire. Bonaparte est sacré empereur le 2 décembre 1804 et le régime se construit sur le modèle d’une monarchie que la Révolution avait abolie.

De son célèbre et bruyant salon de la rue du Bac où elle reçoit tout le gratin culturel et politique, républicains et émigrés, du haut de sa notoriété, voix hautement connue internationalement, au nom de la liberté, elle se répand contre lui. Napoléon dira avec humour mais non sans raison,

 « Mes plus grands ennemis en Europe ? L’Angleterre, la Russie et Madame de Staël. »

Revenue d’un de ses exils en mai 1795 avec Benjamin Constant, elle en est de nouveau exilée en octobre par le redoutable Comité de Salut public, au couperet toujours facile malgré la fin de la Terreur. Germaine acquise fidèlement aux idéaux de 89, sait la monarchie impossible désormais, rêve d’une république fondée « sur la justice et l’humanité » ; par sa voix, sa plume, sous son nom ou des pseudonymes transparents, elle s’élève contre tout despotisme, élevant contre elle monarchistes revanchards, révolutionnaires ultras.

Bannie de Paris (condamnée à en rester « à quarante lieues », 160 km), puis interdite de séjour sur le sol français, exilée en 1803 par Bonaparte, en résidence forcée et surveillée dans sa propriété de Coppet près de Genève ; elle y réunit toute l’Europe pensante, ce que Stendhal a appelé « les états généraux de l’opinion européenne ». Elle réussit à fuir, voulant rejoindre l’Angleterre. À cause du blocus continental qui ferme les ports, c’est une épopée terrestre.

Il y aurait de quoi sourire, si elle n’avait eu à tant endurer, à voir l’homme le plus puissant d’Europe, chasser bassement une femme et la poursuivre sur tout le continent alors qu’elle évite l’expansion de ses armées conquérantes jusqu’à la Russie juste avant l’arrivée des Français dans un Moscou en flammes, fuyant avec, sinon armes, bagages, enfants, et Benjamin Constant à ses côtés, à ses crochets (dont elle a eu une fille) pour trouver, passant par la Suède ex-matrimoniale, où va sagement régner Bernadotte, ancien Maréchal d’Empire qui se retournera contre l’Empereur, un asile en Angleterre. Elle y écrira De l’Allemagne en 1810, remettant juste un pied prudent en France pour en suivre de loin l’impression, dix-milles exemplaires, immédiatement saisis et pilonnés.

Talleyrand, « Le diable boiteux », l’Évêque d’Autun qui servira et trahira tous les régimes, qui l’a exploitée sentimentalement, financièrement et politiquement, qu’elle a sauvé peut-être de l’échafaud en le faisant rayer de la liste des émigrés à son retour en France, pour lequel elle avait arraché de vive force le ministère des affaires étrangères à Barras, alors Premier Consul, allant même lui faire l’article de ses vices utiles (« Il a tous les vices de l’Ancien Régime et ceux du nouveau : il est fait pour vous ! »), l’ingrat Talleyrand qui ne lui rendra jamais la protection qu’elle lui avait toujours prodiguée, dira d’elle avec un humour cruel :

« Cette femme avait toutes les vertus et un seul défaut : elle était insupportable. »

 Sans doute à vouloir se mêler, avec une clairvoyance et une compétence que n’avaient sûrement pas nombre d’hommes qui, en politique même révolutionnaire, avaient prudemment exclu les femmes, ne leur accordant même pas le droit de vote. Pourtant, dans ce livre où elle soulignera n’avoir rien mis de ses idées qui pourraient fâcher encore le pouvoir, elle a cette étrange affirmation qui sonne comme un aveu désabusé, comme si elle insinuait qu’elle voulait rester enfin modestement à sa place, à l’ombre, sans conflit avec les hommes :

 « On a raison d’exclure les femmes des affaires politiques et civiles ; rien n’est plus opposé à leur vocation naturelle que tout ce qui leur donnerait des rapports de rivalité avec les hommes, et la gloire elle-même ne saurait être pour une femme qu’un deuil éclatant du bonheur. »

Et discutant du mariage, elle ne discute pas la primauté biblique de l’homme sauf pour le rappeler à ses devoirs, primordiaux en conséquence :

« Dieu a créé l’homme le premier comme la plus noble des créatures, et la plus noble est celle qui a le plus de devoirs. »

FÉMINISTE ?

Recevant Lucile Pessey à la radio pour présenter ce spectacle, production de son association Intim’Opéra, qui a pour vocation de valoriser le matrimoine culturel si longtemps oublié ou négligé, je m’étonnais : pour un spectacle sur la combattive Madame de Staël, matière idéale, pionnière et aujourd’hui icône rêvée du féminisme par sa vie et son œuvre qui exalte des femmes victimes des contraintes sociales, aristocratiques chez Delphine (1802) ou maritales et artistiques dans Corinne ou l’Italie (1807 et 1808), image de la femme libre et poétesse, cette production nous la représente par le biais non de ses fictions socialement significatives sur le statut de la femme, mais de son fameux essai, De l’Allemagne (1810-1813).

 La justification est que ce spectacle est bâti sur idée de Maria Kohler, comédienne de la riche colonie allemande de Marseille, pour fêter de la sorte la Journée franco-allemande —j’imagine la non citée commémoration du Traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, signé par le Chancelier Adenauer et De Gaulle, qui scellait la réconciliation de l’Allemagne et de la France.

 De l’Allemagne

France/ Espagne

La France, ignorante de la littérature espagnole, autant que de l’allemande comme le déplorait Madame de Staël, n’a pas vu que cette approche comparatiste avait un célèbre précédent hispanique, connu de toute l’Europe depuis deux siècles, La oposición y conjunción de los dos grandes luminares de la tierra o de la antipatía natural de franceses y españoles (‘L’opposition et conjonction des deux grands luminaires de la terre ou de l’antipathie naturelle des Français et des Espagnols’), un essai du Doctor García paru à Paris en 1615 à l’occasion du double mariage d’Isabelle de Bourbon et de Philippe IV et, d’autre part, d’Anne d’Autriche et de Louis XIII, dans un esprit de concorde entre les deux nations en guerre depuis un siècle. L’édition, bilingue, connaît un succès foudroyant, plus de quarante-sept éditions au XVIIe siècle et encore au XVIIIe et des traductions dans toute l’Europe, italienne, anglaise, allemande, française en plus de la bilingue originale. García fait une étude physico-psychologique comparée des deux nations, des modes et vêtements, des habitudes, des mœurs, oppose la gravité de l’Espagnol à la légèreté et la volubilité du Français, constate le bruyant désordre des coqs gaulois dans la rue face au silence digne des Espagnols. Des clichés auxquels n’échappe pas le texte de Staël.

Naturellement, la comparaison cas par cas entraîne des paires de phrases brèves et des figures de symétries, antithétiques, enchaînant forcément stéréotypes nationaux, non sans humour, dans la simplification inévitable des poncifs. Mais le désir des deux auteurs est la concorde des deux nations par la connaissance de l’Autre et l’équivalence des qualités et défauts réciproques.

À García, il sera reproché une sympathie pour la France comme on fera, d’une sympathique germanophilie de Stahl, une antipathie française, fallacieux argument pour censurer et interdire le livre, alors que la bouillonnante, généreuse et curieuse Germaine, même si l’Allemagne n’est pas encore une entité politique, en visionnaire lucide, la perçoit dans une unité raciale et culturelle qu’elle s’emploie à faire connaître. Au sentiment de supériorité du Français, à une arrogante France impériale autocentrée, bien qu’impérieusement excentrée dans toute l’Europe, elle offrait le miroir, forcément réflexif, d’un autre pays, d’une autre culture, d’autres valeurs, qui, par la comparaison et non la confrontation, ne pouvaient que l’enrichir. Elle souligne avec finesse et humour le scientisme français, son culte des mathématiques, sa religion de la Raison, et l’oppose au goût allemand de l’Imagination, aux élans de l’enthousiasme, résumant les deux pôles opposés de l’esprit de « merveilleux » qui a le pas sur l’esprit de géométrie :

 « L’univers ressemble plus à un poème qu’à une machine », répète-t-elle.

 C’est avec justice qu’on fait de son essai une introduction, en France, du romantisme, déjà sensible chez son compatriote adoré, Jean-Jacques Rousseau, comme si la Suisse était un trait d’union avec les élans passionnels du Sturm und Drang germanique, ‘Tempête et Passion’, mouvement artistique et politique national révolté, au nom de l’intériorité, contre la superficialité abstraite des Lumières à la française : le Français parle, l’Allemand pense, résumera en quelque sorte Germaine.

« Un Français sait encore parler, lors même qu’il n’a point d’idées ; un Allemand en a toujours dans sa tête un peu plus qu’il n’en saurait exprimer. On peut s’amuser avec un Français, quand même il manque d’esprit. Il vous raconte tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a vu, le bien qu’il pense de lui, les éloges qu’il a reçus, les grands seigneurs qu’il connaît, les succès qu’il espère. Un Allemand, s’il ne pense pas, ne peut rien dire, et s’embarrasse dans des formes qu’il voudrait rendre polies, et qui mettent mal à l’aise les autres et lui. »

Évidemment, décréter l’Allemagne « la patrie de la pensée » ne pouvait être bien perçu dans une France se targuant d’être le pays de la Raison. Mais à cette raison qu’elle semble concéder à la France, trait déjà romantique, elle oppose le Sentiment.

Mais, surtout, cette farouche fille de la liberté qu’elle défend contre les oppresseurs, dénonçant inlassablement la trahison des idéaux de la Révolution par Bonaparte, à côté d’inévitables clichés, laisse percer son indépendance d’esprit et tombe juste quand, elle la retrouve et salue dans ce pays l’individualisme du jugement libéré des contraintes, si françaises des règles, c’est-à-dire des académies :

 « En Allemagne, il n’y a de goût fixe sur rien, tout est indépendant, tout est individuel. L’on juge d’un ouvrage par l’impression qu’on en reçoit, et jamais par des règles, puisqu’il n’y en a point de généralement admises. »

 Certes, l’on voit que, en dehors de quelques délicieux croquis paysagers ou urbains, quelque anecdote pittoresque sur les coutumes brassées, brossées avec la plaisante légèreté salonnarde française, l’Allemagne de la Baronne de Staël est celle de son monde, de son milieu : de son salon. Mais quel salon ! Même si elle n’a pu les connaître directement, puisqu’ils étaient morts autour de 1803/1804 elle parle du poète de la nature Klopstock, du dramaturge Lessing, du criticisme idéaliste de Kant mais aussi de Herder maître de Schiller et Goethe, qu’elle fréquente en personne dans le salon du duc de Weimar, de Schlegel. Comme dans son salon parisien, dans son château suisse de Coppet où elle réunit les beaux esprits européens, comme l’abeille va au miel, elle butine passionnément la culture, la philosophie, œuvre même pour l’abolition de l’esclavage.

Le poète Heinrich Heine (1797-1856), admirateur de Germaine, mitigera cependant son enthousiasme dans un ouvrage parallèle, De l’Allemagne (1835), axé surtout sur l’histoire de la religion et de la philosophie mais il pressent subtilement les dangers des nationalismes naissants. Les longues notes qu’il accumule pour un autre essai, De la France (1833/1857) laissent voir l’empreinte en lui de Madame de Staël.

Aujourd’hui, avec d’autres moyens, on l’aurait qualifiée d’influenceuse. Mais on portera à son crédit la noblesse des causes qu’elle défend, la liberté et l’humanisme au-dessus de tout. En 1793, elle se fend même d’un texte adressé aux femmes, prudemment anonyme, pour tenter d’arracher Marie-Antoinette à la guillotine. La caisse de résonance de son salon parisien d’opposition libérale, agacera tellement Bonaparte en marche vers le pouvoir absolu, crispera tellement Napoléon devenu empereur, qu’il cherchera le mettre sous cloche, à la bâillonner, faire taire cette intransigeante opposante. En vain. Quelqu’un dira :

 « Le salon de Madame de Staël est partout où elle se trouve. »

 Et dans ce spectacle, certes un trio de dames, mais devant une salle pleine et vibrante qui leur fera un triomphe mérité —à quelques réserves près.

LE SPECTACLE : LECTURE ET MUSIQUE

         Un piano à jardin, à cour, une table basse, un fauteuil, deux guéridons à candélabres, un canapé de style ni Empire, ni Directoire, ni Louis XVI mais aux lignes voluptueuses galbées du rococo appelant la caresse qui justifieraient le mot de Talleyrand disant que, qui n’avait connu l’Ancien Régime, n’avait pas connue ce qu’était la douceur de vivre —pour certains, c’est sûr. Robe orange pour Corinne (nom du roman), bleu sombre pour Mirza la pianiste, et légère tunique beige, vaguement à l’antique Directoire pour Ellé(o)nore (Ellénore, nom de l’héroïne névrotique de l’Adolphe de Constant), qui vient avec la lettre reçue de son amie Germaine à Londres avec un exemplaire de son livre, De l’Allemagne dont la lecture qu’elle va en faire longuement est le cœur, lourd, du spectacle, plus oral que musical.

         En effet, cette longue lecture à une voix a la limite, au sens dramatique sinon artistique, d’exclure du jeu pratiquement les deux autres partenaires, puisque Marion Liotard, virevoltante et vibrante au piano, en soliste impatiente commentant ou ponctuant avec enjouement des effets du texte, et Lucile Pessey au chant, dans le peu qui leur est imparti, emplissent et occupent généreusement l’espace laissé plutôt vide par la voix au joli timbre et doux accent mais trop faible de la lectrice Maria Kohler difficilement audible, qui me contraint de revenir au texte même pour combler les lacunes de l’audition.

Faute d’une dramatisation des personnages, d’une théâtralisation du texte et musiques, d’élargir à d’autres textes de Staël, qui eût demandé d’autres moyens, le metteur en scène Yves Coudray meuble habilement l’espace des comparses auditrices par des déplacements, un peu forcés, requis par la tasse de thé, les biscuits offerts, la consultation de la partition, du texte : malgré tout, elles sont réduites à quelques mimiques, des exclamations de surprise, d’indignation ou à des gestes féminins de joyeuse ou tendre complicité ou consolation, se tenant par les main, ou parfois se partageant une page du livre ou entonnant en trio  « l’Hymne à la joie » de Schiller, coda de la IXe Symphonie de Beethoven. Cela en fait des silhouettes mais non des personnages.

         Pourtant, l’entrée d’Ellé(o)nore, lettre et livre en main de Germaine était une vraie entrée dramatique, avec l’anecdote, terrible pour la démocrate, du décret liberticide « sur la liberté de la presse » […] « qu’aucun ouvrage ne pourrait être imprimé sans avoir été examiné par des censeurs ».

         Il y a l’aveu poignant de l’exilée se risquant malgré tout à poser un pied en France :

         « Je vins à quarante lieux de Paris pour suivre l’impression de cet ouvrage, et c’est là que pour la dernière fois j’ai respiré l’air de France. »

         Puis l’annonce de la destruction officielle des dix-milles exemplaires, un vrai autodafé contre la pensée, l’obligation policière d’en remettre le manuscrit. Enfin, sommet de cruauté, de cynisme, il y a le courrier du ministre de la Police Savary commandité par Napoléon, justifiant censure et exil au nom d’un nationalisme étriqué :

« Votre dernier ouvrage n’est point français. Il m’a paru que l’air de ce pays-ci ne vous convenait point, et nous n’en sommes pas encore réduits à chercher des modèles dans les peuples que vous admirez. »

 Il se paie l’hypocrite politesse de lui désigner les ports par lesquels il lui est permis de quitter la France dans les vingt-quatre heures, dont on lui laisse ironiquement le libre choix —mais, avec obligation de les signaler avant son départ, tant on la surveille de près : bref, tant on la redoute.

C’était l’entrée, à coup sûr dramatique en scène, du drame tout de même réel vécu par cette indomptable femme. Peut-être eût-il mieux convenu pour une fin, après une connaissance du livre, faisant ressortir l’injuste tyrannie qui le et la condamnait. Mais la lecture consécutive du livre, anecdotique, en neutralise, en dilue aussitôt l’impact émotionnel personnel par le propos général et il n’y aura rien de particulier par la suite de ce niveau de tension réellement théâtrale. D’autre part, cette récitation univoque, à sensation monocorde par évaporation vocale, accuse, du moins quand on arrive à capter les paroles, le didactisme, parfois moralisateur du texte, écueil qu’épargne une lecture solitaire à rythme personnel.

         Alors, on attend la musique. Aucune n’est contemporaine, même si on veut peut-être considérer le lointain Bach intégré, et Mozart encore proche, ce dernier illustrant la juste observation de Germaine de son art d’allier texte et musique, avec évocation du Don Giovanni dont Lucile Pessey, dont la belle voix fruitée a muri, s’est élargie, colorée dans le grave sans perdre de sa légèreté, se paie le luxe de parodier l’air caverneux de l’entrée du Commandeur au dernier acte. L’hommage à Haydn dont Germaine entendit la Création à Vienne méritait peut-être quelque intervention de Liotard au piano. On aurait rêvé de quelque pièce de la marquise Hélène de Montgeroult, stricte contemporaine de Germaine de Staël, ayant traversé les mêmes affres révolutionnaires. Mais comment résister à An die Musik, cet hymne délicat à la musique salvatrice de Schubert ?

Les morceaux, sauf exception, ne semblent guère illustrer strictement le texte, une situation autre qu’affective des interprètes, comme la rageuse douleur de Corinne, déchirante dans un air de Mozart exaltant la fidélité à la mention du libertin Benjamin Constant qui fut le tourment amoureux de Germain/Ellénore. Sans être contemporain, car postérieur à la mort de Madame de Staël, l’Ode, ou « l’Hymne à la joie » de Schiller, coda chorale de la IXe Symphonie de Beethoven est pleinement justifié par l’admiration que Germaine voue au poète connu. C’est devenu à juste titre notre hymne européen puisque l’on y chante les valeurs supranationales, morales, des peuples harmonieusement unis que prône effectivement et affectivement Madame de Staël : « Alle Menschen werden Brüder », ‘Toues les hommes deviennent frères’.

C’est un sommet grandiosement naïf et sentimental de l’idéologie des Lumières.

UNE CERTAINE IDÉE DE L’EUROPE

Belle idéal plutôt, que caresse le rêve de la généreuse baronne, et son credo en faveur du mélange fraternel des peuples, des savoirs, bref, contraire à l’exclusion qui menace ou agit actuellement. On pourrait opposer à certains, aujourd’hui même, rêvant de frontières mentales et culturelles, au risque de l’asphyxie du confinement intellectuel, cette superbe sentence de Madame de Staël, et ses déclinaisons qui semblent s’adresser à tels de nos contemporains qui redoutent frileusement les dangers des courants d’air extérieures, rêvant de barrières, de frontières sanitaires, raciales, intellectuelles :

« nous n’en sommes pas, j’imagine, à vouloir élever autour de la France […] la grande muraille de la Chine, pour empêcher les idées du dehors d’y pénétrer.[…]

On se trouvera donc bien en tout pays d’accueillir les pensées étrangères. […] Les nations doivent se servir de guide les unes aux autres, et toutes auraient tort de se priver des lumières qu’elles peuvent mutuellement se prêter. »

Comment ne pas partager aussi son plaidoyer pour le mélange et l’enrichissement des cultures et langues par le brassage harmonieux. Elle est Suisse de France, donc maîtrisant français, sûrement italien et l’alémanique, l’anglais étudié, polyglotte en somme. Ouverte à l’Autre. Passant par la Russie elle voulait écrire un autre essai, De la Russie.

Stendhal touche juste en voyant dans ses rencontres de Coppet « les états généraux de l’opinion européenne ». Elle l’exprime explicitement :

« Il reste encore une chose vraiment belle et morale, c’est l’association de tous les hommes qui pensent d’un bout de l’Europe à l’autre. »

Certes, issue d’un milieu favorisé, privilégié. Mais n’y a-t-il pas encore plus grand mérite de dépasser ses égoïsmes de classe pour s’ouvrir généreusement à l’Autre, du dehors, pour l’accueillir comme une richesse ? Elle a cette belle formule à son image :

« L’hospitalité fait la fortune de celui qui reçoit. »

Aux frémissements de la salle, on sent que ce message, d’une actualité politique et humaine si contemporaine, passe très bien, peut-être un peu trop surjoué par un jeu d’optimisme solidaire souriant des trois dames sollicitant notre sympathie. On regrette d’autant plus, en tant que dramaturge, que l’on n’ait pas placé en cette fin l’épisode initial de la brutale destruction de ce livre généreux par un pouvoir despotique qui menace toujours nos valeurs humanistes, nos libertés de dire, d’écrire, de penser.

FRANCE/ALLEMAGNE

À l’évidence, avec le recul du temps, on ne peut embrasser cet ouvrage, mû par un désir de rapprochement de deux nations, qu’avec le sentiment qu’elles furent toujours des ennemies traditionnelles. Il n’en était rien à l’époque de Madame de Staël : après deux siècles de rivalité avec l’Espagne, c’est la Grande-Bretagne qui était devenue l’ennemie traditionnelle de la France. Cet antagonisme ne cédera qu’en 1904 avec la signature à Londres de l’Entente cordiale avec la République Française. Après la cuisante défaite française de 1870, la proclamation à Versailles du Reich allemand, l’annexion de l’Alsace et la Lorraine, puis les deux Guerres mondiale, c’est l’Allemagne qui occupera ce rôle, et il faudra attendre l‘embrassade historique entre le Chancelier Adenauer et De Gaulle qui scelle en 1963, « l’accord durable », la réconciliation, des deux peuples ennemis depuis près de cent ans.

         Et l’on rendra encore cet hommage à Madame de Staël, Européenne visionnaire, qui autant encore que l’Italie, unifiée aussi en 1871, voit de façon globale ces deux peuples, mais comme facteurs culturels d’une même Europe. Dont elle est un juste emblème.

        Après cette réussite féministe et musicale, on espère avec impatience et sympathie un autre spectacle d’Intim’Opéra de Lucile Pessey qui a la générosité de ne pas tirer à soi la couverture artistique et amicale. Benito Pelegrín

Lucile Pessey, soprano

Marion Liotard, pianiste

Maria Kohler, comédienne

Mise en scène : Yves Coudray.

Costumes : Mireille Doering-Born

Teaser spectacle Paris (autorisation Intim’Opéra)

Présenté au  Cabaret-Théâtre L’étoile bleue, 107, bis Boulevard Jeanne d’Arc, Marseille, Samedi 20 janvier 2024

Marion Rampal de retour aux sources

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Marion Rampal posera à nouveau ses bagages à Marseille les 31 janvier et 1er février prochains. Native de la cité phocéenne, c’est dans la belle salle du Théâtre de l’Œuvre qu’elle viendra présenter son nouvel album « Oizel » au public marseillais. Pour cette avant-première très attendue, l’artiste sera accompagnée de son quartet habituel. C’est avec ces complices musiciens qu’elle avait sillonné les scènes françaises lors de la tournée du précédent opus « Tissé » qui s’achevait par un blues féministe.

Avec « Oizel », Marion Rampal poursuit son exploration introspective empreinte de délicatesse. Porté par le thème des oiseaux, symbole de liberté, cet album se pare des couleurs de la mémoire et des souvenirs d’enfance de son auteure. Les mélomanes marseillais auront la chance de découvrir en avant-première les nouvelles pépites de l’artiste dans l’intimité du Théâtre de l’Œuvre. L’occasion pour elle de retrouver le public qui l’a vue éclore, avec toute la sensibilité qui la caractérise. Deux dates sont prévues les 31 janvier et 1er février à 21h. Un retour aux sources prometteur pour célébrer la poésie vibrionnante de Marion Rampal.

 « Le Théâtre de l’Œuvre est une belle salle, très intimiste, qui correspond au style musical de l’album. Je trouvais que c’était une belle idée de faire deux soirs de suite pour commencer cette tournée, je me sens un peu comme de retour au Bercail. J’’ai hâte, en tout cas, même si c’est toujours un peu le trac de retrouver un public qu’on connaît ou qui nous connaît très bien » confie-t-elle non sans une certaine émotion dans la voix. La jeune maman d’une fillette de 8 ans, vit actuellement à Paris mais ses racines sont marseillaises : « On me voit toujours comme marseillaise. Mais c’est vrai que comme j’ai passé 30 ans à Marseille, pour l’instant, je suis plus marseillaise que parisienne » s’amuse-t-elle.

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Marion Rampal explore la langue et les horizons avec « Oizel »

Remarquée auprès d’Archie Shepp & Jason Moran, Raphaël Imbert, Anne Paceo, Sandra N’Kake & Ji Drû, ou encore le Quatuor Manfred, invitée en tant que leader au festival de Jazz des 5 continents en 2021 – on l’y retrouvera peut être cet été ?-, auréolée d’une victoire du jazz en tant qu’artiste vocale en 2022 pour son précédent album, Marion Rampal, la quarantaine épanouie et réfléchie, ne se laisse pas enivrer par le succès et se projette d’ors et déjà dans l’avenir.

Dotée d’une personnalité douce et agréable, d’un abord charmant, elle nous a accordé en toute simplicité un temps d’interview pour discuter de son nouvel album. Entre souvenirs d’enfance et innovation sur la langue, l’artiste se livre sur sa démarche créative empreinte de poésie. Elle déploie une écriture travaillant les images comme autant de tableaux. Dans un style délicat évoquant rêve de liberté et folie douce, elle explore de nouveaux horizons. « Oizel » marque une étape aboutie dans l’univers de Marion Rampal.

Interview

Diane Vandermolina : Votre dernier album s’intitule Oizel, le féminin d’oiseau- ou « oizeau » comme le titre d’un de vos morceaux. L’oiseau en est la figure centrale, le fil d’Ariane, et vous en tissez la métaphore d’un bout à l’autre de l’album.

Marion Rampal : « Oui, le thème central, c’est l’oiseau. Il y a une forte symbolique par rapport à la notion de liberté qu’on peut avoir quand on pense à l’oiseau. En fait, le dernier album finissait sur cette chanson « I’m still a bird », c’était une sorte d’annonce de la suite. Et j’avais une grande envie de liberté, de me défaire des formats, des étiquettes. Je l’ai toujours eu parce que je cherche depuis des années une musique qui soit mienne et une langue aussi qui soit mienne. Donc assez vite, je me suis dit « Tiens, la figure de l’oiseau, c’est quand même quelque chose de très intéressant ». Et je me suis rendu compte qu’elle était déjà dans plein de chansons de Tissé. Il y avait déjà des phrases qui évoquaient ça. J’avais envie d’être un petit peu dans cette posture d’une poétesse sur un banc qui observe le monde autour. Et dans le monde autour, même quand on est en ville, il y a plein d’oiseaux. Autour de chez moi, je salue toujours un couple de merles qui vit en bas de chez moi. Il y a des perruches, il y a des mouettes qui passent, il y a des corneilles, des pigeons. »

DVDM : Pourquoi, parmi la faune, avez-vous choisi les oiseaux en particulier ?

MR : « Les oiseaux sont des créatures étranges, par rapport aux petits mammifères qu’on peut croiser, parce qu’ils volent. Ils ont cette liberté incroyable. Mais au-delà de ça, il y a tout ce qu’on peut dire dans notre langue autour de l’oiseau : cette manière de dire : « tiens, lui, c’est un drôle d’oiseau ». C’est souvent une bête dont on se sert dans notre langage. Je me suis donné ce cadre là. Je travaille autour des oiseaux, aussi bien les oiseaux des forêts que les oiseaux des villes, et aussi les oiseaux marins (cf la chanson « canards ») parce que c’est un disque qui évoque très fort mon enfance – avec « Aux Fleurs » où sont évoquées les calanques, ndlr– et mon rapport avec ma grand-mère paternelle – en particulier dans « D’Où l’On Vient l’Hiver »-, une figure qui m’a initiée à beaucoup de choses dans la vie. Elle m’a appris à coudre, à cuisiner, à m’occuper d’un jardin, le nom des couleurs, le nom des animaux dans le jardin. C’est quelqu’un qui a beaucoup compté pour moi. Et je suis allée chercher un peu dans la langue de ma grand-mère. Elle était du côté de Cannes, Antibes, Grasse, originaire du Piémont. Et puis, j’ai grandi à Marseille et comme elle habitait aux Caillols, je la voyais beaucoup. » 

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DVDM : Votre album revêt un caractère contemplatif mais vous évoquez également dans vos chansons la marginalité.

MR : « C’est un disque très rêveur, dans le souvenir, et très discret aussi. C’est ça que j’aimais bien et c’est dans l’idée de l’oiseau. Par exemple, des fois, on ne voit pas qu’il y a un oiseau sur la photo ou on ne voit pas qu’il y a un oiseau à côté de nous. Mais il est là. J’ai cherché aussi des figures de la vie sauvage, la vie redevenue sauvage avec « La Grande Ourse » – inspiré en partie d’un texte de Florence Aubenas ndlr – où il y a cette femme qui va vivre libre dans les bois et qu’on n’arrive pas à attraper et puis qui se met vraiment à côté de la société. Dans cet album, il y un questionnement sur les marges, la marginalisation, les personnes marginalisées aussi. J’ai été en compagnie toute ma vie de gens qui étaient un peu à la marge. Soit des très, très proches dans ma famille ou des amis qui ont vraiment quelque chose à côté de la plaque, mais quelque chose de sublime du coup. Et ça, ça m’intéresse aussi, la figure de la folie. Ou, plutôt de la folie douce, mais en tout cas de cette sorte d’endroit où on passe la limite. On ne se débrouille plus très bien avec le réel. Alors, on s’invente des chansons, on s’invente des histoires. On devient un peu fou. Ce sont des figures qui m’intéressent. Je pense que quand j’écris « Tangobor » ou « La Grande Ourse », j’essaie de m’en approcher. La marge, la folie, la liberté radicale, ça me questionne parce que ce n’est pas forcément réussi à chaque fois qu’on s’extrait de la société. Et est-ce que c’est la bonne chose à faire ? Je ne sais pas. Moi, je ne pense pas. Je suis très en lien avec les gens qui m’entourent et dans ma vie. Mais quand j’écris, je suis dans un endroit très solitaire. C’est vrai que quand j’écris, je n’écris pas avec… Alors, oui, il y a des souvenirs, il y a l’enfance, il y a des relations, etc. Mais souvent, je suis dans un autre moi. Je pense que c’est une autre personnalité qui émerge. Un autre regard. »

DVDM : Vous parlez de l’écriture et justement, vous faites un travail sur la langue. Vous mélangez des langues de différentes origines et pays, vous inventez des mots.

MR : « Ce qui m’intéresse dans les langues françaises, maintenant, je dis « les langues françaises » parce que les Français qui m’ont donné envie d’écrire et de chanter en français, ce ne sont pas les Français de France. Ce sont plutôt les Français d’Amérique du Nord, du Québec, de la Louisiane ou les langues créoles. C’est pour ça que, des fois, je parle de créolisation dans mon travail. J’aime bien quand la langue française sonne un peu autrement, qu’on arrive à la faire sonner un peu autrement. C’était mon défi pour ce disque quand je me suis dit « Allez, je ne fais pas d’aller-retour entre le français et l’anglais ». Là, je travaille vraiment sur la langue en français. Ça n’a été pas facile. Et c’est pour ça qu’il y a pas mal de mots inventés comme « Tangobor », « Gare-Où-Va », « Coulemonde » ou encore « Tampi Mon Ame ». Il y a des sortes de tournures de phrases inventées et je suis allée jusqu’à mettre un Z à « oiselle », qui est le vieux nom français pour dire « oiseau ». Je me suis permis beaucoup de liberté. J’avais besoin de recréer la langue et ça a été une vraie recherche. J’ai donc mis tous les textes dans les livrets des disques en envisageant l’album autant comme un recueil de poèmes que comme un recueil de chansons. Pour moi, toute cette langue et ces mots que je choisis font partie du son du disque. »

DVDM : Et justement, par rapport au style musical, c’est assez varié et très libre. Il y a des accents un peu New Orleans, mais aussi Bossa Nova, voire Indie avec la flûte de Naïssam Jalal.

MR : « Oui, on garde pas mal d’ancrages dans les jazz et blues du Sud des États-Unis parce que ce sont nos influences très fortes avec le réalisateur du disque, Matthis Pascaud, avec qui on coécrit certaines choses pour aboutir l’ambiance musicale, les accords, les déroulés, etc. Et avec le batteur, Raphaël Chassin. Ce sont des personnes qui travaillent avec des musiciens de blues et de jazz. Il y a aussi des choses un peu plus psychédéliques, plus rêveuses. La façon d’utiliser les claviers, par exemple, ou la clarinette avec des effets. C’est un paysage sonore que je souhaite le plus riche possible et le plus singulier. C’est-à-dire que ça ne sonne pas non plus comme de la chanson française trop formatée ou du jazz vocal trop formaté, parce que ni l’un ni l’autre ne sont des choses que j’écoute chez moi. C’est très, très beau, très bien réalisé mais ce n’est pas mon endroit. Et c’est vrai que les artistes qui m’ont influencée sont un peu à cette frontière là, on peut citer Abbey Lincoln, Rickie Lee Jones ou Joni Mitchell. En français, des gens comme Mathieu Boogaerts ou Bertrand Belin. Il y a beaucoup de musique et un rapport au son, au silence, à l’improvisation, au groove, qui vient plus du côté du jazz, en effet. »

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DVDM : Et d’ailleurs, quand on écoute l’album, on visualise les chansons un peu comme si on était face à des tableaux ou des peintures.

MR : « Ah oui, et ça me rassure un peu qu’on me dise ça. Parce que c’est aussi comme ça que je construis mes chansons. On parlait de la langue, mais on n’a pas parlé de comment je déroule le sens. Et mes chansons sont rarement très littérales. Il n’y a pas une histoire avec un début, une fin, tout ça. Je travaille avec comme des calques, ou des aquarelles, des passages de couleurs, de formes et d’images. Pour une musicienne, je suis quelqu’un de très visuel. Si on devait analyser, je crois, ma façon de fonctionner, je serais dans le clan des visuels. Je pense tout en termes d’espèces, de formes et de couleurs, de contours, de lignes. Même quand je chante ou que j’entends la musique. On appelle ça, je crois, la synesthésie, et beaucoup d’artistes l’ont. J’ai des amis peintres qui sont très sonores. J’envisage souvent les poèmes et le chant comme une transmission d’imaginaire. Donc, même ma voix, elle essaye de travailler la transmission d’images. Et, si ça marche, je suis contente. C’est important d’arriver à porter justement et à transmettre ce qu’on a envie de transmettre dans la musique, dans le chant. »

DVDM : Il y a un côté assez délicat, gracile, éthéré, dans les ballades, voire à certains moments quelque chose de l’innocence d’une berceuse.

MR : « C’est le travail sur l’oiseau et le travail vocal aussi. Depuis quelques années, j’essaie d’épurer un peu le chant. D’arriver à quelque chose d’un peu plus simple. Et il y a une sorte de personnalité vocale qui émerge, qui était déjà là, mais qui domine maintenant, peut-être plus posée, plus fantaisiste, plus libre. Et les mélodies aussi. C’est vrai que là, j’ai déroulé des mélodies qui sont plus découpées, plus délicates que tout le travail sur mes blues tissés, où j’étais encore dans l’idée du blues. Là, j’ai essayé de faire des choses qui me ressemblent plus. Après, je pense que le moment où j’ai fait mes deux précédents disques de composition, c’est ce qui me ressemblait le plus. C’est une sorte de photo. C’est une sorte d’instantané de là où on en est déjà, de ses moyens expressifs, de sa façon de s’exprimer, et aussi de sa façon de voir le monde. Il n’est pas exclu que pour le prochain, je reprenne une bonne vieille guitare électrique, je ne sais pas. Mais j’ai l’impression d’avoir abouti quelque chose là, avec Oizel, commencé sur Tissé, en tout cas. Je suis contente d’avoir fait des chansons, de m’être appliquée à produire des refrains parfois, parce que je n’avais pas forcément beaucoup de ça dans ma musique. C’est ce qui me ressemble le plus aujourd’hui. »

DVDM : Vous parliez justement de votre rapport à la voix, de l’aspect visuel. Vous développez dans votre musique une approche sensible qui part du corps plutôt que de la tête, comme dans le théâtre expressionniste où chez le comédien, la parole vient après.

MR : « Oui, en tout cas, on est beaucoup dans le sensoriel et dans l’image, et dans le corps, parce que les grooves sont très importants, les appuis rythmiques. Dans la musique qu’on essaye de produire avec Matthis quand on fait mes disques, il y a un rapport au rythme très important, ce qui fait que je pense que, les chansons s’enrichissent beaucoup, parce qu’elles sont moins plates. Et après, il y a des histoires de couleurs, parce que lui, il travaille tout ce qui est paysage sonore : il fait vraiment ça en paysagiste. Il y a des grosses lignes de force avec ce que va faire la basse, la guitare rythmique et tout. Puis après, il y a d’autres dimensions derrière qui peuvent être un élément perturbateur ou quelque chose qui nous accroche l’oreille, un petit solo à un moment ou un petit son, on ne sait pas ce que c’est. Et ça fait tout le charme à chaque fois de la chanson. C’est le travail d’orchestration qui est aussi un travail de paysage, enfin de coloriste, c’est sûr, ce qui rajoute, justement, toute cette imagerie qu’on peut avoir en écoutant l’album. Au début, je produis des formes, des chansons, il y a une sorte de base. Il y a déjà tout un monde qui est là avec le texte, la mélodie, les quelques accords. Et puis après, c’est lui qui a cette tâche d’en faire quelque chose de très ouvert à l’auditeur et c’est beau d’avoir quelqu’un d’aussi compatible avec mes envies esthétiques. C’est vrai que ça a beaucoup enrichi mon travail en deux disques. »

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DVDM : Comment travaillez vous vos chansons ?

MR : « Pour écrire de la musique, des paroles et tout, on pourrait croire que, par exemple, c’est bien de s’isoler de tout ça, d’être vraiment dans une bulle. Pourtant, pour ce disque là, j’ai plutôt l’impression d’avoir écrit au long cours, sur trois, quatre ans. Et j’ai l’impression de l’avoir fait au quotidien, ou presque. C’est-à-dire qu’en allant chercher ma fille à l’école, je peux avoir une mélodie en tête et puis vite l’enregistrer sur mon téléphone, y revenir deux semaines après. C’est un travail qui s’est inclus dans le quotidien et c’est pour ça que c’est un disque qui porte un peu la discrétion, la poésie de tous les jours aussi. C’est ça qui m’intéresse. Des choses très, très simples. Parce que sinon, il aurait fallu, en effet, oui, s’enfermer, chercher des choses un peu extrêmes, enfin, une sorte de retraite, d’épiphanie de moments créatifs très forts. J’avais un rapport comme ça à la création avant et ça m’a vraiment fatiguée. Et c’est justement le travail avec Matthis qui m’a aidée parce que lui, il est un bosseur et c’est quelqu’un qui fait au quotidien. La composition, c’est comme un muscle, il faut l’entrainer tous les jours. J’ai beaucoup gagné à installer la création dans mon quotidien sans la mettre en lutte avec la vie, ma vie de parent, ma vie d’artiste qui doit faire plein de com’, d’administration, de production, qui a une vie sociale. Je n’ai pas vécu ça en opposition avec ma vie normale et une retraite, ça peut te rendre un peu fou et te fragiliser. Alors, je ne suis pas moins fragile, ça ne m’a pas défragilisée parce que c’est toujours un stress d’enregistrer une chanson, de la chanter sur scène. Mais c’est un bon stress. »

DVDM : Vous avez déjà une belle réception de votre album, il fait partie des sélections à la Fnac et sur Fip. Comment réagissez vous à cela aujourd’hui, à l’époque des réseaux sociaux et de l’infobésité ?

MR : « Des gens le plébiscitent, c’est très agréable parce que, vu tout ce qu’il y a maintenant de disponible, c’est assez difficile de s’y retrouver, et ça me pousse à faire vraiment plus, j’essaye de faire quelque chose de plus abouti et audible possible. Je transpire en faisant ça. Mais en tout cas, au niveau du style, je me dis, « il y a tellement de choses qui ont été faites, et il y a tellement de choses qui sont faites aujourd’hui, que ce n’est plus une histoire de prouver quoi que ce soit, ou de révolutionner quoi que ce soit, mais par contre, faire vraiment son chemin avec la musique et avec le texte ». C’est un défi intéressant aujourd’hui. Justement, parce qu’on est saturé de plein de choses. C’est très speed, c’est très conditionné, les algorithmes sur les plateformes décident de ce que vous devriez écouter, alors qu’en fait, quand vous écoutiez les radios il y a 20 ans, ou vous alliez à la médiathèque, ou à la Fnac, quand vous écoutiez des disques chez des potes, il y avait encore ce côté buissonnier d’aller découvrir des musiques. C’est toujours possible avec Internet, mais on est très saturés quand même. On nous vend vite beaucoup d’un seul truc ou un même truc avec des noms différents, mais en fait, c’est un peu la même musique. Ce n’est pas en train de ne nous rendre ni plus intelligents, ni plus sensibles, ni plus malins. On passe d’un truc à un autre. On n’écoute pas vraiment … On scrolle. On a moins de temps, on a beaucoup la gueule dans nos écrans. Donc on ne prend pas le temps de se dire, tiens …. ça peut être intéressant de découvrir cet artiste, ce qui l’a fait avant, ce qu’il compte faire après. Maintenant, c’est de la consommation, ce n’est plus de l’écoute musicale. »

Autres temps, autres mœurs ! Dirons nous. Sur ces mots, laissez vous donc vous évader le temps d’un concert ou d’une écoute dans son univers aux couleurs pastel, et « soyeusement » chill. DVDM

Toutes les infos sur : https://www.theatre-oeuvre.com/evenements/marion-rampal/ [8]

Crédit photos : Alice Lemarin

OIZEL

Chant: MARION RAMPAL ; réalisation, guitares, basse, lap-steel, claviers, marimba: MATTHIS PASCAUD ; batterie ; percussions: RAPHAËL CHASSIN ; contrebasse: SIMON TAILLEU ; piano & claviers: GAËL RAKOTONDRABE ; clarinette basse: CHRISTOPHE PANZANI ; FEATURING : BERTRAND BELIN, LAURA CAHEN/ Label Les Rivières Souterraines ; Sortie Album : 2 février 2024

En tournée :

 31/01/24 : Marseille (13) Théâtre de l’Œuvre 1, rue Mission de France 13001 MARSEILLE (Quartet)

 01/02/24 : Marseille (13) Théâtre de l’Œuvre (Quartet)

 02/02/24 : Bayssan (34) Scène de Bayssan (Quartet)

 03/02/24 : Hyères (83) Théâtre Denis (Quartet)

 13/02/24 : Lyon (69) Opéra Underground (Quartet)

 15/03/24 : Montargis (45) Théâtre Rivoli (Quartet)

 21/03/24 : Nantes (44) Salle Paul Fort (Quartet)

 22/03/24 : Châteauroux (36) Equinoxe (Quartet)

 01/04/24 : Paris (75) Café de la Danse (Quartet)

 09/05/24 : Coutances (50) Répétitions (Quartet + invités)

 10/05/24 : Coutances (50) Jazz sous les Pommiers // NewGaro Marion solo

 10/05/24 : Coutances (50) Jazz sous les Pommiers (Quartet + invités)

 17/05/24 : Annemasse (74) Château Rouge (Quartet)

 18/05/24 : Portes les Valence (26) Le Train Théâtre (Quartet)

 07/07/24 : Vienne (38) Jazz à Vienne // NewGaro Marion guest

 27/07/24 : Marciac (32) Jazz in Marciac // NewGaro Marion guest

 03/10/24 : Vernier (CH) Festival JazzContreBand (Quartet)

Premier Festival LGBT à Marseille : LGBTous! s’installe au Théâtre du Têtard

Publié Par Rmt News Int Sur Dans Article/Critique,Coup de Coeur,Festival,Flash Information(s),Marseille,Musique,News,Région PACA,Save the Date,Théâtre/Opéra | Commentaires désactivés
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Du 1er au 29 février 2024, le Théâtre du Têtard accueillera la première édition du Festival LGBTous!, un événement inédit à Marseille célébrant la diversité et la création artistique Queer. Une première !

Une célébration de la diversité sous toutes ses formes

Le festival, qui se veut convivial et rassembleur pour tous- Et toutes rajouterons-nous !-, est « une véritable Ode à la diversité, au-delà des étiquettes », comme l’explique Thierry Wilson, l’initiateur de cet événement. Pendant un mois, le public aura l’opportunité de découvrir une programmation riche et éclectique mêlant théâtre, cabaret, chanson, stand up et conférences, mettant en avant les cultures et identités lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT).

Le Festival LGBTous! se veut pluridisciplinaire en faisant coexister différentes formes d’expression artistique autour des thématiques LGBTQI+. La marraine de l’événement est l’humoriste Zize Dupanier, une figure emblématique de la scène marseillaise, qui clôturera le festival dédié à Corinne Chiche, à laquelle Thierry a rendu un vibrant hommage lors de la conférence de presse.

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Une marraine de choc : Zize

Thierry se confond en souvenirs dans l’exercice délicat auquel il s’attelait ce jour-là. Il nous racconte comment Zize a fait ses débuts au théâtre du Tétard. Zize, qui restait cachée contre le mur côté jardin de la scène, Zize qui s’invite dans son couple et dans son quotidien, Zize qui malgré des spectacles cartonnant dans les plus grands lieux parisiens dédiés à l’humour n’a jamais été invitée à un festival en dehors du Festi’femmes d’Eliane Zayan, Zize considérée comme un travesti.

« Mais n’est-ce pas le plus difficile que de jouer une femme quand on est un homme ? » Un clin d’œil à Richard Martin qui lors d’une répétition de l’Opéra des 4 sous disait cela à un de ses comédiens. Thierry avait 13 ans et se souvient encore de ces paroles. « Zize, ce n’est pas du travestisme comme on le voit dans les cabarets de chez Michou, c’est un rôle de composition », assène-t-il. Et les artistes masculins qu’il a invités sont pour la plupart des hommes jouant des personnages féminins !

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Un festival inclusif et ouvert

Au-delà des représentations, le Festival souhaite susciter le débat sur les questions LGBT, questionner l’hétéro-normativité ambiante et interroger nos certitudes lors des rencontres conviviales organisées avant et après les spectacles : espaces d’échanges, de débats et de rencontres avec des associations à l’image des Vieilles Canailles dont l’objet est de permettre, en mettant en contact les gens esseulés, « de vieillir en étant entourés et non dans la solitude comme c’est souvent le cas quand on est gay, célibataire et sans enfants » indique Thierry, à la barre du festival.

Un atelier d’écriture et une conférence sont au programme. L’atelier d’écriture sera animé le 18 février à 10h, par Lionel Parrini, auteur de la magnifique pièce de théâtre intitulée « le chien bleu », sur le thème du « coming out » et le 25 février, à 17h, la psychiatre et psychanalyste Catherina Kiss tiendra une conférence théâtralisée intitulée « Les chemins sinueux du désir », une réflexion sur les arts et la psychanalyse. Un vaste programme.

Les débats et ateliers visent à favoriser les échanges citoyens. « LGBTous! ne se veut pas communautaire mais vise à sensibiliser sur les discriminations » précise le président, Pierre Levi. « Le Festival se veut inclusif et festif » insiste Thierry qui souhaite l’ouvrir également aux artistes en situation de handicap. Un événement ambitieux qui promet de belles soirées de spectacle dans une ambiance conviviale.

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La scène queer à l’honneur !

L’objectif est de faire découvrir au plus grand nombre, quelles que soient leurs orientations ou identités, « la bonne humeur, l’autodérision, le kitsch pailleté et l’humour des cultures LGBT » selon les mots de Zize. Des artistes confirmés comme Carolina ou Yvette Leglaire viendront présenter leurs spectacles, aux côtés de jeunes talents comme Eva Jean ou Clémence de Villeneuve.

Le spectacle d’ouverture est assuré par Carolina le 1er février : dans son cabaret au carrefour du music-hall et du théâtre, la sémillante Carolina dévoilera ses secrets inavouables. La légendaire Yvette Leglaire viendra les 9 et 10 février donner de la voix avec « Place aux femmes ». Eva Jean se produira le 15 février avec « JE SUIS TON PÈRE avec le look de ta mère ». Odile Dabzol présentera son one-woman show « Docteur, j’ai peur de ne plus avoir peur ! » le 16 février. Clémence de Villeneuve, « artiste à l’humour noir qui propose une galerie de personnages déjantés » développeThierry, sera « Bienveillante » le 23 février. Jérem Rassch viendra proposer la suite de son spectacle « Pourquoi pas », le 24 février. Enfin, la soirée de clôture du 29 février sera assurée par Zize avec un Best Ouf de son cru.

Si cette première édition rencontre son public, ce dont on ne doute pas, les organisateurs espèrent pérenniser l’événement les années suivantes, faisant du Festival LGBTous! un rendez-vous incontournable de la scène culturelle phocéenne. Diane Vandermolina

Infos pratiques :

Tarif : 15€ sur Billetreduc.com – 18€ sur place sauf pour Zize, tarif unique : 25€ / Formule Dîner-Spectacle : 33€. Horaire : 20h. Renseignements : Théâtre du Têtard 33 rue Ferrari – 13005 Marseille/04 91 47 39 93.

Crédit photo : Fox’Eye Brigitte Arakel

Frantisek Tuma, Motets, par Andreas Scholl contreténor, Czech ensemble baroque, direction Roman Válek

Publié Par Rmt News Int Sur Dans Article/Critique,CD/DVD,Coup de Coeur,Flash Information(s),Musique,News | Commentaires désactivés
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Voici le type de disque que nous aimons : un grand artiste très connu mettant sa notoriété à défendre un compositeur inconnu ou méconnu, en l’occurrence le contre-ténor Andreas Scholl mettant la lumière de sa célébrité pour tirer de l’ombre František Tuma (1704-1774), compositeur baroque de Bohème enseveli dans les oubliettes du temps. Du moins dans nos contrées culturelles souvent enclose dans nos frontières culturelles nationalistes, en fait étroitement régionalistes au niveau de notre Europe.

Aujourd’hui âgé de cinquante-six ans, le chanteur allemand Andreas Scholl, né dans une famille de chanteurs, formé par les meilleurs maîtres de la tessiture et technique de contre-ténor, tels Richard Levitt et René Jacobs à la Schola Cantorum Basiliensis, haut lieu de l’enseignement de la musique baroque, Scholl, succédant à ses maîtres, enseigne le chant au Mozarteum de Salzbourg depuis 2019. Couvert de prix, invité dans les plus grandes scènes et festivals lyriques du monde, après avoir enregistré un nombre impressionnant de disques, il met sa gloire et son talent à nous faire découvrir ce musicien qu’il sert de toute sa science musicale, vocale et expressive.

František Ignác Antonín Tůma (1704-1774) naquit à dans un petit village tchèque dans une famille de musiciens : son père était kantor-organiste, comme Bach à Leipzig, seul moyen de survie d’un musicien et de sa famille, avoir un poste fixe de directeur musical et de professeur, salarié dans une église en y tenant l’orgue des offices et assumant aussi le rôle de maître de chœur. Après avoir étudié le chant à Prague, y tenant des parties de ténor pour gagner sa vie, de viole de gambe et de théorbe, František part pour Vienne, capitale musicale et culturelle de l’empire austro-hongrois y cherchant emploi et carrière, un mécène, un patron qui assurerait son présent sinon avenir.

Il les trouvera dans le comte Franz Ferdinand Kinsky, de la chancellerie de la cour de Bohème, qui en fait son chef d’orchestre et compositeur de 1731 à 1741. Il en profite pour approfondir ses études avec le directeur musical de la cour impériale Johann Joseph Fux, grand musicien, maître de la tradition contrapuntique  ancienne de la musique allemande, dans une Vienne qui est aussi réceptacle et creuset de la musique italienne, y accueillant nombre de musiciens célèbres comme Caldara, dont l’empreinte sur la technique vocale est sensible.

Intercalé dans la musique essentiellement vocale du CD, pour nous donner une idée de la production instrumentale de Tuma, écoutons le troisième et dernier mouvement, allegro, de sa Sinfonia a quattro en sol majeur pour deux violons, alto et basse, qui situe bien le compositeur dans le courant galant à la mode du dernier baroque de la musique de cette seconde moitié du XVIIIe siècle avant l’avènement du classicisme. À la tête de son ensemble Czech, Roman Válek donne fougue et brillant à cette page allègre :

1) PLAGE 10

Après la mort du comte Kinsky en 1741, Tůma, par concours, devint directeur musical de la cour d’Élisabeth Christine de Braunschweig-Wolfenbüttel, veuve de l’empereur Charles VI. Dans la branche espagnole des Habsbourg, éteinte en 1700, les reines veuves, entraient pratiquement en religion dans quelque couvent, dont elles revêtaient l’habit jusqu’à leur mort. La branche autrichienne de la famille, moins sévère, leur réservait un sort plus doux. L’impératrice douairière et reine de Bohême se retire dans son palais d’Hetzendorf mais garde sa chapelle musicale privée et des moyens financiers assez confortables, avec l’unique restriction de ne plus engager de castrats italiens, comme à la cour de Vienne qui y avait aussi renoncé, pour des raisons économiques, car ces vedettes étaient bien trop chères sur le marché musical.

Même avec un orchestre plus réduit mais des musiciens instrumentistes virtuoses, Frantisek Tuma, forme des chanteurs, de jeunes garçons souvent, et des falsettistes, hommes chantant en fausset les voix aiguës des sopranos ou graves des altos, ce qui légitime ce disque du répertoire sacré, des motets en latin des offices liturgiques, parfaitement adéquats à la voix de contre-ténor, d’Andreas Scholl, alto solide, dont la male couleur sombre échappe au timbre parfois trop enfantin de ses congénères altistes, tout en restant vélocement virtuose. On peut en juger avec ce motet de tempore, comme une aria da capo à l’italienne :

2) PLAGE 7

Ou encore ici avec l’aria du motet Per ogni tempo dans lequel Scholl tire une ligne legato qui semble infinie qu’il brode d’ornements d’une légèreté de dentelle :

3) PLAGE 12

À la mort de d’Élisabeth Christine en 1750, la chapelle est fatalement dissoute et les musiciens naturellement forcés à se chercher emploi et nouveau maître. Cependant, l’impératrice douairière devait être assez satisfaite de son maître de chapelle, puisqu’elle lui laisse une pension à vie, suffisante pour nourrir sa nombreuse famille et la nouvelle impératrice, la fameuse Marie-Thérèse, augmentant sa rente, lui octroie même un appartement à la cour où, sans être un musicien officiel astreint à un service, il vit en musicien indépendant, théorbiste, gambiste et professeur, un luxe rare à l’époque.

Cependant, fait étrange mais qui témoigne sans doute de sa foi, bien que père de famille nombreuse, Tůma prononce ses vœux religieux au monastère des Prémontrés de Geras en 1768, où il se retire, y retrouvant nombre de ses anciens élèves.

Nous rendons grâce à ce disque qui rend hommage à ce musicien dont la musique vocale d’église, même dans la tradition italienne, dans les feux crépusculaires du baroque, ne manquera pas d’influer sur les proches Haydn et Mozart. Nous le quittons avec ce vertigineux et extatique Amen du même motet Per ogni tempo :

4) PLAGE 14 

ÉMISSION N°717 DE BENITO PELEGRÍN

Frantisek Tuma, Motets, par Andreas Scholl contreténor, Czech ensemble baroque, direction Roman Válek, Un CD Aparté

KANOM NOUEL, Chantons Noël par le chœur d’enfants de Bretagne/Éditions Hortus

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https://open.spotify.com/intl-fr/artist/2MRVdFsK0btt2r3qNIQ3Lo [12]

            La Nativité célèbre un enfant né dans une pauvre crèche, dépourvu de tout, sauf de l’amour de ses parents et de la compagnie d’un âne et d’un bœuf, qui l’enveloppent de leur chaleur. Les Rois Mages viendront plus tard lui offrir des présents.  Nous avons fait de ce Noël une fête des enfants auxquels nous offrons des cadeaux. Mais voici un beau cadeau que nous font des enfants à l’occasion de Noël.

            Sous la direction de Jean-Michel Noël, au nom prédestiné, qui dirigeait la Maîtrise de Bretagne, avec la participation du ténor Kaëlig Boché, de François Gouthe à la bombarde, de Soizig Chouinard à la harpe, de Maïna Guillamet aux percussions et de Pascal Tufféry aux orgues, ce CD de Noël se veut une douce veillée du temps décompté de l’Avent ou de son apothéose de Noël.

            On connaît la forte personnalité de la Bretagne, longtemps indépendante, comme la Provence, avant d’être rattachée, comme elle, au royaume de France, 1481 pour cette dernière, 1532 pour la Bretagne. Mais si la Provence, Province romaine bien avant la conquête des Gaules par Jules César, était par son voisinage latinisé bien ancrée dans l’empire romain, la Bretagne, cette fin de terre européenne, ce Finistère avancé dans la mer, en contact marin avec la Grande-Bretagne, a conservé un puissant substrat celte, dont la langue, éloignée de notre latinité. En effet, le breton appartient au groupe des langues celtiques dites brittoniques, apparenté au cornique (de Cornouaille) et au gallois, du Pays de Galles), langues toujours pratiquées au Royaume-Uni.

            En musique, la tradition bretonne est donc le carrefour de nombreuses influences des différents peuples venus s’installer en Bretagne. Les fêtes religieuses, chrétiennes, ou bien encore païennes, et leur musique, leurs danses, facteur d’unification, scandaient la vie des diverses populations. Comme ailleurs, elles accompagnaient les métiers, des champs, évoquaient des paysages, ici, évidemment, ce sont des bocages, des landes et, bien sûr, la mer toujours présente dans ce peuple de marins, avec ces navires et ces hommes partant vers des courses lointaines, des pêches, sans être jamais sûrs de revenir… De génération en génération s’est transmis et conservé un patrimoine toujours bien vivant.

Ce disque en propose un parcours atypique par ces jeunes voix qui interprètent en français, breton, latin et occitan, une veillée de Noël, imaginaire et contrastée, qui fait découvrir de nouvelles richesses d’un répertoire de la Nativité que l’on croit déjà tant connaître tant il est forcément ressassé annuellement. Savourons la saveur médiévale de ce Kanom Nouel, ‘Chantons Noël’, traditionnel breton, arrangement de Jean-Michel Noël, le bien nommé, qui ouvre et donne son nom au CD. On s’attendrait à de vénérables et vieilles voix de moines, mais ce sont des timbres frais d’enfants qui colorent doucement le chant :

1) PLAGE 1 

Les auteurs du disque apportent une belle pierre à l’édifice de ce patrimoine breton. Ils ne font pas que le perpétuer en l’interprétant : ils font aussi œuvre de préservation et d’enrichissement de ce legs du passé en collectant d’autres reliques de ces musiques, et ils font aussi travail de créateurs, donnant à ces chants tout nus, sans accompagnement parvenu jusqu’à nous, le halo musical d’une harmonisation. Ainsi, dans un beau parcours de la Bretagne, ils nous font entendre des chants du pays de Vannes, de Rennes, de Redon ou de Dol, accompagnés de noëls traditionnels et réarrangés par Joseph Roucairol, Christian Couchevellou, Jean Langlais et Jean-Michel Noël.

Quant aux jeunes interprètes, ils sont issus du Chœur d’Enfants de Bretagne. La Manécanterie du Chœur d’Enfants de Bretagne fut créée en 1985 par l’abbé Jean Ruault. Une manécanterie était un chœur d’enfants d’abord composé de garçons, rattaché à une cathédrale, aujourd’hui élargi aux filles, et à des chants plus seulement sacrés. Mais au-delà de la participation à une entreprise musicale, le Chœur d’Enfants de Bretagne s’est donné pour mission de réaliser les fonctions ancestrales des manécanteries européennes : chanter et célébrer la beauté, offrir à tout enfant l’opportunité et les moyens de s’élever socialement, humainement et spirituellement. Chanter dans un chœur, c’est dépasser l’individualisme pour s’intégrer dans une œuvre, un projet collectif, et il faut évidemment, par définition, écouter l’autre, les autres, pour faire naître l’harmonie.

Écoutons ces petits Bretons chanter maintenant un air traditionnel occitan :

2) PLAGE 17 : Per noun langui long du camin 

‘Pour faire un bon et long chemin, chantons sur la musette, le fifre et tambourin, disons la chansonnette, chantons Noël…’

            À côté des chants bretons, on trouve dans ce CD des airs en occitan, français et latin, comme ici du grand compositeur allemand Michael Praetorius (1571-1631), Quem pastores laudavere : « Il est né le Roi de Gloire, celui que les bergers devaient louer, à qui les Anges dirent : « N’ayez plus peur. »

3) PLAGE 14 

 C’est des pans entiers d’un patrimoine méconnu que l’on redécouvre aujourd’hui de compositeurs et compositrices de musique savante ou classique de la Bretagne ; ou bien, comme dans ce disque qui les fixe, par la voix des enfants, des chants de simple tradition et transmission orale, dont certains risquaient de disparaître. Il représente donc un modeste mais précieux relais entre ce patrimoine ancestral conservé en faisant vivre la substance et les harmonies de ces chants locaux sans pour autant fermer les frontières culturelles et linguistiques et dédaigner des chants venus de plus loin, accueillis, adoptés, adaptés, devenus de la sorte également un patrimoine commun. Et c’est par un air de Noël connu partout en France que nous quittons ce disque délicieux :

4) PLAGE 4 : Les anges dans nos campagnes 

ÉMISSION N° 714 DE BENITO PELEGRÍN  

Martha Argerich : Une soirée inoubliable au Palais du Pharo

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Le concert symphonique organisé par l’association Marseille-Concerts au Palais du Pharo restera gravé dans les mémoires des mélomanes et musiciens présents ce soir-là.

En hommage au pianiste Nicholas Angelich, associant sa mémoire à celle de Robert Fouchet, grâce à la présidente Karine Fouchet et au directeur artistique Olivier Bellamy, le public marseillais a eu la chance d’assister à la performance exceptionnelle de Martha Argerich, véritable légende de la scène pianistique internationale.

2e concerto de Beethoven… Martha Argerich le transcende, de bout en bout, insufflant toute la jeunesse du compositeur et faisant vibrer le piano d’une manière éblouissante. Son énergie rayonnante galvanise l’orchestre philharmonique de Marseille, poussant ses musiciens à donner le meilleur d’eux-mêmes et à créer une cohésion dynamique remarquable, menés par Lionel Bringuier, chef d’orchestre à l’autorité souriante qu’il communique à ses interprètes.

L’émotion est à son comble. Elle bouleverse chacun d’entre nous. Le temps s’arrête dans le mouvement lent. Ou s’étire. On ne sait plus… C’est une chance. Et nous en sommes tous conscients. Ce que nous vivons à cet instant ? Nous l’avons rêvé, longtemps.

Farouchement libre, indépendante, hors système, le génie de Martha Argerich, c’est aussi son jeu unique et la profondeur émotionnelle insondable, inestimable cadeau, en communion avec un public fasciné. Dernier accord. Clameur et Ovation debout de la part du public de l’auditorium du Pharo, emporté hors du temps. Le temps s’étire encore.

La Gavotte de la 3e Suite anglaise de Bach, interprétée avec maestria par Martha Argerich, puis l’intégralité des cinq mouvements de « Ma mère l’Oye » de Maurice Ravel, joués en bis avec la pianiste japonaise Akane Sakai, directrice du festival Martha Argerich de Hambourg, qui avait interprété en première partie de concert le concerto « Jeunehomme » de Mozart.

Le temps s’arrête, encore un peu. Martha salue et sourit humblement. Elle sourit, comme à son piano. Martha ne joue pas du piano. Elle plaisante, parle, communie avec lui, avec nous. Monstre technique, monstre sacré, son modèle n’écrase pas, il émancipe.

Elle est une leçon humaine. Son inépuisable énergie et son tempérament indomptable en font un mythe inimitable. Ce dimanche, nous étions au plus près d’une étoile. Si rien ne semble lui résister, pour elle aussi le temps semble s’être arrêté.

Isabelle Verna Puget

Hélène de Montgeroult, portrait d’une compositrice visionnaire

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Marcia Hadjimarkos, piano/ Beth Taylor, mezzo-soprano et Nicolas Mazzoleni, violon, Éditions Seulétoile.

Spotify : https://open.spotify.com/intl-fr/album/6Yza37dpNs3kQQeaZjXL7O [13]

          Hélène de Montgeroult (1764-1836), à cheval sur deux siècles aura traversé cinq régimes, royauté, Première République, Directoire, Consulat, Premier Empire, Restauration ; elle a vécu (survécu à) deux Révolutions, celle de 1789 et celle de 1830 en ses soixante et douze ans de vie. Cette compositrice, essentiellement pour piano, reconnue en France comme la meilleure pianiste de son temps, est l’auteure d’un monumental Cours complet pour l’Enseignement du Forté Piano, commencé vers 1788, publié en1816 puis 1820, 700 pages en trois volumes qui en font la méthode française la plus importante du XIXe siècle, assortie de 972 exercices et 114 études progressives, « conduisant progressivement des premiers éléments aux plus grandes difficultés » comme précise le titre, qui sont souvent de véritables œuvres abouties. Le terrible père de Clara Wieck, future Clara Schumann, aurait fait travailler sa fille sur une version allemande de la méthode de la Française.

Eh bien, comme d’autres musiciennes célèbres à leur époque, elle avait disparu, sinon de l’Histoire abstraite de la musique, de la mémoire auditive concrète. Devenue invisible, la voilà promue « visionnaire » dans ce disque. Sans trancher le débat de savoir si elle a mérité cet excès d’honneur contemporain, ou cette indignité de naguère, constatons la visibilité retrouvée de cette femme, de son œuvre, depuis une vingtaine d’années.

En effet, en 2006 l’un des pionniers de sa redécouverte, Bruno Robilliard gravait un CD Hélène de Montgeroult, La Marquise et la Marseillaise, Études, fantaisie, sonate & fugue chez Hortus, assorti de la biographie éponyme, parue à Lyon, éditions Symétrie, par Jérôme Dorival, musicologue qui promeut son œuvre en l’éditant. En 2017, Edna Stern gravait un CD de certaines de ses œuvres. Nous avons ensuite deux intégrales des Sonates pour piano de Montgeroult : l’une de Nicolas Horvath parue en novembre 2021 chez Grand Piano, dont j’avais parlé ici même, et l’autre de Simone Pierini chez Brillant Classic. Naturellement, désormais, cette ancienne oubliée n’est pas oubliée aujourd’hui des affiches de concert et, suprême honneur bien posthume, le premier Concours international de piano pour enfants et jeunes jusqu’à vingt ans, a eu lieu les 18-19 novembre 2023 à Romon, en Suisse, soutenu par l’association des Amis d’Hélène de Montgeroult.

Ce dernier CD nous présente treize œuvres de la compositrice dont plusieurs inédites, en première mondiale, notamment les Six Nocturnes pour voix et pianoforte. La pianiste Marcia Hadjimarkos, grande spécialiste des instruments à clavier historiques, nous offre un passionnant livret sur les pianos, disons pianofortes, appelés alors forté-piano, du temps de Mongeroult ; elle souligne que les enregistrements antérieurs au sien, n’ont jamais été interprétés sur un pianoforte français de l’époque. Elle comble cette lacune en gravant un album sur un instrument parisien fabriqué par Antoine Neuhaus en 1817 et récemment restauré par Matthieu Vion. Cet instrument permet de retrouver la vaste palette de sons, de couleurs et de textures, la touche d’époque de la compositrice. Écoutons la belle sonorité expressive de son Étude 38 pour les deux mains. Pour bien accorder le chant avec l’accompagnement :

1) PLAGE 1 

Dans son éducation musicale, Hélène avait reçu les leçons de l’Autrichien Dussek et du Vénitien Clementi, alors à Paris, du violoniste Viotti dont elle sera partenaire. À vingt ans on la marie au marquis de Montgeroult bien plus âgé, mais libéral, éclairé, qui n’entrave pas sa vocation de musicienne. Mais la bienséance interdisait aux femmes de la noblesse de se produire en public dans des salles de concert, donc, la marquise de Montgeroult joue avec succès dans les salons privés, le sien, où elle reçoit le lundi faisant connaître Bach, Mozart et Haydn. L’époux n’entrave pas son travail de compositrice, de pianiste et pédagogue, mais au foyer.

          Écoutons un extrait de son Étude 63 pour la main droite et notes pointées d’une fougue haletante qu’on dirait entre Sturm und Drang, ‘tempête et passion’, ce mouvement littéraire allemand de la seconde moitié du XVIIIe siècle qui anticipe le Romantisme :

2) PLAGE 6 

Tout aristocrates qu’ils soient, les Montgeroult sont acquis à une Révolution modérée. Le mari se voit même confier une mission officielle en 1793, pour Naples. Les Autrichiens en guerre arrêtent le couple ; le marquis mourra emprisonné. Hélène, veuve, rentre à Paris, mais c’est la Terreur. En leur absence, ils ont été dénoncés comme émigrés et leurs biens risquent d’être saisis. C’est l’épisode, légendaire peut-être où Hélène joue si brillamment la Marseillaise, fleurie de variations, qu’on exige d’elle comme acte de foi révolutionnaire, qu’elle échappe à l’échafaud, à l’exil ou au confinement en province. Un décret la lave de toute accusation :

La « Citoyenne Gaultier-Montgeroult, artiste, dont le mari a été lâchement assassiné par les Autrichiens [peut demeurer à Paris] pour employer son talent aux fêtes patriotiques ».

Guère plus favorable que l’Ancien Régime aux femmes, mineures pour la gestion de leur fortune, mais majeures pour leurs éventuelles fautes, la Révolution ne leur donne que l’égalité du divorce et de la guillotine. Mais elle permet tout de même à des femmes de postuler à des postes comme ce Conservatoire nouveau qui, en 1795 la nomme professeur de la classe hommes !

Cette année même, veuve, femme libre, elle a un fils hors mariage, que le père ne reconnaîtra que deux ans après. Mieux : beau retournement des habitudes matrimoniales de l’époque, la marquise, en 1820 a l’audace, à 56 ans, d’épouser un jeune comte de 19 ans son cadet, qui mourra accidentellement bien avant elle. La ci-devant marquise Hélène de Montgeroult abandonnera ce poste au Conservatoire deux ans et demi après, pour se consacrer à l’enseignement chez elle, plus rémunérateur, sans être soumise aux contraintes d’une bienséance salonarde qui n’était plus de mise.

Nous la quittons sur cet extrait d’un de ses Six Nocturnes, très opératique, très dramatique avec la superbe voix de Beth Taylor :

3) PLAGE 12 : FIN

ÉMISSION N°708 de Benito Pelegrín du 08/11/2023

Thésée de Jean-Baptiste Lully, un coffret cd Aparté

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Comme toujours dans les opéras dédiés à Louis XIV, le Prologue est un éloge obligé, exagéré, outré, à sa gloire. Ainsi, première image, du groupe de personnages allégoriques et mythologiques, je cite, du «Chœur d’Amours, de Grâces, de Plaisirs et de Jeux », le Plaisir 3 se détache pour chanter le troisième vers :

« Le maître de ces lieux n’aime que les victoires »…

Effectivement, en ce début d’année 1675, Louis XIV a eu la prudence de retarder la création du nouvel opéra de Lully, qu’il avait commandé, pour la faire coïncider avec la nouvelle officielle de la victoire de Turenne à Turckheim, près de Colmar, contre l’Électeur de Brandebourg dans la guerre qui oppose la France à la Hollande, depuis trois ans. La victoire totale ne sera avérée que trois ans plus tard avec le Traité de Nimègue favorable à la France en 1678, qui en fait alors la première puissance européenne : Louis XIV s’empare de forteresses, de lambeaux des Flandres et de la Franche-Comté, territoires espagnols qu’il revendiquait comme héritage de son beau-père le roi d’Espagne. Il aura dramatiquement bombardé Bruxelles, Turenne aura ravagé le Palatinat en 1674 dans une volonté avouée de terroriser les princes allemands. Mais il perdra la vie, ainsi que d’Artagnan, le vrai. L’opéra, célébrant la victoire de Turckheim est donné 15 janvier au château de Saint-Germain-en-Laye. Une lettre de Madame de Sévigné en souligne la beauté, mais dans d’autres de ses courriers, c’est du deuil des mères dont les fils meurent dans cette guerre, impôt du sang de la noblesse, dont elle témoigne.

Durant tout son règne, Louis XIV aura commandé des tableaux, fait frapper des médailles pour exalter ses victoires (dont se moquaient les Hollandais par d’autres, caricaturales) qui, au bout du compte, sont moins nombreuses que ses défaites. Sur son lit de mort, c’est le regret qu’il exhale, dans une France ruinée par la dernière, à son arrière-petit fils orphelin, le futur Louis XV :

« J’ai trop aimé la guerre ».

Dans le Prologue, un tumulte guerrier de belliqueuses trompettes et de tambours martiaux noient de paisibles et doux instruments champêtres, hautbois et musettes :

1) PLAGE 4 

Sur un char vainqueur paraissent les dieux de la guerre Bellone et Mars qui proclame, par la voix de basse tonnante Guilhem Worms :

« Que rien ne trouble ici Vénus et les Amours » :

2) PLAGE 5 

Et voici, à la suite, ces joyeux instruments de plaisir dans un gracieux menuet suivi de la voix allégée de vocalises de Mars qui enchaîne en donnant son congé à Bellone la guerrière qui n’a pas son mot à dire, invitant le dieu Bacchus, de l’ivresse à se joindre à la fête :

3) PLAGE 6 et 7 

Certes, nous pouvons nous étonner que Mars, le forcément martial dieu masculin de la guerre, semble rejeter sur son égale féminine, la déesse Bellone (à laquelle nous devons les termes de belliciste, belliqueux), la responsabilité de cette guerre qu’il rejette ici. Nous ne réglerons pas entre eux cette guerre, que nous n’aimons pas, d’où qu’elle vienne. Car la guerre, malgré la victoire d’un camp, que l’on peut préférer, ne fait que des vaincus, que des victimes. Nous ne nous attarderons pas non plus sur les victoires, vraies ou fausses, de Louis XIV. Mais, si nous retenons la phrase d’entrée du Plaisir,

« Le maître de ces lieux n’aime que les victoires »,

 Nous concéderons au moins au Roi-Soleil autoproclamé, cette victoire en musique, la victoire indubitable de cet opéra, qui va avoir un succès continu remarquable.

Après Cadmus et Hermione puis Alceste, Thésée, était la troisième tragédie que Lully avait mise en musique sur un livret de Philippe Quinault (1635-1688). Dans les limites des conventions littéraires et poétiques de son temps, son texte est d’une grande qualité reconnue par la critique contemporaine et pas seulement Madame de Sévigné. Signe de son succès, pratique courante à l’époque, d’autres compositeurs la reprendront en France (Mondonville, Gossec) et même, à l’étranger, en italien, le grand Händel en 1713.

Présenté devant des ambassadeurs de toute l’Europe, c’est la signature du prestige du roi, spectacle grandiose à machines, effets spéciaux, du fameux ingénieur Vigarini, dont la technique est aussi à la pointe de son temps. Sans doute avait-il appris de son prédécesseur Torelli, avec lequel il avait collaboré, construisant, entre Louvre et Tuileries, une salle de sept milles places pour y monter l’Ercole amante de Cavalli, commande de Mazarin, mort entre temps, pour célébrer, après le Traité des Pyrénées en 1659, le mariage en 1660 du jeune Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse, qui devait sceller la paix entre la France et l’Espagne. En 1662, le « sorcier » Torelli avait fabriqué d’ingénieuses et gigantesques machines qui avaient fait l’effroi et l’admiration des Parisiens…mais dont le bruit brouillait souvent la musique. Apparemment, rien de tel, treize ans après, avec celles de Vigarini qui avait dû en corriger les indiscrètes nuisances sonores. La jauge de la salle de Saint-Germain, nous dit-on, était de six cents places, ce qui balaie la légende de spectacles baroques précieusement confinés dans de petits lieux pour délicieuses petites voix confites.  

Sur place, ce triomphe de Thésée entraîne de nombreuses reprises, avec salle ouverte au peuple comme à l’aristocratie. Repris à la cour pour de grandes occasions, Thésée sera au répertoire de l’Opéra de Paris tout au long du XVIIIe siècle. Signe même de triomphe populaire, la reprise de 1745 inspira deux parodies. Suivra ensuite un silence de deux cents ans, jusqu’en 1998, lorsque William Christie le remontera pour le Festival d’Ambronay.

Si le texte, les effets spéciaux des machines contribuèrent au succès, la musique de Lully avait toujours les faveurs du public puisque l’adaptation musicale qu’en fit Mondonville en 1767 fut un cinglant échec au point qu’on dut rétablir la musique originale.

Après cette évocation du Prologue allégorique, nous reparlerons du sujet et des machines la prochaine fois.

Nous quittons ce somptueux album sur l’air de Vénus, tout enrubanné de vocalises, bel exemple de la déclamation, à la française imposée par Lully l’Italien : texte dans un parlé/chanté tout à fait compréhensible, c’est le récit, le récitatif, (le recitativo italien) avec une petite ritournelle chantante, ourlées de virtuoses vocalises variées dans les reprises, par la toute gracieuse soprano Thaïs Raï-Westphal :  

4) PLAGE 3  

ÉMISSION (1) N° 710 DE BENITO PELEGRÍN 

Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Thésée, tragédie en un prologue et cinq actes.

Christophe Rousset | direction/Les Talens Lyriques/Chœur de chambre de Namur | direction Thibaut Lenaerts/Un coffret de 3CD, Aparté, Notice en anglais et en français. Livret complet avec traduction anglaise.