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CHANSON GITANE

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Opérette en deux actes

Musique de Maurice Yvain

Livret d’André MOUËZY-ÉON et Louis POTERAT

Création 1946, à Paris, à La Gaîté-Lyrique

Odéon, Marseille, samedi 27 avril

          Étui à lunettes, stylo et notes perdues à l’Odéon à force d’applaudir, je me sers de mon émission de présentation, de mes souvenirs et des photos pour rendre compte de ce beau spectacle encore signé par Carole Clin.

            Les Roms, les Gitans, ont autant mauvaise presse auprès des bourgeois que ces derniers se pressent dès lors qu’un spectacle affiche une couleur romanichel, gitane. Après les Saintes-Marie-de-la-Mer le jeudi 18 avril, Marseille accueillait le vendredi 19 avril, chez Musicatreize, la Santa Misa Romani, ‘La Messe gitane’

de Yardani Torres Maiani. Et l’Odéon exhumait pour deux jours, cette rare opérette Chanson gitane, comme si ce peuple, ces peuples divers plutôt, étaient réduits au spectacle. Et il est vrai que leur culture s’exprime admirablement par le chant et la danse, la musique en somme. La figure de Carmen, attirante et inquiétante, exprime au mieux cette ambivalence, séduction et méfiance, dans la perception que l’on a en général des gitans, des roms.

Rom, signifie, en langue romani « homme accompli et marié au sein de la communauté. »

Les roms est devenu le terme générique depuis le congrès de de Londres de 1971 pour désigner globalement les Tziganes / Tsiganes, les Bohémiens, Manouches, ou Romanichels (d’Europe centrale, chacun de ces noms a sa propre histoire). On parle aussi de Sintis ; en Espagne, on a le mot dérivé d’Égyptiens, Gitans puisqu’ils prétendaient venir de la race de Pharaon, d’Égypte (l’Esmeralda, ‘Émeraude’, au nom espagnol de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo —alors que les Gitans arrivèrent en Espagne de France— est nommée avec justesse l’Égyptienne). Même étymologie en Grande-Bretagne, les Gypsies.

Leur nomadisme s’oppose, tout naturellement, à la sédentarité, à la fixité des villes. Mais, depuis ce fameux congrès de Londres de 1971, avec globalement le nom générique de Roms, sédentaires ou encore nomades, on les a également nommés « gens du voyage [2] » et on les a dotés d’un beau drapeau sur fond vert (pour dire la campagne illimitée sans doute) et bleu (le ciel ouvert), avec l’emblème de la roue rouge de la caravane du nomade qui roule sans cesse.

Fixité et nomadisme

Le voyage, l’âme nomade éprise de liberté, opposée à la fixité citadine ou aux racines terriennes, nous avons-là le noyau théâtral, dramatique, d’une opposition de caractères, qui sera tragique dans Carmen, qui chante un hymne à la liberté, à « la vie errante », entraînant dans son sillage amoureux un Don José ligoté par les valeurs paralysantes de l’Armée, de l’Église, et de sa mère.

Même dans le monde guère tragique de l’opérette, ce conflit de tempéraments, de caractères diamétralement opposés, ne peut manquer pour nouer une intrigue d’amour faite de déchirantes contradictions.

Nous sommes en Anjou, en 1826, en pleine Restauration, sous l’ultra réactionnaire Charles X qui, monté sur le trône en 1824, voulant restaurer l’Ancien Régime, devra abdiquer en faveur de son peit-fils e dix ans, duc de Bordeaux, et fuir après la Révolution des Trois glorieuses de 1830 (27, 28 et 29 juillet) un mois après qu’il a fait la conquête d’Alger. Une allusion dans le texte anticipe l’événement colonial, tandis que les justes proclamations de Jasmin, le fils niais du garde-chasse rappellent le passé révolutionnaire les « principes éternels de 89 » dont on n’a pas perdu la mémoire.

Duchesse de Berry

Un vrai personnage historique et de roman, Marie Caroline Ferdinande Louise de Bourbon, princesse des Deux-Siciles(1798-1870), princesse napolitaine élevée librement, pratiquant le chant napolitain en patois, débarquée à Marseille en 1816, deviendra par mariage duchesse du Berry, vite veuve d’un mari assassiné par un révolutionnaire voulant en finir avec les Bourbon pas assez guillotinés, mère du duc de Bordeaux désigné successeur par le roi Charles X à son abdication. Originale, peu conformiste, peu férue d’étiquette de cour, lançant les modes, dont celle des bains de mer, célèbre aussi pour son goût des voyages en mer, elle déjà un bateau à vapeur. Elle fait du Pavillon de Marsan un lieu raffiné de modes et de fêtes. Musicienne, mécène de Rossini et Boieldieu qui lui dédie La Dame blanche. Même exagérée pour les besoins joyeux de l’opérette, sa sympathie pour la Bohémienne n’est pas invraisemblable. À la chute de Charles X, qu’elle suit un temps dans son exil anglais, elle conspire avec des ennemis du duc d’Orléans qui est monté sur le trône sous le nom de Louis-Philippe, prépare une constitution libérale pour la France, intrigue, tente vainement de soulever Marseille (comptant sur un millier d’insurgés elle se retrouve avec soixante) puis la Vendée pour placer son fils sur le trône sous le nom d’Henri V sous sa tutelle de régente. Fuyant, traquée, cachée même dans une cheminée, détenue, emprisonnée quelques mois dans une citadelle, elle sera expulsée de France vers sa Palerme sicilienne, mais désavouée par ses familles française et italienne et même, plus tard, ruinée par son second mari, par son propre fils ingrat qui la contraint à vendre son palais vénitien en échange de son aide. Elle mourra aveugle en Autriche.

Fixité campagnarde

Après les convulsions de la Révolution et de l’épopée de Napoléon, mort exilé sur son île en 1821, nombre d’aristocrates échappés à la guillotine jugent plus prudent de ne plus trop habiter les villes tumultueuses et dangereuses et, s’ils n’en ont pas, se font construire des gentilhommières dans de sûres campagnes. Au lever de rideau, une romantique toile de fond mollement verdoyante présente en horizon un château haut perché, plus de Bavière que de « la douceur angevine » moins montueuse chantée par du Bellay. Le comte Hubert des Gemmeries mène en son manoir une vie calme, disons une plate existence de hoberau provincial, de gentilhomme campagnard, réticent au mariage malgré les exhortations de sa mère soucieuse de perpétuer la lignée. Guère tenté par l’aventure, pour tout exploit, il ne rêve que de chasser les pauvres lièvres « fourbus » et les braconniers plus nécessiteux que lui de nourriture. En belle compagnie, en bel habit de chasse, sur une marche martiale à grand renfort de cors, il chante vaillamment, plus que le printemps, le plaisir de la chasse, priant, « pardonnez aux chasseurs » (prière que je n’exaucerai pas). Il confie préférer le grand air aux murs clos des salons, avoue qu’il n’est guère « mondain », se présentant comme un « ours mal léché ». Belle prestance, en élégante tunique grise plus de salon que de chasse aux bottes noires près, de son éclatante voix de ténor, Jérémy Duffau se tire au mieux de cet air dynamique de faux héroïsme, entraînant un chœur solide de chasseurs.

Sa mère, digne dame cheveux gris et robe grise, mine rogue, parfaitement campée avec la noble hauteur qu’il faut par une expressive Anny Vogel, tente de disculper son rustaud de fils en retard, qui n’est pas encore venu rendre ses devoirs à une belle et lumineuse invitée, robe rosée à volants, tout sourire et blondeur couronnant une rayonnante voix, l’indulgente duchesse du Berry, la belle Ève Coquart, plus curieuse que furieuse contre cet « ours mal léché », dont, se léchant les babines, elle se verrait bien finir par parachever la figure, puisque la légende dit que seul le tendre et patient léchage de la mère finit par donner figure acceptable à l’ourson informe d’abord.

Et là, horreur ! son garde-chasse Nicolas (Philippe Béranger), bourru personnage de comédie, escorté de son raccord de fils Jasmin (Eloi Horry), vient lui annoncer le drame : des Bohémiens voleurs de poules se sont installés sur sa propriété. Furieux de ces atteintes à son honneur, le grand aristocrate sans autre noble emploi, vole, court faire courir et décamper les intrus.

Le voilà au camp des Bohémiens : un foyer stylisé de trois bouts de bois d’où pend une marmite sur le feu et un aperçu saillant d’entrée arrière de caravane verte, sobre et suffisamment suggestifs décors de Loran Martinel.

L’assaut rageur du noble est stoppé net par la noblesse physique et morale de Mitidika, plus maîtresse de la tribu que Zarifi le maître vexé du camp, la belle et hautaine Zingara, qui se dresse devant lui et brave le bravache : elle descend d’un prince de Bohême et ne s’abaisse pas devant un simple comte. Quand on sait qu’elle est incarnée par Laurence Janot, beauté de figure, dignité d’allure, plus qu’une descendante princière, comme je l’ai déjà dit, c’est une reine que ce nobliau a devant lui, mains sur les hanches, cheveux coulant en ondes sur des épaules parfaites de statue, regard clair, capable de feu et d’ombre, et voix d’ambre. Comment n’en pas tomber amoureux ? Chasseur chassé et pris au piège.

Le jeu de cartes avec l’autre gitane annonçant l’avenir, est un clin d’œil à la Carmen de Bizet, « enfant de Bohême qui n’a jamais connu de loi », refusant les promesses d’un amour inégal, la belle, impossible à apprivoiser, s’envole, laissant elle aussi, telle l’héroïne lyrique, une fleur, relique amoureusement gardée par l’amant. Comme Faust revenant saluer, sinon « la demeure chaste et pure », la caravane, amoureux dépité, le comte Hubert, dévasté, la trouve désertée.

Ce désespoir vaut à Jérémy Duffau l’un des plus beaux airs de l’opérette, « L’Amour qu’un jour tu m’as donné… » qu’il nous offre avec une sensible émotion, aigus éclatants, mais avec des demi-teintes de la tradition du genre qu’on a peu l’habitude d’entendre.

Et voilà l’ours mal léché, même pas Arlequin poli par l’amour, mais mis en mouvement par lui, voilà Hubert, hanté par son souvenir, saisi de nomadisme, qui la cherche désespérément. Il la retrouve à Angers, au cirque Zarifi, dirigé par le chef de la tribu, jalousement amoureux de la belle. Introduisant le drame dans la comédie, dans l’intrigue d’amour, Marc Barrard l’interprète avec toute la puissance qu’on lui connaît et profère un air effrayant et menaçant, devenu célèbre, le tango « Jalousie, tu rampes autour de moi comme un serpent pétri d’effroi… », air tout intérieur qui ronge le personnage jusqu’à ce qu’éclate en force son désir extérieur de vengeance. Belle trouvaille de mise en scène significative, presque à la broyer, il manipule une marionnette à l’image de Mitidika  comme il a dû rêver de manier la gamine, poupée qu’il a vu grandir en femme  qui l’a  en réalité manipulé en pantin, arrachant même au mâle frustré la conduite de la tribu.

Le drame frôle le drolatique au cirque où opère l’ami Antoine Bonelli en Monsieur Loyal. Mais nous avions déjà, bousculant l’économie générale des opérettes où les couples de « seconds » doublent simplement les jeunes premiers, une démultiplication des scènes comiques de dépit amoureux, ainsi, entre la sceptique et solide Jeannettede Flavie Maintier avec le Jasmin (Éloi Horry) hébété à hue et à dia tiré ensuite par l’astucieuse zingara Zita de Julie Morgane égale en rieuse souplesse à elle-même dans des scènes burlesques de charme, de sortilège, puis avec le père veuf Nicolas (Philippe Baranger) redécouvrant les attraits du mariage.

Vrai travail d’artisan des auteurs, tous ces personnages supposés secondaires ont des pas de danse, des airs, des duos et, les quatre réunis, un superbe quatuor, un vrai morceau de bravoure musical et de mise en scène. Sous de simple rideaux rouges nus à l’exception de deux austères portraits à la mode du temps, un complexe et redoutable quatuor où la danse, implacable de rythme, est régie par une impeccable précision du chant sous les dehors comiques, changements de tempo, entre fox-trot lent ou lent charleston, gestes, positions, des corps, des bras, des jambes, une vraie chorégraphie encore réglée minutieusement par Caroline Clin, avec un accelerando burlesque qui se souvient de Rossini. Je ne répéterai pas toutes les qualités que j’ai déjà soulignées chez Caroline Clin, art d’occuper l’espace réduit de cette scène sans l’encombrer avec tant de personnages ou des décors inutiles, une grammaire personnelle de gestes synchrones pratiquement chorégraphiés qui, ici, s’intercalent sans brouiller la belle chorégraphie de Maud Boissière, servie par de vrais danseurs professionnels : danse dans la danse qui n’est pas le moindre charme de cette nouvelle production.

On saluera aussi le charmant, trio aux ombrelles tournantes des deux zingaras entourant le noble triomphant puisqu’il a épousé, en dépit de sa famille, la roturière gitane, dont même la comtesse douairière mère feint de croire en la royale ascendance, tout en rejetant et humiliant sa trop brune bru. Mais les deux mondes, aristos et bohémiens, opposés nous ont offert le plaisir contrasté des costumes différents, libres gilets pour les hommes contre raides redingotes et chapeaux, jupes fleuries sur bottes de cuir des Bohémiennes, foulard sur la tête des femmes, contre coiffures « à la girafe » pour les grandes dames, célébrant en cheveux la célèbre Zarafa, la girafe offerte à Charles X par Méhémet Ali en 1827, la première en France. Sans compter les danses issues de chaque monde, valse, mazurka, contre accents slaves ou pasodoble hispanique pour les gitans, avec le clou de la danse à deux, en plein salon aristo scandalisé, au son de tambourins basques, par Zita et Mitidika, qui nous offrent cette facette de leurs multiples talents.

Péripétie : on accuse la Bohémienne comtesse du vol du collier de diamants de sa belle-mère, en réalité dérobé par Philippe (Jean-Luc Épitalon) l’autre rude fils, le joueur endetté. Drame : comme Manon disant adieu à sa « petite table » en abandonnant Des Grieux, la belle Bohémienne blessée écrit une lettre d’adieu à Hubert, qui nous vaut une émouvante interprétation de Laurence Janot, « Sur la route qui va, qui va et qui n’en finit pas… », qui n’en finit pas de filer le son final avec une finesse digne des plus grandes. C’était une chanson, devenue célèbre aussi, de Viviane Romancedans le film de 1941, Cartacalha dont Maurice Yvain reprend sa musique pour l’opérette postérieure.

Mais, en véritable deus ex machina, l’aventurière et aventureuse duchesse de Berry, amène les amoureux avec elle sur son navire (belle vue d’un port en toile peinte) pour les laisser vivre librement leur amour « sous d’autres cieux » comme proposait vainement Don José à Carmen. En somme, c’est avec la noble onction d’une lumineuse aristocrate que se comble le vœu de la gitane « oiseau de nuit » au « désir vagabond », en recherche permanente d’horizons sur des routes qui n’en finissent pas, entraînant le comte amoureux consentant. Ainsi se résout la contradiction du monde du noble enraciné à sa terre et celui mouvant de la nomade : Carmen et José réussissant leur première et seconde évasion.

Contrastes de cadres, d’atmosphères, de personnages, qui permet au spectacle de diversifier des scènes de danses gitanes opposées à celles du salon aristocrate, théâtre dans le théâtre enchâssé de rideaux comme un autre cirque, même mondain. Et à l’orchestre mené dynamiquement par Didier Benetti, de faire joyeux feu de tout bois musical pour notre plus grand plaisir. Benito Pelegrín

CHANSON GITANE

NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale, Didier BENETTI

Mise en scène, Carole CLIN

Chorégraphie, Maud BOISSIÈRE

Décors , Loran Martinel.

Comtesse des Gemmeries, Anny VOGEL

Mitidika, Laurence JANOT
Duchesse de Berry, Ève COQUART
Zita, Julie MORGANE

Jeannette, Flavie MAINTIER
Une gitane / la spectatrice, Sabrina KILOULI

Hubert des Gemmeries, Jérémy DUFFAU

Jasmin, Eloi HORRY
Zarifi, Marc BARRARD
Nicolas, Philippe BÉRANGER

Philippe, Jean-Luc ÉPITALON
Monsieur Loyal, Antoine BONELLI
Un invité / le spectateur / le jeune homme, Damien RAUCH

Figurant Simon CHARNIER

Orchestre de l‘Odéon

Benoît SALMON, Marie-Laurence ROCCA, Hélène CLÉMENT, Anne FABRE, Isabelle RIEU, Alexia RICHE, Nicolas PATRIS de BREUIL, Tiana RAVONIMIHANTA, Vanessa CROUSIER, Eric CHALAN, Soizic PATRIS de BREUIL, Stephan BRUNO, Auguste VOISIN, Olivier GILLET, Hugo SOGGIA, Luc VALCKENAERE, Alexandre RÉGIS, Caroline DAUZINCOURT

Pianiste répétitrice Caroline DAUZINCOURT

Chœur Phocéen

Caroline BENOIT, Sneji CHOPIAN, Fiorella ALESSANDRA, Sabrina KILOULI, Sylvia OLMETA, Katherymne SERRANO, Pierre-Olivier BERNARD, Sylvio CAST, Angelo CITRINITI, Corentin CUVELIER, Sébastien SPESSA, Damien RAUCH
Chef de chœur Rémi LITOLFF

Ballet

Marion PINCEMAILLE, Guillaume REVAUD, Vincent TAPIA Danseur(se) circassien(ne) : Ambre ROS-LEPARC, Antoine DUPEYROT

PHOTOS CHRISTIAN DRESSE

1. Duffau, Janot;

2. Vogel, Coquart, Duffau, Béranger, Horry;

3. Barrard, Janot, Duffau;

4. Morgane, Horry;

5. Horry, Maintier, Béranger;

6. Morgane, Duffau, Janot.

NOCES FUNÈBRES

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Le Nozze di Figaro

Opéra buffa en 4 actes.

Livret de Lorenzo Da Ponte

d’après la comédie de Beaumarchais

La Folle journée ou Le Mariage de Figaro (1785)

Musique de Wolfgang Amadeus MOZART.

Création à Vienne, Burgtheater, le 1er mai 1786

 

OPÉRA DE MARSEILLE

28 Avril 2024

Reprise de la production de 2019

 

L’ŒUVRE : Le Roman de la famille Almaviva

Le nozze di Figaro, ‘Les noces de Figaro’ de Mozart, opéra bouffe créé à Vienne en 1786, est avec Don Giovanni (1787) et Cosí fan tutte (1790), l’un des trois chefs-d’œuvre que le compositeur signe avec la collaboration du génial Lorenzo da Ponte pour le livret, poète officiel de la cour de Vienne. Il s’inspire de La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro (1785), volet central de la trilogie théâtrale de Beaumarchais, Le Roman de la famille Almaviva, qui comprend Le Barbier de Séville ou la Précaution inutile, 1775, ce Mariage de Figaro donc et  L’Autre Tartuffe ou la Mère coupable, 1792, en pleine Révolution française, située à Paris.

Dans ce Mariage de Figaro, on retrouve les mêmes personnages que dans le Barbier de Séville : pour les secondaires, don Basile, le professeur de musique intrigant et vénal, pour les principaux, le Comte Almaviva, grand seigneur andalou qui, grâce à l’ingéniosité du barbier Figaro, a enlevé puis épousé la pupille de Bartolo. Rosine sera donc la Comtesse délaissée du Mariage de Figaro. Ce dernier, redevenu valet de chambre du Comte, va épouser le jour même Suzanne, nouveau personnage, camérière et confidente de la triste Comtesse ; la vieille Marceline, obstacle à ces noces car elle prétend épouser Figaro sur la promesse de mariage qu’il lui a faite contre un prêt d’argent qu’il ne peut rembourser. Enfin, un autre personnage essentiel à l’intrigue paraît, Chérubin, un jeune page turbulent et amoureux qui sème involontairement le trouble sur son passage, Barberine, sa mutine et lutine amoureuse, enfin, son jardinier ivrogne de père, Antonio, oncle de Suzanne.

Pièce prérévolutionnaire

Écrite dès 1781, la pièce de Beaumarchais n’est créée que trois ans plus tard, mais censurée pendant des années. Car c’est bien une pièce prérévolutionnaire, dont les répliques contondantes font mouches, comme le féminisme de Marceline, insurgée contre la dépendance des femmes qui ne pouvaient même pas administrer leur fortune, et s’indigne :

« Traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! » 

Si, dans le Barbier, Figaro avait deux sentences d’une spirituelle impertinence contre les nobles : « un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal » et déclare impunément au Comte : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? », dans le Mariage, on trouve la fameuse phrase  de Figaro devenue la devise du journal éponyme, de même nom : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. »

Il y a, surtout, dans le second volet du triptyque, la révolte argumentée du valet Figaro, parfait et loyal serviteur du Comte, qu’il aida à séduire et enlever Rosine : Suzanne lui découvre que son maître ingrat le trahit, veut rétablir le « droit de cuissage » qu’il venait d’abolir, droit du seigneur de posséder avant lui  la fiancée de son serviteur, veut coucher avec celle qu’il doit épouser le jour même. Car, tout comme Le Barbier de Séville précédent, c’est aussi une comédie à l’espagnole avec des parallélismes entre les maîtres et les valets, mais ces derniers deviennent aussi premiers, les valets disputent la première place aux maîtres et donnent même le titre de la pièce. Ils entrent en conflit avec eux, pour le moment en secret, avec la ruse, force des faibles. Et c’est la fameuse tirade, le monologue de Figaro, qui annonce la Révolution en dénonçant la noblesse :  

« Parce que vous êtes un grand Seigneur, vous vous croyez un grand génie !… Noblesse, fortune, un rang, des places […] Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus… »

Terrible réquisitoire d’un plébéien, d’un Tiers état, qui rue dans les brancards et demandera bientôt l’abolition des privilèges indus de la noblesse.

L’empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette, despote éclairé, favorable à Mozart, écartelé entre libéralisme et conservatisme royal, avait interdit à Vienne la pièce de Beaumarchais, mais pas sa lecture. Il approuva le livret de da Ponte, purgé de ses audaces, du moins la tirade finale impitoyable de Figaro contre la noblesse, qui devient simplement un air convenu contre les ruses des femmes quand il croit que Suzanne a cédé aux avances du Comte.

Cependant, sous la trame d’une ingénieuse comédie aux rebondissements incessants fous et loufoques de cette « folle journée », le conflit entre peuple et noblesse demeure latent et même avoué et ouvert : Figaro, découverts le désir et projet du Comte, décide de le déjouer et le noble, joué, désire se venger sans pitié de ses domestiques. C’est une lutte des classes, dont la franchise est cependant feutrée par le rapport des forces entre le maître tout-puissant et ses serviteurs contraints à jouer les renards contre le lion, la ruse contre la force.

RÉALISATION ET INTERPRÉTATION

           Arbitraire décoratif

          Je ne peux que répéter ici mon admiration pour la beauté esthétique de l’ensemble déjà apprécié en 2019, sublimé par les lumières changeantes mais toujours expressives de Bertrand Couderc. Tout en regrettant toujours que Vincent Boussard, pour sa mise en scène, ait sacrifié à l’académisme déjà bien vieux de la supposée « modernisation » des œuvres scéniques mis en faveur, dans les années 70, par les Ponnelle et Chéreau, sentant bien fort son demi-siècle usagé, vu, trop vu, qu’on se fatigue de voir, qu’on ne peut plus voir tant cela frôle l’arbitraire et le mépris de l’œuvre intrinsèque, pour la coquetterie, décorative plus que significative, d’un placage extrinsèque d’effets qui finissent par ne plus en faire tellement on en est saturé.

Inutile bric à brac

Avec des superbes costumes d’un XVIIIe siècle réinventé par lui-même avec la collaboration d’Elisabeth de Sauverzac (qui n’est plus citée dans le programme 2024), véritable création saisissante, robes noires à paniers des dames gantées de couleur, perruques vertigineuses défiant tout ce qui se faisait d’audacieux en la manière (et matière), on se demande pourquoi une comtesse en costume pantalons puis lunettes d’aujourd’hui, un Comte et un Bartolo en habits XIXe, puis smoking pour le noble, une Marcelline en vamp hollywoodienne et une Barberine en Bunny de Playboy, une ascétique Suzanne en tristounette tenue noire et petit col blanc de collégienne ou sévère bonne de quelque famille puritaine, un Basile en chapeau melon, un Figaro indéfinissable. Pourquoi ce gramophone, cette voiture d’enfant absent de l’œuvre, ce lampadaire, etc, etc ? Si, comme le metteur en scène le soulignait dans la production de 2019 dans un avant-propos, « cette œuvre [a] une ‘contemporanéité’ définitive », la surligner par ces signes chronologiquement hétéroclites est un définitivement un pléonasme et n’apporte rien, réduits à l’anachronisme hétéroclite et hétérogène.

On se demande pourquoi Figaro, qui ne mesure que de l’œil la pièce que leur octroie la générosité intéressée du comte, attenante aux chambres des deux nobles époux, se réjouit de ce débarras ou dépotoir indigne autant des maîtres que des valets.

En tous les cas, la dimension historique, ce qui reste encore vif chez Da Ponte de la pièce subversive de Beaumarchais malgré l’amputation de la tirade prérévolutionnaire finale de Figaro remplacée par une satire convenue contre les femmes, sombre dans le noir malgré un Figaro juché sur l’échelle peut-être sociale : le triomphe hégélien de l’esclave sur le maître, qui passe sur le devant de la scène, même dans le titre de la pièce. On convient, cependant, qu’il y a deux signes forts de ce renversement social : le Comte laçant les souliers d’un Antonio mal fagoté pour le mariage, et la touchante inversion des rôles lorsque c’est la Comtesse qui habille sa camérière, là, oui, magnifique robe blanche comme la tardive version en noir de la Comtesse, fleur nocturne issue de la nuit étrange du jardin.

          Fantômes encombrants pour huis clos expressif

          Sans qu’on comprenne pourquoi ces fantomatiques personnages, à l’indiscrète présence envahissant jusqu’aux loges d’avant-scène, interviennent dans l’action, ouvrant, fermant des portes, renversant une chaise, déplaçant le fusil du comte, détournant et parasitant l’attention de la musique et du jeu, du vrai théâtre qu’est cet opéra où tout du texte et musique est si miraculeusement imbriqué qu’il semble qu’il n’y a qu’à les suivre humblement pour les servir, comme la scène du déguisement de Chérubin avec Suzanne et la Comtesse où tout, de la gestuelle et du jeu, est précisément, génialement dicté par texte et musique : on peut s’écarter du texte pour en tirer du sens, mais s’en écarter pour ne rien apporter, est plus qu’une faute : une bêtise.

          On concède l’intéressante idée de mise en scène, cette cour (comme royalement et égoïstement isolée au monde) fermée sur trois côtés, vase ou champ clos sur lui-même orné de planches scientifiques semble-t-il de l’Encyclopédie, ou du moins dans le style, mais qui en deviennent cabalistiques. Sur ce plancher d’en bas se penche du haut d’un parapet ce public privilégié avec une curiosité, sans doute plus intellectuelle qu’affective, malsaine, morbide, d’une société savante au rationalisme poussé à l’excès : l’humain comme un spectacle et objet d’expérience. Au-delà de l’érotisme pervers, Sade, c’est cela. Les animaux empaillés, peut-être reliques muséales de l’Ancien Régime, sont peut-être déjà le résultat de semblables expérimentations. Qui nous font frémir de tant d’autres que l’Histoire a connues.

          Mais on regrette que cette métaphore ne puisse être filée longtemps, l’œuvre résistant de tous ses bords, réduisant ce somptueux public oisif, indiscrets témoins, à faire une sorte de figuration scénique inutile et encombrant l’espace. Les robes flashy, rose, vert, jaune cru, des jeunes filles chantant le généreux seigneur qui a aboli le droit de cuissage illuminent un moment la noirceur ambiante dans ces tons finalement variés de noir qu’on dirait inspirés des variations les plus subtiles de Soulages.  

          Il reste ce cube, chambre et antichambre de la Comtesse au plancher déclinant de fin de dynastie ou de régime, aux parois ornées d’une luxueuse tapisserie rasante de Vincent Lemaire, que les lumières latérales ou plongeantes de Bertrand Couderc doteront d’une vie, d’une suffocante beauté avec ces portes et fenêtres indiscernables pour des personnages pris au piège comme des animaux dans une cage, des insectes dans une boîte fermée d’un onirique voile, prolongation sans doute de l’expérience. Mais laquelle ? Si c’est le couple en crise, c’est aussi intemporel que tout mariage…Cependant, on goûte le raffinement esthétique de l’ensemble et ces projections de fonds de tableaux d’époque, Goya, Tiepolo ou Gainsborough, qui apportent une éclaircie de rêve à ce qui, estompant le bouffe, est bouffi de noirceur. Au rythme près, de comedia dell’Arte, de comédie mécanique de l’ouverture et fermeture répétée de ces portes qui ne claquent pas, de ces fenêtres dont une seule, on l’apprend par le saut de Chérubin, donne sur un jardin. Et un parc somptueux aux arbres animés ou inanimés par la lumière ou l’ombre.

Rajouts de scènes et suppressions

Avec l’inévitable nécessité de changement de décor et de costumes pour les choristes parfaits (Florent Mayet) imposant deux « précipités » allongeant par trop la longueur du spectacle, alors qu’il y a toujours des scènes amputées pour justement alléger la longueur de l’opéra, nous avons ici le rajout de certaines brèves scènes, traitées en inutile mimodrame muet (Barberine/ Chérubin, etc.). Quitte à rallonger, alors, pourquoi ne pas rétablir l’air final de Marcelline (contestataire féministe dans Beaumarchais), qui exprime chez Da Ponte/Mozart une « sororité » prémonitoire avec Suzanne et les autres femmes contre la cruauté des hommes ? D’autant que ce menuet, Il capro e la capretta, est le seul air à vocalises, à cadences virtuoses. Encore baroque, il donne la mesure d’un personnage sans doute du passé dans cet opéra conversation de l’avenir. Il y a aussi l’air toujours coupé de Basile, le seul air de ténor de l’œuvre, exprimant la nostalgie du passé, qui montre combien Mozart se préoccupait de laisser de l’air, des airs, aux personnages secondaires. Il est vrai que, s’ils apportent à la psychologie humaine des deux personnages datés, ils retardent une action qui va se centrer au final sur Figaro et Suzanne pris dans le jeu de dupes de leur deux airs respectifs, moments de rage pour lui, de grâce pour elle, mais, à part le suffocante beauté de la musique, une enfilade de clichés, homme dépité et femme se jouant de sa jalousie.

Vivifiante direction

En saluant le continuiste inventif au pianoforte, qui soutient les récitatifs, on regrettera l’absence de son nom dans la distribution, à moins que ce ne soit Astrid Marc, simplement indiquée « Pianiste/cheffe de chant ».

Le tout nouveau directeur de la musique, le flambant Michele Spotti, enflamme littéralement l’Orchestre de l’Opéra de Marseille par une vivacité sans faille, un tempo électrisant qui rend à la folie cette « Folle journée », sous-titre de l’œuvre. Il entre par la grande porte dans le cœur reconnaissant du public mélomane de notre Opéra qui, avec l’orchestre, lui réserve une éclatante ovation méritée. Seul regret pour l’Espagnol qui écrit ces lignes, le fandango. Mozart l’emprunte au ballet Don Juan de Glück (1761) qui l’emprunte lui-même à un air à la mode à Vienne. Spotti l’expédie si prestement qu’il en perd son caractère de danse, sans qu’on en sente la géométrie, les arêtes toujours découpées, sans « barbe », des rythmes espagnols qui trouvent toujours dans des lignes sensibles la sensualité élégante de la danse.

Mais on sent avec bonheur le contrôle sans faille, dans un heureux consentement, des chanteurs transcendés dans leur jeu par cette direction de feu. On apprécie le traitement des personnages pittoresques : un Don Curzio juriste (Carl Ghazarossian) affublé d’un masque de médecin du temps réchappé de l’expérience ou de la peste, ironique oiseau poussant des cris perçants sur une haute branche perché, comme un caquetant corbeau de mauvais augure pour cette société, un Antonio (Renaud Delaigue), haute stature et figure avinée et ravinée, laissant percer la brute patriarcale avec droits sur les femmes face à Figaro, autoritaire avec sa nièce Susanna, vainement grondant avec son espiègle et gaffeuse fille Barbarina, l’adorable Ammandine Ammirati, qui perd l’épingle, sans doute sa virginité, mais pas le nord en prenant le Comte à son piège de maître harceleur, lui arrachant le consentement de son mariage avec Chérubin. Tout aussi réussi que dans la version 2019, aussi ondulant dans sa soutane sous son chapeau melon incongru qu’insinuant et jubilant de malice perverse, le Basilio de Raphaël Brémard, distillant le venin ironique de son « quel ch’ho detto era solo un mio sospetto… » 

Venus empêcher le mariage de Figaro, couple qu’on marierait aussitôt s’ils ne le faisaient plus tard, la plaignante Macellina et son avocat Bartolo, vieux complices ou compères d’autrefois. Frédéric Caton, bougon, grognant, rumine la vengeance contre Figaro qui lui ravit Rosina, en lisant, comme s’il se répétait le code des lois, dans une technique vocale bouffe de ces airs de liste, d’énumération accélérée, dont le catalogue de Leporello sera un modèle. La Marcellina de Mireille Delunsch, retrouvée avec bonheur, pratiquement caricaturée toujours en vieille femme indigne saisie par le désir, n’en ferait pas une indigne conjointe de Figaro, qu’elle couve d’un œil frugivore, à notre époque qui inverse heureusement les rapports d’âge entre les couples, passant le relais aux dames arborant un jeunot : dans leur piquant duo, sa belle allure contredit la méchanceté de Suzanne tout en justifiant ironiquement, son trait qui semble vérité : « l’amore di Spagna ».

          Le Cherubino d’Eléonore Pancrazi est le garnement sympathique qu’on attend et on lui réserve un accueil chaleureux, palpitant et fiévreux dans son premier air fiévreux, teinté de mélancolie dans sa romance à la Comtesse malgré la suite escamotée du travestissement. Mais jolie trouvaille de scène, l’adolescent s’adresse alors, dans son désir vague sans objet particulier mais général, à l’ombre, à l’effigie, à la silhouette d’une femme absente, fantasme rêvé, qu’il étreint comme une poupée gonflable.

          Le Comte, qui finalement est vaincu par la coalition des femmes et du valet, est souvent intelligemment mis hors-jeu, isolé par le rideau d’un monde qui le dépasse, qu’il ne contrôle plus : vaincu. C’est une image plus dramatique que bouffe, mais frappante et plausible dans son expressivité. La baguette légère du chef, paraît déjà le fustiger mais souligne la légèreté de ce coureur de jupons campé par un Jean-Sébastien Bou, à la voix redoutablement acérée comme l’épée —absente— dont parle le texte avec insistance, remplacée —bêtement—par un fusil pour tuer le page, revenant dans la boîte à malice du piège du placard de la chambre de la Comtesse, sans les outils qu’il était parti chercher pour en forcer la porte. Redoutable époux caldéronien sur un simple soupçon d’infidélité de sa femme, infidèle par principe ou droit arrogant de naissance au-dessus des lois, il laisse exploser une peu noble rage, ivre de vengeance contre les serviteurs inférieurs dont il l’entend qu’ils l’ont roulé.

La digne épouse de cet indigne mari, c’est Patrizia Ciofi. ue dire que je n’aie déjà dit sur cette superbe et émouvante interprète dans chacun de ses rôles? Magnifique image, toute de noir vêtue, adossée à l’embrasure noire d’une porte, seul son visage blanc éclairé d’une lumière tombante, plus que la femme mélancolique habituelle, humiliée, par sa simple posture, elle est presque une  héroïne tragique au bord du désespoir dans son premier air, qui serre le cœur dans sa sobriété douloureuse, filant des sons à l’infini du souffle dans le second, de cette voix ronde, boisée, égale, aux aigus sûrs, secouée soudain par la révolte puis soulevée d’espoir : une prise de rôle bouleversante par sa vérité en 2019, affinée, raffinée et tout autant pleine de vérité humaine dans celle-ci. Elle adhère et s’arrache à son ombre projetée quand elle chante les ombres heureuses du passé enfui.

          Crise du couple : le couple de domestiques n’y coupera pas non plus dans le pessimisme ambiant de cette réalisation cohérente, au moins en cela, dans sa noirceur. Susanne est d’une gravité accusée par son strict costume de couventine sans grâce. Heureusement, par sa grâce scénique, Hélène Carpentier l’arrache à cette pesanteur, même si, encore une fois, dans une pièce bouffe malgré tout où les gifles volent dans la logique du genre, la mise en scène la prive de celles qu’elle dispense, en texte et musique, à Figaro ; elle est touchante de crainte et de malice dans le duettino, scène réussie, avec le Comte et suspendra les cœurs de délicatesse dans son air final dit des « Marronnier » où elle joue un Figaro égaré aux écoutes. La voix ruisselle comme le ruisselet qu’elle évoque, bouillonne de volupté retenue.

Son Figaretto, Robert Gleadow, dont la masse corporelle ne justifie pas forcément ce doux diminutif le justifie peut-être par son art, très ludique et bouffe de souplesse bondissante qui dit celle de son esprit sans cesse inventif. La voix est ronde, pleine, riche, mais, sans doute émoussée par des revêtements feutrés du décor et une mauvaise place par la mise en scène, sensible aussi pour Bartolo, elle semble manquer de mordant dans son premier air, alors qu’il est tout muscle et nerfs dans son jeu convaincant.

Encore un triomphe pour un Opéra de Marseille plein d’un enthousiaste public. Benito Pelegrín

 

Opéra de Marseille

Le Nozze di Figaro, Da Ponte/Mozart

Production Opéra de Marseille

Direction musicale : Michele SPOTTI
Assistant direction musicale : Federico TIBONE

Mise en scène et costumes Vincent BOUSSARD

Assistante mise en scène : Diane CLÉMENT

Décors : Vincent LEMAIRE
Lumières : Bertrand COUDERC
Assistant lumères : Julien CHATENET

Régisseur de production :  Jean-Louis MEUNIER/ Régisseur de scène : Camille BIDAULT/Régisseuse de figuration : Alexandra BEIGNARD

Surtitrage Richard NEEL /Régie de surtitrage Qiang LI

La Comtesse Patrizia : CIOFI

Suzanne : Hélène CARPENTIER

Chérubin : Eléonore PANCRAZI

Marceline : Mireille DELUNSCH

 Barberine : Amandine AMMIRATI

Le Comte Almaviva : Jean-Sébastien BOU

Figaro : Robert GLEADOW
Bartolo : Frédéric CATON
Don Basilio : Raphaël BRÉMARD

Antonio : Renaud DELAIGUE
Don Curzio : Carl GHAZAROSSIAN

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille/ Chef de chœur Florent MAYET
Pianiste / cheffe de chant Astrid MARC

 

Photos Christian Dresse

 

 

Photos Christian Dresse

  1. Suzanne et le Comte surpris dans le jardin;
  2. Le comte, Chérubin, Figaro, Suzanne; 
  3. Le piège de la chambre de la Comtess;
  4. Comtesse et Comte recevant l’hommage des jeunes filles;
  5. Curzio masqué, Bartolo, Figaro, Marcelline;
  6. Prélude au mariage;
  7. La Comtesse bafouée.

 

Le Village Égalité revient à Saint-Mauront pour une deuxième édition vibrante et engagée!

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Après une première édition réussie en septembre 2023 en dépit de la visite papale, le Village Égalité revient à Saint-Mauront le 4 mai prochain de 14h à 20h. Initié par Eclosion13 et la compagnie Duanama, ce projet itinérant, voué par nature à se déplacer de lieux en lieux, de cités en cités, de villages en villages, s’installe cette fois à la Cité Clovis Hugues pour une journée festive et engagée autour de l’égalité femmes-hommes.

Au programme : performances artistiques, concert, rencontres et ateliers participatifs pour explorer les enjeux de l’égalité et célébrer la diversité. Le Village Égalité est bien plus qu’un simple événement, c’est un espace de dialogue et de partage où chacun est invité à devenir acteur du changement. Cette édition est portée par la Compagnie Duanama, implantée depuis sa création dans le quartier de Saint-Mauront. Engagée dans le théâtre et l’éducation populaire, elle oeuvre à amener la culture au plus près des habitants.

Un projet participatif pour un impact durable

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Le Village Égalité, c’est aussi l’aboutissement d’un projet artistique et pédagogique participatif mené avec les habitants du quartier. En amont de l’événement, les ateliers de théâtre forum menés par deux comédiennes de la compagnie Duanama ont permis aux habitants du quartier et aux résidents de la cité de s’exprimer sur l’égalité femmes-hommes et de co-créer une saynète interactive explorant des situations de discrimination et d’inégalité dans laquelle les participants sont invités à trouver des solutions pour les résoudre.

Abordant un large éventail de thèmes liés à l’égalité femmes-hommes, tels que les stéréotypes de genre, la violence sexiste, les discriminations, les ateliers permettent aux participants de développer leur esprit critique et leur capacité à trouver des solutions concrètes aux problèmes soulevés en les incitant à réfléchir aux causes des discriminations et à trouver des moyens de les combattre.

La saynète interactive ainsi créée sera présentée lors du Village Égalité, offrant au public l’opportunité de devenir acteur et de contribuer à la recherche de solutions positives. Jouée par les participants aux ateliers de théâtre forum, elle met en scène une situation discriminatoire et invite le public à intervenir pour changer le cours de l’histoire en proposant des solutions alternatives aux personnages de la saynète ou en jouant un rôle dans la saynète. La participation du public est essentielle pour faire de la saynète interactive un outil de sensibilisation et de changement social afin que tous deviennent ambassadeurs de l’égalité.

« Ma Chambre à ciel ouvert »: un spectacle pour briser les stéréotypes

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Le Village Égalité sera également l’occasion de découvrir « Ma Chambre à ciel ouvert », la dernière création de la compagnie Duanama. Ce diptyque théâtral regroupe deux des quatre performances créées lors du projet Européen Gender Matters et présentées cet été sur le bas de la Canebière au sein d’un bus théâtre : il explore de manière ludique les thèmes de l’identité, de la confiance en soi et de l’acceptation de soi face à la pression sociale.

Composé de deux monologues intimes, joués par Monika Smiechowska et Paola Lentini, il met en scène deux personnages, un clown et un adolescent, qui luttent contre les stéréotypes et les pressions sociaux-familiales pour trouver leur place dans le monde, partageant leurs doutes et leurs espoirs, finissant par trouver le chemin de l’acceptation de soi grâce à une rencontre inattendue.

« Ma Chambre à ciel ouvert » véhicule un message fondamental sur l’importance de l’acceptation de soi et de la lutte contre les stéréotypes. Il encourage les jeunes à être eux-mêmes et à ne pas se laisser influencer par les pressions sociales, montrant que chacun est unique et que la différence est une richesse. Un échange avec le public suivra la représentation pour approfondir les sujets abordés et proposer aux jeunes des outils pour gérer les conflits et renforcer leur estime de soi dans le but de créer un climat plus inclusif et respectueux des différences.

Un après-midi festif pour célébrer la diversité

Le Village Égalité est un véritable vecteur d’émancipation par la culture. Ouvert à tous et à toutes, il célèbre la diversité et le vivre-ensemble dans une ambiance conviviale et festive. Venez nombreux le 4 mai à la Cité Clovis Hugues pour vivre l’expérience du Village Égalité le temps d’un après-midi afin de partager des moments uniques et contribuer à la construction d’un monde plus égalitaire et plus juste! RS

Crédit photo: Mahaut Moulinier-Dourdy

Au programme :

Accueil convivial dès 14h.

14h30/14h45 : Restitution théâtrale participative : Découvrez le fruit du travail des habitants et leurs réflexions sur l’égalité femmes-hommes.

15h30 : Échanges et débats : Des espaces de dialogue sont proposés pour permettre aux habitants du quartier de discuter de cette thématique importante.

16h/16h15 : Présentation du spectacle « Ma Chambre à ciel ouvert » de et avec Monika Smiechowska et Paola Lentini. Suivie d’une rencontre-discussion avec les comédiennes.

17h/17h15 Temps convivial autour d’un goûter. Des ateliers de théâtre et des pauses musicales ponctueront ce moment.

18h : Clôture : DJ Set avec DJ Benoit

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Informations pratiques :

Ateliers de Théâtre Forum

Titre : Questionnons-nous sur l’égalité femmes/hommes

Objectif : Sensibiliser les habitants du quartier de la Cité Clovis Hughes, à Saint-Mauront, à l’égalité femmes/hommes à travers des ateliers de théâtre forum et de théâtre.

Public cible : Jeunes de 15 à 25 ans, familles et seniors de la Cité. Public mixte.

Durée : Du 29 avril au 3 mai de 14h à 16h avec restitution finale le 4 mai à l’occasion du Village Egalité

Lieu : Cité Clovis Hugues, 29 avenue Edouard Vaillant, Marseille 13003.

Partenaires : 13 Habitat, CLCV Bellevue Clovis Hugues.

Inscription à contact@duanama.com ou au +33 6 72 44 62 97

Village Egalité

Date : 4 mai 2024

Lieu : Cité Clovis Hugues, 29 avenue Edouard Vaillant, Marseille 13003

Entrée libre et gratuite

Horaires : 14h/20h

Le Village Egalité s’adresse à un public diversifié, incluant des jeunes, des adultes, des personnes issues de milieux différents vivant dans la cité.

Site : www.duanama.com

Le Conte des Contes : Un voyage théâtral jubilatoire au cœur des contes revisités de Basile

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Après une escale au Toursky à Marseille en février dernier, le Conte des contes d’Omar Porras poursuit sa route, posant ses valises au Cratère à Alès les 24 et 25 avril prochains. L’occasion pour les curieux de (re)découvrir cette création où le metteur en scène revisite les contes populaires avec une énergie baroque et un humour noir irrésistible.

Cette adaptation théâtrale jubilatoire de l’œuvre de Giambattista Basile, à la fois cruelle et irrévérencieuse, destinée à un public à partir de 12 ans, nous plonge dans un univers foisonnant où se mêlent grotesque, sublime, cabaret et érotisme pour un voyage initiatique aux sources du théâtre populaire.

En préambule

Publié à titre posthume en 1634-1636, « Le Conte des contes » est la première compilation importante de contes de fées publiée en Europe. Les récits, éloignés des canons du conte de fées développés à la fin du XVIIe siècle, traitent du pouvoir monarchique, de la société de cour, ou encore des relations entre les classes sociales.

Ecrit à l’origine en napolitain, le recueil contient les premiers exemples de célèbres histoires comme Cendrillon, Le Chat Botté, Raiponce… Il a eu une influence majeure sur la littérature du genre, notamment Perrault. Redécouvert au XIXe, il est considéré comme l’ancêtre des contes merveilleux européens. Son style encore proche du conte populaire traditionnel témoigne du folklore de l’époque.

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crédit photo: DR

Cependant, il marque les débuts de l’émergence du conte de fées en tant que genre littéraire à part entière. « Le Conte des contes ou le divertissement des petits enfants » sera ultérieurement intitulé Il Pentamerone, vers 1674, en référence au Décaméron de Boccace (1349-1353), dont il reprend le schéma général. Quarante-neuf des cinquante contes du livre sont introduits par un premier conte qui leur sert de cadre, et dans lequel un groupe de personnes, durant cinq journées, sont amenés à raconter des histoires.

Le récit-cadre qui constitue un conte à part entière est un conte de type AT 425, à l’image de celui d’Amour et Psyché dans L’âne d’Or d’Apulée. Basile y raconte l’histoire de la princesse Zoza, unique fille du roi de Vallée Velue qui n’arrive pas à la divertir : dans ce conte de fée, la jeune princesse déchue, maudite par une vieille femme dont elle s’était moquée, devra affronter et surmonter de multiples épreuves afin de retrouver son Prince et l’épouser.

Une thérapie par le conte

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crédit photo: Lauren Pasche

Ici, l’histoire d’Omar Porras débute dans une demeure au cœur d’une forêt. Monsieur et Madame Carnesino se sont mis à table avec leurs enfants, Prince qui refuse de parler et Segondine, sa jeune sœur. Ils n’arrivent pas à arracher Prince à la mélancolie et craignent que Segondine ne soit contaminée par ce mal pernicieux. Arrive alors le Docteur Basilio en qui ils placent tous leurs espoirs.

La thérapie révolutionnaire du bon Docteur repose sur la narration de contes : « il était une fois, il était deux fois, il était trois fois… » Répète, tel un mantra, notre Monsieur Loyal, le maître de cérémonie, nous avons nommé le pétillant et sémillant Docteur Basilio. S’en suit une succession d’histoires tragicomiques, d’épopées musicales et de poèmes fantaisistes, revisités avec audace et inventivité, où une pléiade de personnages féminins se succède devant le jeune homme.

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crédit photo: Lauren Pasche

La succession de ces récits, intrigues amoureuses tantôt drôles, tantôt merveilleuses, tantôt inquiétantes, dessine un parcours initiatique au jeune homme et l’amène sur la voie de la guérison, entrainant Prince -et le public- dans un tourbillon d’émotions et de réflexions sur la société, le pouvoir et les relations humaines.

Des contes revisités

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crédit photo: Lauren Pasche

Parmi les contes revisités, la Gatta Cerentolla présente une Cendrillon farouche et un tantinet manipulatrice, fort éloignée des versions édulcorées de Perrault. Incarnée par deux comédiennes qui parlent et agissent en symbiose totale, elle raconte à Prince comment elle a assassiné ses marâtres successives. Le jeune homme se retrouve à la place d’une troisième et bien douce Cendrillon. Le regard hébété, il assiste à leur récit, puis, de plus en plus apeuré, fuit les deux furies.

Dans l’Ourse revue et corrigée, on découvre la bella Precioza qui se coupe les mains pour fuir un père incestueux voulant la prendre pour femme. Transformée en homme par une fée, elle redevient la plus belle femme de la contrée et ses mains repoussent lorsqu’elle rencontre l’amour.

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crédit photo: DR

Pêle-mêle, le Docteur Basilio nous conte une version paysanne de Peau d’âne avec le personnage de Zapatella ; une version étonnante de la Belle au Bois Dormant dans Le soleil, la lune et Thalie où la belle endormie est jouée par Prince, l’histoire du Chaperon Rouge vorace, du serpent amoureux d’une belle, du comédien transformé en crapaud ou encore L’histoire des trois cédrats ou L’amour des 3 oranges par lequel s’achève le spectacle avec son joyeux french cancan sauce burlesque.

Un spectacle total

La mise en scène d’Omar Porras est un véritable festival baroque, où l’exubérance et la théâtralité sont poussées à leur paroxysme. Déployant une mise en scène inventive, où se mêlent musique, danse, chant et jeu d’acteur et où chaque élément contribue à l’expérience immersive du spectateur, le metteur en scène offre à nos sens un spectacle total.

Il joue sur les contrastes, tant au niveau visuel que thématique : le sublime côtoie le grotesque, le comique flirte avec le tragique, et l’érotisme se teinte de violence : certaines scènes peuvent choquer, à l’image de celle du repas de famille. Ces oppositions créent une tension dramatique et maintiennent l’attention du public en éveil.

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crédit photo: Lauren Pasche

On retrouve également dans sa mise en scène des éléments de la Commedia dell’arte, en l’occurrence dans le jeu des acteurs, leur gestuelle et les improvisations. Cet héritage contribue renforcer l’énergie comique et la dimension populaire du spectacle, en particulier grâce au personnage du conteur-acteur, le Docteur Basilio aux multiples talents, à la fois chanteur, musicien, danseur et mime.

Des comédiens étonnants

Les comédiens au jeu expressionniste incarnent avec brio des personnages hauts en couleur : le père, loup garou dévoreur de chair ; la mère, une hyène à la beauté glaciale; le fils, Prince, un gringalet qui refuse de dire un mot ; Segondine, la sœur de Prince dotée de lunettes à double foyer qui lui mangent un visage ingrat, les cheveux ornés de couettes de petite fille intelligente, un tantinet perverse; le docile cuistot ‘transformiste’, un bon chien qui pourtant n’est pas sans rappeler Hannibal Lecter avec son masque noir recouvrant sa bouche pour l’empêcher de dévorer ses maitres, et la servante, une belle plante muette.

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crédit photo: DR

Il ne faudrait point oublier le lapin Velazquez, une peluche plus vraie que nature et un personnage à part entière dont la fin de vie n’est guère enviable. « Il s’appelle Velazquez par ce qu’on l’a peint » apprenons-nous de la bouche du docteur Basilio, peu avare en blagues. Le docteur Basilio qui a toujours le verbe juste et la saillie opportune est un personnage à la fois drôle et inquiétant. Citons son savoureux « Je gagnerais plus avec un crapaud qui parle qu’avec un comédien qui joue » de la jeune fille qui refuse un baiser au comédien transi d’amour pour elle, hélas!, transformé en crapaud.

Le travail corporel des comédiens avec leurs mouvements chorégraphiés et leur manipulation de la peluche qui prend vie sous nos yeux, est étonnant de justesse, avec une mention spéciale pour Philippe Gouin à la gestuelle d’une précision chirurgicale, comédien complet aux multiples talents. Citons la scène avec la cervelle ou ses accroches, face public. Le jeu de l’acteur qui incarne Prince est à saluer : dos public, écoutant la radio et son programme remontant le temps, Un conte entre 23 h et 22h59, son dos happe littéralement le regard du spectateur.

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crédit photo: Lauren Pasche

Une scénographie sublime

La scénographie est à la fois réaliste et fantastique. La table du banquet, avec ses carcasses d’animaux et ses boyaux, véritable œuvre d’art macabre, est un exemple frappant de l’esthétique macabre et baroque du spectacle. Lorgnant du côté d’un Tim Burton, voire d’un Peter Jackson à ses débuts, elle transporte le spectateur dans un univers gothique et merveilleux. Mention spéciale pour les costumes colorés des personnages, à la fois extravagants et grotesques. Ils renforcent l’aspect carnavalesque de la pièce. Chaque détail visuel contribue à créer une ambiance immersive et à stimuler l’imagination du spectateur.

La musique : le 8ème acteur de la pièce

Dans « Le Conte des Contes », la musique n’est pas un simple accompagnement, elle est un acteur à part entière de l’expérience immersive du spectateur. Elle joue un rôle essentiel dans la création de l’univers baroque du spectacle, accompagnant les scènes, soulignant les émotions et participant à la construction des ambiances. Tantôt joyeuse et festive, tantôt sombre et inquiétante, elle contribue à l’intensité dramatique de chaque scène, à l’immersion du spectateur et à la création d’un univers théâtral unique et captivant.

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crédit photo: Lauren Pasche

Par exemple, le choix du morceau de guitare électrique, lors de la scène où le cuisinier se transforme en hard rocker métaleux, renforce le côté enragé d’un personnage blessé, sans cesse rabaissé. Ce dernier apparaît dans une cage sous des lumières stroboscopiques blanches tel un être, mi-homme mi-bête, assoiffé de sang et déchainé, qui veut rompre ses chaînes pour être ce qu’il est.

La musique annonce également les changements de scène et de décors : la scène où Segondine, assise sur un plateau tournant, joue un morceau de piano allant crescendo jusqu’à ce qu’elle disparaisse de scène marque un tournant dramatique. Le pizzicato de la contrebasse exécuté par le mélancolique Prince crée, quant à lui, une douce respiration musicale traduisant la tristesse de Prince.

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crédit photo: DR

Les jeux de lumière jouent un rôle important dans la création d’atmosphères : utilisés pour créer des contrastes, souligner des moments clés de la narration ou encore accompagner les mouvements des acteurs, ils sont essentiels à certaines scènes. La scène de la tempête est, en tout point, un exemple de réussite en termes de création lumière, visuelle et sonore. Les effets sonores, ici le bruit du vent tempétueux, contribuent à l’immersion du spectateur en créant un environnement sonore réaliste et suggestif.

Saluons ici le travail des techniciens sans lesquels le spectacle ne pourrait avoir lieu, ni sa magie par ailleurs. Ils font partie du spectacle à part entière.

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crédit photo: Lauren Pasche

Un humour noir et une critique sociale acerbe

Le spectacle ne manque pas d’humour noir et d’ironie. Omniprésents dans le spectacle, ils créent une complicité avec le public et l’invitent à réfléchir sur les thèmes abordés. Le rire devient alors un outil d’immersion et de distanciation critique. Ici, les contes revisités à la sauce gore et les interludes musicaux décalés – citons la balade du Docteur Basilio- provoquent le rire tout en questionnant les travers de notre société. Le slam poétique de Prince, véritable ode anticapitaliste dénonçant la maltraitance animale, illustrent la dimension engagée de la pièce.

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crédit photo: DR

Bien que le spectacle ne soit pas interactif au sens strict du terme, il crée une proximité avec le public grâce au jeu des acteurs et aux interpellations du maître de cérémonie. Le spectateur se sent impliqué dans l’histoire et partage les émotions des personnages.

In fine, « Le Conte des Contes » est un spectacle total, à la fois drôle, intelligent et visuellement époustouflant. Omar Porras et le Teatro Malandro nous offrent une expérience théâtrale unique, qui ravira les amateurs de contes et de théâtre populaire. Elle transporte le spectateur dans un univers unique, où l’émotion, l’humour et la réflexion se mêlent pour une expérience théâtrale inoubliable. Ne manquez pas ce voyage initiatique au cœur de l’imaginaire et de la théâtralité !

Diane Vandermolina

Le Conte des contes

D’après Lo Cunto de li cunti (Le Pentamerone) de Giambattista Basile

Production : TKT Théâtre Kléber-Méleau; co-production Théâtre de Carouge avec les soutiens de Pou-cent culturel Migros, de la Fondation Champoud et de la fondation suisse pour la culture Pro Helvetia pour la tournée.

Conception et mise en scène : Omar Porras – Teatro Malandro

Adaptation et traduction : Marco Sabbatini et Omar Porras

Avec : Simon Bonvin, Melvin Coppalle, Philippe Gouin, Marie-Evane Schallenberger, Jeanne Pasquier, Cyril Romoli et Audrey Saad

 A partir de 12 ans

En tournée :

Le Cratère, scène nationale d’Alès (FR) – 24 et 25 avril

Théâtre Nanterre-Amandiers (FR) – du 16 mai au 1er juin

En une, crédit photo: DR

Pour en savoir plus :

GIAMBATTISTA BASILE — Né en 1575 à Naples, Giambattista Basile est engagé dans l’armée de Venise où il vit jusqu’à trente-trois ans : après quelques mois passés loin de sa ville natale, à Mantoue, en 1612-1613, il est gouverneur d’Avellino en 1615, puis d’Aversa et de Giugliano, en Campanie, où il meurt en 1632. Il a écrit de la poésie comme Les Pleurs de la Vierge (1608), des Madrigaux et odes (1609), des Églogues amoureuses(1612), mais aussi un drame en cinq actes, Vénus affligée (1612), et Le Conte des contes ou Le Divertissement des petits enfants (vers 1625). Dans cette dernière somme composée en napolitain, il joue aussi bien de la gouaille de figures populaires que de la préciosité du baroque italien.

OMAR PORRAS — Après avoir grandi en Colombie, Omar Porras arrive à̀ Paris à l’âge de vingt ans, en 1984. Il fréquente d’abord la Cartoucherie de Vincennes, découvre, fasciné, le travail d’Ariane Mnouchkine et de Peter Brook, fait un bref passage dans l’Ecole de Jacques Lecoq, travaille avec Ryszard Cieślak, puis rencontre Jerzy Grotowski — ce qui l’incite à s’intéresser aux formes orientales (Topeng, Kathakali, Kabuki). Il fonde le Teatro Malandro à Genève en 1990, affirmant une triple exigence de création, de formation et de recherche. Son répertoire puise autant dans les classiques avec Faust de Marlowe (1993), Othello (1995) et Roméo et Juliette (2012 en japonais) de Shakespeare, Les Bakkhantes d’Euripide (2000), Ay! QuiXote de Cervantès (2001), El Don Juan de Tirso de Molina (2005; 2010 en japonais), Pedro et le Commandeur de Lope de Vega (2006), Les Fourberies de Scapin (2009, 2022) et Amour et Psyché (2017) de Molière, Le Conte des contes (2020) que dans les textes modernes avec La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt (1993; 2004; 2015), Ubu roi d’Alfred Jarry (1991), Strip-Tease de Slawomir Mrozek (1997), Noces de sang de García Lorca (1997), L’Histoire du soldat de Ramuz (2003; 2015; 2016), Maître Puntila et son valet Matti de Brecht (2007), Bolivar: fragments d’un rêve de William Ospina (2010), L’Éveil du printemps de Wedekind (2011) et La Dame de la mer d’Ibsen (2013). Il explore l’univers de l’opéra avec L’Elixir d’amour de Donizetti (2006), Le Barbier de Séville de Paisiello (2007), La Flûte enchantée de Mozart (2007), La Périchole d’Offenbach (2008), La Grande-Duchesse de Gérolstein (2012), Coronis (2019) et celui de la danse avec Les Cabots, pièce imaginée et interprétée avec Guilherme Botelho de la Compagnie Alias (2012). Il interprète également La Dernière Bande de Samuel Beckett, mise en scène par Dan Jemmett (2017), et Ma Colombine de Fabrice Melquiot (2019), un seul-en-scène poétique qui raconte sa jeunesse en Colombie et sa rencontre avec le théâtre, mais nous avons aussi pu le retrouver au plateau avec sa troupe avec Carmen l’audition et Pour Vaclav Havel (2021). Il a reçu plusieurs distinctions dont, en 2014, le grand prix suisse du théâtre/Anneau Hans-Reinhart et dirige depuis 2015 le TKM Théâtre Kléber-Méleau. En 2022, pour les 400 ans de la naissance de Molière, il reprend la création des Fourberies de Scapin. Sa dernière création, Ritualitos (2023) réuni la chanteuse Maria de la Paz, le guitariste William Fierro et le compositeur Christophe Fossemalle autour d’un hommage musical à l’Amérique Latine et à la Terre.

Pythéas de François Herbaux

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Pythéas Explorateur du Grand Nord

Fragments de Pythéas traduits du grec ancien par Christian Boudignon

Éditions Les Belles Lettres,

242 pages, 17€90.

          Marseille, autrefois Porte de l’Orient, perdant l’Orient, donc, désorientée, a aussi perdu le nord, celui de ses quartiers aujourd’hui perdus, comme je le disais dans un de mes livres, Marseille, quart nord. Or, historiquement, culturellement, scientifiquement, c’est Marseille, Massalia, du moins l’un de ses fils, Pythéas le Massaliote, qui, le premier au quatrième siècle avant notre ère semble, s’être lancé à la découverte du nord, du cercle polaire arctique, à sa localisation.

          Mais Pythéas, qui le connaît à Marseille ? Malgré l’ostentatoire fronton de la Bourse du Commerce dans son arrogante et replète puissance bourgeoise du XIXe siècle, cantonne sa statue dans une haute niche au coin droit, faisant symétrique paire avec Euthymènes à gauche, autre mythique navigateur antique, tous deux trop hauts et peut-être trop vus pour qu’on les puisse voir encore. Usure fatale du regard familier.

          Et c’est un homme de notre nord établi dans notre sud, le journaliste-écrivain comme il se définit, par ailleurs correspondant de notre Académie de Marseille, François Herbaux, qui, dans son dernier ouvrage, fait le point, à tous les sens du mot, sur Pythéas, renouvelant notre regard par l’acuité du sien.

          Enquêtes, polar polaire

« Homme du nord », autre définition, vient de lui, il se baptise ainsi dans On m’appelle Spoutnik, récits d’une enfance dans le Nord (2011). Mais à voir ses livres, ce qu’il appelle ses enquêtes, il manifeste une passion du sud, des hommes du sud, et en remontant loin : Nos ancêtres du Midi, « enquête » sur la préhistoire, de Sigean à Menton (2005). Puisque la Terre est ronde, « enquête » sur l’incroyable aventure de Pythéas le Marseillais (2008) ; puis le roman Les Nuits blanches [emprunt à celles de Saint-Petersbourg, de Dostoïevski] de Pythéas le Marseillais (2016), prix Amphoux de l’Académie de Marseille et Une Femme culte, « enquête » sur l’histoire et les légendes de Marie Madeleine (2020). Antique Zététique (2021), sur le scepticisme grec, un art de penser, de douter, de vérifier les informations, un art certes d’hier mais dont on aurait bien besoin aujourd’hui où, sur les plus vicieux que sociaux réseaux, chacun, avec ou sans bagage culturel, ou intellectuel, s’estime détenteur de la vérité et en droit de parler de tout et de n’importe quoi avec une arrogante autorité, réfutant toute contradiction dans un monde où toute parole se vaut, de l’assertion, de l’affirmation, du dictat : de la dictature de l’opinion incontrôlée.

Effectivement, avec la prudence du chercheur et le croisement minutieux des sources du journaliste, il recueille et nous propose toutes les références et lointaines informations qui existent sur Pythéas, méthodique investigation reposant sur des questions et des témoignages antiques contradictoires, examen rigoureux d’un corpus de trente-six fragments de Pythéas traduits du grec ancien par Christian Boudignon, tout un pointillé textuel qui, comme dans les enquêtes policières le trait à la craie autour d’un cadavre disparu, en dessinent le contour donnant une paradoxale présence au corps évacué. De note en note, de point en point de référence, on dirait un portrait en pointillé. En ce sens, dans ce livre solide et séduisant, comme dans les autres livres d’Herbaux, il y a une enquête, quelque chose d’une énigme à résoudre. C’est pratiquement pour moi un « polar » polaire, qui dispense le même type de plaisir de lecture.

Constellation d’astronomes

Comme l’assassin revient, dit-on, sur la scène du crime, Herbaux, lui, revient à sa première enquête sur Pythéas, dont il traçait déjà les vagues contours dans le premier ouvrage qu’il lui consacrait, Puisque la Terre est ronde.

En effet, contrairement aux idées reçues, et contre les atterrants terreplanistes d’aujourd’hui, la sphéricité de la terre était connue des anciens Grecs : de leurs promontoires, pouvaient-ils ne pas remarquer que les bateaux disparaissaient par le bas et apparaissaient par le haut, comme semble le formaliser la figure canonique de la synecdoque de la partie pour le tout : une flotte de cent voiles, menace pointant progressivement l’horizon de leurs mâts, avant de s’avérer navires.

L’un des charmes de ce livre, pour moi, est l’éventail, l’archipel de ces noms de mathématiciens, d’astronomes, piqués sur toutes les îles et cités grecques posées comme papillons miraculeux de science sur cette lucide mer levant les yeux au ciel nocturne. Archipel, que dis-je ? myriade, constellation onomastique fleurant un exotisme ancien plein de réminiscences astronomiques, géographiques, philosophiques et poétiques qui n’avaient pas de compartiment étanche : Artémidore d’Éphèse, Géminos, Apollonios de Rhodes, Marcien d’Héraclée, Eudoxe de Cnide, Posidonius d’Apamée, Dicarque, Hipparque, Autolycos, Étienne de Byzance, Cosmas Indicopleustès, Martianus Capella, etc, sans compter les trop connus Aristote, Strabon, Hérodote, Ptolémée…

          Ératosthène de Cyrène, par un calcul géométrique, comparant sur un piquet de bois vertical, le gnomon, l’ombre du soleil à midi le jour du solstice d’été, en deux endroits, Syène (Assouan aujourd’hui) et Alexandrie, situées à une distance connue du Tropique du Cancer (ou le soleil vertical n’a pas d’ombre à midi), parvint à évaluer la circonférence exacte de la terre (environ 40 000 km), que notre science n’a pu que globalement confirmer.

          Pythéas le Massaliote

          Sans doute s’était-il servi des travaux de Pythéas le Massaliote qui, grâce à ce gnomon, avait calculé la latitude de Marseille, qui serait donc la première cité à avoir eu ce privilège permettant de la situer sur le méridien d’une terre dont on croyait qu’en la remontant vers le nord, par les grands fleuves débouchant dans la Mer Noire, on la pourrait contourner.

De son œuvre, contenus disparus, il ne reste que deux titres de livres : De l’océan, ouvrage astronomique à caractère scientifique, et Autour de la terre, histoire d’un périple. Une seule citation de lui nous est parvenue. Elle évoque un endroit situé au-delà du 62° nord, c’est-à-dire du côté des îles Féroé ou quelque part en Scandinavie :

« Les barbares nous montraient l’endroit où le soleil se repose ; car il arrivait dans ces régions que la nuit devenait très courte, tantôt de deux heures, tantôt de trois, de sorte que, très peu de temps après son coucher, le soleil se levait à nouveau. »

Soleil de minuit dont témoigne cet homme du soleil méridional, mais il est vrai aussi que les Grecs, dans leur culte de Phébus imaginaient que leur dieu avait aussi ses lieux de repos cycliques dans la région boréale. En tous les cas, dans cet indubitable savant reconnu même par ses détracteurs tardifs comme l’acide Strabon romain, montant vers le nord en une époque où Alexandre pousse vers le sud-est, peut-être dans un même élan d’expansion vers des limites, on imagine mal une simple motivation religieuse. On a invoqué, de plus mercantiles raisons à cette expédition, dont ne sait pas grand-chose de l’organisation sûrement nécessaire, une recherche de l’étain, de l’ambre.

De Pythéas, si l’on s’accorde à lui reconnaître ses qualités de géographe, de savant, qui reste sa sûre identité, nulle part, dans ces témoignages troués, on n’y fait allusion comme à un marchand. Le mystère demeure sur les circonstances et le tracé du voyage du Marseillais, mais une carte, illustrant le livre, peut en être dressée, avec les fluctuations inévitables des hypothèses sur les étapes, le tracé de sa navigation. Euthymènes, l’autre Massaliote, dont la statue du Palais de la Bourse est le pendant sculptural de notre Pythéas, navigateur et explorateur le précédant de quelque deux siècles, après de mythiques navigateurs carthaginois, aurait accompli, sinon une circumnavigation, une exploration des côtes africaines de l’Atlantique sud, intitulée Périple de la mer extérieure, le long des côtes africaines. Bien que très mal connu, cette expédition devait bien avoir un désir de découverte non dicté par une rentable nécessité matérielle immédiate.

Franchir des limites

Intérêt commercial de la cité, qui peut être aussi l’alibi concret du rêve dans un univers mental nourri de légendes sur les contrées d’autant plus fascinantes qu’inconnues : Hécatée et ses Hyperboréens, habitants de l’inhabitable contrée froide d’Aristote, en sont un exemple. Des chapitres, « L’île des gens heureux », « La dernière des terres », Thulé, Islande aujourd’hui, sont déjà les prémices des utopies qui accompagneront et poétiseront les Grandes Découvertes du XVIe siècle que j’ai étudiées personnellement, entre chimère et cauchemar comme le « Poumon marin » entre possible glaciation d’horreur ou vaporeuse et gélatineuse entrée dans un autre univers. Une magnifique citation de Lucien de Samosate en épigraphe au chapitre 8, « La dernière des terres », extraite de ses Histoires vraies (en réalité des fictions de cet auteur du IIe siècle) exprime parfaitement, me semble-t-il, cet irrépressible sentiment humain, de vouloir franchir les infranchissables horizons toujours fuyants à l’insatiable poursuite des hommes curieux. Herbaux imagine le narrateur Lucien en Pythéas franchissant « les Colonnes d’Hercule », verrou de la Méditerranée à l’Atlantique « faisant voile vers l’océan du Ponant ». Ce que j’en retiens, c’est sa claire motivation :

« La cause et l’objet de mon voyage étaient la curiosité de mon esprit, le désir de voir des choses nouvelles, la volonté d’apprendre quelle est l’extrémité de l’océan et quels peuples habitent au-delà. »

Peut-être la réputée inatteignable Ultima Thule et ces « choses nouvelles » étaient-elle trop nouvelles et ces trop lointaines contrées inaccessibles pour être crédibles à l’esprit des voyageurs immobiles, critiques acerbes de Pythéas comme Strabon, le traitant d’affabulateur, d’auteur, dirais-je, de galéjades marseillaises anticipées. Mais c’est ce même désir que je retrouve, entre rêve et réalisme chez les explorateurs espagnols et portugais que j’ai étudiés. Ainsi Camõens (1520-1580), prêtant dans ses Luisiades, sa voix à Vasco de Gama qui, le premier, doubla Le Cap des Tempêtes des Anciens, devenu, franchi, vaincu, Cap de Bonne Espérance vers les Indes :

Ainsi, tout doucement, nous ouvrîmes des mers

Que nul homme vivant n’avait jamais ouvertes,

Voyant des îles neuves avec de nouveaux airs,

Qu’Henri le généreux nous avait découvertes.[1] [31]

Si la route maritime des Indes ouvrit la voie au Portugal vers les richesses des Indes, Henri le Navigateur était un roi savant avide d’horizons plus que de lucre.

Séparant l’Afrique de l’Espagne, Hercule le Grec ou un postérieur traducteur y aurait écrit —en latin— Nec plus ultra, ‘Rien au-delà’. De hardis navigateurs, des esprits aventureux n’auront de cesse que de franchir ce qui semblait un tabou et les Temps Modernes des découvertes, et en tout domaine, comme je l’ai montré, qu’il serait trop long de répéter, me semblent caractérisés justement par ce désir, parfois sacrilège, de dépasser des limites, d’enfreindre en frissonnant des interdits, d’aller toujours au-delà. Charles Quint, qui régnait sur un empire où le soleil ne se couchait jamais, ornera les deux colonnes de son blason d’un « Plus ultra » et le philosophe Bacon, un siècle après, en fit la sienne dans les savoirs humains.

Il faut imaginer, entre rêve et contrainte du réel, les navigateurs espagnols ayant découvert à Panama le Pacifique, parcourir toute la côte de l’Amérique, du nord au sud, entrant inlassablement dans le moindre golfe creux, dans le moindre estuaire de fleuve laissant espérer un passage entre les deux océans, en goûtant l’eau douce en l’espérant salée, avec la déception du Saint-Laurent, passage espéré du nord-ouest : « Aca nada », ‘Ici, rien’, donnant nom au pays Canada selon des légendes. Et, après la découverte à l’extrême sud du continent du détroit providentiel par Magellan, il faut se les figurer cherchant les vents, remontant les côtes américaines à la recherche du passage du nord-est d’un océan à l’autre par ce mythique et mirifique détroit d’Anian, le longiligne golfe de Californie dont on espérait au bout la communication, par l’ouest du Pacifique, avec le Saint Laurent et son golfe de l’est atlantique…

Et découvrant toujours des îles, et avec la terreur de la prophétie que découvrir « la dernière des terres » serait la fin du monde. Cauchemar et rêve ont toujours nourri la science, fait avancer l’homme, exorcisant l’un pour faire advenir l’autre. Comme cette ultime Thulé ou Tile et sa polaire étoile. Qui depuis l’Antiquité n’a cessé de briller aux confins de la légende et de la réalité inaccessible.

Dans la tragédie historique de Cervantes El cerco de Numancia (1585), Le siège de Numance (- 134 – 133 av. J-C), ville ibère alliée aux Carthaginois, dont tous les habitants se sont suicidés plutôt que de se rendre aux assiégeants romains, le dernier vivant, un petit garçon, défiant Scipion qui veut au moins un survivant, pour son triomphe à Rome, préfère se jeter de la tour et se tue. Dernière scène, « La Renommée » proclame alors sa gloire d’un pôle à l’autre : « de Batria a Tile » ou Thule, Ultima Thule, résonant aussi depuis Sénèque, métaphore et hyperbole de l’extrême lointain d’un monde sans mesure.

Passage du nord-ouest et Ultima Thule

          Comme aujourd’hui le commerce mondial, freiné ou paralysé par la crise en Mer Rouge et la vulnérabilité du Canal de Suez, espère du réchauffement climatique et de la fonte des glaces polaires un passage du nord-est entre l’Asie et l’Europe (espoir plombé par la crise russo-ukrainienne, les détroits étant russes), au cours et au tournant des XVIe-XVIIe siècles, tout en en poursuivant l’exploration, c’est l’exploitation des nouveaux mondes qui active la recherche d’un économique passage du nord-ouest vers l’Asie.

Documenté en géographie, Rabelais, dans son Quart Livre (1552), fait naviguer son héros Pantagruel vers la Chine, non par la route torride des Espagnols, mais par les glaces du nord. Mais il appartient à Cervantes, inventeur du Chevalier errant rêvant de pays imaginaires, fils de ce peuple espagnol itinérant aux quatre points cardinaux, de concrétiser en fiction la nouvelle sensibilité géographique, aux horizons éclatés à l’image nouvelle du monde. Avec le moule revendiqué de ce qu’on appelle anachroniquement « roman » grec des I au III siècles de notre ère, tels Chéréas et Callirhoé de Chariton d’Aphrodise, l’Histoire de Leucippé et Clitophon dAchille Tatius d’Alexandrie, Les amours de Théagène et Chariclée d’Héliodore d’Émèse, histoires d’amour et d’aventures qui deviennent le modèle du roman baroque, Cervantes écrit Los trabajos de Persiles y Sigismunda, dont la publication en 1617 est posthume.

Il y conte les amours et aventures de Persille, prince de Thulé, et de Sigismonde, fille du roi de de Frislandia, île mythique. Pour les Espagnols sans doute lassés des prodiges et merveilles d’outre-mer, Cervantes invente un exotisme nordique et, avec ces deux héros, promène le lecteur dans des féériques ou maléfiques contrées, nimbées de la brume des rêves, des neiges de la pureté, des glaces de l’effroi, dans une errance du nord au sud de l’Europe, avec comme terminus finalement dirait-on, l’inévitable Ultima Thule.

Dans l’avant-dernier chapitre (XIII), il cite la mention de Virgile sur Thule dans les Georgiques (I, 30) mais précise avec les nouvelles connaissances :

« l’île de Tile o Tule, qu’on appelle aujourd’hui vulgairement l’Islande, était la dernière de ces mers septentrionales ; car un peu avant, il y a une autre île […] appelés Frislandia, que le Vénitien Nicolas Temo [sans doute erreur pour les frères Zeno] découvrit en 1380, aussi grande que la Sicile […] il y a aussi une île puissante, presque toujours couverte de neige, qu’on appelle Groenlandia ».

Île étrange en vérité, héritée des affabulations des lettres des frères Nicolò et Antonio Zeno publiées et portées sur la carte, le portulan de leur neveu Nicolò près d’un siècle plus tard, en 1558. En effet, on y trouve un monastère avec des moines enseignant le français, l’espagnol, le latin et le toscan, une fontaine d’eau chaude (qui ferait penser à l’Islande), qui facilite une pêche abondante, une source de goudron qui se solidifie tel du marbre dont on fabrique des maisons.

Voilà donc les réflexions complémentaires que m’inspire cet élégant petit volume maniable de 240 pages, imprimé clairement, doté d’une riche bibliographie, d’un index commode. Comme universitaire, j’en salue la savante simplicité, la précise érudition et, comme écrivain, j’en goûte l’élégante clarté.

Benito Pelegrín

Table des matières

Avant-propos

PREMIÈRE PARTIE
Les sources antiques
1. Le jour le plus long
2. L’ombre du gnomon
3. Quelque part en Grande- Bretagne
4. Pythéas entre les lignes

DEUXIÈME PARTIE
Visions du Grand Nord
5. Au- delà du grand mur
6. L’île des gens heureux
7. Thulé à vue de ne
8. La dernière des terres

TROISIÈME PARTIE
Postérité de Pythéas
9. Je ne sais quel Pythéas
10. Pythéas, le retour
11. Les aventures de Pythéas le Gaulois

QUATRIÈME PARTIE
Le dossier Pythéas
12. Pythéas a- t-il vraiment existé ?
13. Le poumon marin
14. Le dernier mot ?
15. Contes et légendes de Pythéas
Pythéas le Marseillais – Les fragments
Postface

Les lieux explorés par Pythéas (carte)
Principales éditions des fragments de Pythéas
Bibliographie
Index

 

Site François Herbaux : http://www.francoisherbaux.fr/ [32]

 

 

 

[1] [33] Benito Pelegrín, Figurations de l’infini, Première Partie, Les routes du monde, 3. L’espace poétique de la géographie. Le Seuil, 2000, p. 111.

Musical Bounce Back, un projet artistique et pédagogique au service de la visibilité des compositrices

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Tel Ulysse de retour à Ithaque après un long périple, Musical Bounce Back revient à Marseille après un parcours de 3 ans dans plusieurs pays européens : Chypre, Arménie, Grèce et Portugal. Nathalie Négro nous dévoile les contours de cette étape finale d’un projet au long cours qui a démarré à Marseille et dont la mise en bouche était une conférence sur les compositrices oubliées. L’occasion de rappeler que malgré la mise en place de lois en faveur de la parité, en Musique, les femmes restent encore très minoritaires, notamment en termes de composition et de direction.

La directrice de Piano and Co, fervente défenderesse du matrimoine musical, développe en préambule les raisons de ce projet. « Les compositrices ont été effacées de l’histoire au fur et à mesure que l’histoire de la musique s’est écrite. Elles ont disparu, elles se sont évaporées et nous tentons de les réhabiliter, les réintégrer et les faire ressurgir de l’histoire. Je pense qu’il faut vraiment travailler là-dessus avec les jeunes. Mobiliser les jeunes, leur faire prendre conscience de cette invisibilité. C’est un sujet très important qui me tient énormément à cœur. Et Musical Bounce Back a pour objectif de mettre en avant ce matrimoine musical passé et présent que je défens depuis toujours. Dans chaque pays visité, on a rencontré des compositrices, découvert de nouvelles et redécouvert certaines que nous connaissions. »

[34]

Interview

Diane Vandermolina : Vous faites appel à deux compositrices contemporaines pour les concerts de clôture du projet.

Nathalie Négro : Oui, la première, Eve Risser a composé pour la trentaine de musiciens qui participent au projet. Eve est à la frontière de différentes esthétiques : c’est très important parce qu’elle travaille entre le jazz, la musique contemporaine, classique et traditionnelle. Elle prend en compte dans son écriture musicale l’héritage de musique traditionnelle des jeunes musiciens du projet. Il y a un mixte entre ce qui est contemporain et traditionnel dans sa composition pour orchestre. Et le fait que les jeunes musiciens viennent de 5 pays différents permet d’avoir un mélange intéressant. Elle a travaillé du début jusqu’à la fin du projet avec eux. Eve nous a suivis dans tous les déplacements pour travailler avec les jeunes de chaque pays et elle écrit véritablement pour eux. C’est une oeuvre pour orchestre et bien sûr il y a un côté plus écrit que dans le jazz mais elle garde dans sa composition cet esprit jazz et l’héritage traditionnel en les mêlant avec l’écriture d’aujourd’hui.

DVDM : Vous avez également fait appel à une autre compositrice d’origine grecque, Esthir Lémi

NN : Oui, c’est une compositrice d’électro-acoustique et elle a écrit une pièce pour harpe, piano et marimba. Il y a trois musiciens du projet européen qui vont interpréter sa pièce. Elle travaille des partitions graphiques car elle est plasticienne et musicienne et sa création est une bande électro-acoustique : elle s’appelle Calculi Mediterranei.

DVDM : A ce propos, pour ce projet, vous avez travaillé avec le LICA, le laboratoire d’intelligence collective artificielle.

NN : Oui, ça fait de longues années qu’on travaille ensemble. Ils ont été surtout présents pour le site web qu’on va créer pour que les jeunes puissent avoir accès à toutes les ressources qu’on a accumulées pendant trois ans. Ils étaient là aussi pour faire toutes les animations d’atelier et je trouvais ça pertinent de voir comment les nouvelles technologies peuvent s’intégrer au niveau de la création, de la recherche musicale et de la transmission. C’est une collaboration très fructueuse qu’on développe avec eux depuis plusieurs années.

[35]

DVDM : Parlez-nous du programme des 3 soirées.

NN : Le jeudi, il y a la projection d’un film sur les pionnières de l’électro-acoustique avec la voix de Laurie Anderson qui retrace tout ce qui s’est passé en électro acoustique depuis le début du 20ème siècle et après, il y a quatre compositrices qui seront jouées. C’est une soirée électro-acoustique. L’ L’électronique étant surtout un domaine masculin, il nous a paru intéressant de faire un focus sur les compositrices. Puis vendredi soir, il y a une première partie avec des compositrices qu’on a rencontrées depuis le début du projet, des compositrices des cinq pays et les musiciens vont jouer, non pas en orchestre pour cette première partie, mais en duo, en trio, en quatuor. La deuxième partie, c’est la création d’Eve Risser où tous les musiciens vont se retrouver. Le samedi est une journée intense, il va y avoir une belle table ronde. Parce qu’à Piano & Co, on fait des mélanges d’esthétiques, il y aura une jeune rappeuse, Amalia, il y aura une chanteuse de jazz, Macha Gharibian, Eve Risser et une autrice qui a écrit un livre qui s’appelle Les femmes musiciennes sont dangereuses. Cette table ronde est animée par un homme spécialiste de cette question d’égalité des femmes. Puis, la réalisatrice, Anne Alix qui a fait un documentaire sur tout le projet, va en montrer quelques extraits et il y aura une rencontre avec elle. Le soir, il y aura le deuxième concert avec une première partie avec des compositrices qu’on a rencontrées au fil du projet et la deuxième mondiale d’Eve Risser, on rejoue la pièce qui aura été créée la veille. C’est très dense.

DVDM : Comment avez-vous rencontré ces compositrices ?

NN : Ce sont les pays qui nous ont proposé des femmes : on ne les connaissait pas, parfois elles ne sont même pas éditées, et il a vraiment fallu aller faire des recherches pour les découvrir et dans chaque pays, ça a été une vraie découverte des compositrices : c’est ce qui a motivé toute la démarche, la recherche car on est sur la valorisation du répertoire, sur le matrimoine musical. On a imaginé un kit pédagogique, une sorte de guide d’emploi. Comment peut-on changer les habitudes dans les conservatoires, dans les écoles de musique ? Comment peut-on faire pour valoriser les femmes compositrices, les cheffes d’orchestre et changer la donne pour que ce ne soient pas toujours les garçons qui jouent de la trompette et la fille à la harpe, changer les habitudes etc…. ? C’est aussi ce qu’on a essayé de faire avec notre groupe de jeunes, on est à peu près 50-50 de garçons-filles avec une fille à la trompette.

DVDM : Non seulement il y a eu une recherche mais aussi une mise en pratique effective. Par ailleurs, le projet a reçu le label “ONU Femmes France / Génération Égalité”, en 2023 pour tout le travail mené.

NN : C’est une belle reconnaissance au niveau du travail et de notre engagement aussi d’autant plus que des projets comme ça, d’aussi grosse envergure avec 5 pays différents, c’est assez compliqué à mettre en place. Piano & Po est leader de ces projets et c’est très compliqué, surtout quand on touche des pays de différents endroits comme la Grèce, le Portugal, l’Arménie qui sont assez éloignés les uns des autres. C’est cependant intéressant de voir comment, par exemple l’Arménie pense le matrimoine…

[36]

DVDM : Quel est l’impact de ce projet sur les enseignants avec lesquels vous avez travaillé ?

NN : La plupart des enseignants ne s’étaient pas vraiment posé la question, et ça a un peu réveillé les consciences. Et pour cela sur le site web, on trouvera des interviews de compositrices, des micros trottoirs, des enquêtes, des captations des conférences….On veut qu’il soit le reflet du travail de réflexion mais aussi du travail sur le terrain qui a été mené. Pour finir, le kit pédagogique, la boîte à outils, va permettre à d’autres conservatoires de réfléchir sur ces questions, voire utiliser ces outils qu’on a développés et les intégrer au sein de leur conservatoire : par exemple en imposant de jouer des compositrices dans les concours de fin d’année pour les instrumentistes afin de permettre aux jeunes d’avoir des modèles. Par exemple, il n’y a pas beaucoup de cheffes d’orchestre femmes et c’est difficile de s’imposer en tant que femme. Depuis 2020, il y a un concours de femmes cheffes d’orchestre mais il y a beaucoup de travail à faire. On a seulement mis un doigt dans l’engrenage.

DVDM : Avez-vous de nouveaux projets à venir ?

NN : Oui, je suis déjà en train de réfléchir sur le prochain projet, et comme on commence à avoir une expérience de cette thématique, on a les outils, on a les ressources, on a déposé un projet européen Europe Créative, et non Erasmus + comme celui qu’on présente à Marseille. C’est toujours enrichissant d’aller se confronter aux autres cultures. On va avoir des pays des Balkans et peut-être du Nord, pour confronter ces cultures qui sont peut-être un peu moins sur le patriarcat que celles du Sud.

DVDM : Et maintenant, vous êtes non seulement Présidente de la Cité de la Musique, mais en plus membre du CA de la Casa Velázquez.

NN : C’est une reconnaissance de travail, de la qualité aussi. Ça permet de mettre des femmes dans des sphères de direction. C’est important parce que qu’il n’y en a pas beaucoup. Mais, aujourd’hui, on commence à avoir des oreilles et des yeux attentifs.

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DVDM : Est-ce qu’il y a, par exemple, une petite anecdote qui a été dans cette aventure-là marquante pour vous ?

NN : Il y a eu une anecdote. C’est que pendant notre déplacement en Arménie, je racontais aux jeunes Arméniens mon parcours. Je leur racontais qu’on m’avait dit quand j’ai passé un concours de piano, bravo, tu as un beau jeu masculin. À 14 ans, on m’avait dit ça. Et il y a une jeune fille arménienne, une jeune pianiste qui m’a dit, écoute, on m’a dit la même chose cette année. Donc, après tant d’années – elle peut être ma petite-fille- on lui a dit la même chose. Ce qui est complètement ridicule de dire qu’il y a un jeu masculin ou un jeu féminin. Je défie quiconque de reconnaître sur un même morceau de musique, si c’est un garçon ou une fille qui joue, c’est impossible. Et ils le disent aussi des cheffes d’orchestre femmes, de leur façon masculine de diriger. C’est quand même assez terrible. Mais, allez, on va dire que ça bouge un tout petit peu.

DVDM : En comparaison avec les compositrices anciennes ?

NN : Oui, Clara Schumann et Fanny Mendelssohn ont écrit beaucoup d’œuvres. Pourtant, Fanny a été interdite par son frère et surtout par son père. Mais il reste quand même quelques partitions. On peut avoir un petit doute, puisque son frère s’appelait Félix et elle s’appelait Fanny. Et quand il y a une partition, il y a un F. On a un doute si c’est Fanny ou Félix. Mais ces femmes-là, ces anciennes compositrices, ne devaient pas s’exposer en public. Il y avait une interdiction, un empêchement de la part des pères, des frères et des maris.

DVDM : Et le fait que maintenant, il y en ait moins d’interdiction, est-ce que ça permet aussi aux femmes compositrices d’être un peu plus reconnues ?

NN : Elles prennent un peu plus de place. Mais franchement, le chiffre des programmations de femmes n’est pas énorme. On est en-dessous des 10%.

DVDM : Et est-ce que l’autocensure, par exemple, est encore très présente ?

NN : Je pense qu’elles s’autorisent moins ou qu’elles s’autorisent moins à prendre de la place. Peut-être pas de l’autocensure, mais d’être en manque de confiance. C’est vrai que ce n’est pas évident d’arriver, dans un monde plutôt patriarcal, à s’imposer. Surtout que la musique reste quand même très, très masculine. En jazz, c’est terrible. On voit un peu plus de femmes, mais, les femmes, ce sont surtout les voix. Si on demande de citer des compositeurs ou des compositrices, le chiffre de d’énumération de compositrices sera très petit alors que pour les compositeurs, on va citer Beethoven, Chopin, Mozart, ça vient plus facilement. Et tout le but du projet est de permettre aux enseignants d’enseigner autrement, d’ouvrir un petit peu des pages blanches sur des choses qui ont été oubliées. Effacées.

A partir de ce jeudi, venez découvrir ces « Rebondissements musicaux » inédits proposés par Piano and Co. Un temps fort à ne manquer sous aucun prétexte ! DVDM

 

Programme du 11 au 13 avril 2024 :

JEUDI 11 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille

Film

18h : « Sisters with transistors » film réalisé par Lisa ROVNER, 2021

Concert électroacoustique

20h : Création mondiale Esthir LEMI, oeuvre d’Angela da PONTE

VENDREDI 12 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille

Concert

20h : Création mondiale d’Eve RISSER, soirée « Compositrices européennes »

SAMEDI 13 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille

Table Ronde

14h45 : Rencontre modérée par Pierre-Yves GINET, journaliste

avec : Eve RISSER, compositrice ; Annie COSTE, autrice « Les femmes musiciennes sont dangereuses »

Macha GHARIBIAN, pianiste compositrice ; Amalia, rappeuse

Projection

16h : Extraits du documentaire « Musique Maestra ! », réalisé par Anne ALIX

Suivie d’une rencontre

avec : Anne ALIX réalisatrice ; Eve RISSER, compositrice ; Nathalie NÉGRO, directrice artistique de PIANO AND CO

Concert

20h : Concert de clôture, soirée « Compositrices européennes »

Bon à savoir :

DU 8 AU 13 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille : 1 PARCOURS, EXPOSITION ITINÉRANTE

Un parcours singulier, pour tout public a été imaginé par la directrice artistique de PIANO AND CO. Nathalie NÉGRO, afin de sensibiliser le public à l’invisibilité des compositrices. C’est à Claudine BERTOMEU qu’a été confiée toute la scénographie de la déambulation qui aura lieu au sein du Conservatoire Pierre Barbizet de Marseille. Différents espaces ont été investis afin de jouer sur la visibilité et l’invisibilité des compositrices. Le public pourra déambuler au fil des étapes proposées, où il découvrira des projections vidéo, des stations d’écoute, des informations retraçant l’histoire des compositrices des pays impliqués dans le projet, des portraits de compositrices affichés

Entrée libre

MUSICAL BOUNCE BACK ce sont :

5 pays euro-méditerranéens partenaires

10 enseignant.e.s impliqué.e.s

30 jeunes musicien.ne.s au coeur du projet

50 000 étudiant.e.s impacté.e.s dans l’ensemble des établissements

Infos pratiques :

Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille 2 Pl. Auguste et François Carli, 13001 Marseille

Tarifs

Concerts vendredi / samedi : Tarif plein 15€ / Tarif réduit 8€

Concert électroacoustique : 12€ / Tarif réduit 7€

Film “Sisters with transistor” : 7€

Concert électroacoustique + film : Tarif plein 15€ / Tarif réduit 10€

 

Franz Schubert et Félix Mendelssohn par l’ensemble vocal Gyptis

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Venez entendre l’Ensemble vocal Gyptis, sous la direction de Bénédicte Pereira, le 13 avril 2024 à 20h à l’Eglise Saint-Ferréol, 1 Quai des Belges 13001 Marseille !

Dans un programme polyphonique, aux prémices du Romantisme, deux immenses compositeurs allemands du XIXème siècle, Franz Schubert et Félix Mendelssohn.

Les chanteurs seront accompagnés par un Quatuor à cordes, un clavier et des solistes mêleront la beauté de leurs voix à ces pages d’une grande émotion et ferveur spirituelle.

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Bénédicte Pereira

Messe No 2 en Sol Majeur D.167  de Franz Schubert.

Si on connaît de Schubert ses merveilleux cycles de Lieder,  (Le Voyage d’hiver, composé un an avant sa mort, 1827 …), son poignant Quatuor la Jeune Fille et la Mort, ses merveilleuses pièces pour piano (Impromptus…), son Ave Maria, la fameuse Sérénade (Ständchen), la Symphonie Inachevée…, on connaît moins son œuvre polyphonique religieuse.

L’œuvre est composée en 1815, Schubert a 18 ans!  Cette seconde Messe est orchestrée plus modestement que la première avec seulement un orchestre à cordes et un orgue accompagnant le chœur et les solistes (soprano, ténor et baryton). Douceur et chaleur expressive ici contrastent avec la première Messe plus fastueuse, pour le centenaire de l’église de Liechtental, avec une palette instrumentale plus fournie.

Mais cette œuvre de jeunesse mérite notre attention car elle renferme des pièces d’un style élégant, héritage du Classicisme viennois et une écriture ciselée, annonçant les frémissements du Romantisme: Le Benedictus pour soprano solo planant, mêlé à des pages plus triomphantes comme le Sanctus avec son Osanna fugué très enlevé. On retrouve l’ordinaire de la Messe polyphonique classique: Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei. Dans la continuation de Mozart et Haydn, le génie de Schubert est en marche.

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Lauda Sion op. 73 de Félix Mendelssohn

Composé à 37 ans, un an avant sa mort, ce Lauda Sion est certainement moins connu aussi que les chefs-d’œuvre du grand compositeur allemand (Songe d’une nuit d’été, Symphonie Italienne, Romances sans paroles…et la Marche Nuptiale !…), mais c’est une composition majeure.

Le texte est issu d’une séquence latine, composée par Saint Thomas D’Aquin pour la Messe de la Fête Dieu. Mendelssohn structure le texte en sept mouvements, alternant chœur, solistes et orchestre à cordes : Lauda Sion Salvatorem, lauda ducem et pastorem, in hymnis et canticis… Sion, louez votre Sauveur, louez votre chef et votre pasteur, par des hymnes et des cantiques…

C’est en avril 1845 que l’Evêque de Liège demanda à Mendelssohn de composer ce Lauda Sion pour la Fête du Saint-Sacrement dont le 600ème anniversaire devait être célébré l’année suivante pour commémorer la composition de cette célèbre séquence par Saint Thomas d’Aquin en 1246. Il acheva sa partition le 6 février 1846 et l’envoya à Liège le 23 février. Il assista à la création à l’église Saint-Martin de Liège, le 11 juin de la même année.

Un an avant sa mort, à 37 ans, Mendelssohn, nous offre un chef-d’œuvre empreint d’élan, de passion, d’exaltation, sentiments présents dès la première pièce: un Andante Maestoso d’une grande plénitude suivi d’un Allegro Maestoso, magnifique fugue jubilatoire. L’Andante con moto  (Chœur N° 2 : Laudi thema specialis) est une page en do mineur qui semble flotter, comme un Adagio de concerto pour piano. On reconnaît l’héritage des chorals de Bach dans le puissant Chœur N°5 : Docti sacris institutis où les voix en parfaite homorythmie et à l’unisson, développent un chant d’une grande beauté.

22 chanteurs passionnés, des solistes et instrumentistes de grande qualité : citons Catherine Padaut, Christine Tumbarello, Arnaud Hervé, Aaron Ambeau.  

Un printemps romantique qui vous fera vibrer !

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 https://www.helloasso.com/associations/ensemble-vocal-gyptis [41]

Don Quichotte de Jules Massenet

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Opéra de Marseille,

Dimanche 24 mars 2024

Dernière représentation à Marseille, le 12 mars 2002

Opéra en cinq actes, inspiré non du livre de Cervantès, mais du livret d’Henri Cain tiré d’une pièce de théâtre de Jacques Le Lorrain, Le chevalier de la longue figure, créée à Paris en 1904, sans doute pour le 300e anniversaire de la publication du roman l’année suivante. L’Opéra le sera à Monte-Carlo en 1910, avec beaucoup de succès, la grande basse russe Chaliapine dans le rôle-titre.

Cervantès et Don Quixote, modèle moderne du roman

Don Quijote aujourd’hui, Don Quichotte en français selon l’exacte prononciation du X castillan ancien, de Don Quixote, pour être précis, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de La Manche, est un roman écrit par Miguel de Cervantès Saavedra (1547-1616). On appelait Cervantès aussi « El Manco glorioso », ‘le glorieux manchot,’ car, aspirant à la gloire militaire, engagé dans la flotte espagnole d’Italie, il perdit l’usage de la main gauche d’un coup d’arquebuse lors de la fameuse bataille de Lépante en 1571, qui porta un coup d’arrêt à l’avancée des Turcs en Méditerranée.

Il persista dans la vie militaire mais quatre ans plus tard, bénéficiant d’un congé, se rendant en Espagne, au large des côtes catalanes, son bateau fut attaqué et pris par des galères turques et il fut vendu comme esclave à Alger. On l’y condamna aussi au bagne car il tenta par quatre fois de s’évader, refusant même sous la torture de dénoncer ses compagnons, assumant seul le projet d’évasion. Finalement racheté par les Trinitaires (le rachat d’esclaves était un commerce), il rentra en Espagne et y mena sa vie littéraire, théâtrale, poétique, une œuvre pétrie d’humanisme, qui témoigne, sans aucune amertume, de ces terribles expériences. Deux de ses pièces ont pour cadre Alger et l’épisode de cette captivité. Commissaire aux vivres, accusé de vente illicite de blé, il fut emprisonné plusieurs fois, excommunié, innocenté. Mais, après son adieu aux armes, il avait abandonné l’épée pour la plume.

Don Quichotte fut publié à Madrid en deux parties, 1605 pour la première, puis la seconde en 1615. Son succès fut tel qu’il subit des tentatives de récupération frauduleuse avec une suite apocryphe. Aussitôt connu en France, il sera traduit dans plus de cent-quarante langues et dialectes et, avec la Bible, fait partie des livres les plus traduits au monde. Jouant avec la fiction, les héros de fiction Quijote et Sancho, lisant et commentant leurs propres aventures supposées traduites d’un historien arabe en espagnol, superposant les points de vue en miroir, le perspectivisme du regard différent des deux héros sur le même réel, fait que ce livre est considéré comme le premier roman moderne, fascinant certains théoriciens du Nouveau roman. Milan Kundera en fait un pilier de son Art du roman et voit en Cervantès le « fondateur des Temps modernes », d’un monde « fondé sur la relativité et l’ambiguïté des choses humaines », l’ambivalence de la Vérité, où les dogmes se fissurent, « incompatible avec l’univers totalitaire », qui règne sur la pensée unique obligatoire. Dans la « Septième partie » de son essai, il écrit :

« Le romancier n’a de comptes à rendre à personne, sauf à Cervantès. »

Du livre au livret de l’opéra

Avec un flagrant non-sens, la pièce et le livret situent l’action au Moyen-Âge, sans que personne n’y semble contredire, alors qu’elle est supposée contemporaine de l’écriture du roman, le début du XVIIe siècle puisque, justement, Don Quichotte, est jugé anachronique et fou parce qu’il veut restaurer, en pleine époque moderne, l’épopée de la chevalerie médiévale errante, attifé de la cuirasse de son bisaïeul et coiffé d’un casque bricolé d’un plat à barbe. Grand lecteur érudit, il a la tête farcie par tous ces romans de chevalerie si en faveur dans la Péninsule ibérique, dont se délectaient les Espagnols, dont s’accompagnaient les conquistadors qui donnaient des noms tirés de ces récits fabuleux aux fabuleuses terres qu’ils découvraient : Califormie, de la reine Cali d’un de ces romans, Floride et sa fontaine de l’éternel printemps fleuri d’un autre. Même les auteurs mystiques, les futurs saints, comme sainte Thérèse, en étaient enflammés, et Ignace de Loyola, en chevalier de la Vierge, Dame parfaite, voulut défier en duel un maure qui avait osé douter de sa virginité, considérée sa réalité de mère.

Tout le monde connaît le terme affectif de Dulcinée pour désigner la femme aimée passionnément. C’est un héritage du Don Quichotte où c’est le nom de la vaporeuse Dame invisible des pensées du chevalier errant, Dulcinea del Toboso, qu’il donne à une vigoureuse paysanne dont il refusera toujours la réalité concrète. C’est la plus grosse et grossière trahison du livret de l’opéra de Massenet, puisque Dulcinée, dépouillée de sa poésie immatérielle, très à la française XIXe siècle, y est une courtisane qui vend ses charmes à une foule de galants empressés.

Dans le roman, Cervantès raconte les aventures d’un nobliau, d’un hidalgo pauvre, Alonso Quixano, vivant dans la Manche, le sud de la Castille. La tête tournée par les livres héroïques de chevalerie d’une époque idéaliste bien révolue, il prend la décision de devenir chevalier errant sous le noble nom de Don Quichotte et de parcourir l’Espagne pour combattre le mal, protéger les opprimés, défendre la veuve et l’orphelin. À son cheval, et pas une jument comme on croit, mais une rosse, un rocin, il donne le nom ronflant de Rocinante, en rien péjoratif. D’un paysan naïf, Sancho Panza, il fait son écuyer, qu’il traite noblement non en seigneur mais comme son égal, un ami, et même, il l’appelle parfois « fils ».

Comme les conquistadors lancés à la conquête du Nouveau Monde, comme les mystiques lancés à la conquête des Indes du Ciel, c’est avec la même folle énergie que leur contemporain Don Quichotte s’élance en ce bas-monde pour en corriger les injustices. Il voit tout au prisme de son rêve chevaleresque généreux : les auberges deviennent des châteaux, les paysannes des princesses, et les moulins à vent de la Manche, alors tout nouveaux et immenses pour l’époque, des géants. Il combat pour la liberté, le meilleur des biens, et il délivre une file de prisonniers condamnés aux galères, qui se retournent contre lui. Mais les défaites de ses combats moraux sont plus belles que certaines victoires.

Sancho, avant d’en être imprégné à la longue, s’étonne au début de l’idéalisme grandiose de son maître et le Chevalier à la Triste Figure lui répond cette magnifique phrase, ignorée du livret :

« Ami Sancho, vouloir changer le monde n’est ni folie ni utopie, mais justice. »

Une justice terrestre à régler entre hommes et, si les chevaliers errants sont les ministres de la justice de Dieu sur terre, le roman dispense une morale profane, évidemment sans contradiction avec la religion, mais pas religieuse pour autant même si, dans ses conseils à Sancho devenu gouverneur d’une île, qui a la foi du charbonnier, le Chevalier parfois prédicateur, lui parle de Dieu comme référence morale, un Dieu dont à ses yeux, revenu de ses illusions, parmi les attributs, « brille davantage la miséricorde que la justice », dit-il sur son lit de mort. Cependant, les chevaliers des romans professaient une religion à la fois mondaine et mystique de la Dame : c’est elle qu’ils invoquaient à leur mort, et non Dieu ou la Vierge.

Saint laïque ?

La pièce, écrite en pleine guerre anticléricale, est créée l’année précédant les fondamentales lois séparant l’Église de l’État de 1905. Dans l’œuvre, et souligné à l’évidence par le metteur en scène, Don Quichotte, moqué, raillé, humilié, torturé par les bandits, pratiquement mis en croix, est une figure christique dont l’innocence, la bonté réussissent l’exploit de renverser la situation et parvenant, sans coup férir, sans blessure, à se faire rendre le collier dérobé à Dulcinée par des bandits qui le prennent pour un saint et demandent sa bénédiction. Pour Dulcinée conquise et émue, c’est un « fou sublime ».

          Inspiré du roman éponyme de Benito Pérez Galdós (1885), le dernier film mexicain de Buñuel Nazarín (1958, primé à Cannes en 1959), est une cruelle parodie du parodique Don Quichotte de Cervantès avec son nazaréen héros, prêtre sacrificiel volé, calomnié, injustement accusé, poursuivi, traqué, injurié, frappé, acceptant tout comme un Chemin de Croix de Jésus.

          Esclave à Alger, Cervantès a connu les trois religions du Livre, fréquenté, en Espagne même, les descendants survivants de juifs ou de musulmans convertis à la force. Dans son œuvre, si Dieu ne peut y être nié, on ne trouve pas trace de dogmatisme religieux. Dans son roman une toute simple phrase, «Sancho, con la iglesia hemos dado », ‘Sancho, nous avons trouvé l’église’ quand, dans un village nocturne les deux personnages cherchent un château, a donné lieu à des gloses infinies, peut-être, comme une raillerie de l’obstacle de l’Église institutionnelle espagnole.

Réalisation et interprétation

Le rideau se lève sur une nocturne foule en liesse, poussant avec allégresse des « Alza !» aussi abondants dans cette pièce que rarissimes ou inconnus en Espagne (qu’on y est obligé de surtitrer et de traduire par « Anda ! » ou « Arriba !»), d’autant que le z fricatif sourd espagnol, prononcé à la française, lui donne un caractère insolite, aussi surréaliste que les quatre étranges spectres sculpturaux torse nu, un bras noir, l’autre blanc, dignes d’un film de Cocteau, ou figurations fantomatiques, plus bénéfiques que maléfiques, qui escortent le Chevalier. Fête de musique espagnolisante de bonne facture d’un Massenet qui, depuis Don César de Bazan a puisé en Espagne l’inspiration de quatre opéras et d’un ballet.

Noir, c’est noir, un univers chromatique de Soulages pour un monde ténébreux où se distinguent, de noir vêtus aussi, une foule d’hommes en habits, en fracs, de l’époque de la pièce et de l’opéra, haut de formes formant une ronde, une funèbre fresque, comme les fraises blanches des bandits, arrachés de l’ombre par les lumières ombreuses de Patrick Méeüs, une oxymorique et cornélienne « obscure clarté qui tombe des étoiles » quand, le rideau dans le rideau s’ouvrant, apparaît, comme un astre, en robe scintillante, Dulcinée, véritable vision stellaire digne du visionnaire Chevalier.

Comme un tiento vocal de flamenco, ses longues roulades voluptueuses, introduisent une très lente cantilène au rythme très assagi de séguedille, « Une femme à vingt ans… » qui n’a pas oublié la coquette et inconséquente Manon alors que cette Dulcinée, plus subtilement, laisse déjà percer les suites de l’âge et les ravages du temps pour la femme fragile en sa beauté, dans son dernier air de courtisane usée, abusée, blasée, héritière aussi, dans ses nostalgies d’amour pur de Dame aux camélias, de Traviata, prémonitoire Marilyn blonde lassée, se dépouillant de sa perruque comme des illusions de jeunesse,  traversant la scène dans un raccourci et une anticipation magistrale de la trajectoire des astres filants, éclairs de lumière et de feu, des femmes objets consommées et consumées de ce monde patriarcal où l’on feint de les laisser régner pour s’en régaler et rejeter dans l’ombre.

Les transformations sinon à vue, derrière le paravent des bras des admirateurs des somptueux costumes de Diego Méndez Casariego, de la belle, ou du simple rien qui l’habille, un simple drap dont elle tire ses revenus, métaphorisent le métier de cette Dulcinée à laquelle, pulpeuse, voix charnue, d’ombre et d’ambre, voluptueuse sans lourdeur, nimbée de nostalgie, Héloïse Mas prête sa languide beauté, et sa grâce parfois picaresque.

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Dans cette épure minimaliste de Louis Désiré, dans cette nuit généralisée, trône et sera traîné comme un symbolique chariot de théâtres et lieux divers des exploits immobiles, un lit à baldaquin défraîchi, ciel de lit des songes et mensonges annonçant une phrase de la fin, lit de vie multiple de l’orgie et de mort, lit sans doute premier du sommeil hanté de ces images de Don Quichotte et de sa fin : le sommeil de la mort de Calderón. Sur un tabouret, une simple et dérisoire statuette équestre du seul Don Quichotte lance en main, sans le bon Sancho sur son âne, déplacée, figure les errances du Chevalier, dont une vieille veste militaire, épinglée de médailles, comme une défroque, semble indiquer un passé miliaire glorieux, celui du Quichotte ou de Cervantès.

Comme un contrepoint à jardin, un groupe de chaises offre à Dulcinée et acolytes, l’occasion de beaux groupes de mouvante sculpture. Dans l’ombre, belle danse lumineuse des chapeaux ou fanaux colorés. Louis Désiré a sûrement lu le roman car, dans l’ombre, cette indiscernable grotte creusée dans la roche de miroirs, est sans doute celle des chapitres XXII à XIV de la Seconde partie, la « Cueva de Montesinos », grotte qui existe réellement, à Albacete de la Manche, qui se visite. C’est un épisode onirique et poétique du sommeil et enchantement de Don Quichotte, qui y descend avec une corde, où il a la vision d’un fameux épisode chevaleresque dans un château aux murs de cristal où il découvre la tombe de Durandarte (du nom de l’épée Durandal de Roland), qui, retrouvé blessé à mort à Roncevaux par Montesinos, lui demande de lui extraire le cœur pour l’adresser à Paris à sa dame à qui il appartenait de son vivant. Dans une farce vaudevillesque, La cueva de Salamanque, ‘la grotte de Salamanque’, Cervantès présente une épouse adultère délurée, qui use du mystère prêté aux cavernes pour faire accroire au crédule mari que les hommes, qu’il découvre à son retour inopiné au foyer, ne sont que de joyeux démons suscités par la magie malicieuse de la grotte.

On salue le bien chantant quadrille, le quatuor dansant des galants pas trop malheureux de Dulcinée qui les reçoit en son lit, le ténor Camille Tresmontant et le longiligne baryton, Frédéric Cornille, respectivement Rodriguez et Juan, auxquels s’agrègent, beautés féminines travesties en hommes, nos amies admirées Laurence Janot, soprano (Pedro) et la mezzo, Marie Kalinine (Garcias, drôle de graphie non hispanique !), portant bien le smoking et le haut de forme à la Marlène, sous leur coiffure déjà à la future Loulou de Louise Brooks.

Pas de spectacle sans les indispensables utilités de petits rôles, les Premier et Second serviteurs Gabriel Rixte et Norbert Dol, les Premier et Second Brigand et Jean-Michel Muscat et Cédric Brignone.

Florent Mayet, nouveau chef de chœur, tient bien et mène allègrement sans bouille les chœurs nombreux. À la direction, Gaspard Brécourt, sait jouer de la fibre et fièvre épique de la partition chevaleresque, et du registre intimiste amoureux, poétique, très délicat de l’œuvre. La sérénade aux étoiles de Don Quichotte, dans son initiale mélodie toute simple de deux fois six notes, revient plusieurs fois comme un leitmotiv jamais lourd, chaque fois paraissant nouveau dans sa fraîcheur naïve.

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          Déjà fait au rôle, au personnage forcément comique de Sancho, Marc Barrard ne donne pas un comique forcé. Certes, dans la tradition bouffe de la tirade contre les femmes, il sait être satirique, sarcastique comme le texte le requiert, mais il laisse percer une amertume qui transcende un peu d’expérience personnelle les clichés convenus. En revanche, comme un personnage de demi-caractère, il apparaît comme un lucide observateur ; renversant la hiérarchie, attendri, l’écuyer traité dignement en fils, devient comme un père protecteur de son noble Maître enfantin, qu’il défend contre les malveillants et sa tirade indignée contre les impitoyables railleurs est digne de celle de Rigoletto contre les courtisans, arrachant émotion et tonnerres d’applaudissements. Avec Dulcinée, digne et consciente lucide de sa déchéance, qui refuse le généreux mariage offert par le Chevalier dont elle s’estime indigne, il est le seul personnage humain.

          Humain, trop humain comme dirait Nietzsche, même tiré parfois un peu excessivement vers une fade bondieuserie ou sentimentalisme saint-sulpicien au goût bourgeois de la fin du XIXe siècle, le personnage de Don Quichotte est dépouillé dans l’opéra de sa grandeur épique même dans ses défaites, ne défaisant les bandits que par l’effet de sa bonté et non de sa force. J’avais dit un jour, ou écrit à Nicolas Courjal que, quel que fût le personnage lyrique auquel le conduirait ou condamnerait sa grande voix de basse sombre, destinée toujours aux méchants, il n’en pourrait jamais faire un héros totalement noir tant, par sa souplesse, sa douceur, elle déborde d’humanité irrépressible. Ici, il prenait le rôle de Don Quichotte, héros et martyr de la générosité, y planait, en endossait les habits avec un naturel confondant de bonté rayonnante, de grâce humaine. Introduite par un beau solo de violoncelle, la mort de Don Quichotte dans les bras de Sancho, est une scène poignante : l’écuyer, déchiré de douleur, accompagne l’agonie du maître qui va s’endormir dans « la splendeur des songes », qui justifie ce lit obsédant. C’est un grand moment lyrique : Barrard et Courjal en font un moment d’anthologie qui nous arrache les larmes.

          Concluons par la belle réponse de Sancho, devenu Gouverneur, à la Duchesse :

« Madame, où il y a de la musique, il ne peut y avoir de mal. »

Mis beaucoup de bonheur.

 Benito Pelegrín

Don Quichotte

de Massenet

Coproduction Opéra de Saint-Etienne / Opéra de Tours
Création le 31 janvier 2020 à l’Opéra de Saint-Étienne
Décors, costumes et accessoires réalisés dans les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne

Direction musicale : Gaspard BRÉCOURT
Assistant à la direction musicale : Federico TIBONE

Mise en scène : Louis DÉSIRÉ
Décors et Costumes : Diégo MÉNDEZ CASARIEGO

 Lumières : Patrick MÉEÜS

Régisseur de production : Jean-Louis MEUNIER

Régisseur de scène : Jacques LE ROY

Surtitrage : Richard NEEL

Régie de surtitrage : Qiang LI

Dulcinée : Héloïse MAS

Pedro : Laurence JANOT

Garcias : Marie KALININE

Don Quichotte : Nicolas COURJAL

Sancho : Marc BARRARD

Rodriguez : Camille TRESMONTANT

Juan : Frédéric CORNILLE

Premier serviteur : Gabriel RIXTE

Second serviteur : Norbert DOL

Premier brigand : Jean-Michel MUSCAT

Second brigand : Cédric BRIGNONE

Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille

Chef de Chœur Florent MAYET
Pianiste / Cheffe de chant : Astrid MARC

PHOTOS CHRISTIAN DRESSE 

  1. Mort de Don Quichotte ;
  2. Apparition de Dulcinée ;
  3. Dulcinée et Don Quichotte

 

Quatre jours à Paris à l’Odéon (Marseille)

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Opérette en deux actes et six tableaux

Livret de Raymond Vincy et Albert Wullemetz

Musique de Francis Lopez

Théâtre Odéon,

Dimanche 7 mars

« Quatre jours ? », m’exclamai-je lors d’une ancienne production, « On en prendrait bien quarante, et même autant de fiévreuses nuits, et ce ne serait pas une quarantaine pour fièvre quarte ou autre virale infection, mais pour une vraie affection envers cette troupe qui s’est dépensée sans compter pour nous contenter ». Je n’imaginais dont pas prendre un tel plaisir dans cette nouvelle production signée, pour la mise en scène et l’exacte et minutieuse chorégraphie, de Caroline Clin qui, dans la première, incarnait avec bonheur Simone, la jalouse manucure amoureuse. C’est dire si elle connaît l’œuvre de l’intérieur, sur le bout des doigts et, ici, sur la pointe des pieds de ses interprètes qu’elle fait si bien danser, Von Kopf bis Fuss, dirait Marlène, ‘de la tête aux pieds’ ou, plutôt des pieds jusqu’à la tête de leur jeu et propos.

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En effet, j’avais toujours souligné sa prestesse à manier les troupes, les groupes, à les évacuer presto de la scène, sans un temps mort, sans la lourdeur d’un désordre, mais, ici, c’est en pleine chorégraphe qu’elle les manie, toujours dans un rythme soutenu de la musique menée tambour battant par Bruno Conti, sans creux, sans trou et, toujours aussi le geste, même les gesticulations accordées à la mise en valeur d’un texte, des répliques, jamais téléphonées, jamais appesanties d’un effet forcé, tout, situations, paroles et danse semblant couler de source : ainsi, même le personnage épisodique du Professeur (Jean Goltier), sans presque rien à dire ni une croche à chanter, sans anicroche se coule et trouve sa place naturelle dans le chœur et ballet final, la samba effrénée, joyeusement répétée plusieurs fois, sans faux-pas.

C’est dire la précision méticuleuse, le respect avec lequel elle traite, et j’ose dire magnifie joyeusement, cette légère opérette bien classée dans le genre du vaudeville canonique par le sujet et un texte, qu’elle fait souvent percuter sans coup de canon, rendant tout naturels et la convention du théâtre et l’artifice : de l’art. Du grand art. 

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Esthétique années 60

J’imagine aisément aussi, au souvenir d’autres de ses mises en scène qu’elle a veillé aux costumes bien soignés, élégants, harmonieux, puisés dans les réserves de l’Opéra de Marseille et aux décors réussis de Loran Martinel. Si la pièce est de 1948, au sortir de la guerre, le décor, surtout ce rose du canapé et ses répliques (chemises, ceintures, foulards) dans des costumes, semble directement teinté, imprégné de la Panthère rose de 1963, dont le thème musical mystérieusement facétieux sur la pointe des pieds, sonne en un moment. Et c’est bien aux années 60 que semblent référer les beaux vitraux latéraux du salon de coiffure, d’une esthétique Op art version Vasarely, des formes géométriques surlignées de noir,  rose, noir, blanc, le poncho zébré jaune-marron-orange d’Hyacinte, et ce poulailler peint à la façon Pop art des sérigraphies de Warhol. Les jupettes courtes à la Mary Quant des dames, les robes style Courrège, leurs coiffures au brushing ou chignon raidi à grand renfort de laque, parfois bandeau, des amorces de damier noir venant faire vibrer le blanc intense des costumes ou pantalons et souliers des hommes contrastant avec le t-shirt de Nicolas ou manches longues de Ferdinand. Seule la serine héroïne se distingue en robe canari, tripliquée chez deux consœurs, éclatante de soleil au milieu de la déclinaison poulaillère orange, roux, marron. C’est d’un grand raffinement aussi agréable à l’œil et à l’esprit que la musique légère, guère encombrante à l’oreille.

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L’œuvre

Musicalement, ce n’est pas du meilleur Francis Lopez dont tant de mélodies se coulent si facilement dans l’oreille et la mémoire. « La samba brésilienne » (au Brésil, c’est du masculin, tout comme le, el tequila au Mexique !) jolie redondance comme si la samba pouvait être d’ailleurs (même s’il y en a en Argentine), est peut-être le refrain le mieux connu de l’ensemble, très contagieux, d’une entraînante folie, exalté par le chef et l’Orchestre de l’Odéon très en joie, pour la nôtre.

Mais, en revanche, les chansons gagnent en qualité de texte ce qu’elles perdent peut-être en charme musical. Ainsi, les couplets relativement érudits comme du Offenbach entonnés par Hyacinthe sur son rêve d’un « monde sans femmes » (paradoxe du patron du salon de beauté qui ne vit que par elles), qui enfile la litanie plaisante des couples célèbres perdus par la Femme depuis Adam et Ève, Samson et Dalila, en passant par Abélard, châtré (on le passe) à cause d’Héloïse, tirade qui relève d’une vraie culture populaire dispensée alors à tous par l’École de la République.

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Par ailleurs, contrairement à nombre d’opérettes, ou mêmes quelques opéras, qui sont une enfilade de scènes, de tableaux juxtaposés, mais sans guère d’action dramatique tenant en haleine, il y a ici une vraie construction théâtrale, certes dans les conventions du genre, les surlignant même théâtralement par des clins d’œil, avec ses deux parties contrastantes entre le salon de beauté parisien et l’auberge provinciale où, comme en tout  bon vaudeville, tout le monde se retrouve dans la plus invraisemblable mais hilarante conjonction de conjoints et amantes en folie, avec les quiproquos des fausses identités et des méprises à la clé, clé de voûte de la comédie.

Par ailleurs, cette construction en chiasme, en triptyque, Paris/La Palissse/Paris, avec l’axe provincial, donne lieu à des micro-figures géométriques internes d’un grand comique implacable de répétition, impeccable de précision chorégraphique et même acrobatique, telle la scène, « Ah, quelle nuit ! » que Carole Clin fait passer trois fois au prisme, je dirais gymnique, de trois couples à l’épreuve de ces bonds, rebonds, sauts de table de sur table : c’est le même mais varié comiquement par ce trois fois deux des acteurs chanteurs danseurs. À Paris, ce sera l’inénarrable refrain « J’arrive de La Palisse », « C’est mon jour de repos », encore varié avec une verve irrésistible d’invention et bonne humeur.

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L’intrigue se passe à Paris mais, avec Francis Lopez, Basque espagnol né par hasard en France, la latinité musicale ne perd jamais ses droits, même élargie comme ici au Brésil, un Brésil, plutôt hispanisé en accents et noms, Amparita pour elle, Bolivar pour lui (comme le héros de la décolonisation sud-américaine), acclimaté à un Paname qui a acclimaté bien des Brésiliens, qui a toujours accueilli en son sein le monde entier, ses rythmes les plus endiablés. Ah, le fameux, le joyeux drille Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach qui vient se faire voler à Paris par de jolies femmes tout l’or que là-bas il a volé ! Ici, on inverse le genre : c’est la pétulante, pétaradante, puissante et possédante Brésilienne venue aussi faire la fête aux dépens de la bourse et de l’honneur de son riche mari. Comme si le rôle avait été exactement taillé pour elle, c’est Marie Glorieux (nom qu’elle mérite au féminin) qui se glisse dans ses habits divers, avec la même beauté plastique et l’élégance exotique et canaille en bataille, jouant, chantant et dansant bien, dans un rythme fou puisque, de cette folle histoire, elle est le moteur emballé, subordonnant sa commandite salvatrice au Salon de Beauté d’Hyacinte si celui-ci lui emballe et livre en son lit d’hôtel son employé Ferdinand.

 Ce dernier, joli coq, coquelet, coqueluche épidémique, au sens épidermique et érotique du mot, que les clientes assidues poursuivent de leurs assiduités, sans doute blasé de la bringue avec tant de grandes bringues, groupies dévergondées, godelureau en goguette, court le guilledou, tout doux, romantique—qui l’eût cru— platonique (!) avec Gabrielle, jeune provinciale inconnue. Il n’a cure de sa maîtresse manucure, Simone qui alertée par son absence, ameute la meute de femmes lancées à sa poursuite, impitoyable désormais.

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Ce n’est pas faire injure à l’excellent Fabrice Todaro, exactement adéquat Pimpinelli dans Paganini, de dire que, s’il en a la voix large et virile, sonore, il n’a pas exactement le physique de Ferdinand, le chéri de ces dames traînant tous les cœurs après soi et entraînant à un train d’enfer tout le monde de Paris à La Palisse et retour. De même, le rôle déjà fade de demoiselle bien tranquille face à tant de parisiennes excitées en mal de beauté et de mâle, hirsutes, emperruquées, ébouriffées, ébouriffantes, prêtes à se crêper le chignon pour lui, n’est pas bien compensé par la voix à l’aigu un peu ingrat de la sage Gabrielle à la queue de cheval (je crois) de Camille Mesnard, dont on ne doute pas qu’elle le corrigera. Même dans un rôle secondaire, la Clémentine de Sabrina Kilouli tire joliment son épingle du jeu tandis que Perrine Cabassus, sexy et sûre de ses charmes, a des armes de battante pour reconquérir l’amant volage, le disputant férocement aux autres candidates.

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Quant à la Zénaïde de Julie Morgane, en mal fagotée servante peu maîtresse pour se faire aimer du maître aimé, à elle seule, si le spectacle n’avait tant d’autre atouts, vaudrait pour le tout : grande et souple sauterelle dégingandée, chanteuse, diseuse variant de tons et timbres de voix, mime, danseuse, acrobate, déjà dans sa scène en solo, sa danse du balai et du seau, elle est théâtre à elle seule, digne héritière au féminin d’un Charlot, et sachant même, comme lui faire douce et touchante émotion de ses échecs, quand elle bûche ou trébuche simplement. On l’a connue en parfaite osmose de danseuse saltimbanque avec Grégory Juppin, ici, on lui découvre un autre digne partenaire, dansant, chantant, sautant espérant la sauter, Nicolas Soulié, dans ses petits souliers de la réprimande de ses gaffes innocentes et inconscientes trahisons, moteur second de la décoiffante histoire puisque tout le salon de coiffure se retrouve en beauté emboîté dans l’auberge du père de Gabrielle dont il a maladroitement éventé l’adresse, un bougon et tonnant Montaron, Didier Clusel, amateur d’échecs, dont les pièces s’impriment sur les murs, en compétition avec le modèle réduit mais grandiose jaloux Bolivar d’Alvaro Ruault à la romantique chevelure, roquet râleur, qui, plus que parler, semble aboyer et mordre.

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Hyacinthe, du nom de l’amant d’Apollon, tué par le disque solaire du dieu dévié par le jaloux Zéphyre, du sang duquel naîtra, par la grâce de la métamorphose, la fleur de ce nom, est le patron du salon de beauté parisien. Maniéré, efféminé au-delà de la frontière du genre à voile et à vapeurs d’angoisse de tout perdre sans le prêt de la Brésilienne, on ne dira pas qu’un rien l’habille puisque, sinon à poil en pyjama satin et plumes ou en kilt écossais ou poncho andin. Il est incarné avec un naturel, qui en cache tout l’art subtil, par Claude Deschamps, figure de clown mélancolique qui affecte de sourire et nous fait rire, sans doute pour ne pas pleurer les vraies larmes refoulées de tous ceux qui eurent et ont encore à souffrir de ce que la pudibonderie, l’hypocrisie actuelle, appelle leur « orientation sexuelle », leur « différence », bref, du nom précis et en rien infamant : l’homosexualité, comme si « aimer le même », son propre sexe était un crime. L’état vient justement de reconnaître son propre crime d’avoir si longtemps discriminé, criminalisé pénalement les homosexuels jusqu’à la loi Forni de 1982, qui abrogeait définitivement le « délit d’homosexualité ».

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En 1948, création de l’opérette, au sortir de la guerre, la Libération n’étant pas forcément celle des mœurs, on ne sait comment le public pouvait appréhender le personnage scénique de l’homosexuel Hyacinthe. Deschamps joue de tous les clichés, de toute la rhétorique gestique et vocale du stéréotype scénique de l’homosexuel qui, finalement, était une figure pratiquement folklorique et bon enfant, héritée dans le spectacle et la tradition théâtrale. Aujourd’hui, comme si être « noir » était infâme et « homo » injurieux, on dit hypocritement « black » et « gay », drapant en Tartufe dans une autre langue un politiquement correct qui cache encore hypocritement ce qu’on ne saurait voir. C’est la pudibonderie linguistique qui fait, révèle et souligne l’injure dans l’esprit de celui qui s’y range pour ne pas soi-disant déranger. Mais, si bien servi, le personnage d’Hyacinthe, comme je l’avais déjà dit, avec juste une gauloise gaudriole inversée, ni grivois, ni graveleux, ni grossier, dans une opérette bon enfant, heureux signe des temps moins oppressants pour l’homo, nous fait rire sans arrière-pensée, sans aucune méchanceté : simplement parce qu’il est drôle et non bizarre.

Benito Pelegrin

Quatre jours à Paris

Opérette en deux actes et six tableaux

Livret de Raymond Vincy et Albert Wullemetz

Musique de Francis Lopez

Théâtre Odéon,

NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale : Bruno CONTI
Mise en scène et chorégraphie : Carole CLIN

Gabrielle : Camille MESNARD
Amparita : Marie GLORIEUX
Zénaïde : Julie MORGANE
Simone : Perrine CABASSUD
Clémentine : Sabrina KILOULI

Ferdinand : Fabrice TODARO
Nicolas : Nicolas SOULIÉ
Hyacinthe : Claude DESCHAMPS
Bolivar : Alvaro RUAULT
Montaron : Didier CLUSEL 
Le Professeur :  Jean GOLTIER

Orchestre de l‘Odéon

Photos Christian Dresse 

  1. Nicolas, Amparito, Ferdinand, Hyacinthe ;
  2. Nicolas et Ferdinand ;
  3. Salon de beauté op art ;
  4. Hyacinthe et Amparita ;
  5. Le poulailler de La Palisse ;
  6. Ferdinand et Gabrielle ;  
  7. Bolivar et Simone; 
  8. Zénaïde ; 
  9. Ferdinand, Simone, Hyacinthe.