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Interview de Bernard Aubert, directeur de la Fiesta des Suds

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Fiesta des Suds 2014 [2] par f1279931459 [3]

Entretien autour de l’Etranger

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Entretien d’Elisabeth Oualid avec Emio Greco sur L’Etranger,présenté au Théâtre du Gymnase,le16 Mai 2014.

Elisabeth Oualid:Qu’est-ce qui rend pour vous L’Etranger d’Albert Camus actuel?
Emio Greco:Son geste de gratuité!Meursault fait les choses qui lui conviennent dans une société où tout est marchandise,où tout est mesuré…Son geste de gratuité est un geste de rebellion…Meursault rejette le système social parce que les jeux sont faits sans attendre quelque chose en retour.
E.O:En ce qui concerne la scénographie,quel est le but de cette lumière agressive,omniprésente?Joue-t-elle le rôle de la pression sociale?
G:La lumière,c’est le côté nature;le soleil,élément de puissance chez Camus,est très important.Il parle beaucoup de la mer,de l’air,du soleil.D’un autre côté,c’est la société,la pression sociale,la surveillance,l’oeil d’autrui,le jugement.
E.O:La pression sociale qui finit par anéantir Meursault?
G:Oui,bien sûr!
E.O:Que recherchez-vous,d’une manière générale,dans votre démarche artistique?
G:La transposition en mouvements d’une intériorité qui cherche à se libérer des normes sociales.Je me rends compte de plus en plus que je définis un corps et que j’essaye de me dégager de ce corps.
E.O:Un corps social tel qu’il a été codifié?
G:On a plusieurs corps:le corps physiologique,le corps qui vous tient,qui est à la fois votre ami et votre ennemi,et puis notre grand ennemi,le corps social.Moi,je les considère tous les trois ensemble,mais parfois,c’est l’un ou l’autre qui prend le dessus,et je me sers ainsi de l’un ou de l’autre.
E.O:Vous essayez,dans votre projet,de libérer votre corps de tous les possibles,un peu comme Forsythe qui exploite intérieurement les limites du mouvement.
G:Nous,c’est plus au niveau de la construction extérieure.
E.O:Vous déclarez que le corps exprime plusieurs idées.C’est un spinoziste d’Amsterdam qui parle!
G:Moi,vous savez,j’ai découvert tout ça avec la danse.C’est la danse qui m’a appris tout ça!
E.O:Plusieurs idées,ça veut dire que nous sommes affectés par des quantités d’impressions qui nous modifient.Est-ce cela que vous voulez dire?
G:Oui,il y a des modifications qui nous viennent de l’intérieur.
E.O:Donc ce que vous recherchez,c’est la transposition en mouvements d’une intériorité qui cherche à se libérer des normes sociales.
G:Voilà,c’est ça.C’est mon objectif chorégraphique.
E.O:Le corps peut-il tout dire?
G:Il peut beaucoup.En tout cas,on cherche toujours le Tout!

Emio Greco:nouveau directeur du BNM

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BNM,nouvelle direction

Emio Greco entouré de Estelle Reine Adélaïde et Philippe Oualid à la Mairie de Marseille,le 24 Avril 2014.Photo de C.Da Silva [4]

Emio Greco entouré de Estelle Reine Adélaïde et Philippe Oualid à la Mairie de Marseille,le 24 Avril 2014.Photo de C.Da Silva

Depuis le départ de Frédéric Flamand,en janvier dernier,le BNM a désormais à sa tête le chorégraphe italien Emio Greco qui dirigeait jusqu’à présent l’International Choregraphic Arts Center d’Amsterdam.
Avant de fonder en 1995 sa propre compagnie avec le metteur en scène Pieter Scholten,Emio Greco avait collaboré à des créations de William Forsythe,Saburo Teschigawara et Jan Fabre.A Amsterdam,Emio et Pieter développaient un travail de recherche et d’expérimentation artistique qualifié d' »extrêmalisme »,une écriture chorégraphique faite de tension et de rigueur,empruntant aussi bien au vocabulaire classique qu’à la danse post-modern,avec des mouvements ciselés,énergiques,souvent répétitifs,évoquant des pulsions,des transes ou des extases corporelles.Leur trilogie imaginée à partir de la Divine Comédie de Dante,leur transposition de Rocco et ses frères,d’après le film de Visconti,celle de Théorème d’après celui de Pasolini,leur a donné une reconnaissance européenne récompensée par de nombreux prix.
Double Points,pièce d’étude créée spécialement pour le BNM,en octobre 2012,avait permis au public de l’Opéra de Marseille,de pénétrer dans l’univers des deux créateurs.Partant du principe que la danse se manifeste comme l’expression de la place assignée au corps dans la société,Emio Greco et Pieter Scholten prenaient le corps de ballet comme point de départ d’un désir de danser théâtralement devant des images vidéos de sites emblématiques de la Ville:Vieux Port,Notre Dame de La Garde,Cours Belsunce,Canebière.
Pour leur nouvelle création,le 16 Mai prochain,au Théâtre du Gymnase,ils ont décidé de s’appuyer sur L’Etranger d’Albert Camus,pour nous montrer un homme revendiquant sa liberté et son droit à la différence dans un spectacle de danse multimédia où l’espace,constitué de parois lumineuses,se réduit petit à petit pour finir par prendre une dimension inhumaine.Le solo,d’une heure environ,où Emio Greco incarne Meursault,le protagoniste du roman,devant un chanteur qui appelle à la prière comme un muezzin du haut d’un minaret,a été présenté en novembre dernier au théâtre du Jeu de Paume,à Aix-en-Provence.Il devrait donner une idée du style chorégraphique que le BNM se prépare à adopter…
                                                                                                                                            Philippe Oualid

Entretien d’Elisabeth Oualid avec Julien Lestel sur le Ballet:Roméo et Juliette

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Elisabeth Oualid:Roméo et Juliette qui appartient au patrimoine culturel de la littérature occidentale,évoque dans un climat de violence,une passion entre deux jeunes gens de Vérone sur fond de rivalités entre deux familles dont ils sont issus,les Capulet et les Montaigu.Comment avez-vous déjoué toutes les intrigues de la pièce de Shakespeare pour donner à voir l’essentiel?Quels sont les évènements de la pièce que vous avez retenus dans cette nouvelle chorégraphie?Combien de personnages avez-vous conservés?
Julien Lestel:Bien sûr,il y a la pièce de Shakespeare,mais après, les versions dansées sont un peu différentes par rapport à la musique de Prokofiev et en ce qui concerne les scènes de rue,de bal,les rixes,les querelles.Ici je livre ma propre interprétation où le principal réside dans cette histoire de deux amants tragiques dépassés par leur destin.J’ai vraiment voulu aller à l’essentiel,en supprimant par exemple le personnage de Rosaline,prétexte de la rencontre au bal masqué,et celui de la nourrice.
E.O:Et vous retenez qui?
J.L:Evidemment Roméo et Juliette,le père et la mère de Juliette,deux personnages importants dont j’ai changé les caractères;j’ai rendu la mère plus affirmée et le père un peu plus fragile.
E.O:Pourtant il manifeste une violence inouïe quand Juliette refuse d’épouser le Comte Pâris?
J.L:J’ai trouvé qu’avec un père trop autoritaire,trop violent,on occultait le caractère délicat de Juliette qui se métamorphose au fur et à mesure des évènements de la pièce,et qu’on ne mettait pas la passion en valeur…La mère,je lui ai donné un caractère plus fort,dans un rapport de rivalité avec sa fille.
E.O:Et Frère Laurent,le conservez-vous?
J.L:Oui,il est là pour le mariage secret.On sait que les parents invitent alors le comte Paris pour conclure un mariage d’intérets partagés et consoler Juliette de la mort de son cousin Tybalt.Evidemment,celle-ci refuse,il s’ensuit une scène de violence avec sa mère.Désespérée,elle rend visite à Frère Laurent qui lui donne le narcotique lui permettant d’apparaître morte.
E.O:On peut dire qu’à partir de ce moment-là,on assiste à une nouvelle tragédie où le destin,avec ses contretemps,joue un rôle déterminant…
J.L:Il y a là une scène très douloureuse pour les parents qui comprennent que jamais ça aurait pu aller si loin.Ils sont dévastés par ce décès.Ils accompagnent Juliette à la crypte des Capulet et s’en vont.Là-dessus,Roméo,prévenu par Benvolio,arrive en courant,la croit morte,et pense que le seul moyen de la retrouver c’est de la rejoindre dans la mort.
E.O:D’immortaliser cet amour dans la mort?
J.L:A ce moment,il avale à son tour un poison.Elle se réveille,se demande où elle est,ne comprend plus rien,heureuse en tout cas qu’il soit venu la retrouver.Puis tout lui revient à l’esprit,elle pense qu’il a été averti par la lettre explicative de Frère Laurent,que son plan a marché,et elle le prend dans ses bras.
E.O:Elle prend pourtant conscience qu’il est mort!
J.L:Oui,et qu’il n’a pas eu la lettre à temps,qu’il s’est empoisonné.Elle va encore essayer de récupérer un peu de poison,puis prendre le poignard et se tuer,en attrapant une dernière fois la main de son amant.Je termine le ballet là-dessus.
E.O:Comment utilisez-vous maintenant les ressources de la danse pour transmettre un message artistique dans un langage corporel?
J.L:Je suis très attaché à l’esthétique de la danse mais je ne pense pas que ce soit un point de départ.Si on commence à vouloir rendre de l’esthétique pure,on se donne des limites trop tôt au lieu d’aller chercher au plus profond dans les mouvements,dans l’interprétation,et dans le ressenti.A partir de là,on arrive à quelque chose de sincère.
E.O:Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans la danse,l’accélération ou la retenue?
J.L:Je trouve que la retenue est belle quand il y a auparavant quelque chose de très dynamique.En revanche,le mouvement fluide sera plus séduisant lorsqu’avant,il y aura eu un mouvement saccadé,inspiré par la musique de Prokofiev.L’un met l’autre en valeur.
E.O:Comment composez-vous? Quels sont vos choix?
J.L:J’ai écrit la chorégraphie au préalable,mais la plupart du temps j’ai chorégraphié avec mes danseurs,en mettant en mouvement mes idées,en leur proposant de valoriser leurs personnalités.De toute façon,quand on crée des mouvements,on veut faire passer des émotions,délivrer des messages,se libérer de ce que l’on a emmagasiné à l’intérieur de soi.Ce que j’aime dans la vie,ce n’est pas ce qui est homogène mais plutôt ce qui est différent.
Propos recueillis par Elisabeth Oualid

Rencontre avec les musiciens, Louis-Alexandre Nicolini et Gérard Mortier

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Il m’est arrivé à penser à des paysages.

 

Rencontre avec les musiciens, Louis-Alexandre Nicolini et Gérard Mortier.

 

 

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De gauche à droite, Louis-Alexandre Nicolini et Gérard Mortier. (c) photo: SB

 

 

Suite au concert Duos pour 2 violons,  qu’ils ont donné le samedi 18 janvier 2014 à 17h au Foyer de l’Opéra de Marseille, les deux violonistes, Louis-Alexandre Nicolini, deuxième prix du concours de Prokofiev à Moscou et lauréat des Conservatoires de Toulouse, Reims, Metz et Aulnay-Sous-Bois et Gérard Mortier, médaillé d’or du Conservatoire d’Annecy, tous deux membres de l’orchestre philharmonique de Marseille, racontent leur lien à la musique.

 

Vous avez joué ce soir cinq mouvements de compositeurs géographiquement et temporellement très éloignés : Luigi Boccherini, compositeur italien du 18ème, Jean Martinon, compositeur français du 20ème, Amadeus Mozart, compositeur allemand du 18ème, Henryk Wieniaksi, compositeur polonais du 19ème, et enfin Béla Bartók, compositeur hongrois du 19ème. Y-a-t-il une décision de mettre en résonance un certain nombre précis de mouvements, et pour quelles raisons ?

LAN : Nous avons eu une contrainte de temps, j’ai remplacé le musicien Mathieu Latil, initialement prévu qui a eu un accident, s’est foulé le poignet et n’a pas pu venir. Donc il n’y a pas de choix particulier, si ce n’est la contrainte du temps de travail.

 

Quelle est la différence entre le moment de la répétition et la représentation ? Est-ce comme le théâtre ? Oubliez-vous complètement le public ou vous interagissez ?

GM : On sent toujours la présence du public. C’est une montée de stress. En répétition, on ne peut jamais avoir la même sensation. Cette attention particulière fait que c’est un moment spécial, qu’on ne peut avoir pendant la répétition.

LAN : On ne peut pas mieux dire. Forte heureusement qu’on n’oublie pas le public. Il permet aussi quand même, une fois qu’on est bien entré dans la représentation, il est là pour nous soutenir. Il y a un moment où on dépasse le stade de mauvais stress et on joue avec le public.

 

Vous avez joué des « Duos pour 2 violons ». Quelle est la spécificité du jeu à deux ?

GM : En musique de chambre, il y a toujours une écoute particulière avec la ou les personnes avec qui on joue. En duo, chacun peut garder sa personnalité, plus facilement que dans un quatuor, tout en restant à l’écoute pou laissez le dialogue s’instaurer.

LAN : C’est le dialogue de deux personnalités.

 

Comme dans la vie, peut-il arriver que certaines interactions subliment, d’autres éteignent ?

LAN : Bien sûr. Il y a vraiment des histoires d’affinités. Je pense que ça n’est pas pour rien que Gérard m’ait demandé à moi de remplacer Mathieu, il y a forcément des affinités. Gérard et moi avons une proximité qui fait qu’on sait qu’en trois semaines, on va pouvoir faire quelque chose.

GM : Il y a, humainement, des liens qui font que cela se passe bien.

 

Qu’est-ce qui vous a fait musicien ?

GM : Tout simplement, ce sont mes parents qui m’ont mis à la musique. Il n’y a pas eu de coup de foudre particulier. Ma mère aimait la musique, elle voulait que ses enfants fassent de la musique, nous avons tous les trois fait de la musique.

LAN : Moi j’avais des parents qui étaient et sont mélomanes et qui m’ont emmenés assez tôt à des répétitions car ils avaient accès aux répétitions d’un festival de musique de chambre. J’ai flashé sur le violon, d’abord sur le violoncelle. Puis j’ai choisi l’instrument, j’ai choisi le violon.

 

La musique, est-ce un lieu dont on ne sort pas?

LAN : Fort heureusement, non. La musique se nourrit de toutes les passions qu’on peut avoir à côté. Certains s’enferment dedans, moi, je ne pourrais absolument pas, je me nourris de tout ce que je fais à côté pour faire de la musique. Si on m’interdisait de faire toutes les passions à côté, j’arrêterai la musique. Ça n’aurait plus de sens. Également, comme par hasard, quand on écoute les grands musiciens, ceux qui ont le plus de chose à dire sur leur instrument sont ceux qui à côté vont parler de peinture, de photographie, de ballades, d’architecture, etc..

 

Combien de temps consacrez-vous à la musique quotidiennement ?

GM : Il y a le travail personnel, diffèrent du travail pour les concerts de l’orchestre. Pour maintenir son niveau et progresser, il faut travailler tous les jours. Cela dépend si on prépare un concert, on concourt, ou si on a rien du tout. Moi, je travaille trois heures minimum et six heures si j’ai un concert.

LAN : Lorsque nous sommes sur une période, nous arrivons vite à cinq six heures d’instrument par jour.

 

Quelles sont les rencontres qui ont marquées votre parcours ?

GM : J’ai beaucoup aimé le dernier, Stvetlin Roussev.

LAN : Je pense que le dernier professeur que j’ai eu également qui m’a beaucoup marqué. En même temps, ils sont tous plutôt important. J’ai eu la chance de travailler avec Robert Papavrami, qui m’a transmis des méthodes de l’instrument qu’il était grand temps que j’apprenne. En même temps, le professeur avec qui j’ai débuté a permis à tous les autres professeurs, avec la base saine qu’elle m’avait donnée, de pouvoir ajouter ce que chacun pouvait m’apporter. Pendant des années, j’ai travaillé avec Jean Lenert, qui était professeur au Conservatoire de Paris. C’est une personnalité marquante. Le dernier c’est Miroslav Roussine, c’est particulier car c’est un élève direct de David Oïstrakh. Il a pu me donner alors que j’étais déjà presque professionnel, ce que nous appelons les « trucs de scène », les petites choses de l’école Russe qui est la très grande école du violon, qui a quand même sorti de grands prodiges. Partager cette pédagogie, c’est quelque chose d’extraordinaire, j’en ai tiré beaucoup d’enseignement. Ça m’a permis de stabiliser beaucoup de choses dans mon instrument, ça a été d’une aide considérable.

 

Êtes-vous toujours sensible à l’univers sonore, y compris en dehors de l’opéra et les lieux dédiés à la musique ?

LAN : Non. C’est évident qu’il y a certaines choses du quotidien qui nous marquent et qui après ressurgissent quand on est sur scène. De là à dire qu’on est vigilant en permanence, pas du tout. Ça n’est pas une nourriture sonore. C’est autre chose. C’est la vie. On peut être à certain moment, lorsqu’on découvre et écoute un enregistrement, on peut être marqué par une sonorité, et essayer d’aller chercher ça, un petit peu, on n’arrive jamais vraiment à copier. On peut être attiré par telle sonorité plutôt qu’une autre, et cela évolue au fur et à mesure de notre vie de musicien.

 

Quelle est la nourriture d’un musicien ?

GM : Pour moi, c’est tout simplement bien être, faire ce que j’aime faire y compris dans le domaine non musical. Ce bien être se ressent dans la musique.

LAN : Toutes les petites épreuves qu’on peut avoir à traverser, toutes les joies, ce sont des choses qui ensuite ressortent dans notre instrument. On ne retraverse jamais complètement, mais en tout cas, le souvenir des états qu’on a traversé à ces moments, aller les chercher. Ça peut être la perte de quelqu’un, ça peut être une rupture, la déception vis à vis d’un artiste qu’on a suivi pendant des années. Tout cela est plutôt instinctif.

 

De quoi vous nourrissez-vous ?

LAN : Ça m’est arrivé de penser à des paysages en jouant, et du coup d’essayer de retranscrire ce qu’on a vécu en regardant un paysage comme ça. Quand je joue, je visualise le paysage.

GM : Certaines musiques rapprochent de certains paysages, pour bien sentir la musique, il faut avoir l’image. Par exemple, le concerto pour violon de Sibelius me ferait penser à une forêt avec du brouillard. C’est tout ça qui fait qu’on peut avoir un son spécifique, un vibrato, guider la phrase d’une certaine manière pour faire ce qui fait que la musique nous touche.

LAN : Ou un paysage de Norvège, où il fait froid, quelque chose d’un peu figé.

 

Quelle est la place de la musique et de l’opéra dans la société ?

LAN : La place de la musique, en France, n’est pas assez importante. Et c’est bien regrettable, parce que c’est quelque chose qui est une pratique collective qui permettrait à de nombreux enfants d’acquérir beaucoup de méthodologie, beaucoup de rigueur, tout en se faisant plaisir. Ce sont des choses qui dans la vie peuvent être précieuses. La pratique d’un instrument demande de la rigueur. La place de la musique devrait être au cœur d’une société en tant que moyen d’apprendre à vivre ensemble. C’est une formidable langue universelle. C’est bien dommage qu’il y ait de telles barrières entre la musique classique, particulièrement l’opéra qui est considéré comme un art élitiste.

 

A vous écouter, il semble que vous avez chacun, des teintes, des couleurs personnelles.

LAN : C’est vrai. C’est une histoire pas tant de compositeur sinon de timbre d’instrument. Dans un concert, on va aller vers ce qu’on sait faire le plus possible. Notre personnalité va nous guider. Effectivement, je suis peut-être plus dans la recherche de quelque chose de chanter, de moins virtuose.

GM : Ce n’est pas ce qu’on fait le plus facilement qui nous plait le plus à écouter. Par exemple, j’aime Chostakovitch, c’est très profond, il faut avoir un gros son, un son rond, chaud, ce n’est pas forcément où j’excelle le plus mais c’est là qui me touche le plus.

 

Propos recueillis par  SB

 

PORTRAIT DE BÉATRICE URIA-MONZON

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Dans le cadre de sa saison méditerranéenne MP13, l’Opéra de Marseille présente donc, en première création sur notre scène, une nouvelle production de Cléopâtre, ledernier opéra de Jules Massenet. Et cette reine d’Égypte historique, mythique et légendaire, est incarnée, et de quelle intense et charnelle façon, par la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon.

 

Il suffirait à ceux qui ne la connaîtraient pas, pour ébaucher un portrait de Béatrice Uria-Monzon, d’une peinture, d’un tableau, d’une photo : il n’y aurait qu’à la voir, la regarder et tout serait dit en ne disant mot. Elle est d’une remarquable beauté. Mais en rester à la beauté physique de la personne serait faire injure à sa personnalité en l’enfermant dans le cliché, ou le cadre pictural, d’un personnage : femme et belle. Et tais-toi, bien sûr.

 

 

Mais cette belle femme-là, il n’y a pas qu’à la regarder, il faut l’écouter : elle parle, et bien, elle joue  et chante, très, très bien : le talent, l’art —et il n’y a pas d’art sans travail— viennent couronner le don de la nature. Béatrice Uria-Monzon est donc un ensemble unique sur scène d’une présence qui donne sens, sensualité, corps et voix, aux personnages qu’elle incarne. On fera donc grâce, on s’épargnera les clichés qui la poursuivent pour la décrire, grande et belle brune hispanique « à la peau mate », on évitera cet « œil noir », ce regard « de braise », dont on la gratifie à longueur d’article depuis qu’elle a redonné vie, de saisissante façon, à Carmen, en l’arrachant à tous les oripeaux d’une tradition caricaturale, qu’on a parfois tendance à lui faire endosser personnellement, comme si le personnage s’était emparé de sa personne.

 

 

Elle a certes apporté à ce rôle non seulement son physique séduisant, mais sa subtilité séductrice, le physique sublimé par l’intelligence, le corps, par l’esprit : beauté plastique, mais noblesse de l’allure, mise à distance par la figure, l’espièglerie de ce nez mutin, le sourire, l’ironie, de cette Carmen « toujours railleuse » qui, si elle se prend au tragique, ne se prend pas forcément au sérieux.Voici ce que j’en écrivais dans une critique :

 

« Dire de Béatrice Uria-Monzón qu’elle est Carmen semble un pléonasme : couleur de la voix, finesse et intelligence de la gitane aristocratique par nature, beauté hiératique et souriante, démarche naturelle de reine, elle en incarne la dignité au-dessus de toute contingence du monde vulgaire. »

 

En effet, avec elle, nul grossissement du trait sur scène, rien qui pèse ou pose, nul effet de hanches, de seins ni de sons poitrinés de façon vulgaire.On aura reconnu la fameuse habanera dont peu de gens connaissent que Bizet l’emprunte à son ami espagnol, le compositeur Sebastián Iradier, maître du genre, professeur de musique de l’Impératrice Eugénie. D’autres passages de l’opéra sont inspirés, bien sûr par la rythmique du folklore espagnol et le prélude du dernier acte de Manuel García, le célèbre compositeur, chanteur et professeur de chant tout aussi espagnol, père de la Malibran, image mythique de la diva romantique, et de Pauline Viardot García, tout aussi grande chanteuse et muse de nombre de compositeurs français. Bref, Carmen, l’Opéra le plus joué au monde est français par ses auteurs, Mérimée et Bizet, mais espagnol par son sujet et son inspiration.Alors, est-ce un hasard si Béatrice Uria-Monzon, ce magnifique produit d’une hybridation franco-espagnole, en est une incarnation qui s’est imposée comme naturellement dans le monde entier sur les plus grande scènes ? On compte, parmi les meilleurs Carmen de notre temps, Victoria de los Ángeles et Teresa Berganza qui en renouvela le personnage à Edimburgh. Mais ce sont deux espagnoles chantant un opéra français nourri de musique d’Espagne, poissons dans l’eau dans la part hispanique de leur culture, mais mal à l’aise parfois dans la francité, surtout lorsqu’on use la partition originale avec les passages parlés de l’opéra-comique qu’est cette œuvre. Béatrice, par contre, habite l’opéra dans ses deux dimensions, par le style français si particulier qu’elle maîtrise admirablement, et par sa dimension hispanique. Elle est la plus françaises des cantatrices et la plus espagnole des chanteuses françaises.Car elle a l’Espagne au cœur, et comme une blessure aussi. Sa voix vibre un peu en évoquant ce père chéri et admiré, le peintre Antonio Uria-Monzón (1929-1996) dont elle porte fièrement le nom. Enfant, il a vécu de plein fouet la guerre civile, voyant son père assassiné sous ses yeux, et, adolescent, il subit le franquisme. En 1952, il quitte l’Espagne avec un ami, riches simplement d’un âne et de leur peinture, grâce à laquelle ils vont vivoter d’abord, puis vivre enfin. Puis c’est le mariage dans le sud-ouest avec une française de cette région proche de l’Espagne. Enfance heureuse de Béatrice dans une grande famille de cinq filles et un garçon, bercée, enflammée par les rythmes espagnols. Une Carmen très personnelle, dont Béatrice, ayant approfondi le personnage nous révèle aussi que cette femme qui clame son droit à la liberté, qui meurt en proclamant sa liberté, est tout de même enfermée dans «des idées étroites et arrêtées, presque caricaturales. » Et, en effet, n’est-ce pas Carmen qui, malgré un excès de féminisme même libertaire, est enclose dans la réalité du machisme qu’elle ne remet pas en cause, dans la soumission fatale à un destin auquel elle ne tente pas d’échapper ? Subtile lecture de cette fine interprète, passée par l’Histoire de l’Art, qui approfondit ses personnages par la lecture dans la vie monacale, le sacerdoce qu’est le chant, la grande solitude du chanteur passant de l’hôtel au théâtre, avec la nostalgie et le souci de sa famille, dans l’exigeante discipline de la forme requise par la performance sur la scène.Loin des clichés mondains des divas en Rolls dans des palaces de rêve et des somptueuses réceptions. Elle, qui a incarné des reines, des princesses, mezzo o soprano, Didon, Cléopâtre, Amnéris, Santuzza, Chimène Eboli, Tosca, etc, de retour à ses racines de sa terre d’Agen, tête dans les étoiles et pieds sur terre, va faire ses courses seule à Auchan. Car à notre époque, dans notre société faite par les hommes pour les hommes, une femme, fût-elle une diva même la plus féminine du monde, est souvent obligée, surtout quand qu’elle se retrouve seule, de jouer l’homme et la femme au foyer conjointement, sinon conjugalement.

 

 

Ainsi, Béatrice de retour chez elle, n’hésite, pas, à user de la tronçonneuse, à conduire le tracteur, à veiller et surveiller sa propriété, ou, superbe Walkyrie, à chevaucher quelquefois sa moto pour courir à une répétition à l’opéra. Bien que la prudence l’ait contrainte à renoncer à ce moyen de locomotion, si utile dans les villes, mais émotion ou commotion inutile pour ceux qui l’attendent : dans la jungle de l’asphalte, le danger rôde pour une héroïne d’opéra plus que sur une scène tragique.BP

 

Rencontre avec Michel Vivaner à la Criée

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A quatre-vingt deux ans, Michel Vivaner, auteur intrigant qui dit « écrire contre le théâtre », nous a offert de son temps pour le rencontrer. Homme affable, doux et vif, il nous explique ce qui dans Portrait d’une femme a motivé l’écriture de sa pièce (son besoin de s’ancrer dans le réel) et les enjeux du personnage de Sophie, inspiré de Pauline, la jeune femme qui avait assassiné son amant. Il décrypte avec beaucoup de sensibilité le caractère étrange et « l’arrogance fascinante » (pour reprendre un de ses termes) de cette femme incapable de rentrer dans les rails définis par la société des hommes. Michel Vivaner a trouvé par ailleurs l’incarnation charnelle de la comédienne éclatante de justesse. Le tout accompagné d’une analyse brillante du système judiciaire qui a certes perdue certains de ses ténors du barreau.

« J’ai travaillé à partir des comptes rendus du procès dans le Monde, je n’ai jamais voulu lire d’autres journaux… J’aime la potentialité théâtrale d’un fait divers, explorer des énigmes. Le travail d’écriture a été de mettre dans la bouche de l’héroïne les mots de Pauline. Peu de texte a été rajouté à ce qui a été dit au procès. Je voulais intégrer les citations des propos de Pauline. C’était une des contraintes d’écriture que je m’étais donné » L’auteur souhaitait donc rendre compte de ce procès le plus précisément et justement possible, d’où aussi l’écriture si particulière du texte où les scènes se jouent sur un même espace dans des temporalités différentes. « La mise en scène m’a plu. Elle ne rajoutait rien au texte et le respectait. Elle était rythmée et fraîche. Les fragments étaient rassemblés dans un flot au sein d’une même scénographie. »

Au-delà de la mise en scène, il nous explique la filiation entre lui et Camus, notamment autour de son texte et de celui de l’Etranger. Sophie ressemble en beaucoup de points à Meursault, notamment ce qui est du fait qu’elle a agi sans motif et ne se positionne pas en tant que coupable ou victime. Elle est et ce qui est arrivé est arrivé. « Elle refuse toute imposture, tout mensonge et abuse de l’instinct de conservation… Elle a quelque chose du galet » explique-t-il. « Il n’y a pas de pourquoi à son acte ». Et c’est ce qui fait l’intérêt de ses pièces où souvent le spectateur tenu en haleine se retrouve face une fin où la réponse ne lui est pas donnée, ni soufflée, mais qui le questionne sur lui, ses actes et leurs intentions.

DVDM

Rencontre avec Toni Servillo, un acteur peu commun

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«Jouer, c’est donner de la chaleur au cœur et de la lumière à la tête »

Toni Servillo, que vous avez peut être vu dans « Gomorra » ou « Il Divo » (films qui seront projetés en Avril à l’Institut Culturel Italien [9]), est à la fois un acteur de cinéma talentueux (à découvrir son dernier film contant les amours d’une chinoise avec un italien surnommé Gorbatchov) et un comédien de théâtre accompli (pour preuve sa prestation dans « La Trilogie de la Villégiature », voir critique de Ph. Oualid sur www.larevuemarseillaisedutheatre.com [10]). Oscillant entre ciné (où il se plaît à jouer des rôles contemporains) et théâtre (où il interprète de grands textes dramaturgiques), cet homme par son travail souhaite montrer combien « être acteur est un métier noble ». « Le théâtre est complicité », c’est un lieu d’engagement.

Pour Toni, il était important de monter la « Trilogie de la Villégiature » de Goldoni, « chef d’œuvre littéraire à l’image d’un Shakespeare ou du Soulier de satin de Claudel », écrit par le Molière Italien. Ce dernier « a quelque chose de la mélancolie Mozartienne (il parle de « désespérance dans le sourire ») et de Marivaux, dans sa manière de parler du cœur féminin ». Mettre en scène cette œuvre est une façon de parler de la société italienne d’aujourd’hui, « porter un regard lucide sur ces intellectuels bourgeois et leur responsabilité dans le Destin actuel de l’Italie », notamment au regard de ce que Berlusconi a pu faire des médias télévisés. Ces derniers ont tendance à « décérébrer » le public. Et c’est avec un plaisir sincère que Toni nous a conté combien il appréciait que sur une chaine française en prime time, le spectateur puisse avoir l’occasion de découvrir une pièce de théâtre filmée. Chose impensable chez lui !!! Car « les intellectuels bourgeois préfèrent aujourd’hui un bonheur bon marché, sans responsabilité ». D’où le parallèle avec le texte de Goldoni et le thème de l’oisiveté. Un thème qui semble tenir au cœur de nombreux artistes italiens (voir notre critique du film « la Bella gente » sur notre site internet)

Ce metteur en scène de théâtre (invité au festival d’Aix pour des mises en scène d’Opéra) insiste par ailleurs sur l’importance de l’esprit de troupe, de cette humanité qui relie les acteurs entre eux pendant les tournées. Il a ainsi mis deux ans à trouver les comédiens pour sa création, dont une partie vient de Milan et de Naples, un casting mêlant acteurs émérites et jeunes talents : le choix des artistes est primordial car ces derniers ne doivent pas seulement être talentueux mais « leur attitude, leur pensée, leur humanité, leur être sont fondamentales ». Il doit y avoir une complicité réelle entre les acteurs pendant la tournée afin que le théâtre puisse devenir ce « fait des sens et de l’intelligence » et « offrir de vrais moments de théâtre au public ». Pour cela, la collaboration entre le Piccolo Théâtre et son Théâtre Uniti (structure ayant produit le premier film de Pippo Delbono et dont l’objectif est de permettre d’offrir une alternative aux jeunes créateurs afin de réaliser leur œuvre) s’est merveilleusement bien passée. Ils en étaient à la 335ème représentation de la Trilogie avant de repartir à Paris (au théâtre de Bobigny) et poursuivre leur tournée en Europe et dans le monde.

Bon vent à toute la troupe et longue vie au théâtre Uniti et au Piccolo théâtre! DVDM

ENTRETIEN de Jean-Charles Gil avec Elisabeth Oualid

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Sur Udor Polimatés (Eau savante).
Elisabeth Oualid: Quels objectifs poursuivez-vous avec cette nouvelle création chorégraphique sur le thème de l’eau?
Jean-Charles Gil: Mes objectifs sont toujours les mêmes. J’ai besoin d’être en phase avec des interprètes qui comprennent ma démarche artistique, et qui soient capables d’aller chercher en eux-mêmes l’épure du mouvement et d’expulser tout artifice pour le rendre juste. Donc le « presque rien», d’une importance capitale dans ce travail, c’est d’habiter le geste. Reste au spectateur le soin de réaliser sa propre lecture.
E.O: Cela signifie-t-il que cette lecture soit soumise à de multiples interprétations selon l’histoire, le vécu de chaque spectateur?
J-C.G: Je n’impose pas, je laisse toujours la porte ouverte, et c’est cette subtilité de mon travail qui reste aujourd’hui indispensable pour la pérennité de ma démarche artistique.
E.O: Il y aurait donc pour vous, en tant qu’artiste, un espace de liberté qui masque une certaine opacité dans la mesure où tout ce qui vous semble indicible ne peut être traduit?
J-C.G: C’est la transmissibilité qui est importante par rapport au public, c’est le travail d’épure qui permet au spectateur de s’impliquer lui-même. Sur cette base épurée, il va porter son propre regard, sa part d’émotionnel. Si je m’implique trop par rapport à mon vécu, je présente un émotionnel au premier degré, donc j’essaye de me mettre en recul pour permettre au spectateur d’y accéder.
E.O: Ainsi, pour vous, aucun geste n’est gratuit, mais selon la culture du spectateur, c’est ressenti ou pas?
J-C.G: Je travaille, je propose des choses. Dans toute création, il y a un travail préparatoire, il y a un acquis, et, à un moment donné, les idées s’agencent d’une façon singulière. De toute façon, l’acte de création est irréductible à l’analyse.
E.O: Vous dites dans le programme du spectacle que vous souhaitez élaborer entre culture française et culture marocaine, une écriture commune. Comment cela se réalise-t-il chorégraphiquement?
J-C.G: Commune, elle le deviendra, car c’est ici un premier pas. J’ai utilisé la base technique de la break dance et fait apparaître en reflet la base classique jusqu’à les juxtaposer. Le duo entre Sisqo et Gallarrague, c’est ça. Immergés dans l’eau, ils commencent progressivement à s’écouter sans se voir, puis à se connecter pour essayer de savoir ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire ensemble pour leur devenir qui relève de la prochaine création H2O.Pour le moment, c’est un travail de démarrage, de calligraphie dans l’eau qui permet cette fluidité dans l’espace. Ils s’observent, sont en lutte, s’écoutent, et tout à coup, quelque chose se crée, il y a osmose.
E.O: Vous voulez dire: une espèce de laisser-aller? On épouse le mouvement de l’eau?
J-C.G: On épouse le mouvement de l’eau. C’est important de sentir la densité, le poids du corps dans l’eau, important d’oublier cet élément pour mieux le retrouver quelque part.
E.O: Vous voulez parler de la pesanteur?
J-C.G: Pas du tout. On est dans l’eau très à l’aise, ça permet de se retrouver détaché de son territoire, de voir les choses autrement.
E.O: Le corps n’a-t-il plus ici le même rapport à lui-même?
J-C.G: Les bruits sont différents, les sonorités sont différentes, le cerveau humain agit autrement dans l’eau. L’eau permet de s’unir, de se hisser sans dommage. Il y a dans ce duo une symbolique de l’eau.
E.O: Ne nous renvoie-t-elle pas au mythe de Narcisse?
J-C.G: Non.Dans Eau Savante, on n’est plus dans le reflet, on est dans l’immersion. On oublie sa propre image, on est détaché de sa propre écriture pour dire quelque chose à l’autre.
E.O: En somme, vous spéculez sur une métaphysique de l’eau?
J-C.G: J’utilise plutôt l’eau comme métaphore d’un travail sur l’écriture.
E.O: Que va-t-on retenir de cette symbolique de l’eau, de ce jeu d’harmonie avec elle?
J-C.G: On est dans un tableau de Turner. On abandonne les clichés sur l’eau, on se libère! Le danseur hip-hop de Tanger perd sa casquette, le danseur classique son apparence. On se retrouve dans un lieu neutre avec, comme base d’écriture, ces deux techniques. Turner, c’est le peintre qui a utilisé, dans l’ordre de l’imaginaire, cette espèce de flou qui donne à penser, il nous fait traverser une passerelle pour accéder à un monde extraordinaire. Je n’utilise pas l’eau comme un artifice, je ne mets pas de l’eau sur scène. Mon travail consiste à faire retrouver l’eau comme élément de vie.
E.O: Vous dites aussi dans le programme que vous vous inspirez de la métaphore de la ponctuation développée par Eric Orsenna dans son roman: Et si on dansait? Et vous citez cette phrase: «La ponctuation n’a-t-elle pas été inventée pour exprimer les sentiments, marquer le rythme du coeur, noter les nuances affectives? » Puisque vous liez ponctuation et respiration, qu’en est-il par rapport à la danse?
J-C.G: La ponctuation va être de plus en plus présente dans mes prochaines créations. Une nouvelle écriture exige une respiration nouvelle: il faut donner à voir le corps dans son mouvement même et dans ses temps d’arrêt, courir le risque, de temps à autre, du presque rien, pour laisser raisonner le corps. Vous savez, on fait un geste, on s’arrête, on observe ce qui reste autour de vous, j’y crois beaucoup, c’est un travail subtil pour des interprètes qui soient en phase avec cette démarche-là, ça demande une maturité dans l’exécution, une maîtrise de soi qui passe par une conscience du mouvement, qui ne s’en tienne pas à la mécanique gestuelle. Il s’agit de faire valoir l’intelligence dans l’exécution, même lorsqu’il ne se passe rien, et de rendre le naturel à la danse.
Entretien réalisé à la Friche Belle de Mai le 31 Mars 2010.