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Franz Schubert et Félix Mendelssohn par l’ensemble vocal Gyptis

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Venez entendre l’Ensemble vocal Gyptis, sous la direction de Bénédicte Pereira, le 13 avril 2024 à 20h à l’Eglise Saint-Ferréol, 1 Quai des Belges 13001 Marseille !

Dans un programme polyphonique, aux prémices du Romantisme, deux immenses compositeurs allemands du XIXème siècle, Franz Schubert et Félix Mendelssohn.

Les chanteurs seront accompagnés par un Quatuor à cordes, un clavier et des solistes mêleront la beauté de leurs voix à ces pages d’une grande émotion et ferveur spirituelle.

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Bénédicte Pereira

Messe No 2 en Sol Majeur D.167  de Franz Schubert.

Si on connaît de Schubert ses merveilleux cycles de Lieder,  (Le Voyage d’hiver, composé un an avant sa mort, 1827 …), son poignant Quatuor la Jeune Fille et la Mort, ses merveilleuses pièces pour piano (Impromptus…), son Ave Maria, la fameuse Sérénade (Ständchen), la Symphonie Inachevée…, on connaît moins son œuvre polyphonique religieuse.

L’œuvre est composée en 1815, Schubert a 18 ans!  Cette seconde Messe est orchestrée plus modestement que la première avec seulement un orchestre à cordes et un orgue accompagnant le chœur et les solistes (soprano, ténor et baryton). Douceur et chaleur expressive ici contrastent avec la première Messe plus fastueuse, pour le centenaire de l’église de Liechtental, avec une palette instrumentale plus fournie.

Mais cette œuvre de jeunesse mérite notre attention car elle renferme des pièces d’un style élégant, héritage du Classicisme viennois et une écriture ciselée, annonçant les frémissements du Romantisme: Le Benedictus pour soprano solo planant, mêlé à des pages plus triomphantes comme le Sanctus avec son Osanna fugué très enlevé. On retrouve l’ordinaire de la Messe polyphonique classique: Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei. Dans la continuation de Mozart et Haydn, le génie de Schubert est en marche.

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Lauda Sion op. 73 de Félix Mendelssohn

Composé à 37 ans, un an avant sa mort, ce Lauda Sion est certainement moins connu aussi que les chefs-d’œuvre du grand compositeur allemand (Songe d’une nuit d’été, Symphonie Italienne, Romances sans paroles…et la Marche Nuptiale !…), mais c’est une composition majeure.

Le texte est issu d’une séquence latine, composée par Saint Thomas D’Aquin pour la Messe de la Fête Dieu. Mendelssohn structure le texte en sept mouvements, alternant chœur, solistes et orchestre à cordes : Lauda Sion Salvatorem, lauda ducem et pastorem, in hymnis et canticis… Sion, louez votre Sauveur, louez votre chef et votre pasteur, par des hymnes et des cantiques…

C’est en avril 1845 que l’Evêque de Liège demanda à Mendelssohn de composer ce Lauda Sion pour la Fête du Saint-Sacrement dont le 600ème anniversaire devait être célébré l’année suivante pour commémorer la composition de cette célèbre séquence par Saint Thomas d’Aquin en 1246. Il acheva sa partition le 6 février 1846 et l’envoya à Liège le 23 février. Il assista à la création à l’église Saint-Martin de Liège, le 11 juin de la même année.

Un an avant sa mort, à 37 ans, Mendelssohn, nous offre un chef-d’œuvre empreint d’élan, de passion, d’exaltation, sentiments présents dès la première pièce: un Andante Maestoso d’une grande plénitude suivi d’un Allegro Maestoso, magnifique fugue jubilatoire. L’Andante con moto  (Chœur N° 2 : Laudi thema specialis) est une page en do mineur qui semble flotter, comme un Adagio de concerto pour piano. On reconnaît l’héritage des chorals de Bach dans le puissant Chœur N°5 : Docti sacris institutis où les voix en parfaite homorythmie et à l’unisson, développent un chant d’une grande beauté.

22 chanteurs passionnés, des solistes et instrumentistes de grande qualité : citons Catherine Padaut, Christine Tumbarello, Arnaud Hervé, Aaron Ambeau.  

Un printemps romantique qui vous fera vibrer !

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 https://www.helloasso.com/associations/ensemble-vocal-gyptis [5]

Les Olympiades de l’Etang de Berre 

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Le R.A.I.D de l’Etang de Berre

  Une association citoyenne, un projet fort et généreux

                 Pour réveiller les consciences

 « Eduquer un enfant, c’est s’offrir à lui en exemple » (Martin Gray)

Olympe 24, programme éducatif, projet citoyen et sportif porté par le R.A.I.D de l’étang de Berre est le fruit d’un travail collaboratif avec la jeunesse. Le 23 février, des élèves du collège Charloun-Rieu de Saint Martin de Crau se sont rassemblés et unis, après une course symbolique autour du stade, autour des 5 anneaux olympiques afin de lancer officiellement l’ouverture des Olympiades.

A RETENIR : 5 dates symbolisant les 5 anneaux olympiques
31 mars, 
pétanque à Saint-Chamas – 20 avrilcourse cycliste à Istres – 18 mai, tournoi de foot à Fos-sur-Mer – 29 juin épreuve de voile et paddle à Châteauneuf-les-Martigues – 27 juillet 2024course pédestre des ponts bleus à Martigues. Des évènements sportifs afin de sensibiliser la population sur les problèmes liés à la lagune.

L’association citoyenne le R.A.I.D de l’étang de Berre, présidée par Jean-Philippe Garcia, vise à sensibiliser la population sur les enjeux autour de l’étang de Berre tant sur les questions environnementales, que sur les questions de santé publique.

Nous avons rencontré Jean-Philippe Garcia, un président engagé, citoyen, humaniste.

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Interview

Isabelle Verna Puget : -Jean-Philippe Garcia, pouvez-vous présenter votre association à nos lecteurs ?

Jean-Philippe Garcia– Le RAID de l’étang de Berre, c’est d’abord une association citoyenne née le 29 août 2019 lors d’un périple que j’ai fait en marche nordique tout autour de l’étang dans le cadre de la réhabilitation de l’étang de Berre. Deuxième plus grand étang salé d’Europe, l’étang de Berre est pollué d’une part par les rejets d’eau douce de la centrale hydroélectrique de Saint-Chamas et, d’autre part, par les installations pétrochimiques tout autour de l’étang qui rejettent des fumées toxiques. Avec cette association nous créons des événements sportifs, culturels ou artistiques pour mettre un coup de projecteur sur l’étang de Berre afin que les autorités entendent le message de la société civile.

I.VP – Depuis la création de votre association en 2019, la situation catastrophique de l’étang de Berre s’est-elle améliorée ?

J.P. Garcia – Je serais tenté de vous dire oui parce qu’on nous dit que les maires sont fiers de brandir le pavillon bleu sur les plages, néanmoins la qualité de l’eau n’est pas acceptable puisqu’on rejette toujours des millions de mètres cubes d’eau douce dans l’étang et que les industries pétrochimiques y sont toujours. On nous dit que l’eau n’est pas dangereuse pour les usagers de l’étang mais il faut arrêter les rejets d’eau douce qui détruisent quelque chose qu’on ne voit pas à l’œil nu, c’est-à-dire la faune et la flore. Pour nous rien n’a changé. La situation de l’eau ne s’améliore pas.

I.VP – Fédérer la population autour d’un projet, d’une cause, aussi louable soit-elle, devient une prouesse de nos jours. Comment avez-vous réussi cette gageure, ce pari ?

J.P Garcia– Nous avons un fil conducteur, l’étang de Berre et nous y vivons tous. Nous sommes tous concernés par cette question-là. Je serais tenté de dire que les questions environnementales touchent tout le monde, pas simplement les gens qui vivent autour de l’étang. On a profité de l’occasion que nous offrent les jeux olympiques 2024 et nous avons créé nos propres olympiades en parallèle. C’est un coup de projecteur sur l’étang tout en valorisant le travail fait par les clubs sportifs qui sont, en fait, les forces vives de ce territoire et les premières personnes concernées.

I.VP – Le sport pour sensibiliser surtout les jeunes… Etes-vous aidé par les institutions dans votre démarche ?

JP Garcia – Le R.A.I.D de l’étang de Berre est une association citoyenne très originale. Nous n’avons et ne voulons aucune subvention car nous désirons rester indépendants. Nous travaillons avec les maires, les élus, qui sont des partenaires indispensables dans le cadre de la reconquête de l’étang de Berre, mais nous ne les sollicitons absolument pas financièrement.

I.VP -Olympe 2024, cinq villes comme les cinq anneaux olympiques… Vous nous parlez de ce grand projet qui, d’ailleurs, est déjà sur les rails ?

JP Garcia -Olympe 2024, avant d’être un projet est un programme éducatif dédié aux jeunes. J’interviens dans les écoles, les collèges et les lycées pour sensibiliser les jeunes sur les questions environnementales et les enjeux de l’étang de Berre. Ce programme éducatif, c’est aussi un projet citoyen puisqu’on associe les populations et les sportifs. On sensibilise les jeunes également sur le symbolisme du drapeau olympique et les 5 anneaux qui représentent les cinq continents sur un fond blanc qui est l’union entre les peuples.  On essaie de faire cette réunification des citoyens autour de ce projet. Les communes sont associées pour participer à cette reconquête de l’étang de Berre à travers des évènements sportifs.

I.VP – Amitié, respect, excellence, auxquelles on peut ajouter détermination, inspiration et courage, ces valeurs de l’olympisme ne peuvent que renforcer l’esprit de votre association. Comment les jeunes répondent-ils, avec enthousiasme ?

JP  Garcia – Oui, les jeunes y répondent avec enthousiasme. L’éducation est la pierre angulaire de notre projet. Ce ne sont pas des mots vains, un slogan. On veut repenser l’avenir de l’étang avec eux. Ce sont les futures générations qui vont avoir en charge la gestion de ce patrimoine naturel et l’idée est de les associer dès le plus jeune âge dans cette vision que nous avons de la responsabilité de cet étang.

I.VP -De grandes personnalités seront présentes. Vous nous en présentez quelques-unes ?

« L’appel des cent », cent personnalités publiques soutiennent Olympe 24 »

J.P Garcia– c’est la question terrible ! On a lancé un projet qui s’appelle ‘’l’appel des 100’’, cent personnalités qui soutiennent Olympe 2024. Vous pouvez trouver le nouveau clip sur les réseaux sociaux. 150 personnalités ont répondu ‘présent’ et c’est incroyable. Il y a des soignants, des chefs d’entreprise, des avocats, des journalistes, des artistes et des sportifs de haut niveau. Ce sont tous des citoyens qui s’engagent et nous tenons à remercier toutes ces personnes qui crédibilisent notre projet et s’associent à cette formidable aventure humaine.

I.VP – Vous êtes un grand sportif, défenseur de la nature, intervenant en milieu scolaire, d’où tenez-vous cette volonté d’œuvrer pour le bien de tous ?

J.P Garcia– C’est dans mon ADN. Je me définirais comme un faiseur. Je fais des choses et j’essaie de faire en fonction des moyens que j’ai à ma disposition. Si on avait des millions d’euros on pourrait faire de plus grandes choses mais néanmoins on utilise les capacités, l’énergie et les talents qui sont autour de nous. Nous vivons sur un territoire qui regorge de talents. Je remercie les journalistes qui nous offrent cette vitrine pour parler de ce magnifique projet. Je suis reconnaissant du parcours que j’ai effectué à travers ce projet et de la rencontre de belles personnes. C’est Aragon qui disait : « J’ai tout appris de vous sur les choses humaines. »Il avait raison. Ce sont ces belles rencontres qui me font avancer et qui me permettent d’organiser de beaux événements comme celui-là.

I.VP – Vous citez Aragon… A quoi rêviez-vous enfant ?

« Un monde meilleur, un monde d’humanité »

J.P Garcia– A un monde meilleur, un monde d’humanité. Le monde est en train de se déshumaniser. II faut encore un gros travail de la part de chacun pour essayer de réhumaniser la société dans laquelle on vit aujourd’hui.

I.VP – Quel espoir fondez-vous à court terme sur l’étang de Berre ?

J.P Garcia– J’aime la vie, je crois aux hommes, je pense que les choses devraient s’améliorer si l’être humain s’inscrit dans une démarche où l’intérêt général prime. On essaie d’éveiller les consciences à l’école mais les adultes ont une responsabilité cruciale. « Eduquer un enfant, c’est s’offrir à lui en exemple. ». Il faut repenser l’avenir de notre patrimoine qui est un trésor inestimable.

Isabelle Verna Puget

Don Quichotte de Jules Massenet

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Opéra de Marseille,

Dimanche 24 mars 2024

Dernière représentation à Marseille, le 12 mars 2002

Opéra en cinq actes, inspiré non du livre de Cervantès, mais du livret d’Henri Cain tiré d’une pièce de théâtre de Jacques Le Lorrain, Le chevalier de la longue figure, créée à Paris en 1904, sans doute pour le 300e anniversaire de la publication du roman l’année suivante. L’Opéra le sera à Monte-Carlo en 1910, avec beaucoup de succès, la grande basse russe Chaliapine dans le rôle-titre.

Cervantès et Don Quixote, modèle moderne du roman

Don Quijote aujourd’hui, Don Quichotte en français selon l’exacte prononciation du X castillan ancien, de Don Quixote, pour être précis, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de La Manche, est un roman écrit par Miguel de Cervantès Saavedra (1547-1616). On appelait Cervantès aussi « El Manco glorioso », ‘le glorieux manchot,’ car, aspirant à la gloire militaire, engagé dans la flotte espagnole d’Italie, il perdit l’usage de la main gauche d’un coup d’arquebuse lors de la fameuse bataille de Lépante en 1571, qui porta un coup d’arrêt à l’avancée des Turcs en Méditerranée.

Il persista dans la vie militaire mais quatre ans plus tard, bénéficiant d’un congé, se rendant en Espagne, au large des côtes catalanes, son bateau fut attaqué et pris par des galères turques et il fut vendu comme esclave à Alger. On l’y condamna aussi au bagne car il tenta par quatre fois de s’évader, refusant même sous la torture de dénoncer ses compagnons, assumant seul le projet d’évasion. Finalement racheté par les Trinitaires (le rachat d’esclaves était un commerce), il rentra en Espagne et y mena sa vie littéraire, théâtrale, poétique, une œuvre pétrie d’humanisme, qui témoigne, sans aucune amertume, de ces terribles expériences. Deux de ses pièces ont pour cadre Alger et l’épisode de cette captivité. Commissaire aux vivres, accusé de vente illicite de blé, il fut emprisonné plusieurs fois, excommunié, innocenté. Mais, après son adieu aux armes, il avait abandonné l’épée pour la plume.

Don Quichotte fut publié à Madrid en deux parties, 1605 pour la première, puis la seconde en 1615. Son succès fut tel qu’il subit des tentatives de récupération frauduleuse avec une suite apocryphe. Aussitôt connu en France, il sera traduit dans plus de cent-quarante langues et dialectes et, avec la Bible, fait partie des livres les plus traduits au monde. Jouant avec la fiction, les héros de fiction Quijote et Sancho, lisant et commentant leurs propres aventures supposées traduites d’un historien arabe en espagnol, superposant les points de vue en miroir, le perspectivisme du regard différent des deux héros sur le même réel, fait que ce livre est considéré comme le premier roman moderne, fascinant certains théoriciens du Nouveau roman. Milan Kundera en fait un pilier de son Art du roman et voit en Cervantès le « fondateur des Temps modernes », d’un monde « fondé sur la relativité et l’ambiguïté des choses humaines », l’ambivalence de la Vérité, où les dogmes se fissurent, « incompatible avec l’univers totalitaire », qui règne sur la pensée unique obligatoire. Dans la « Septième partie » de son essai, il écrit :

« Le romancier n’a de comptes à rendre à personne, sauf à Cervantès. »

Du livre au livret de l’opéra

Avec un flagrant non-sens, la pièce et le livret situent l’action au Moyen-Âge, sans que personne n’y semble contredire, alors qu’elle est supposée contemporaine de l’écriture du roman, le début du XVIIe siècle puisque, justement, Don Quichotte, est jugé anachronique et fou parce qu’il veut restaurer, en pleine époque moderne, l’épopée de la chevalerie médiévale errante, attifé de la cuirasse de son bisaïeul et coiffé d’un casque bricolé d’un plat à barbe. Grand lecteur érudit, il a la tête farcie par tous ces romans de chevalerie si en faveur dans la Péninsule ibérique, dont se délectaient les Espagnols, dont s’accompagnaient les conquistadors qui donnaient des noms tirés de ces récits fabuleux aux fabuleuses terres qu’ils découvraient : Califormie, de la reine Cali d’un de ces romans, Floride et sa fontaine de l’éternel printemps fleuri d’un autre. Même les auteurs mystiques, les futurs saints, comme sainte Thérèse, en étaient enflammés, et Ignace de Loyola, en chevalier de la Vierge, Dame parfaite, voulut défier en duel un maure qui avait osé douter de sa virginité, considérée sa réalité de mère.

Tout le monde connaît le terme affectif de Dulcinée pour désigner la femme aimée passionnément. C’est un héritage du Don Quichotte où c’est le nom de la vaporeuse Dame invisible des pensées du chevalier errant, Dulcinea del Toboso, qu’il donne à une vigoureuse paysanne dont il refusera toujours la réalité concrète. C’est la plus grosse et grossière trahison du livret de l’opéra de Massenet, puisque Dulcinée, dépouillée de sa poésie immatérielle, très à la française XIXe siècle, y est une courtisane qui vend ses charmes à une foule de galants empressés.

Dans le roman, Cervantès raconte les aventures d’un nobliau, d’un hidalgo pauvre, Alonso Quixano, vivant dans la Manche, le sud de la Castille. La tête tournée par les livres héroïques de chevalerie d’une époque idéaliste bien révolue, il prend la décision de devenir chevalier errant sous le noble nom de Don Quichotte et de parcourir l’Espagne pour combattre le mal, protéger les opprimés, défendre la veuve et l’orphelin. À son cheval, et pas une jument comme on croit, mais une rosse, un rocin, il donne le nom ronflant de Rocinante, en rien péjoratif. D’un paysan naïf, Sancho Panza, il fait son écuyer, qu’il traite noblement non en seigneur mais comme son égal, un ami, et même, il l’appelle parfois « fils ».

Comme les conquistadors lancés à la conquête du Nouveau Monde, comme les mystiques lancés à la conquête des Indes du Ciel, c’est avec la même folle énergie que leur contemporain Don Quichotte s’élance en ce bas-monde pour en corriger les injustices. Il voit tout au prisme de son rêve chevaleresque généreux : les auberges deviennent des châteaux, les paysannes des princesses, et les moulins à vent de la Manche, alors tout nouveaux et immenses pour l’époque, des géants. Il combat pour la liberté, le meilleur des biens, et il délivre une file de prisonniers condamnés aux galères, qui se retournent contre lui. Mais les défaites de ses combats moraux sont plus belles que certaines victoires.

Sancho, avant d’en être imprégné à la longue, s’étonne au début de l’idéalisme grandiose de son maître et le Chevalier à la Triste Figure lui répond cette magnifique phrase, ignorée du livret :

« Ami Sancho, vouloir changer le monde n’est ni folie ni utopie, mais justice. »

Une justice terrestre à régler entre hommes et, si les chevaliers errants sont les ministres de la justice de Dieu sur terre, le roman dispense une morale profane, évidemment sans contradiction avec la religion, mais pas religieuse pour autant même si, dans ses conseils à Sancho devenu gouverneur d’une île, qui a la foi du charbonnier, le Chevalier parfois prédicateur, lui parle de Dieu comme référence morale, un Dieu dont à ses yeux, revenu de ses illusions, parmi les attributs, « brille davantage la miséricorde que la justice », dit-il sur son lit de mort. Cependant, les chevaliers des romans professaient une religion à la fois mondaine et mystique de la Dame : c’est elle qu’ils invoquaient à leur mort, et non Dieu ou la Vierge.

Saint laïque ?

La pièce, écrite en pleine guerre anticléricale, est créée l’année précédant les fondamentales lois séparant l’Église de l’État de 1905. Dans l’œuvre, et souligné à l’évidence par le metteur en scène, Don Quichotte, moqué, raillé, humilié, torturé par les bandits, pratiquement mis en croix, est une figure christique dont l’innocence, la bonté réussissent l’exploit de renverser la situation et parvenant, sans coup férir, sans blessure, à se faire rendre le collier dérobé à Dulcinée par des bandits qui le prennent pour un saint et demandent sa bénédiction. Pour Dulcinée conquise et émue, c’est un « fou sublime ».

          Inspiré du roman éponyme de Benito Pérez Galdós (1885), le dernier film mexicain de Buñuel Nazarín (1958, primé à Cannes en 1959), est une cruelle parodie du parodique Don Quichotte de Cervantès avec son nazaréen héros, prêtre sacrificiel volé, calomnié, injustement accusé, poursuivi, traqué, injurié, frappé, acceptant tout comme un Chemin de Croix de Jésus.

          Esclave à Alger, Cervantès a connu les trois religions du Livre, fréquenté, en Espagne même, les descendants survivants de juifs ou de musulmans convertis à la force. Dans son œuvre, si Dieu ne peut y être nié, on ne trouve pas trace de dogmatisme religieux. Dans son roman une toute simple phrase, «Sancho, con la iglesia hemos dado », ‘Sancho, nous avons trouvé l’église’ quand, dans un village nocturne les deux personnages cherchent un château, a donné lieu à des gloses infinies, peut-être, comme une raillerie de l’obstacle de l’Église institutionnelle espagnole.

Réalisation et interprétation

Le rideau se lève sur une nocturne foule en liesse, poussant avec allégresse des « Alza !» aussi abondants dans cette pièce que rarissimes ou inconnus en Espagne (qu’on y est obligé de surtitrer et de traduire par « Anda ! » ou « Arriba !»), d’autant que le z fricatif sourd espagnol, prononcé à la française, lui donne un caractère insolite, aussi surréaliste que les quatre étranges spectres sculpturaux torse nu, un bras noir, l’autre blanc, dignes d’un film de Cocteau, ou figurations fantomatiques, plus bénéfiques que maléfiques, qui escortent le Chevalier. Fête de musique espagnolisante de bonne facture d’un Massenet qui, depuis Don César de Bazan a puisé en Espagne l’inspiration de quatre opéras et d’un ballet.

Noir, c’est noir, un univers chromatique de Soulages pour un monde ténébreux où se distinguent, de noir vêtus aussi, une foule d’hommes en habits, en fracs, de l’époque de la pièce et de l’opéra, haut de formes formant une ronde, une funèbre fresque, comme les fraises blanches des bandits, arrachés de l’ombre par les lumières ombreuses de Patrick Méeüs, une oxymorique et cornélienne « obscure clarté qui tombe des étoiles » quand, le rideau dans le rideau s’ouvrant, apparaît, comme un astre, en robe scintillante, Dulcinée, véritable vision stellaire digne du visionnaire Chevalier.

Comme un tiento vocal de flamenco, ses longues roulades voluptueuses, introduisent une très lente cantilène au rythme très assagi de séguedille, « Une femme à vingt ans… » qui n’a pas oublié la coquette et inconséquente Manon alors que cette Dulcinée, plus subtilement, laisse déjà percer les suites de l’âge et les ravages du temps pour la femme fragile en sa beauté, dans son dernier air de courtisane usée, abusée, blasée, héritière aussi, dans ses nostalgies d’amour pur de Dame aux camélias, de Traviata, prémonitoire Marilyn blonde lassée, se dépouillant de sa perruque comme des illusions de jeunesse,  traversant la scène dans un raccourci et une anticipation magistrale de la trajectoire des astres filants, éclairs de lumière et de feu, des femmes objets consommées et consumées de ce monde patriarcal où l’on feint de les laisser régner pour s’en régaler et rejeter dans l’ombre.

Les transformations sinon à vue, derrière le paravent des bras des admirateurs des somptueux costumes de Diego Méndez Casariego, de la belle, ou du simple rien qui l’habille, un simple drap dont elle tire ses revenus, métaphorisent le métier de cette Dulcinée à laquelle, pulpeuse, voix charnue, d’ombre et d’ambre, voluptueuse sans lourdeur, nimbée de nostalgie, Héloïse Mas prête sa languide beauté, et sa grâce parfois picaresque.

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Dans cette épure minimaliste de Louis Désiré, dans cette nuit généralisée, trône et sera traîné comme un symbolique chariot de théâtres et lieux divers des exploits immobiles, un lit à baldaquin défraîchi, ciel de lit des songes et mensonges annonçant une phrase de la fin, lit de vie multiple de l’orgie et de mort, lit sans doute premier du sommeil hanté de ces images de Don Quichotte et de sa fin : le sommeil de la mort de Calderón. Sur un tabouret, une simple et dérisoire statuette équestre du seul Don Quichotte lance en main, sans le bon Sancho sur son âne, déplacée, figure les errances du Chevalier, dont une vieille veste militaire, épinglée de médailles, comme une défroque, semble indiquer un passé miliaire glorieux, celui du Quichotte ou de Cervantès.

Comme un contrepoint à jardin, un groupe de chaises offre à Dulcinée et acolytes, l’occasion de beaux groupes de mouvante sculpture. Dans l’ombre, belle danse lumineuse des chapeaux ou fanaux colorés. Louis Désiré a sûrement lu le roman car, dans l’ombre, cette indiscernable grotte creusée dans la roche de miroirs, est sans doute celle des chapitres XXII à XIV de la Seconde partie, la « Cueva de Montesinos », grotte qui existe réellement, à Albacete de la Manche, qui se visite. C’est un épisode onirique et poétique du sommeil et enchantement de Don Quichotte, qui y descend avec une corde, où il a la vision d’un fameux épisode chevaleresque dans un château aux murs de cristal où il découvre la tombe de Durandarte (du nom de l’épée Durandal de Roland), qui, retrouvé blessé à mort à Roncevaux par Montesinos, lui demande de lui extraire le cœur pour l’adresser à Paris à sa dame à qui il appartenait de son vivant. Dans une farce vaudevillesque, La cueva de Salamanque, ‘la grotte de Salamanque’, Cervantès présente une épouse adultère délurée, qui use du mystère prêté aux cavernes pour faire accroire au crédule mari que les hommes, qu’il découvre à son retour inopiné au foyer, ne sont que de joyeux démons suscités par la magie malicieuse de la grotte.

On salue le bien chantant quadrille, le quatuor dansant des galants pas trop malheureux de Dulcinée qui les reçoit en son lit, le ténor Camille Tresmontant et le longiligne baryton, Frédéric Cornille, respectivement Rodriguez et Juan, auxquels s’agrègent, beautés féminines travesties en hommes, nos amies admirées Laurence Janot, soprano (Pedro) et la mezzo, Marie Kalinine (Garcias, drôle de graphie non hispanique !), portant bien le smoking et le haut de forme à la Marlène, sous leur coiffure déjà à la future Loulou de Louise Brooks.

Pas de spectacle sans les indispensables utilités de petits rôles, les Premier et Second serviteurs Gabriel Rixte et Norbert Dol, les Premier et Second Brigand et Jean-Michel Muscat et Cédric Brignone.

Florent Mayet, nouveau chef de chœur, tient bien et mène allègrement sans bouille les chœurs nombreux. À la direction, Gaspard Brécourt, sait jouer de la fibre et fièvre épique de la partition chevaleresque, et du registre intimiste amoureux, poétique, très délicat de l’œuvre. La sérénade aux étoiles de Don Quichotte, dans son initiale mélodie toute simple de deux fois six notes, revient plusieurs fois comme un leitmotiv jamais lourd, chaque fois paraissant nouveau dans sa fraîcheur naïve.

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          Déjà fait au rôle, au personnage forcément comique de Sancho, Marc Barrard ne donne pas un comique forcé. Certes, dans la tradition bouffe de la tirade contre les femmes, il sait être satirique, sarcastique comme le texte le requiert, mais il laisse percer une amertume qui transcende un peu d’expérience personnelle les clichés convenus. En revanche, comme un personnage de demi-caractère, il apparaît comme un lucide observateur ; renversant la hiérarchie, attendri, l’écuyer traité dignement en fils, devient comme un père protecteur de son noble Maître enfantin, qu’il défend contre les malveillants et sa tirade indignée contre les impitoyables railleurs est digne de celle de Rigoletto contre les courtisans, arrachant émotion et tonnerres d’applaudissements. Avec Dulcinée, digne et consciente lucide de sa déchéance, qui refuse le généreux mariage offert par le Chevalier dont elle s’estime indigne, il est le seul personnage humain.

          Humain, trop humain comme dirait Nietzsche, même tiré parfois un peu excessivement vers une fade bondieuserie ou sentimentalisme saint-sulpicien au goût bourgeois de la fin du XIXe siècle, le personnage de Don Quichotte est dépouillé dans l’opéra de sa grandeur épique même dans ses défaites, ne défaisant les bandits que par l’effet de sa bonté et non de sa force. J’avais dit un jour, ou écrit à Nicolas Courjal que, quel que fût le personnage lyrique auquel le conduirait ou condamnerait sa grande voix de basse sombre, destinée toujours aux méchants, il n’en pourrait jamais faire un héros totalement noir tant, par sa souplesse, sa douceur, elle déborde d’humanité irrépressible. Ici, il prenait le rôle de Don Quichotte, héros et martyr de la générosité, y planait, en endossait les habits avec un naturel confondant de bonté rayonnante, de grâce humaine. Introduite par un beau solo de violoncelle, la mort de Don Quichotte dans les bras de Sancho, est une scène poignante : l’écuyer, déchiré de douleur, accompagne l’agonie du maître qui va s’endormir dans « la splendeur des songes », qui justifie ce lit obsédant. C’est un grand moment lyrique : Barrard et Courjal en font un moment d’anthologie qui nous arrache les larmes.

          Concluons par la belle réponse de Sancho, devenu Gouverneur, à la Duchesse :

« Madame, où il y a de la musique, il ne peut y avoir de mal. »

Mis beaucoup de bonheur.

 Benito Pelegrín

Don Quichotte

de Massenet

Coproduction Opéra de Saint-Etienne / Opéra de Tours
Création le 31 janvier 2020 à l’Opéra de Saint-Étienne
Décors, costumes et accessoires réalisés dans les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne

Direction musicale : Gaspard BRÉCOURT
Assistant à la direction musicale : Federico TIBONE

Mise en scène : Louis DÉSIRÉ
Décors et Costumes : Diégo MÉNDEZ CASARIEGO

 Lumières : Patrick MÉEÜS

Régisseur de production : Jean-Louis MEUNIER

Régisseur de scène : Jacques LE ROY

Surtitrage : Richard NEEL

Régie de surtitrage : Qiang LI

Dulcinée : Héloïse MAS

Pedro : Laurence JANOT

Garcias : Marie KALININE

Don Quichotte : Nicolas COURJAL

Sancho : Marc BARRARD

Rodriguez : Camille TRESMONTANT

Juan : Frédéric CORNILLE

Premier serviteur : Gabriel RIXTE

Second serviteur : Norbert DOL

Premier brigand : Jean-Michel MUSCAT

Second brigand : Cédric BRIGNONE

Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille

Chef de Chœur Florent MAYET
Pianiste / Cheffe de chant : Astrid MARC

PHOTOS CHRISTIAN DRESSE 

  1. Mort de Don Quichotte ;
  2. Apparition de Dulcinée ;
  3. Dulcinée et Don Quichotte

 

Quatre jours à Paris à l’Odéon (Marseille)

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Opérette en deux actes et six tableaux

Livret de Raymond Vincy et Albert Wullemetz

Musique de Francis Lopez

Théâtre Odéon,

Dimanche 7 mars

« Quatre jours ? », m’exclamai-je lors d’une ancienne production, « On en prendrait bien quarante, et même autant de fiévreuses nuits, et ce ne serait pas une quarantaine pour fièvre quarte ou autre virale infection, mais pour une vraie affection envers cette troupe qui s’est dépensée sans compter pour nous contenter ». Je n’imaginais dont pas prendre un tel plaisir dans cette nouvelle production signée, pour la mise en scène et l’exacte et minutieuse chorégraphie, de Caroline Clin qui, dans la première, incarnait avec bonheur Simone, la jalouse manucure amoureuse. C’est dire si elle connaît l’œuvre de l’intérieur, sur le bout des doigts et, ici, sur la pointe des pieds de ses interprètes qu’elle fait si bien danser, Von Kopf bis Fuss, dirait Marlène, ‘de la tête aux pieds’ ou, plutôt des pieds jusqu’à la tête de leur jeu et propos.

[9]

En effet, j’avais toujours souligné sa prestesse à manier les troupes, les groupes, à les évacuer presto de la scène, sans un temps mort, sans la lourdeur d’un désordre, mais, ici, c’est en pleine chorégraphe qu’elle les manie, toujours dans un rythme soutenu de la musique menée tambour battant par Bruno Conti, sans creux, sans trou et, toujours aussi le geste, même les gesticulations accordées à la mise en valeur d’un texte, des répliques, jamais téléphonées, jamais appesanties d’un effet forcé, tout, situations, paroles et danse semblant couler de source : ainsi, même le personnage épisodique du Professeur (Jean Goltier), sans presque rien à dire ni une croche à chanter, sans anicroche se coule et trouve sa place naturelle dans le chœur et ballet final, la samba effrénée, joyeusement répétée plusieurs fois, sans faux-pas.

C’est dire la précision méticuleuse, le respect avec lequel elle traite, et j’ose dire magnifie joyeusement, cette légère opérette bien classée dans le genre du vaudeville canonique par le sujet et un texte, qu’elle fait souvent percuter sans coup de canon, rendant tout naturels et la convention du théâtre et l’artifice : de l’art. Du grand art. 

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Esthétique années 60

J’imagine aisément aussi, au souvenir d’autres de ses mises en scène qu’elle a veillé aux costumes bien soignés, élégants, harmonieux, puisés dans les réserves de l’Opéra de Marseille et aux décors réussis de Loran Martinel. Si la pièce est de 1948, au sortir de la guerre, le décor, surtout ce rose du canapé et ses répliques (chemises, ceintures, foulards) dans des costumes, semble directement teinté, imprégné de la Panthère rose de 1963, dont le thème musical mystérieusement facétieux sur la pointe des pieds, sonne en un moment. Et c’est bien aux années 60 que semblent référer les beaux vitraux latéraux du salon de coiffure, d’une esthétique Op art version Vasarely, des formes géométriques surlignées de noir,  rose, noir, blanc, le poncho zébré jaune-marron-orange d’Hyacinte, et ce poulailler peint à la façon Pop art des sérigraphies de Warhol. Les jupettes courtes à la Mary Quant des dames, les robes style Courrège, leurs coiffures au brushing ou chignon raidi à grand renfort de laque, parfois bandeau, des amorces de damier noir venant faire vibrer le blanc intense des costumes ou pantalons et souliers des hommes contrastant avec le t-shirt de Nicolas ou manches longues de Ferdinand. Seule la serine héroïne se distingue en robe canari, tripliquée chez deux consœurs, éclatante de soleil au milieu de la déclinaison poulaillère orange, roux, marron. C’est d’un grand raffinement aussi agréable à l’œil et à l’esprit que la musique légère, guère encombrante à l’oreille.

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L’œuvre

Musicalement, ce n’est pas du meilleur Francis Lopez dont tant de mélodies se coulent si facilement dans l’oreille et la mémoire. « La samba brésilienne » (au Brésil, c’est du masculin, tout comme le, el tequila au Mexique !) jolie redondance comme si la samba pouvait être d’ailleurs (même s’il y en a en Argentine), est peut-être le refrain le mieux connu de l’ensemble, très contagieux, d’une entraînante folie, exalté par le chef et l’Orchestre de l’Odéon très en joie, pour la nôtre.

Mais, en revanche, les chansons gagnent en qualité de texte ce qu’elles perdent peut-être en charme musical. Ainsi, les couplets relativement érudits comme du Offenbach entonnés par Hyacinthe sur son rêve d’un « monde sans femmes » (paradoxe du patron du salon de beauté qui ne vit que par elles), qui enfile la litanie plaisante des couples célèbres perdus par la Femme depuis Adam et Ève, Samson et Dalila, en passant par Abélard, châtré (on le passe) à cause d’Héloïse, tirade qui relève d’une vraie culture populaire dispensée alors à tous par l’École de la République.

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Par ailleurs, contrairement à nombre d’opérettes, ou mêmes quelques opéras, qui sont une enfilade de scènes, de tableaux juxtaposés, mais sans guère d’action dramatique tenant en haleine, il y a ici une vraie construction théâtrale, certes dans les conventions du genre, les surlignant même théâtralement par des clins d’œil, avec ses deux parties contrastantes entre le salon de beauté parisien et l’auberge provinciale où, comme en tout  bon vaudeville, tout le monde se retrouve dans la plus invraisemblable mais hilarante conjonction de conjoints et amantes en folie, avec les quiproquos des fausses identités et des méprises à la clé, clé de voûte de la comédie.

Par ailleurs, cette construction en chiasme, en triptyque, Paris/La Palissse/Paris, avec l’axe provincial, donne lieu à des micro-figures géométriques internes d’un grand comique implacable de répétition, impeccable de précision chorégraphique et même acrobatique, telle la scène, « Ah, quelle nuit ! » que Carole Clin fait passer trois fois au prisme, je dirais gymnique, de trois couples à l’épreuve de ces bonds, rebonds, sauts de table de sur table : c’est le même mais varié comiquement par ce trois fois deux des acteurs chanteurs danseurs. À Paris, ce sera l’inénarrable refrain « J’arrive de La Palisse », « C’est mon jour de repos », encore varié avec une verve irrésistible d’invention et bonne humeur.

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L’intrigue se passe à Paris mais, avec Francis Lopez, Basque espagnol né par hasard en France, la latinité musicale ne perd jamais ses droits, même élargie comme ici au Brésil, un Brésil, plutôt hispanisé en accents et noms, Amparita pour elle, Bolivar pour lui (comme le héros de la décolonisation sud-américaine), acclimaté à un Paname qui a acclimaté bien des Brésiliens, qui a toujours accueilli en son sein le monde entier, ses rythmes les plus endiablés. Ah, le fameux, le joyeux drille Brésilien de La Vie parisienne d’Offenbach qui vient se faire voler à Paris par de jolies femmes tout l’or que là-bas il a volé ! Ici, on inverse le genre : c’est la pétulante, pétaradante, puissante et possédante Brésilienne venue aussi faire la fête aux dépens de la bourse et de l’honneur de son riche mari. Comme si le rôle avait été exactement taillé pour elle, c’est Marie Glorieux (nom qu’elle mérite au féminin) qui se glisse dans ses habits divers, avec la même beauté plastique et l’élégance exotique et canaille en bataille, jouant, chantant et dansant bien, dans un rythme fou puisque, de cette folle histoire, elle est le moteur emballé, subordonnant sa commandite salvatrice au Salon de Beauté d’Hyacinte si celui-ci lui emballe et livre en son lit d’hôtel son employé Ferdinand.

 Ce dernier, joli coq, coquelet, coqueluche épidémique, au sens épidermique et érotique du mot, que les clientes assidues poursuivent de leurs assiduités, sans doute blasé de la bringue avec tant de grandes bringues, groupies dévergondées, godelureau en goguette, court le guilledou, tout doux, romantique—qui l’eût cru— platonique (!) avec Gabrielle, jeune provinciale inconnue. Il n’a cure de sa maîtresse manucure, Simone qui alertée par son absence, ameute la meute de femmes lancées à sa poursuite, impitoyable désormais.

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Ce n’est pas faire injure à l’excellent Fabrice Todaro, exactement adéquat Pimpinelli dans Paganini, de dire que, s’il en a la voix large et virile, sonore, il n’a pas exactement le physique de Ferdinand, le chéri de ces dames traînant tous les cœurs après soi et entraînant à un train d’enfer tout le monde de Paris à La Palisse et retour. De même, le rôle déjà fade de demoiselle bien tranquille face à tant de parisiennes excitées en mal de beauté et de mâle, hirsutes, emperruquées, ébouriffées, ébouriffantes, prêtes à se crêper le chignon pour lui, n’est pas bien compensé par la voix à l’aigu un peu ingrat de la sage Gabrielle à la queue de cheval (je crois) de Camille Mesnard, dont on ne doute pas qu’elle le corrigera. Même dans un rôle secondaire, la Clémentine de Sabrina Kilouli tire joliment son épingle du jeu tandis que Perrine Cabassus, sexy et sûre de ses charmes, a des armes de battante pour reconquérir l’amant volage, le disputant férocement aux autres candidates.

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Quant à la Zénaïde de Julie Morgane, en mal fagotée servante peu maîtresse pour se faire aimer du maître aimé, à elle seule, si le spectacle n’avait tant d’autre atouts, vaudrait pour le tout : grande et souple sauterelle dégingandée, chanteuse, diseuse variant de tons et timbres de voix, mime, danseuse, acrobate, déjà dans sa scène en solo, sa danse du balai et du seau, elle est théâtre à elle seule, digne héritière au féminin d’un Charlot, et sachant même, comme lui faire douce et touchante émotion de ses échecs, quand elle bûche ou trébuche simplement. On l’a connue en parfaite osmose de danseuse saltimbanque avec Grégory Juppin, ici, on lui découvre un autre digne partenaire, dansant, chantant, sautant espérant la sauter, Nicolas Soulié, dans ses petits souliers de la réprimande de ses gaffes innocentes et inconscientes trahisons, moteur second de la décoiffante histoire puisque tout le salon de coiffure se retrouve en beauté emboîté dans l’auberge du père de Gabrielle dont il a maladroitement éventé l’adresse, un bougon et tonnant Montaron, Didier Clusel, amateur d’échecs, dont les pièces s’impriment sur les murs, en compétition avec le modèle réduit mais grandiose jaloux Bolivar d’Alvaro Ruault à la romantique chevelure, roquet râleur, qui, plus que parler, semble aboyer et mordre.

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Hyacinthe, du nom de l’amant d’Apollon, tué par le disque solaire du dieu dévié par le jaloux Zéphyre, du sang duquel naîtra, par la grâce de la métamorphose, la fleur de ce nom, est le patron du salon de beauté parisien. Maniéré, efféminé au-delà de la frontière du genre à voile et à vapeurs d’angoisse de tout perdre sans le prêt de la Brésilienne, on ne dira pas qu’un rien l’habille puisque, sinon à poil en pyjama satin et plumes ou en kilt écossais ou poncho andin. Il est incarné avec un naturel, qui en cache tout l’art subtil, par Claude Deschamps, figure de clown mélancolique qui affecte de sourire et nous fait rire, sans doute pour ne pas pleurer les vraies larmes refoulées de tous ceux qui eurent et ont encore à souffrir de ce que la pudibonderie, l’hypocrisie actuelle, appelle leur « orientation sexuelle », leur « différence », bref, du nom précis et en rien infamant : l’homosexualité, comme si « aimer le même », son propre sexe était un crime. L’état vient justement de reconnaître son propre crime d’avoir si longtemps discriminé, criminalisé pénalement les homosexuels jusqu’à la loi Forni de 1982, qui abrogeait définitivement le « délit d’homosexualité ».

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En 1948, création de l’opérette, au sortir de la guerre, la Libération n’étant pas forcément celle des mœurs, on ne sait comment le public pouvait appréhender le personnage scénique de l’homosexuel Hyacinthe. Deschamps joue de tous les clichés, de toute la rhétorique gestique et vocale du stéréotype scénique de l’homosexuel qui, finalement, était une figure pratiquement folklorique et bon enfant, héritée dans le spectacle et la tradition théâtrale. Aujourd’hui, comme si être « noir » était infâme et « homo » injurieux, on dit hypocritement « black » et « gay », drapant en Tartufe dans une autre langue un politiquement correct qui cache encore hypocritement ce qu’on ne saurait voir. C’est la pudibonderie linguistique qui fait, révèle et souligne l’injure dans l’esprit de celui qui s’y range pour ne pas soi-disant déranger. Mais, si bien servi, le personnage d’Hyacinthe, comme je l’avais déjà dit, avec juste une gauloise gaudriole inversée, ni grivois, ni graveleux, ni grossier, dans une opérette bon enfant, heureux signe des temps moins oppressants pour l’homo, nous fait rire sans arrière-pensée, sans aucune méchanceté : simplement parce qu’il est drôle et non bizarre.

Benito Pelegrin

Quatre jours à Paris

Opérette en deux actes et six tableaux

Livret de Raymond Vincy et Albert Wullemetz

Musique de Francis Lopez

Théâtre Odéon,

NOUVELLE PRODUCTION

Direction musicale : Bruno CONTI
Mise en scène et chorégraphie : Carole CLIN

Gabrielle : Camille MESNARD
Amparita : Marie GLORIEUX
Zénaïde : Julie MORGANE
Simone : Perrine CABASSUD
Clémentine : Sabrina KILOULI

Ferdinand : Fabrice TODARO
Nicolas : Nicolas SOULIÉ
Hyacinthe : Claude DESCHAMPS
Bolivar : Alvaro RUAULT
Montaron : Didier CLUSEL 
Le Professeur :  Jean GOLTIER

Orchestre de l‘Odéon

Photos Christian Dresse 

  1. Nicolas, Amparito, Ferdinand, Hyacinthe ;
  2. Nicolas et Ferdinand ;
  3. Salon de beauté op art ;
  4. Hyacinthe et Amparita ;
  5. Le poulailler de La Palisse ;
  6. Ferdinand et Gabrielle ;  
  7. Bolivar et Simone; 
  8. Zénaïde ; 
  9. Ferdinand, Simone, Hyacinthe.

Anne-Marie Coulomb, Peintre de l’âme

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 Anne-Marie Coulomb peint et expose. Dans son magnifique atelier, ‘’Les caves du Logis Neuf’’, cher à son cœur, ses glacis s’emparent du regard avant qu’il ne s’y accroche, comme aimanté par ce ‘’ je ne sais quoi’’ qui fait des huiles de l’artiste des tableaux d’exception, de ceux qui remuent quelque chose au fond de soi, de ceux, rares, que l’on voudrait garder, regarder et qui restent ancrés en nous.

Un onirisme lyrique

Les peintures d’Anne-Marie Coulomb, véritable onirisme lyrique,  ont les couleurs de son âme. Un exutoire ? Une dénonciation ? Un rêve ? Autant de sentiments à fleur de toile… Avec ses peintures, Anne-Marie panse les blessures de la vie, les siennes, les nôtres, mais pas seulement. Elle nous dit la nature, le printemps, l’amour, la tendresse. Ses pinceaux caressent la toile sans la heurter. Anne-Marie Coulomb interpelle, harmonise. L’artiste nous dit l’équilibre, elle nous dit la femme !

Nous l’avons rencontré.

Interview

[18]Danielle Dufour-Verna : -Anne-Marie Coulomb, qui êtes-vous ?  Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Anne-Marie Coulomb – Je suis peintre. J’ai toujours aimé la peinture. Mes études de littérature m’ont amenée à la culture de l’art, bien plus que vers les mathématiques ! Après un passage aux Beaux-Arts, j’ai acquis, en 1998, un atelier où je peins, j’expose, je reçois des élèves, et où nous faisons de magnifiques expositions de groupe.

DDV – Cet amour de la peinture que vous avez toujours eu en vous est venu par rapport à vos parents par rapport à et une sensibilité particulière ?

Anne-Marie Coulomb – Je dirais plutôt à une sensibilité particulière, une sensibilité d’artiste. Je ne savais pas que j’allais peindre il y a 60 ans. Je ne savais pas que je ferais autant de réalisations. C’était quand-même un goût dans la famille. Il n’y avait pas de grands artistes mais des cousins et un goût particulier pour la peinture.

DDV -Voulez-vous transmettre un message au-travers de vos œuvres ?

Anne-Marie Coulomb – Je ne pense pas avoir de message à donner mais des sentiments, des sensations à percevoir. Ce que mes œuvres mettent en perspective, c’est ce côté théâtre de ma vie. On s’aperçoit que je parle effectivement de moi, de ce qu’il m’est arrivé en tant que femme, en tant que mère.

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DDV – vous avez exposé au Vieux Bassin d’Allauch dans le cadre de la journée internationale des droits de la femme. Est-ce-que vous êtes une artiste engagée et de quelle manière ?

« Un engagement féminin »

Anne-Marie Coulomb : -je ne pense pas, en tout cas pas consciemment. Il est vrai qu’après la littérature, je me suis formée à la psychologie clinique. Cela joue sans-doute dans ce que je révèle de moi. Ce n’est pas un engagement politique, plutôt un engagement féminin en tant que femme, épouse, mère. Il y a encore beaucoup à faire pour les femmes. J’ai beaucoup de mal avec l’autorité, surtout celle de ma mère qui était très dure. On dit souvent que mes huiles sont tristes.

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DDV – Je trouve, pour ma part, que vos huiles sont à la fois lyriques et lumineuses…

« Je n’aime pas ce qui est agressif. »

Anne-Marie Coulomb – Je pensais traduire en peinture mon fort caractère, réagir, mettre de grosses épaisseurs sur la toile. Il s’avère que pas du tout ! Je travaille en couches fines, à l’huile, en glacis superposés. Petit à petit, je monte mon monde sur la toile par petites couches très minces. Je n’aime pas ce qui est agressif. Je suis du domaine du rêve, du lyrique, oui, tout-à-fait.

DDV -Des projets ?

« Des œuvres détournées »

Anne-Marie Coulomb – Oui, d’autres expositions sont en prévision. D’autre part, nous avons initié avec mon atelier un projet qui me tient à cœur et qui m’amuse bien. Chaque artiste de l’atelier fera une œuvre détournée d’un peintre très connu comme par exemple ‘’Le déjeuner sur l’herbe’’ de Manet.

DDV – Ma dernière question, quelle est votre propre conception du bonheur ?

Anne-Marie Coulomb – Je n’ai pas de conception du bonheur. Je ne sais pas. Je n’ai pas de ce n’est pas de croyance religieuse ; j’aime bien être tranquille. Je peins, j’ai une belle maison. J’étais dans mon jardin en train de sortir toutes mes plantes. La peinture, la famille, le jardin, notre atelier, il est peut-être là le bonheur.

Danielle Dufour-Verna

Atelier des Caves du Logis Neuf- 38 avenue Leï Rima- 13190 ALLAUCH

www.ateliercnl.net [21]

PAGANINI de FRANZ LEHÁR (Odéon, Marseille, 24 février 2024)

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          Du même Franz Lehár, mais ultérieur, Paganini, semble le triste veuf de la Veuve Joyeuse : tout le monde connaît la Veuve joyeuse et presque tout le monde ignore Paganini. C’est une opérette en trois actes sur un livret allemand de Paul Knepler [22] et de Béla Jenbach [23], qui fut créée à Vienne en 1925, la Veuve, en 1905. Mais peut-être l’effervescence légère d’une œuvre viennoise et grivoise d’avant la Grande Guerre n’était-elle plus possible dans une Autriche vaincue, déchue de son titre d’Empire, ratatinée en un mince état, déjà en proie aux premières fièvres malignes du fascisme revanchard, alors que l’Europe des vainqueurs, comme pour exorciser les horreurs à peine passées, les effacer, entrait dans les frénésies des Années folles.

Il est vrai aussi que la Veuve héritait d’un livret inspiré d’une malicieuse pièce d’Henry Meilhac, cher à Offenbach, dans la tradition bien française du vaudeville en vrille et son lot risible et irrésistible de maris toujours potentiellement cocus, alors qu’ici, corseté par l’Histoire vraie, l’adultère parallèle du couple princier, chacun son favori ou favorite, relève plus de la symétrie conjugale établie que de la fringale érotique qui semble tenailler le seul Pimpinelli, Gentilhomme de la chambre, qui ne garnit guère la sienne de poules ou poulettes, ombre lointaine déplumée du coq Danilo de la Veuve, volant  à la ronde de la brune à la blonde. Alors, on ne sait, problème peut-être aussi de la traduction française d’une tradition et d’un humour allemand étrangers à notre sensibilité nationale, il n’y a pas trop matière à rire ou sourire, selon nos habitudes du genre, sauf au dernier acte, dans l’auberge, le duo, trop court de deux patibulaires contrebandiers.

          La musique, dès le beau solo de violon (Alexandra Jouannié) est pourtant de belle facture de bout en bout, raffinée, très lyrique, avec des danses à la mode du temps, moins de valses, mais des rythmes légers de fox-trot ou vague charleston, des exotismes hispaniques et cubains, et les inévitables couleurs bohémiennes. Mais il manque ce rien qui fait tout, peut-être une simplicité, une naïveté qui fait qu’un air vous habite, vous hante et ne quitte plus jamais la mémoire.

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LIEUX ET PERSONNAGES

Une princesse musicienne

D’une principauté imaginaire de la Veuve, on passe à de vrais princes, du moins surgis de l’imagination concrète du magicien réaliste Napoléon Bonaparte qui fait valser les trônes d’Europe et les donne principalement à sa famille, à ses proches, à ses amis et alliés. Comme, à l’occasion de l’installation de sa famille à Marseille en 1795, il s’était fiancé à Désirée Clary (qui deviendra tout de même reine de Suède en épousant le général Bernadotte, dont les descendants règnent toujours sur ce pays), sa sœur, née Maria-Anna, mais connue comme Élisa par le surnom de son frère préféré Lucien, qu’elle adopte comme prénom officiel, malgré les réticences de Napoléon, épousera à Marseille le médiocre capitaine Félix Baciocchi.

Avec l’avènement de l’Empire, l’Empereur les nomme princes d’un petit territoire de Toscane pouvant verrouiller l’île d’Elbe et la Corse. Mais, à part les affaires militaires qui incombent à Félix, la réalité du gouvernement est assumée par Élisa, la seule sœur de Napoléon à avoir possédé de réels pouvoirs politiques avec une compétence qui lui sera reconnue. Elle est donc princesse de Piombino et de Lucques et par la grâce de son frère, elle deviendra Grande-Duchesse de Toscane en 1809.

Née à Ajaccio en 1777, grâce à une bourse de la d’abord démocratique Révolution, elle fait de solides études dans l’aristocratique Saint-Cyr de Madame de Maintenon maintenu encore un temps par la République avant son abolition, et manifeste un goût prononcé pour les arts, notamment la musique et le théâtre. Dans la principauté de Lucques, elle règne en souveraine éclairée, réformatrice avisée, créant des écoles pour les filles, leur offrant une éducation émancipée de la chape religieuse. C’est là qu’elle rencontre Paganini et s’en éprend : il a vingt-trois ans, elle, vingt-huit. L’opérette met en scène cette rencontre.

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Le prince (des ténèbres) des musiciens

Le mythique violoniste Niccolò Paganini, naît à Gênes en 1782 et mourra en 1840 à Nice où, après une carrière glorieuse dans toute l’Europe, malade, isolé, il enseignait le violon. Il était aussi compositeur, altiste, guitariste, la guitare était sa passion. Il a écrit plus de cent pièces pour violon et guitare ainsi que pour guitare seule et, dans certains concerts, joue des deux instruments. Mais il passe pour l’incarnation même du violon, on le considère comme l’un des meilleurs violonistes de tous les temps, à coup sûr il est le plus célèbre virtuose du violon du XIXe siècle. Franz Liszt, qui fera ses variations sur ses œuvres, en dit ceci :

« La grandeur de son génie est inégalable, insurpassable, et exclut même l’idée d’un successeur. Personne ne sera jamais capable de suivre ses traces ; aucun nom n’égalera sa gloire. » 

Dans ses Vingt-quatre Caprices pour violon solo, il met en pratique la technique moderne du violon, révolutionnaire en son temps, une étape importante dans l’histoire de la musique et celle de l’instrument. 

[26]

          Balzac signalait sa « puissance magnétiquement communicatrice ». Il fascinait. Il eut une gloire qu’on dirait aujourd’hui de rock star. Il jouait sans partition, préférant tout mémoriser, capable de jouer jusqu’à douze notes par seconde, disait-on. Sa virtuosité était telle que naquit la légende de son pacte avec le Diable. Long et maigre à faire peur, dégingandé, Paganini est aussi surnommé « l’Homme Élastique ». De nombreuses rumeurs effrayantes circulaient à son sujet. On aurait vu son double avec des cornes et des sabots ; il aurait tué des femmes et emprisonné leurs âmes dans son instrument… On pense maintenant que cette déformation, longiligne, dont celle de ses doigts qui lui permettaient des doigtés impossibles aux autres violonistes, était probablement due à une maladie génétique, identifiée aujourd’hui comme le Syndrome de Marfan ou le Syndrome d’Ehlers-Danlos. Mais il est vrai que, pour cette virtuosité exceptionnelle, on l’appelait le « Violoniste du Diable. »

Cela joua un mauvais tour à sa mort à Nice. Ayant commandé cent messes pour son âme, sentant sa fin venir, il fit appeler un curé, pas très fin avec le célèbre mourant puisqu’il salua l’illustre agonisant, selon le témoignage de sa bonne, d’un rigolard :

« Alors, monsieur Paganini, maintenant, c’est plus le moment de jouer du crin-crin !»

Piqué au vif, dans un sursaut de vie, le moribond mit à la porte le peu délicat chanoine et l’on raconta que le « Violoniste du Diable » avait refusé les sacrements. L’enterrement religieux lui est interdit, ainsi que l’inhumation en terre consacrée. Mais des amis embaument le corps, l’exposent non sans problèmes avec cette réputation diabolique, sont obligés de la cacher à Villefranche, puis chez lui à Gênes, puis à Parme en 1853. Puis, trente-six ans après sa mort, en 1876, le pape Pie IX l’ayant réhabilité, le corps est transporté solennellement au cimetière de Parme mais, celui-ci déclassé, on le déménage encore. Après un tel périple post mortem, certains doutent de l’authenticité du corps, si bien qu’en 1893, il est exhumé en présence de son fils, puis encore en 1896 et encore en 1940 pour le centenaire de sa mort. Voilà ce que coûte une légende.

Paganini a inspiré nombre d’œuvres, des romans et, depuis le cinéma muet, une dizaine de films, jusqu’en 2013, dont un réalisé par le fameux acteur Klaus Kinski qui joue lui-même le violoniste.

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RÉALISATION ET INTERPRÉTATION

Mais notre opérette, à part quelques cris d’un énergumène au début dénonçant le Diable à l’audition d’une acrobatique mélodie de violon issue d’un pavillon face à l’auberge, puis une autre allusion à la fin, ne tire rien de cette légende, s’en tenant à l’épisode amoureux de sa vie avec l’exceptionnelle Anna Élisa, dont l’air d’entrée, de présentation, est une sorte d’hymne glorieux à son frère l’Empereur Napoléon. En costume rouge d’amazone, haut de forme en tête et cravache à la main, Perrine Madoeuf, voix ronde, souple, charnue, timbre doucement sensuel, a d’emblée une autorité scénique et vocale, une majesté joyeuse, joueuse dans la partie de dupe face au musicien que, subjuguée par sa musique, elle se fait présenter, lequel, succombant à ses charmes, lui déclare sa flamme sans savoir encore son identité, mince quiproquo, de l’intrigue.

En élégante casaque rouge, le prince Felice (Joris Conquet), beau timbre pour peu de chant, est de très bonne tenue sinon conduite, toujours escorté de sa favorite au nez du peuple et sa femme, cédant aux craintes superstitieuses des villageois, interdit le concert du virtuose du lendemain. Faisant fi des racontars, l’habile princesse retourne son époux comme un gant de chasse et, après quelques malentendus et caprices de l’artiste vexé qui veut et ne veut plus, on sait que le concert à Lucques aura lieu et l’Histoire nous confirme que, émerveillée de son talent musical, la Princesse énamourée le nomme chef de son orchestre. Loin de croire à la musique infernale, elle chantera plutôt « l’amour, paradis sur terre » (Liebe, du Himmel auf Erden ) assurément l’un des plus beaux passages lyriques de la pièce.

S’il n’a pas la hauteur et maigreur effrayante de l’original, brun de belle allure et figure, Sammy Camps, visage encadré de favoris à la mode du temps, est une parfaite incarnation de héros romantique et même, en ombre chinoise du virtuose en ses gestes qu’on imagine d’Alexandra Jouannié, violoniste de l’orchestre à la fête arrachée pour un solo de la fosse à la coulisse, mais invisible toujours…La voix claire de ténor du chanteur a muri, s’est élargie, enrichie dans le médium et le grave de belles couleurs, gardant puissance et projection et, surtout, cette juste passion d’excellent acteur. Il forme un beau couple de jeunes premiers avec Madœuf.

[28]

Nécessaire copie des comédies, ombre comique du premier, très réussi également, le couple second est incarné, en rondeur, par Pimpinelli, Fabrice Todaro, chaleureux baryton et, toute en élasticité, le régal de Julie Morgane, morgue railleuse, Bella diva, divette, glissant comme dansante savonnette, équilibriste acrobate, des bras du Prince à ceux du Gentilhomme qui en pince et de Paganini enfin, glissant de tous les doigts féminins pour réserver les siens, divins ou diaboliques, aux cordes seules de son instrument qui assureront sa gloire et sa fortune après sa fuite de Lucques. L’éternel amoureux Pimpinelli, de la Chambre Gentilhomme, harceleur de la gent féminine, sera à son tour harcelé sur place sinon chambre par la gente Dame Comtesse de Laplace, une gourmande sinon gourgandine à grave voix et gorge déployée, Cécile Gallois, qu’on a toujours plaisir à entendre comme toute cette troupe rôdée, je dirais cette famille de l’Odéon, sachant toujours, même avec peu ou pas du tout à chanter, exister, jouer, bref rendre possible le théâtre, l’opérette : Jean-Claude Calon, Bartucci ; Philippe Béranger, Beppo / Marco ; Dominique Desmons, Foletto / Emmanuel ; Antoine Bonelli, l’Aubergiste / le1 er Gendarme, Damien Barra, le second.

          Les costumes (Opéra de Marseille) sont d’une belle et juste élégance historique, très harmonieux en couleurs, et le décor (Loran Martinel), traditionnel carton-pâte du premier acte est d’un sobre raffinement au second, un simple fond de bleu sombre fondu, avec un canapé Joséphine ou Récamier et, au dernier acte, une inventive picaresque auberge avec cet immense tonneau issue de secours des contrebandiers, où les costumes folkloriques, jupes et chemises rouges, sont magnifiés par la chorégraphie  joliment populaire d’Anne-Céline Pic-Savary.

          Comme toujours, on apprécie la claire mise en scène de Carole Clin, attentive au jeu, à son art de conjuguer harmonieusement les masses, presque de conjurer à l’aise, sur cette scène étroite, ses troupes qu’elle mène d’une baguette aussi ferme que celle du chef Federico Tibone à la tête de l’Orchestre de l’Odéon, aussi bien tenu pour cette musique de qualité qu’il nous révèle, autant que le Chœur Phocéen mené par Rémi Litolff. Oui, nous aimons aimer notre Odéon.

          La passion scandaleuse, adultère, entre Élise et Paganini, inquiète moins le mari, lui-même exhibant sa maîtresse, que Napoléon au loin, qui tente de se réconcilier avec le Saint-Siège, dépêche un empanaché Général d’Hédouville (Jean-Luc Épitalon) pour arrêter Paganini. Qui s’enfuira, seul dans l’opérette, mais en réalité avec la cantatrice maîtresse du prince avec laquelle il passera un moment de sa vie. Benito Pelegrin

[29]

PAGANINI

FRANZ LEHÁR

OPÉRETTE EN 3 ACTES

NOUVELLE PRODUCTION

Direction d’orchestre Federico Tibone

 

Mise en scène : Carole Clin

Assistante de réalisation :  Luigia Frattaroli

Chorégraphie : Anne-Céline Pic-Savary

Costumes : Opéra de Marseille

Décors : Loran MARTINEL

Chœur Phocéen

Orchestre de l’Odéon

violon solo : Alexandra Jouannié

Distribution :

Anna Elisa : Perrine Madoeuf

Bella : Julie Morgane

La comtesse de Laplace / Caroline : Cécile Gallois

Anita : Sabrina Kilouli

Paganini : Samy Camps

Bartucci : Jean-Claude Calon

Pimpinelli : Fabrice Todaro

Beppo/Marco : Philippe Béranger

Le général : Jean-Luc Epitalon

Le prince Felice : Joris Conquet

Foletto/Emmanuel : Dominique Desmons

L’aubergiste : Antoine Bonelli

2e gendarme : Damien Barra

Orchestre de l‘Odéon :

Violon solo Alexandra JOUANNIÉ
Benoît SALMON, Alina FAIRUSHINA, Marie HAFIZ NICOLINI, Hélène CLÉMENT, Isabelle RIEU, Samia ZIDI, Aurélie ENTRINGER, Pierre NENTWIG, Jean Florent GABRIEL, Sylvain ZACKARIN, Virginie ROBINOT, Linda AMRANI, Benoît PHILIPPE, Stephan BRUNO, Marc BOYER, Luc VALCKENAERE, Olivier GILLET, Alexandre RÉGIS

Chœur Phocéen. Chef de chœur : Rémi LITOLFF

Fiorella ALESSANDRA, Snezhana CHOPIAN, Sabrina KILOULI, Davina KINT, Rosanne LAUT, Esma MEHDAOUI, Damien BARRA, Laurent BŒUF, Angelo CITRINITI, Corentin CUVELIER, Jacques FRESCHEL, Clément PONS
Ballet Cloé ALEXANDRE, Anne-Céline PIC-SAVARY, Marie GIBAUD, Guillaume REVAUD, Rudy SBRIZZI, Vincent TAPIA

PHOTOS : Christian DRESSE

  1. La Princesse et sa suite ;
  2. Élisa et Paganini; 
  3. Pimpinelli et Bella ; [29] [29] [28]
  4. Pimpinelli et la comtesse ; 
  5. Menuet à la cour ;
  6. Danse à l’auberge ;
  7. Pittoresque et picaresque auberge.

Le Chien bleu Ou l’une autopsie bouleversante de la fragilité humaine face aux coups du destin

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Il existe des œuvres de par ce monde qui marquent les esprits, transportent les âmes et saisissent les cœurs, laissant une trace indélébile dans nos mémoires. Le Chien Bleu, seul en scène écrit par Lionel Parrini, est de celles-ci. Je l’avais vue en 2006 au théâtre de Tatie, tenu alors par Gigi et Julie. La première mouture m’avait beaucoup touchée mais celle-là, à la faveur d’une réécriture par son auteur en 2017, est en tout point une réussite. Et je suis bien heureuse d’avoir accepté l’invitation de Lionel lorsqu’il m’a appris qu’elle se jouait au Théâtre du Tétard, en cette fin novembre 2023.

La compagnie Les Labyrinthes, venue de Mérignac, porte avec brio cette adaptation du monologue de Lionel Parrini qui offre une plongée troublante au plus profond des méandres de la psyché humaine. Incarné de manière lumineuse par Orianne Schiele, le personnage d’Éléonore hante les spectateurs bien après le baisser de rideau ; en particulier, sa question récurrente et annonciatrice de sa folie, sorte de leitmotiv : « vous n’auriez pas vu un chien bleu ? », son chien qu’elle cherche tout le long du spectacle.

En préambule

D’une écriture plus percutante et poétique, le texte, à multiples lectures et écrit au cordeau, est interprété par une jeune et excellente comédienne, Orianne Schiele qui mérite d’être connue : d’une sobriété de jeu alliant un côté clownesque, avec une intensité rare dans l’incarnation du personnage, une gestuelle précise et une diction quasi parfaite à la manière d’Arletti, elle est Éléonore, cette femme victime de violences de la part de son mari qui se réfugie dans une douce folie avec son chien bleu, métaphorique de sa maltraitance. La mise en scène de Gérard David sert merveilleusement le texte sans être ni redondante, ni « téléphonée » : elle est accompagnée d’un jeu de lumière subtile et repose sur une scénographie légère signés Johann Ascenci.

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Plongée au cœur des fêlures intimes d’une psyché meurtrie

Grâce à une écriture à la fois crue et poétique, parsemée de quelques notes d’humour à l’image du nom de famille de son héroïne Madame Croquette et de son adresse Rue Pipelette, Lionel Parrini signe ici un texte à la puissance incantatoire dans lequel, par fines touches et fragments, il nous dévoile petit à petit le passé douloureux ayant fragilisé Éléonore. À travers ce personnage perce une volonté de dénoncer les séquelles trop souvent invisibilisées des violences conjugales. « Le Chien Bleu », par son jeu de miroir, devient une plongée bouleversante au cœur des fêlures intimes de notre société. Loin des poncifs, cette œuvre exigeante invite le spectateur à une réflexion sensible sur la psyché humaine dans ce qu’elle a de plus troublé.

À travers la forme du monologue théâtral, nous sommes d’emblée immergé dans les tourments intérieurs de sa protagoniste. Dès les prémices, le style déstructuré de la pièce dévoile les failles d’un psychisme désaxé, balloté entre accès mélancoliques et crises de détresse. Les changements abrupts de registre, oscillant entre un langage vulgaire et une langue châtiée, trahissent l’instabilité émotionnelle d’une femme meurtrie par les coups du sort. Au fil de son discours disséqué, c’est toute une vie cabossée qui se dessine peu à peu. Derrière les non-dits surgit le passé douloureux d’Éléonore : un mariage destructeur marqué par la violence, le deuil d’un fils disparu, un renvoi brutal de son métier d’institutrice pour dépression. Sa solitude et sa précarité financière dans son appartement ne font qu’accroître sa fragilité.

Les « colères inouïes » de son époux où il pouvait lui « filer une rouste » ont indéniablement traumatisé et déstabilisé la jeune femme sur le plan psychologique. Désormais seul repère dans sa solitude, son chien Bijou semble avoir joué un rôle central dans sa vie. Éléonore le décrit de manière obsessionnelle, évoquant avec tendresse leurs jeux passés. Mais son attitude ambiguë envers l’animal – auquel elle dit vouloir apprendre à retenir son souffle sous l’eau- peint en « bleu » comme pour s’accaparer son être, inquiète. Sa relation possessive à Bijou semble révélatrice de son besoin ultime de contrôle, résultant peut-être de la perte de contrôle sur sa propre existence. Pourtant, nous nous attachons à ce personnage fragile et loufoque, perdu et un tantinet cruel dans sa désespérance.

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L’illusion intérieure sous le scalpel du théâtre

Sa solitude dans son appartement – ou bien s’imagine-t-elle dans un appartement en lieu et place d’une chambre d’hôpital – ne fait qu’éveiller ses fantômes intérieurs. Si le personnage semble d’abord chaotique, le talent d’Orianne Schiele, toute en nuance et en rupture, permet de percevoir la richesse dissimulée sous les débris. Sa sensibilité artistique transparaît dans les descriptions poétiques parsemant son discours. Et derrière la détresse surgit peut-être une femme plus complexe qu’il n’y paraît.

Grâce à son interprétation d’une justesse époustouflante, la comédienne parvient à faire vibrer chaque strate du personnage, de ses douleurs intimes à sa soif de beauté que nous décelons dès notre arrivée, lorsque nous la voyions s’apprêter devant sa coiffeuse, vêtue d’un élégant pyjama, ou lorsqu’elle part dans ses envolées lyriques. Dans un numéro de funambule, elle donne corps aux sautes d’humeur d’Éléonore avec une précision chirurgicale. Sa voix et son corps vibrent à l’unisson des méandres torturés de sa psyché meurtrie. Le spectateur est invité à une plongée cathartique au cœur des fêlures laissées par les traumas du passé.

Maîtrisant les codes du monologue intérieur, Gérard David construit une mise en scène épurée révélant les ressorts les plus secrets de son âme. La sensation de vertige envahit le spectateur qui pénètre peu à peu au plus profond des failles de sa mémoire fragmentée. Dans ce huis clos intime, c’est une véritable autopsie de l’inconscient qui se joue sous nos yeux. Et grâce au découpage aéré du texte avec ses intermèdes chantés qui offrent des temps de respiration et de légèreté – reprises de chansons caustiques des années folles et des années 70/80-, le metteur en scène évite à la pièce de sombrer dans le pathos. 

[32]

In fine

Plusieurs années après sa création, le spectacle fascine encore par la justesse et l’actualité de son propos. En donnant corps aux tourments intérieurs d’Éléonore avec autant de finesse, non sans une pointe d’humour, la compagnie Les Labyrinthes réalise un travail remarquable de portée et de transmission théâtrale. « Le Chien Bleu » restera assurément l’une de leurs créations marquantes, offrant au public une expérience aussi cathartique qu’inoubliable.

Une création qui mériterait d’être jouée dans un théâtre national ou une scène labellisée tant elle vient fort à propos en notre époque où les violences conjugales ont, depuis la crise du Covid, été décuplées. Rappelons qu’une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les deux jours et demi, un chiffre glaçant.

Diane Vandermolina

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 Avis aux amateurs de Polars : « Le Préleveur » de Maurice Daccord, bientôt en librairie

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Le nouveau roman de Maurice Daccord, édité chez L’Harmattan, sortira en librairie en mars prochain. Intitulé « Le Préleveur », ce roman est le quatrième opus des enquêtes menées par le Commandant Léon Crevette et son acolyte, Eddy Baccardi qui exerce le drôle de métier d’écoute et conseil des cœurs brisés, tous deux grands amateurs de bonne chair.

Après l’étonnant « Tantum ergo » dans lequel nous découvrions ces deux personnages haut en couleur et en fort en verve (Notre Sélection de livres à l’attention des amateurs de romans policiers et fantastiques – RMTnews International [34]), puis « Le Secret des mages du trident rouge » et « L’Affaire des flambeaux noirs » dans lesquels nous suivions avec un vif intérêt les enquêtes des deux amis, aidés de la séduisante Valentina, médecin légiste, intime de Crevette, et de la douce Colombe, la jeune compagne de Baccardi, nous voilà happés dans la nouvelle aventure de nos deux improbables héros.

Dans cet épisode inédit, les deux enquêteurs devront résoudre une affaire particulièrement sordide : une série de meurtres où l’assassin prélève les viscères de ses victimes. Surnommé par la presse « le Préleveur », ce tueur en série n’épargne personne. Pour démêler cette énigme criminelle, Crevette et Baccardi pourront compter sur l’aide d’un nouveau venu, le talentueux jeune Lieutenant Merlu, apparu dans le précédent roman. Mais ils ne sont pas les seuls à vouloir démasquer le Préleveur, une mystérieuse informatrice les guidera tout au long de leur enquête.

A l’instar des trois précédents volets, Maurice Daccord déroule une intrigue policière haletante dans la pure tradition du roman noir. L’auteur a, par ailleurs, un sens de la formule bien senti qui ne saurait déplaire aux maîtres du genre. Son style est gouailleur et savoureux, entre franc parler populaire ponctué d’expressions argotiques et de jeux de mots et dialogues à la Clouzot. Les fans de Léon Crevette, flic mal embouché et bougon, et d’Eddy Baccardi, séducteur à la santé fragile, sont ainsi invités à découvrir leurs nouvelles aventures. DVDM

En une, Maurice Daccord, auteur ©DR

Une « Traviata » intemporelle et sublimée à l’Opéra de Marseille

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LA TRAVIATA (1853) de Giuseppe Verdi, livret de Francesco Maria Piave La Dame aux camélias (1852), drame d’Alexandre Dumas fils tiré de son roman éponyme (1848)

Opéra de Marseille Dimanche 11 février

(Je reprends ici, en le rafraîchissant un peu, mon texte de présentation de l‘œuvre puisqu’il s’agit de la même mise en scène)

« Ô Dieu, mourir si jeune… », s’écrie la malheureuse phtisique dans l’un de ses derniers spasmes. La chance des morts, c’est qu’ils ne vieillissent pas. Palme de martyre et privilège des Mozart, Schubert, fixés dans la jeunesse d’une œuvre éternelle, tels James Dean, Marylin Monroe qu’une fin prématurée fixe dans l’éternité de leur jeune beauté, ou même une Greta Garbo, admirable Marguerite Gautier, qui sut rompre à temps le miroir par sa mort publique pour se conserver éternellement belle dans la mémoire par la perfection de son image de cinéma.

Une héroïne sans futur pour une œuvre qui ne vieillit pas dans une réalisation déjà ancienne de Renée Auphan, réalisée par Yves Coudray, mais qui n’a pas pris une ride. L’Opéra de Marseille finissait et commençait une année par le pathos de la pathologie romantique.

L’œuvre : sources

Faut-il encore raconter l’aventure de cette « Dévoyée », sortie de la bonne voie, de cette Violetta Valéry verdienne tirée du roman autobiographique La Dame aux camélias (1848) d’Alexandre Dumas fils ? Il en fera un mélodrame en 1851, qui touchera Verdi. Alexandre Dumas fils était l’amant de cœur de la courtisane Marie Duplessis qui inspire le personnage de Marguerite Gautier, maîtresse un temps de Liszt, morte à vingt-cinq ans de tuberculose. Le jeune et alors pauvre Alexandre, offrira plus tard à Sarah Bernhardt, pour la remercier d’avoir assuré le triomphe mondial de sa pièce qui fait sa richesse, sa lettre de rupture avec celle qu’on appelait la Dame aux camélias, dont il résume l’un des aspects cachés du drame vécu :

« Ma chère Marie, je ne suis pas assez riche pour vous aimer comme je voudrais, ni assez pauvre pour être aimé comme vous voudriez… »

Noble mais fausse rupture comme il y a de fausses sorties au théâtre, puisque Armand Duval, dans le roman, s’accommodera assez aisément du vieux duc, qui loue même la maison de campagne qui abriteront ses amours non tarifées avec la courtisane amoureuse qui l’embrasse triomphalement :

« Ah, mon cher, vous n’êtes pas malheureux, c’est un millionnaire qui fait votre lit. »

Car le roman est d’une cruelle crudité financière sans fard. C’est l’entremetteuse et profiteuse Prudence, cocotte sur le retour, de ces amies « dont l’amitié va jusqu’à la servitude mais jamais jusqu’au désintéressement », qui énonce longuement au jeune amoureux idéaliste les exigences du train de vie fastueux d’une courtisane : trois ou quatre amants sont au moins nécessaires pour en entretenir une seule. Marguerite, fort cotée, en a deux officiels, le Comte G… et le vieux Duc richissime pour subvenir à ses immenses besoins : l’amant de cœur en est d’abord réduit à guetter qu’ils sortent de chez elle pour y entrer la retrouver. Ce seront d’ailleurs les seuls à son enterrement.  

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Histoire d’argent

La vénalité amoureuse, juste présente dans l’opéra par la scène de jeu du second tableau de l’acte III, est thème essentiel du roman. L’argent est le cœur de l’histoire d’amour. Le père de son amant exige le sacrifice de la courtisane car il redoute que les amours scandaleuses de son fils avec une poule de luxe ne compromettent le mariage de sa fille dans une famille où on ne sait si la morale ou l’argent fait loi. On y craint surtout que le fils prodigue ne dilapide l’héritage familial en cette époque où le ministre Guizot venait de dicter aux bourgeois leur grande morale : « Enrichissez-vous ! » Bourgeoisie triomphante, pudibonde côté cour mais dépravée côté jardin, jardin même pas très intérieur, encore moins secret, cultivé au grand jour des nuits de débauche officielles avec des lionnes, des « horizontales », des hétaïres, des courtisanes affectées (et infectées) au plaisir masculin que les messieurs bien dénient à leur femme légitime. Sans compter le menu fretin inférieur des grisettes, des lorettes, racoleuses de Notre-Dame-des-Lorettes.

En tous les cas, ni l’amie Prudence, ni même Marguerite, ne cachent au jeune amant de cœur la nécessité des amis de portefeuille : Marguerite dépense 100 000 fr (de l’époque) par an, en a 30 000 de dettes ; le duc lui en octroie annuellement 70 000 (somme qu’elle refuse honnêtement d’augmenter), et l’on peut supposer que le comte G. pourvoie au reste, mais le compte n’y est pas dans la fuite en avant des dépenses. Alors, le malheureux Armand avec ses 7 000 ou 8 000 fr de rente par an, ce qu’elle avoue dépenser par mois, peut se rhabiller, pauvre et nu…Fière de son plan campagnard, sa cure d’amour et d’air frais avec le jeune amant, Marguerite,  loin de tout saborder  et quitter de son monde et de son gagne-pain comme la Violetta de l’opéra, fait cyniquement financer la location de la maison de campagne par le duc, refusant tout de même, par élégance morale, de lui faire assumer les frais du séjour à l’auberge voisine d’Armand, qu’elle paie elle-même, pour préserver les apparences et la dignité du vieil amant payeur. Elle n’invite à demeure le jeune, un certain temps, que parmi d’autres de ses amis, causant la rupture avec le duc qui s’en scandalise en arrivant de manière inopinée au milieu d’un repas où il fait figure de barbon grincheux trouble-fête.  

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Demi-monde fastueux

Alexandre Dumas, digne fils de son géniteur, qui disait tout fier de son rejeton marchant sur ses pas qu’il « usait les vieilles chaussures et les vieilles maîtresses de son père », tous deux ayant la même « pointure », s’était fait une spécialité de scandale de la description du monde de la galanterie parisienne. C’est sans doute à sa pièce Le Demi-Monde (1855) que l’on doit le terme de demi-mondaine pour définir ces prostituées de haut vol, pratiquement toutes issues du peuple mais que leur luxe et souvent leur raffinement final feront arbitres des élégances, imposant même leur mode aux femmes du monde les plus huppées, aux aristocrates, courtisanes anoblies souvent par des mariages prestigieux.

Qu’on songe, pour ne s’en tenir qu’aux strictement contemporaines, à Lola Montès, l’Irlandaise fausse danseuse espagnole, sans doute amante, entre autres, des Dumas père et fils, parcourant toute l’Europe, multipliant scandales et mariages, bigame, séduisant Wagner, Liszt (contraint de fuir ses fureurs), des princes, devenue comtesse de Lansfeld, entraînant à Munich émeutes, révolution en 1848 et la chute de Louis 1er de Bavière, son amant protecteur, contraint d’abdiquer, avant de finir, après avoir écumé les États-Unis et même l’Australie d’une pièce à sa gloire, ruinée et confite en dévotion.

Sans allonger la liste des horizontales finissant bien debout plus titrées que maltraitées comme la pauvre Marguerite/Violetta, on croit rêver à lire la vie de la Païva, de sa lointaine et misérable Russie, épousant et divorçant d’aristocrates allemand, anglais, et gardant son nom du titre de marquise portugaise qu’elle conserve après la ruine de cet autre malheureux époux. De ses immenses et innombrables propriétés, on peut juger par le somptueux hôtel particulier du 25 Champs-Élysées, aux grilles noires et dorées, dont Dumas père disait sarcastiquement, lors de sa construction :

« C’est presque fini, il manque le trottoir ».

Demeure vite appelée par les rieurs non payeurs, jouant sur son nom :

« Qui paye y va ».

Même Napoléon III.

La chair est chère, dirait-on. Mais sûrement rentable, chacun y trouvant son compte, en banque pour la courtisane entretenue, en prestige social, précieuse monnaie d’échange pour l’homme dont le train de vie se mesure à celui qu’il offre à sa maîtresse officielle, affichant par-là, pour les affaires autres que d’amour, qu’il est solvable et fiable. D’où la surenchère avec les concurrents, et le triomphe des amours-propres et non de l’amour. Marguerite Gautier, avec une amertume lucide, l’explique à son jeune amant, fauché à cette échelle de valeurs monétaires vertigineuses :

« Nous avons des amants égoïstes qui dépensent leur fortune non pas pour nous comme ils disent, mais pour leur vanité. […] Nous ne nous appartenons plus. Nous ne sommes plus des êtres mais des choses. Nous sommes les premières dans leur amour propre, les dernières dans leur estime. »

Un amant de cœur, une fleur à la main, une larme à l’œil comme dit Marguerite, faisant secrètement antichambre tandis que le « payeur » (comme disait déjà Ninon de Lenclos) est encore dans la chambre, c’est donc comme une revanche de l’amour sur l’amour-propre épidermique.

Il faut dire aussi que la jeune Marie Duplessis, prise en mains par son premier amant aristocrate, en reçut éducation et manières (elle joue au piano l’Invitation à la valse de Weber, même si elle avoue buter sur un passage en dièse), alors que, six ans auparavant, elle ne savait pas écrire son nom comme elle le confesse sans fard à Armand. Elle est spirituelle, lit Manon Lescaut, et ne rate pas une première à l’Opéra ou au théâtre, terrain de chasse certes, où elle ne passe jamais inaperçue malgré son élégante discrétion : un noble amant se doit aussi d’être fier de la femme qu’il affiche à son bras. Elle tiendra un salon littéraire et politique. D’ailleurs, le fidèle Comte de Perregaux l’épouse à Londres, la faisant comtesse même si lassée, elle rentre à Paris, reprend son ancienne vie et meurt l’année suivante, après un an d’amour avec Alexandre Dumas fils qui l’immortalise en Marguerite Gautier.

Elle habitait Boulevard de la Madeleine, mais Dumas fils lui donne un « magnifique appartement » Rue d’Antin.

Le rideau se lève sur un vaste salon digne d’elle.

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Réalisation et interprétation

« Pour être moderne, soyons classique ! » s’exclamait Jean Cocteau au début des années 20 pour protester contre certaines dérives artistiques. Depuis un demi-siècle déjà, on redoute, au lever de rideau d’une œuvre classique, le traitement, souvent affligeant que va lui infliger un metteur en scène en mal d’originalité, qui se sentirait déshonoré de respecter l’œuvre pour ce qu’elle est. Austères en ligne, n’était-ce la sombre beauté du ronce de noyer aux délicates veinures fondues de marron, ces murs lisses tissent une élégante et sobre harmonie sur laquelle affleure l’efflorescence de robes floues des femmes, des dames, en délicates teintes pastels, parme, vaguement rose, bleu pâle, paille, délivrées du carcan des crinolines ou raides cerceaux mortificateurs qui auraient signé, avec des coiffures datées, une époque précise. Les habits des hommes sont aussi des smokings libérés d’un temps figé, celui des courtisanes célèbres ayant eu pour butoir la Grande Guerre.

La scène n’est pas encombrée de meubles : tentures dorées sur le miel ambiant, candélabres, ce canapé  bleu nuit ou noir déjà funèbre qui, à la couleur près, pourrait être Récamier, sauf que les dames, avec la nonchalance des Femmes au jardin de Monet ou autres peintres, préfèrent s’assoir souplement par terre ou des poufs, je ne sais ni vois, à l’espagnole, fleurs écloses épanouies sur les pétales étales de leur robe, qui ont toute l’élégance raffinée de costumes de Katia Duflot.

Ce beau monde semble plus le monde que le demi-monde, sans doute assez juste historiquement pour Marie Duplessis qui tenait salon mondain, littéraire et politique, les amants protecteurs pouvant aussi, recevant chez leur maîtresse, y recevoir des gens d’un autre monde qui n’auraient jamais été reçus dans le leur, pour brasser officieusement des affaires impossibles à étaler au grand jour officiel. Mais cette élégance, c’est sans doute aussi une façon pour la metteure en scène à l’origine, puis son réalisateur, Yves Coudray, sa décoratrice et sa costumière, beau trio de dames de la production initiale, de dignifier ces femmes souvent décriées et réprouvées par la morale ambiante de surface de leur société corsetée dans les préjugés. On rappellera que, par la volonté d’Audrey Hepburn de faire porter à son héroïne, une humble call girl, une robe noire de Givenchy et de magnifiques chapeaux, la modeste Holly de Diamants sur canapé, atteint à une sorte de mythe de l’élégance féminine. C’est justement au nom de ces belles manières dont devaient faire montre en public les courtisanes, pour racheter par la forme le jour l’informalité de leurs nuits, que je m’étonnais à l’époque, de la familiarité de ces bises prodiguées dans la première scène. Les baise-mains plus mondains ont remplacé, me semble-t-il, aujourd’hui, la familiarité à mon goût excessive de la production initiale.

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©Ch Dresse

On apprécie le même décor varié, contraste vif avec le salon moins poli, plus polisson que policé, presque canaille de Flora, olé-olé précisément avec ces toréros de mauvais goût, (ils ne le seront jamais au mien) ces bohémiennes surgies d’un faux arrière-théâtre ou de coulisses sombres de la vie. Le regard complice mais égrillard de Flora à son amie au premier acte en était déjà une aguicheuse annonce. Souveraine courtisane digne d’une cour royale mais ici encanaillée, la sculpturale Laurence Janot, roturière ou prolétaire du sexe même paré à la mode du jour, exhibant fièrement la marchandise, jambes sous robe fendue dans sa bacchanale affriolante, affolant ses invités et le public, est l’envers et revers de Violetta : ludique et non pudique maîtresse, dominatrice même avec son juvénile et rieur marquis, Frédéric Cornille, qui affecte d’entrer avec complaisance dans le jeu public de l’amant soumis pour on ne sait quels jeux secrets. Ce joyeux drille est aussi un contraste bien vu avec le sombre baron bourru, bourré sans doute, le protecteur de Violetta, à la morgue déplaisante du premier acte, la tenant par les épaules comme sa propriété mais avouant sèchement n’être pas venu la voir durant ses mois de maladie car il ne la connaît que depuis un an, alors qu’Alfredo, sans la connaître encore, est venu tous les jours prendre de ses nouvelles. Son attitude en retrait apparent préfigure sa meurtrière jalousie frustrée, même s’il ne me semble pas avoir vu le défi inévitable pour le duel qui l’opposera à Alfredo, dont apprend qu’il l’a blessé, contraint à l’exil. Carl Ghazarossian est le Gaston qui complète au mieux et ferme la trilogie des fêtards particularisés, s’opposant à la violence insultante d’Alfredo contre Violetta effondrée. 

Dans ces rôles secondaires, forcément nécessaires, Svetlana Lifar prête à une fidèle Annina, la chaleur et la rondeur de sa belle voix maternelle, peut-être aussi de mère-maquerelle, chambrière réglant les contrats pour les rencontres en chambre, garde-malade fidèle de la courtisane. À l’acte II, c’est une juste attitude de reproche qu’elle manifeste envers l’inconscience d’Alfredo sur son nuage, qui n’a pas l’air de voir que quelque chose cloche dans le pied sur lequel il vit. 

Cette subtile attention à tous les personnages est comme une signature de Renée Auphan qui a toujours rendu l’opéra au théâtre, à un théâtre qui n’ignore ni le cinéma ni la télévision, par un travail d’acteurs qui bannit toute outrance du jeu qui y deviendrait insupportable dans les gros plans. Heureuse idée, justement, de faire vivre une de ces silhouettes, c’est le cas du Docteur Grenvil, incarné en de trop brèves phrases par la sombre  et large voix de Yuri Kissin, mais qui existe ici, même muet, dans l’acte II puisque, belle trouvaille, visiteur dans l’heureuse campagne de Violetta et Alfredo, il en signifie certes que la cure d’air et d’amour lui réussit, qu’elle va mieux, mais que rien n’est gagné, la maladie est toujours là, devenant, sans dire mot, le confident privilégié du jeune amant enthousiaste, donnant une vérité à un air monologue en général adressé au vent.  

Dans cet acte, l’intelligente et belle structure unique du décor de Christine Marest, permet, avec les éclairages sobrement et sombrement expressifs mais différenciés de Roberto Venturi, sans hiatus, le changement, le passage du I à l’acte II campagnard : des plantes d’agrément, un canapé et un fauteuil beige clair, plus marqués néo Louis XV Second Empire ou 1900, et des vêtements intemporels d’Alfredo, sur les mêmes parois marrons allégées de lumière, des camaïeux de bis, bistre, crème, miel glacé, et sur la brise un grand voilage comme invitant au voyage.

Un univers à la paix retrouvée, animée des apparitions nécessaires du commissionnaire de la lettre fatale Norbert Dol, du Giuseppe de Jean-Vital Petit et du serviteur Thomasz Hajok, que vient troubler, avec le crépuscule puis la nuit tombante des rêves de Violetta, l’intrusion douce mais violente de Germont, père d’Alfredo.

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Comme issu d’une austère Provence huguenote, costume strict, noir, la raideur d’un col ecclésial et une croix au revers de sa veste lui donnent l’air sévère d’un pasteur qui n’est pas un bon berger, oiseau moralisateur de mauvais augure pour la jeune femme rédimée par l’amour, par la clémence de Dieu, mais condamnée par les hommes. Dans cette mise en scène sensible sans sensiblerie,  Jérôme Boutillier, dont c’est une magistrale prise de rôle, se coule, dans un personnage qui pourrait être mais n’est pas odieux maquis d’une complexe et contradictoire humanité. La voix est belle, égale, chaude, bien conduite, toute en nuances expressives, émotives. Certes, il oppose la culpabilisante image de la fille angélique à la fille perdue, mais en rien diabolique, dont il admire d’emblée les bonnes manières qui le font changer aussitôt de registre avec elle, abandonnant sa rudesse première pour un ton courtois, presque déférent quand il apprend que, loin de ruiner son fils, elle se ruine pour lui. Il exprime le regret du passé qui condamne Violetta mais ne joue pas les Pères la Vertu mais le père éperdu par le souci de ses enfants. L’inévitable chantage aux larmes émotionnel sur la fille devient compassion et partage avec la « dévoyée » (« Piangi, piangi, o misera… ») pour les Marie Madeleine repenties, d’un homme de Dieu qui parle aussi au nom de celui-ci ; il ébauche des gestes de tendresse, hésite à embrasser Violetta qui le lui demande, mais cela semble plus pudeur que froideur. À son fils, son air fameux « Di Provenza il mare, il sol… », devient une tendre berceuse murmurée au long legato caressant, au phrasé persuasif ; les légères appoggiatures à l’amorce de certains mots, sont comme les trébuchements d’une émotion ou de petits sanglots contenus qu’il nous fait partager. La voix est éclatante mais sans ostentation de triomphe viriliste dans les solaires sols aigus comme ce ciel de Provence ou plutôt un céleste acte de foi en retrouvant son fils. Il rend sensibles ses remords : belle scène, le fils terrassé de douleur, le père, impuissant face à sa douleur qu’il a causée, presque à genoux derrière lui. C’est sans doute un sommet de la mise en scène, après la cruauté de la demande du sacrifice et son attitude envers Violetta. L’évocation de la pureté de son autre enfant, sa fille, qui semblait un mièvre et miteux chantage, prend alors tout un sens : par-dessus le pater familias soucieux de respectabilité bourgeoise, il y a le père protecteur affectueux, dont la tendresse, déchirée par son rôle, est aussi sensible envers la courtisane. Avec la gifle au fils, dont je ne me souvenais pas dans la première version, il retrouve la fonction éducative et punitive du père pour un fils qui déroge à la morale mondaine du respect de la femme (hypocrite civilité d’un monde, d’un milieu vénal qui la respecte si peu !), gifle d’autant plus rageuse qu’il est le seul à savoir que la malheureuse héroïne ne mérite pas cet affront public. C’est lui-même qu’il gifle en sentant sa lourde culpabilité dans la situation, détonant donneur de leçon morale dans un lieu où il y en a si peu.

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Julien Dran, enfant grandi trop vite que même la barbe ne vieillit pas, semble garder, dans sa longue silhouette, la couleur juvénile d’un timbre et une voix flexible qui donnent à son rôle d’Alfredo une fraîcheur, une pureté même qui, comme son père finalement étranger en ces lieux, déroge par une innocence presque enfantine dans ce milieu que, jeune provincial, il fréquente sans doute pour grandir virilement, mais sans vilement y patauger. Sa presque timidité, surmontée par l’ambiance et l’alcool, le poussent à révéler son amour à une Violetta d’abord amusée, ironique, taquine et enfin touchée tant il semble venir d’un autre monde pour elle qui n’en connaît qu’un. Par sa voix, passionnée et tendre, attentive à la femme malade, son jeu délicat, sa naïveté, sa sincérité, il rend vraisemblable l’émotion de la courtisane blasée, lassée des amours tarifées factices. Ce rôle, qu’il a souvent joué, lui offre l’occasion d’un bel éventail d’émotions qu’il sert d’une voix brillante, souple, toujours au service de la musique et du texte : ciselant avec une impeccable aisance le « Brindisi » galant, sérieux face au badinage léger de la courtisane, passionné en exaltant l’amour « croix et délice du cœur », ivre de son bonheur campagnard de jeune rédempteur pour qui la courtisane a tout quitté, honteux de se découvrir vivant en gigolo entretenu, proférant sa douleur et son remords de l’insulte publique à la femme aimée qu’il berce trop tard d’une cantilène d’amour, toute la gamme d’affects semble vocalement juste.

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Silhouette menue, joli minois, Ruth Iniesta n’est pas défigurée par une énorme voix : tout semble en elle équilibre et proportion dans un rôle pourtant déséquilibré vocalement pour l’héroïne, soprano colorature à l’acte I, dramatique au II, pour finir avec le legato sur le souffle de son pratiquement dernier souffle, qui suspendra le nôtre d’émotion dans « Addio del passato ».

Brillante dans le « Brindisi » mondain, toute grâce, sourire, mutine, elle attire les compliments du jeune amoureux mais s’en tire en gracieuses répliques désinvoltes, piquantes et piquées comme d’incrédules haussements d’épaules ; seule, son récitatif méditatif, dans la tradition baroque des affects opposés comme ceux d’une Donna Elvira, caressant machinalement le velours noir du canapé d’une voix ponctuée des pointillés de soupirs interrogatifs d’un rêve inabordable d’amour, est touchant de vérité. Mais, secouant cette « folie », avec « Gioir », et ses folles vocalises du trouble bouillant, brouillon, presque hystérique de son âme, elle se lance, s’élance dans la cabalette virtuose avec une ivresse vertigineuse, suicidaire. Elle la couronnera d’un contre-mi bémol aigu non écrit par Verdi mais permis par la tradition, cri de triomphe ou d’éclatante défaite.

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Autre vocalité pour la même voix, dans sa grande scène de l’acte II avec le père, tessiture moins tendue, elle bouleverse de bout en bout : tout est exprimé dans une douloureuse douceur, piano ou pianissimo, comme si elle se parlait à elle-même, puis « Dite alla giovine », prouve qu’elle est prise à l’image de la jeune fille pure qu’elle n’aura pu être et qui l’a convaincue et vaincue de loin. Son partenaire répondant au diapason émotif et vocal, c’est bien un sommet émotionnel rare, pathétique sans pathos, que nous donnent ces deux grands artistes. Contrairement à la majorité des sopranos dont la rayonnante santé et chair, éclatantes en vivante voix, en font d’improbables malades, sa voix murmurée parfois, ses gestes frissonnants sont d’une crédible phtisique dont nous partageons l’injuste souffrance. La fin, en toute douceur soulève la salle d’une clameur comme pour secouer notre émotion.

Cette version intimiste, humaine, dégrossie, de La traviata par la mise en scène de Renée, Auphan bien servie par son habituel complice Yves Coudray, doit beaucoup aussi à l’intelligence qu’en a eu, la cheffe Clelia Cafiero, qui dirigeait l’œuvre pour la première fois, en allant s’abreuver à la source du manuscrit de Verdi aux archives de la Casa Ricordi à Milan. Ancienne pianiste de l’orchestre de La Scala de Milan, elle a débuté à la direction d’orchestre à Marseille, sa « naissance artistique », dit-elle, en 2019, en tant qu’assistante de Lawrence Foster. Elle complète ainsi une distribution de jeunes interprètes.

D’entrée, elle fait naître la nostalgique brume de l’ouverture, comme un rêve évanescent, avec une lenteur qui gommera les « zim-boum-boum » percussifs de l’accompagnement un peu forain, qui contrastera avec l’éclat brillant de la fête dont la joyeuse cohue des chœurs (Florent Mayet) est exempte de débordements autres que festifs, et réglés par la mise en scène. Il m’a semblé, entendre, de l’ombre de la fosse, des lueurs instrumentales souvent inaudibles, il est vrai selon où l’on se trouve. Mais je ne crois avoir jamais perçu, perspective sonore, dans le lointain de la salle de bal, la musique parvenant dans le salon où se retrouvent Alfredo et Violetta.

Triomphal succès encore de la programmation de Maurice Xiberras : la queue pour accéder à l’Opéra s’étirait dans la rue Beauvau sur près de trois-cents mètres. Et avec cela, malgré les contrôles, à peine trois minutes de retard : merci au chef de salle Frédéric Banégas.

Benito Pelegrín

La traviata, de Verdi

Mardi 06 février, Jeudi 08, Mardi 13, Jeudi 15.02 à 20h00 et Dimanche 11 à 14h30. 

Production Opéra de Marseille

Direction musicale : Clelia CAFIERO
Assistant à la direction musicale : Federico TIBONE

Mise en scène : Renée AUPHAN
Réalisation de la mise en scène :  Yves COUDRAY

Décors :  Christine MAREST
Costumes : Katia DUFLOT
Lumières : Roberto VENTURI

Régisseur de production : Jean-Louis MEUNIER. Régisseur de scène : Jacques LE ROY

Surtitrage : Richard NEEL. Régie de surtitrage : Qiang LI

Distribution

Violetta : Ruth INIESTA

 Flora : Laurence JANOT

Annina : Svetlana LIFAR

Alfredo : Julien DRAN
Germont : Jérôme BOUTILLIER

Gastone : Carl GHAZAROSSIAN
Le Marquis : Frédéric CORNILLE
Le Baron Douphol : Jean-Marie DELPAS

Le Docteur :  Yuri KISSIN
Le commissionnaire : Norbert DOL

 Giuseppe : Jean-Vital PETIT
Le serviteur : Thomasz HAJOK

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille,  Chef de chœur Florent MAYET
Pianiste / cheffe de chant Fabienne DI LANDRO

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Photos : Christian Dresse

1) Ruth Iniesta, Violetta ; 

2) Salut final ;

3) Alfredo, Violetta;

4) Le salon de Flora ;

5) Violetta et Germont, le père d’Alfredo ;

6) Alfredo, désespéré, le père, accablé ;

7) Annina (Svetlana Lifar) et Violetta ;

8) Violetta mourant dans les bras d’Alfredo.