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Flûte Transcriptions

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Marie-Josèphe Jude, piano, et Raquele Magalhães, flûte /Label NoMadMusic

La transcription est inhérente à la musique de toujours et a un large éventail de possibilités, de la plus naturelle et instinctive, irréfléchie, à la plus réfléchie et sophistiquée, qu’on soit musicien ou pas du tout. C’est une pratique spontanée, aussi simple que de chantonner ou siffloter un air entendu qui nous plaît et que l’on garde à l’oreille, que l’on continue de faire vivre au-delà de l’écoute première et peut-être dernière, puisqu’on n’est pas sûr de pouvoir le réentendre. À un degré au-dessus, l’auditeur plus heureux qui avait un instrument personnel, tendait naturellement, selon ses capacités musicales, à l’interpréter dessus. Dans des époques qui ne connaissaient ni le disque ni la radio, les grandes œuvres instrumentales, ou vocales, accédaient à une plus grande notoriété auprès d’un public n’ayant pas les moyens de s’offrir des places aux concerts ou à l’opéra, par des transcriptions pour des instruments réduits, ou solistes, ou d‘en prolonger le charme de la salle de concert au salon où trônait un —piano chez ceux qui pouvaient se le permettre.  Liszt se fit une spécialité de ses virtuoses transcriptions pianistiques de grands opéras à la mode. Les compositeurs eux-mêmes transcrivaient leurs œuvres à succès pour d’autres formations afin d’en faciliter la divulgation, la popularité, et pour s’assurer des revenus que ne donnent pas quelques grandes représentations mais limitées en nombre.  On connaît l’abondance de transcriptions de ses propres morceaux par Bach, tenu par contrat à fournir une incessante musique pour son église de Saint-Thomas dont il était le kantor.

La transcription, c’est aussi, pour un musicien accompli, l’adaptation, souvent sur commande, d’une composition écrite pour un instrument particulier, une voix, un ensemble instrumental ou vocal, à un autre instrument ou ensemble musical, comme Ravel, célèbre aussi pour ses transcriptions, le fit brillamment, pour l’orchestre, des Tableaux d’une expositions de Moussorgski, pour le piano.  

    De nos jours, pour des raisons financières sans doute, on voit fleurir les transcriptions d’œuvres concertantes qui font l’économie d’un orchestre, au prix exorbitant, ou d’un ensemble instrumental important, en réduisant l’effectif à un ensemble plus accessible. Mais il y a aussi, comme dans ce disque, le désir de deux grandes artistes de jouer ensemble un répertoire élargi au-delà de la littérature plus réduite de leurs instruments respectifs, le piano et la flûte. Marie-Josèphe Jude, pianiste, et Raquele Magalhães, flûtiste, se font donc le plaisir, pour le nôtre, de renouveler notre écoute de certaines pages du romantisme allemand, à travers Robert Schumann, et du symbolisme français de Debussy et Ravel.

Composée en 1897, mais avec une publication posthume, la Sonate pour violon et piano de Ravel, est transcrite par Raquele Magalhães, qui nous fait passer du vol du violon à la vocalité volubile de la flûte, fondue parfois rêveusement dans le silence, voletant tel un oiseau sur le ruissellement liquide du piano. (Plage 1) 

Toujours transcrite par Raquele Magalhães, la Sonate en la mineur pour violon et piano n°1 op. 105 de Robert Schumann, écrite en 1852, est un défi à cause de sa tonalité en tendance au grave pour une flûte aérienne tendant à l’azur.  De Robert Schumann encore, les deux interprètes ont choisi des pièces composées en 1849, op. 94 : Drei Romanzen für Hoboe, ad libitum Violine oder Clarinette : mit Begleitung des Pianoforte, je traduis : ‘Trois Romances pour hautbois ou, au choix, clarinette, avec accompagnement de piano‘. Nous voyons que le compositeur laissait donc la possibilité de deux instruments à vent, hautbois ou clarinette, dont la transcription ne fait que passer le relais à la flûte. Les deux artistes présentent ici l’adaptation pour flûte et piano réalisée par le célèbre flûtiste marseillais Jean-Pierre Rampal, qui l’enregistra avec son complice Robert Veyron-Lacroix en 1960. On goûtera la rondeur et la douceur rêveuse de la flûte de Raquele Magalhães sur le tapis velouté du piano de Marie-Josèphe Jude, et autant que l’accord des instruments, l’harmonie de leur volume et puissance (Plage 7).

Le disque conclut son panorama par la Sonate en sol mineur pour violon et piano de Claude Debussy, composée en 1917, en pleine première Guerre mondiale, un an avant sa mort, emporté par un cancer.  Celui qui signait alors, « Claude de France », dans une germanophobie de plus en plus grande, envisageait cette œuvre comme partie d’un ensemble de six sonates pour divers instruments. Face à l’impérieux empire de la musique allemande d’alors, même éclipsée un temps par la guerre, il voulait retrouver l’esprit musical des maîtres du XVIIIe siècle français. Tout en imposant des formations précises, cette sonate s’inscrit dans la tradition de la souplesse du « concert français » à la manière de François Couperin, accessible à diverses formations instrumentales. Les interprètes en signent cette belle transcription.

Mais nous nous étirerons voluptueusement comme la ligne solaire de la flûte sur ce Prélude à l’Après-midi d’un faune, sous-titré à l’origine Églogue pour orchestre d’après Stéphane Mallarmé, poème symphonique composé entre 1892 et 1894, sur le poème pastoral à l’antique de Stéphane Mallarmé. C’est le monologue d’un faune, créature légendaire de la mythologie érotique romaine emprunté aux satyres de la mythologie grecque, avec des cornes et des jambes et pieds de bouc. Il rêve langoureusement de nymphes, avec ce désir vaporeux :

Leur incarnat léger, qu’il voltige dans l’air

Assoupi de sommeils touffus…

On sait le scandale en 1912 du ballet de Vaslav Nijinski, sur la musique du faune de Debussy, par ses poses lascives, ses figures stylisées, ses positions latéralisées des pieds et mains qui révolutionnent l’art chorégraphique. La transcription pour flûte et piano de Gustave Samazeuilh s’étire tout aussi paresseusement, et voluptueusement que le faune sensuel au soleil du désir dont les deux interprètes complices font sentir le doux et souriant tressaillement (plage 8).

Benito Pelegrín

Flûte Transcriptions Marie-Josèphe Jude, piano, et Raquele Magalhães, flûte/ Label NoMadMusic

 RCF /Semaine 18/ Émission N°524 de Benito Pelegrín

Rmt News Int • 2 juin 2021


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