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Création avignon off 2019 : Arlecchino Furieux

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Par la Cie Stivalaccio Teatro (Coproduction : Teatro Stabile del Veneto)

Au CHAPEAU D’ÉBÈNE THÉÂTRE 13, rue de la velouterie 84000 – Avignon – à 11h45 :jusqu’au 28 juillet – Relâches : 10, 17, 24 juillet / Réservations +33 (0)4 90 82 21 22

Création collective de Giorgio Sangati, Sara Allevi, Anna De Franceschi, Michele Mori, Marco Zoppello, mise en scène par Marco Zoppello.

Avec : Arlecchino – Marco Zoppello ; Romanella– Sara Allevi ; Isabella – Anna De Franceschi ; Leandro, Capitan Buttafuoco – Michele Mori.

Musique en live par Veronica Canale (accordéon et tambours)/Décors : Alberto Nonnato/ Masques Roberto Maria Macchi / Costumes : Antonia Munaretti Antonia/ Lumières : Rodighiero Paolo Pollo

Arlecchino Furioso o il vero teatro popolare italiano

Une création venue d’Italie à découvrir d’urgence en Avignon…

En préambule

Le titre de cette pièce de commedia dell’arte -ou de théâtre populaire reprenant les codes de la commedia réécrits par Goldoni – n’est pas sans rappeler l’Orlando Furioso d’Ariosto. Mais qu’est-ce qu’un preux chevalier du 16ème siècle tueur de monstre marin peut-il avoir en commun avec un Arlequin inculte à l’allure et démarche simiesques ?

La jalousie qui tiraille les deux personnages éponymes ! A la différence que l’amour d’Arlecchino sera récompensé par le mariage tant désiré avec sa belle, même si ce ne sera qu’à l’issue d’un combat contre son maître où il fera preuve de courage et d’habilité dans le maniement du bâton, là où Roland, furieux que sa bien-aimée en ait épousé un autre, partira à la guerre où ses exploits seront chantés.

L’histoire

Leandro et Isabella, deux jeunes mariés passionnément amoureux l’un de l’autre, vivent heureux à Chypre, jusqu’à ce que les Turcs envahissent l’île, faisant prisonnier le beau jeune homme condamné aux galères.

Dix années passent et Isabella, désespérant de ne plus jamais revoir son époux, a trouvé refuge à Venise où elle vit avec sa pétillante servante Romanella, amoureuse du facétieux Arlecchino, domestique sans maître dont la jalousie n’a d’égal que son art de la bouffonnerie. Isabella pense à se remarier non sans remords et demande à Romanella de lui trouver un époux digne de ce nom, à défaut Romanella ne pourra épouser son amoureux. Et voilà donc notre servante en quête d’un homme pour sa maîtresse…

Entre temps, Léandro réussit à échapper des mains des Turcs et trouve refuge à Venise mais craignant pour sa vie, il se déguise en Capitan Buttafuoco et prend Arlecchino pour serviteur. Il apprend de la bouche de ce dernier qu’à son grand dam Isabella cherche un nouvel époux et se met en tête de la courtiser sous le masque du Capitan afin de savoir si elle l’aime encore, lui demandant d’offrir en gage d’amour au Capitan son « précieux »…

Amour empêché, invoqué, recherché, caché et enfin révélé, amour, amour, quand tu nous tiens, que ne nous pousses-tu pas à faire ?

Commedia, commedia

Cette création collective, à l’image de la tradition populaire, construite sur la base d’un canevas nourri au fur et à mesure par les improvisations des acteurs, réunit tous les ingrédients de la commedia dell’arte telle qu’elle a été « codifiée » avec ses tréteaux, son décors simple –une toile sur laquelle est dessinée une devanture de maison -et ses quelques accessoires, ses masques finement réalisés qui épousent les visages des comédiens.

Ici, les costumes d’époque avec leur code couleur particuliers, la forme des masques, la démarche et la façon de parler des comédiens – jeu faisant appel au pantomime – correspondent à un caractère type bien précis de la commedia : inspiré du Chien, voire du Singe par endroits, pour le zanni Arlequin ou du Coq pour le Capitan alcoolique ; les personnages féminins d’Isabella et de Romanella et du jeune homme Leandro ne sont, quant à eux, pas masqués.

Le jeu des quatre comédiens qui intègre dans leur parler les dialectes comme de par le passé est précis et d’une justesse implacable mais nous y reviendrons plus bas.

Réalisation

La mise en scène est drôle et enlevée, fourmillant de bonnes trouvailles : citons la scène du requin qui poursuit Léandro, la scène du balcon inspirée de l’acte III de Cyrano de Bergerac où Arlecchino répète les mots du Capitan pour séduire sa belle, la scène où Arlecchino pour réveiller Capitan utilise la chaussure odorante d’un spectateur volontaire ou lui demande de pousser la brouette sur laquelle est affalé Capitan ivre mort, le combat entre Léandro et Arlecchino….

Comique de situation (malentendu, quiproquo et méprise) et comique de répétition (travestissement des mots, grimaces répétées à l’envi, coups de bâton) sont au cœur de cette farce  accompagnée de musique et chansons live (en italien dans le texte) fort bien chantées par les comédiens et finement interprétée par l’accordéoniste dont le talent est indéniable. Les moments musicaux viennent ponctuer le spectacle avec justesse et à propos. Les jeux de lumière sont très beaux, à l’image de ceux qui accompagnent le duel, et le moment où la lune se dévoile aux yeux de nos personnages est magnifique, féérique.

L’usage de petits bouts de chiffons griffonnés pour situer le lieu de l’action ou l’époque en plusieurs langues européennes  est judicieux et bien vu et les temps où les comédiens sortent de leur personnage pour interpeller les spectateurs ou raconter l’histoire en anglais, espagnol, français ou italien rappellent les adresses faites au public dans le théâtre populaire. Interpeller le public, le rendre participant et partie prenante de l’histoire sont des ingrédients de la commedia dell’arte car à l’époque, dans les marchés, il n’existait pas  de 4ème mur.

Nous sommes au théâtre et même quand la magie du jeu opère sur scène, les artistes se jouent du théâtre, en en dévoilant les artifices, devenant par moments les spectateurs d’une scène, se riant de leurs personnages, de nous, de la société. Et ça, nous l’apprécions beaucoup car l’intérêt de ce type de théâtre est de parler de sujet sérieux et dénoncer un système injuste et inique tout en divertissant joyeusement le public.

Interprétation

Marco est un Arlecchino magnifique aux multiples facettes : alerte et souple sur ses jambes, il sautille tel un cabri et se déplace tel un singe d’un côté de l’autre des tréteaux, tirant la langue, aboyant et gesticulant avec vivacité, tentant de faire de son mieux car Arlequin n’est point complètement idiot : c’est un pauvre bougre, un ventre certes, un inculte bien sûr mais il sait être malin. Il est également fort drôle, notamment quand il répète à Capitan le poème que lui lit Romanella s’empêtrant dans les mots pour au final en travestir tout le sens, faisant dire au Capitan le contraire du poème. Son combat avec Leandro est vraiment exquis avec ses escarmouches au ralenti  car avec un simple (mais ingénieux) bâton, il arrive à blesser son maître mortellement ! Ah la jalousie lui donne des ailes et quand il est furieux, mieux vaut ne pas s’opposer à lui. En atteste le raffut qu’il met dans la maison de Romanella quand il croit qu’elle le trompe avec Leandro/Capitan suite à un malentendu… Le comédien fait preuve d’une excellente maîtrise du jeu masqué.

Michele est Leandro : le jeune homme amoureux prêt à tout pour retrouver son Isabella, leste et courageux, héros sans reproche qui ne se prend cependant pas au sérieux : la scène où il est poursuivi par un requin – on ne voit que sa tête et ses mains qui plongent ou surgissent de derrière un paravent symbolisant la mer tenu par deux spectateurs est d’un comique visuel fort. Michele est Leandro qui prend le masque de Capitan : il ne joue pas à proprement parler le Capitan dans cette pièce même s’il en observe en grande part la démarche et la gestuelle, le parler et le masque. Il incarne un personnage qui se travestit en personnage et l’intelligence de son jeu est de ne pas jouer complètement le Capitan, de montrer que derrière le masque se trouve le héros amoureux.  Le passage où il mime l’ivresse est fort bien interprété et ses qualités de jeu à l’instar de chaque comédien sont nombreuses : souplesse, justesse, et finesse d’interprétation, notamment quand point sa tristesse de voir Isabella céder aux avances du Capitan ou la joie qu’il exprime quand il se rend compte qu’elle l’aime encore avant de mourir au combat, défié en duel par Arlequin.

Quand à Sara et Anna, elles sont exquises dans leurs personnages : la première est une sémillante et pétillante servante, la seconde est une amoureuse désespérée. Quand toutes deux entrent en scène et commencent à faire de l’œil aux spectateurs mâles, se chipotant leur attention, elles sont amusantes mais cette entrée en matière annonce le rapport entretenu par leurs personnages : Romanella est la servante et ne peut épouser son amoureux (surtout avoir la dot de sa maîtresse) que si sa maîtresse retrouve l’amour (et bien entendu après qu’elle se soit remariée) ; elle est la dominée qui doit satisfaire aux désidératas de celle qui est bien née. Isabella est la maîtresse sans scrupule et autoritaire qui abuse de son statut et de son autorité allant jusqu’au chantage pour soumettre sa servante à son vouloir. Mais dans un retournement tout hégélien, Romanella, qui est maline, deviendra la maîtresse du jeu : sorcière, elle fera revivre les deux amoureux afin qu’ils puissent s’unir une seconde fois, Isabella s’étant tuée quand elle a découvert son Léandro mort.  Toutes deux sont parfaites dans leur personnage à l’instar de leurs compagnons de jeu, avec un art consommé du burlesque.

In fine, le spectacle est drôle, enlevé, joyeux, bien joué, mené tambour battant par quatre comédiens talentueux accompagnés d’une musicienne fort habile et même si nous rions du début à la fin, cette farce amoureuse n’est pas seulement une histoire d’amour rocambolesque qui dépasse les mots et les frontières : elle dénonce l’oppression toujours d’actualité des petits par les grands au travers des personnages des domestiques assujettis à leurs maîtres, le tout en finesse ! Un régal pour les amateurs du genre d’autant plus que nous assistons à du véritable théâtre populaire italien pour ne pas dire de la vraie commedia dell’arte ! Bravo pour ce moment de bonheur suspendu si rare dans l’univers de ceux qui se revendiquent de la commedia dell’arte. Diane Vandermolina et Paola Lentini

Rmt News Int • 24 juillet 2019


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