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UNE HEURE AVEC JULIE MORGANE ET GRÉGORY JUPPIN : FANTAISIES

Julie MORGANE, soprano

Grégory JUPPIN, ténor

Caroline Oliveros, piano

Odéon, Marseille, 3 janvier 2018

 

SECONDS PREMIERS

Dans une œuvre scénique, théâtre parlé et chanté, tout est un et tous font l’un, l’unité d’une œuvre : tous les personnages sont nécessaires, un seul acteur nous manque et tout est dépeuplé, disons de l’action. On distingue, bien sûr, un classement entre les rôles principaux, les héros, appelés généralement « jeunes premiers » et, dans l’héritage européen du prodigue théâtre baroque espagnol, les « seconds », souvent un couple comique de valets à l’intrigue amoureuse parallèle à celle des maîtres qui inspire Marivaux, avant que Beaumarchais, dans sa comédie « à l’espagnole » prérévolutionnaire, Le Mariage de Figaro, n’en renverse audacieusement la hiérarchie même dans le titre, le serviteur prenant le pas sur le maître. L’opéra appellera de la sorte « Prima donna », ’Première dame’ le ‘Premier soprano’ au rôle principal, et «Primo uomo » , ‘Premier Homme’ son alter ego masculin : les « jeunes premiers », la jeunesse étant la qualité primordiale des amoureux, chacun escorté de nécessaires suivants ou confidents, «les seconds ».

Ainsi, à chacune de leurs apparitions dans les productions de l’Odéon, j’ai salué, et le public a justement ovationné, le remarquable travail scénique, vocal et même acrobatique du couple désormais familier des lieux, Julie Morgane /Grégory Juppin qui, avec des physiques de jeunes premiers, interprètent, pour notre bonheur ces rôles en rien inférieurs par leur rang de « seconds », et souvent avec un jeu si élaboré, une connivence si grande entre eux qu’on a l’impression d’un numéro dans le numéro global, soit que le metteur en scène ait utilisé intelligemment leurs évidentes et plurielles qualités, soit qu’ils l’aient mis eux-mêmes au point. Aussi se félicitera-t-on que Maurice Xiberras leur ait donné l’occasion de se produire en solo, disons, en duo, au cours de ces heures heureuses avec l’entracte d’un thé et biscuits partagé avec les acteurs et les fervents habitués de ces parenthèses musicales marseillaises en un lieu, une heure accessibles à tous.

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Cela commence, ne commence pas, Julie en retard :  Grégory, se faufile dans la foule, se fraie un passage, frétille, bafouille, bégaye au téléphone, défaille, trébuche sa diction, en fait, facétieuse façon d’introduire a contrario le fantaisiste Débit de l’eau de Charles Trénet qu’il débite avec une véloce virtuosité, se jouant de toutes ces allitérations, paronomases, ces jeux de sons qui font sens même insensé, surréaliste feu d’artifice de la langue jouée et déjouée à la fois :

« Ah qu’il est beau le débit de lait,

Ah qu’il est laid le débit de l’eau ;

Débit de lait si beau, débit de l’eau si laid ;

S’il est un débit beau c’est bien le beau débit de lait. »

C’est une prodigieuse leçon de diction et ce sera à l’image, sonore, des choix de ces modestes « fantaisistes » qui nous présentent des chansons aux textes des plus élaborés sous leur masque fantasque, à entendre directement et à comprendre indirectement, témoignage d’une époque où existait une vraie culture populaire commune (gloire de l’École communale bien nommée !) capable, sinon de les engendrer (mais il y avait les Chansonniers !), de les apprécier dans leur richesse à double entente.

Julie Morgane enchaînait avec Chanson réaliste, auteur non indiqué, dont on ne pouvait non plus capter l’hilarante parodie sans le bagage, en arrière-fond de ce vaste genre littéraire, cinématographique et musical dont la grande Piaf fut un des derniers avatars : et la voix lyrique assortie de mimiques dramatiques de Julie, longiligne liane, scandait de soupirs, sculptait presque de sanglots les phrases et mots, qui disaient, en bonne diseuse, l’épopée de cette « fleur de pavé », Madeleine  et non fille de Marie. Elle sera encore irrésistible de mimétisme aimable, jamais méchant, avec Sombréros et mantilles, parodiant la diction lyrique française chantée avec ces e ouverts en o à l’époque, en l’occurrence Rina Ketty, puis rêveuse et mélancolique dans un extrait, presque murmuré d’Irma la douce. Lui, il sera tour à tour humoristique zélateur des Haricots, s’avouera n’être « pas de son temps », se transformant à vue en clown avec toute la mélancolie que cachent, en général, ceux qui font rire les autres.

Ils culmineront dans le texte génial de Francis Blanche et Pierre Dac à la gloire de Jérémie-Victor Hopdebecq, inventeur, en 1887, de La pince à linge, sur la musique de la Cinquième symphonie de Beethoven que la pianiste Caroline Oliveros, toujours intégrée au jeu et s’en donnant à cœur joie, martèle avec un pathétique plaisir parodique.

Nos deux amis, alternant duos et solos, improvisations, pauses ponctuées de gags, « portés » et figures chorégraphiques mimés faute d’espace suffisant pour leurs habituels sauts acrobatiques, nous auront promenés, en une heure trop courte, dans un univers que, encore dans leur modestie, ils nomment Fantaisies ! Nous en acceptons l’étiquette, mais en la corrigeant par le sérieux artistique du propos sous l’apparente improvisation, tant ces deux grands artistes, avec même une plaisante autodérision sur leur spectacle, sans se prendre au sérieux œuvrent sérieusement quand tant d’autres œuvrent sérieusement des œuvres dérisoires.

Benito Pelegrín

Odéon, Marseille,  3 janvier

Une heure avec Julie Morgane et Grégory Juppin : Fantaisies !

Chansons de : Alexandre Breffort, Francis Blanche, Jerry Herman, Charles Trénet, Emmerich Kalmán, Francis Lopez, Vincent Scotto, etc.

Photos © Andy Off