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Avignon off 2017 : As Four Step de la Compagnie Tjimur Dance Theatre (TW)

Au théâtre de la condition des soies, 13, rue de la Croix (Avignon) à 17h40 du 7 au 29 juillet – Relâches : 17, 24 juillet/ Durée : 55min/ Réservations : +33 (0)4 90 22 48 43/ Danse à partir de 6 ans

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As four step est inspiré d’une danse traditionnelle de la tribu aborigène Païwan, « la danse des 4 pas » exécutée lors des cérémonies de mariage. La compagnie propose au curieux de découvrir une ballade dansée contemporaine, joyeuse et enjouée, qui nous ramène au cœur des rites et coutumes d’une des 16 ethnies présentes sur l’Île de Taïwan, la plus connue étant celle des Hakka, et qui ne représente que 4% de la population taïwanaise.

C’est également un questionnement sur le langage du corps et une recherche des origines qui sous-tendent le travail chorégraphique de son créateur originaire de Pingtung, au Sud de l’île, Baru Madiljin.

Les quatre personnages sont vêtus de tutus (pour les hommes) et tuniques blanches légères et virevoltantes (pour les femmes) ; l’une, le haut du visage peint de blanc, semble représenter la maîtresse de cérémonie ; les trois autres ont, quant à eux, les sourcils surlignés de blanc. Tous les quatre sont assis en rond, au milieu de la scène : ils semblent méditer, leurs gestes amples rappelant des  invocations d’inspiration chamanique. Puis ils se lèvent, comme un seul homme au son d’une musique électro bruyante, au rythme techno entêtant, le volume très  (trop ?) élevé, presqu’à son max, avant d’entamer un ballet où alterneront duo, trio, quartet, dans un style contemporain épuré, terrien, avec ses mouvements saccadés, ses pas ancrés au sol, le frappant avec force et vigueur, ou ses foulées rapides, ordonnées en formes géométriques, l’effleurant avec légèreté et souplesse.

Une musique au volume volontairement fort pour donner l’impulsion de la danse. « C’est une façon de mieux se faire entendre quand on vient d’une minorité à laquelle on s’intéresse peu et dont le patrimoine culturel disparait peu à peu » explique la directrice artistique, Ljuzem Madiljin, la sœur du chorégraphe « rebelle ». Ce dernier, avant de revenir dans sa tribu originelle, était monté à Taipei comme nous montons à Paris. « Il fait aujourd‘hui un chemin inverse : celui de la ville à la tribu et c’est de ce chemin inversé dont la musique et la chorégraphie rendent compte ».

Le ballet laisse place, au fil du spectacle, par touches subtiles et avec naturalité, à des mouvements plus traditionnels, empreints d’une gestuelle ‘asiatique’ typique de leur contrée : placement des doigts, gestualité des mains autour du visage, mouvements de bassins hérités des danses tribales, déplacements du corps dans l’espace. La musique s’adoucit, laissant place à des sons électro plus aquatiques, auxquels se rajoutent des percussions séculaires, avant de laisser place entre deux silences (des respirations bienvenues)  à des voix d’enfants apprenant des chants ancestraux, sous la houlette d’un vieux maître de chant duquel on perçoit la voix fanée. De l’aveu de Ljuzem,  il s’agit de la voix de son frère et d’elle-même, quand ils étaient petits.

Il y a derrière ce travail une volonté de transmission des anciens aux plus jeunes, un souhait de maintenir vivace une origine dont l’empreinte tend à s’effacer avec la modernité et l’abandon des rituels archaïques.  D’où ici l’importance de faire perdurer via la création artistique la tradition aborigène, la revivifier.

TDT 《似不舞【s】》9 [1]

La danse devient ainsi plus tribale, les danseurs éructant, les signant avec la main, les chiffres de 1 à 4 dans leur langue. Un, deux, trois, quatre ; un, trois, deux, quatre… dans une inlassable répétition, comme une incantation, une psalmodie. Une plongée en apnée dans une cérémonie païwan, voilà ce à quoi nous assistons, avec allégresse. Car la danse des quatre pas revisitée est une danse joyeuse, une danse de fête et de partage, interprétée avec puissance et passion, talent et générosité, par les quatre danseurs de la troupe, Chu-Yuan Hsu, Ching-Hao Yang, Tzu-En Meng, Ljaucu Tapurakac.

Ils sont ici formidables, sobrement éclairés par des clairs obscurs subtils où les noirs succincts laissent place à des jeux de lumières délicats.

Cette création fort belle démontre une fois de plus la capacité de nos amis taïwanais à réussir ce mélange raffiné entre tradition et modernité, peut-être parce que les peuples de cette île -de par leur histoire complexe et les invasions successives vécues au fil des siècles*- ont dû assimiler des cultures extérieures et s’y adapter au détriment de leur culture originelle*.

La question des origines apparait ici première et fondamentale : chez la plupart des artistes taiwanais de notre connaissance (qui avouent rechercher encore et toujours ce qui leur est propre), qu’elle que soit leur appartenance tribale (ou non), elle reste un invariant, un leitmotiv au cœur de leur création, à son fondement, qu’elle soit théâtrale, chorégraphique ou plastique.

DVDM

 

Interprète(s) : Chu-Yuan Hsu, Ching-Hao Yang, Tzu-En Meng, Ljaucu Tapurakac

Direction générale et artistique : Ljuzem Madiljin

Costumes et chorégraphie : Baru Madiljin

Régie générale : Yi-Ping Li

 

*Après l’arrivée des hollandais qui encouragèrent la venue des chinois, l’invasion japonaise, l’occupation du pays par les nationalistes du Kuomintang, le pays est aujourd’hui encore pris en tenailles entre les revendications de son grand voisin qui rêverait de l’annexer (et dont sont originaires une grande partie de ses habitants) et sa volonté affirmée de souveraineté et d’indépendance à l’égard de ce même pays (avec les tensions politiques que nous connaissons).

** A Taïwan, le chinois traditionnel a été adopté par le gouvernement nationaliste et imposé à tous, au détriment du taïwanais (qui ne se parle quasiment plus au Nord alors qu’il est encore bien vivace au Sud de l’île) ainsi que des autres langues des tribus aborigènes (aujourd’hui enfin reconnues par le gouvernement mais longtemps interdites).