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Après une si longue nuit de Michèle Laurence

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Après une si longue nuit de Michèle Laurence (au théâtre du Roi René, Avignon off 2017)

Quatre individus se retrouvent au chevet d’une femme mourante : ils ne se sont pas vus depuis des années mais l’annonce de la mort imminente de leur mère adoptive les pousse à se réunir dans la salle d’attente d’un hôpital parisien.

Pierrot, le trublion provocateur et contestataire originaire d’Aubervilliers, athée, à l’avenir incertain et au passé trouble, Samir, l’intellectuel coincé, réfugié de Bagdad, musulman, devenu professeur, Emmanuel,  anciennement appelé Tékitoi  venant d’Afrique Noire, né le même jour que Samir, catholique qui ne croit plus depuis son échec aux derniers jeux en tant que marathonien (la course était son oxygène), et Sarah, le garçon manqué du groupe, née à Jérusalem, juive, partie travailler aux Etats Unis. Ils ont tous quatre été adoptés par Manou et Jean.

Au fil du spectacle, chacun révèle à tour de rôle ses fêlures. Ils ont vécus chacun les dommages collatéraux de la guerre et le traumatisme de leur enfance est toujours présent en eux à l’âge adulte. Emmanuel, après avoir assisté au massacre des siens, n’arrivait plus à remettre les mots dans l’ordre, seule la course lui a offert une liberté d’être, Pierrot abandonné par une mère inconnue, habitué de la rue, devenu loubard n’a de cesse de défier l’autorité, Samir et Sarah que tout oppose et divise ne peuvent faire autrement que de se déchirer au nom de leur religion respective, chacun appartenant à un des deux camps opposés dans une guerre interminable où les attentats et les bombes étaient leur unique quotidien.

Après une si longue nuit raconte les histoires tragiques de quatre enfants rescapés de l’horreur, mais également leur vie dans une famille d’accueil aimante, les chamailleries, les amitiés, les fugues, les haines sous-jacentes, les rancœurs et les petites joies…On découvrira que Pier était tombé amoureux de Sarah, elle-même très proche de Tékitoi : elle est par ailleurs la seule à avoir le droit de l’appeler ainsi.

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La scénographie en deux parties est composée ; côté jardin, de quatre rectangles amovibles formant tantôt réunis un banc d’une blancheur immaculée sur lequel les adultes attendent les nouvelles de leur mère, tantôt positionnés en parallèle, les lits des enfants ou un meuble pouvant accueillir une télévision ; côté cours, un pan de mur avec un fenestron en hauteur ouvrant sur une baie vitrée, servant de tableau à dessin ou encore de porte.  Une scénographie habile qui n’est pas sans rappeler le puzzle de la vie des quatre personnages dont on découvre par fragments le passé, avec leurs tentatives douloureuses d’y échapper, de le surmonter.

La mise à la scène assez classique se déploie en toute sobriété : s’intercalent noirs et lumière, s’entremêlent ralentis et accélérations, afin de donner du rythme au spectacle dont l’atmosphère peut paraitre étouffante de par son thème difficile. Le metteur en scène joue également et astucieusement sur les différentes temporalités du récit, tant par le placement des comédiens (côté jardin, le présent ; côté cours et avant-scène, le passé) que par la vivacité de leur jeu et déplacements (plus lents et étirés quand ils sont dans le présent de l’attente indéfinie, plus précipités et brefs quand se révèlent par flashs anachroniques leurs souvenirs d’enfance).

Une veste enlevée, et voilà le comédien qui devient son double enfantin, l’enfant du passé surgit sous nos yeux. Mention spéciale pour Slimane Kacioui (Samir), et Maxime Bailleul (Pierrot), tous deux excellents tant dans la gestuelle que dans le dire. Olivier Dote Doevi (Tékitoi/Emmanuel) est fort crédible lorsque, redevenu l’enfant et l’ado bègue, il raconte sa mésaventure athlétique ou parle de la découverte de sa passion. Il est cependant à regretter l’absence d’homogénéité dans le jeu d’Elodie Menant (Sarah) qui tend à sur jouer lorsqu’elle passe à l’âge enfantin.

Ce projet théâtral, malgré quelques fragilités dans la réalisation un poil trop tendue où le spectateur reste en apnée sans un temps de respiration qui eut été bienvenu, reste fort intéressant à découvrir, notamment de par les messages de partage et de tolérance qu’il défend et véhicule.

Cette création nous questionne avec acuité sur notre Humanité aujourd’hui en perdition, à une époque où la paix est un leurre, montrant combien, pour parler de résilience, il est difficile (mais pas forcément impossible) de se construire, voire de se (re)construire, après un drame.

DVDM

Interprète(s) : Elodie Menant (Sarah), Slimane Kacioui (Samir), Maxime Bailleul (Pierrot), Olivier Dote Doevi (Tékitoi/Emmanuel)

Mise en scène : Laurent Natrella Sociétaire de la Comédie-Française

Assisté de : Laure Berend-Sagols/ Lumière : Elsa Revol

Scénographie : Delphine Brouard/ Bande son : Dominique Bataille

Durée : 1h30

Crédit photos Olivier Brajon

Rmt News Int • 16 août 2017


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