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Une distribution exquise pour un Don Carlo jupitérien à l’Opéra de Marseille

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DON CARLO – Giuseppe VERDI à l’Opéra de Marseille les  8, 11, 14 et 17 juin à 20h (dim à 14h30)

Opéra en 4 actes, version de Milan/ durée 3:30 avec entr’acte

Livret de Joseph MÉRY et Camille du LOCLE d’après Friedrich SCHILLER, révisé par Charles NUITTER et traduit en italien par Angelo ZANARDINI.

Création à Milan, Teatro alla Scala, le 10 janvier 1884. Dernière représentation à l’Opéra de Marseille, le 5 octobre 1997

Direction musicale Lawrence FOSTER/ Mise en scène Charles ROUBAUD

Scénographie Emmanuelle FAVRE/Costumes Katia DUFLOT

Lumières Marc DELAMÉZIÈRE/Vidéos Virgile KOERING

Elisabetta Yolanda AUYANET/Eboli Sonia GANASSI/Tebaldo Carine SECHAYE/Une Voix céleste Anaïs CONSTANS

Don Carlo Teodor ILINCAI/Philippe II Nicolas COURJAL/Rodrigo Jean-François LAPOINTE/Le Grand Inquisiteur Wojtek SMILEK/Un Moine Patrick BOLLEIRE/Comte de Lerma Éric VIGNAU/Députés Flamands Guy BONFIGLIO, Lionel DELBRUYERE, Jean-Marie DELPAS, Alain HERRIAU, Anas SEGUIN, Michel VAISSIÈRE/Un Araldo Camille TRESMONTANT

Orchestre/Chœur de l’Opéra de Marseille

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Amour et amitié, guerre et religion : un Opéra romantique sur la vanité du pouvoir

Cela faisait presque vingt ans que l’ouvrage, « Don Carlo », de Verdi, n’était pas joué à Marseille : voilà qu’il clôt la riche et saisissante saison de l’Opéra de Marseille! Cette œuvre magnifique, avec sa distribution extraordinaire, réunit les plus grands solistes du moment qui, pour la plupart, ont pris le risque d’une prise de rôle avec panache et succès.

Un peu d’histoire

L’action de Don Carlo se situe à Fontainebleau en France, puis en Estrémadure et à Valladolid, en Espagne,  en 1559, pendant les années noires de l’Inquisition, au cours de laquelle des milliers d’hérétiques – entendez tous ceux qui étaient reconnus coupables de braver la foi catholique- furent brûlés lors d’autodafés publiques.

A cette époque où un traité de paix entre la France et l’Espagne est en pleine négociation, Don Carlo, l’infant, fils du roi Philippe II d’Espagne, petit fils de Charles Quint, tombe éperdument amoureux d’Elisabeth de Valois, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis. Un amour partagé, un mariage programmé, hélas empêché par des raisons d’Etat qui supplantent les mouvements du cœur.

Elisabeth doit épouser Philippe II au grand damne de Don Carlo qui décide de prendre la tête des rebelles d’une Flandres mise à genoux, dans une lente agonie, par la volonté de Philippe II. Don Carlo, sensibilisé à la cause des Flamands par son meilleur ami, défie ainsi son père et le grand Inquisiteur. Ce dernier souhaite voir mourir le fidèle ami de l’Infant, devenu le nouvel ami du Roi, Rodrigue, marquis de Posa, dont il juge les idées subversives.

Ce même ami qui s’accusera de trahison pour sauver Don Carlo et mourra de la main vengeresse d’un sbire du Roi en proie aux tourments de l’amour : il sait que sa femme, la Reine, ne l’aime point et en aime un autre qu’il soupçonne être son fils. La Princesse Eboli, amie de la reine, enragée de ne pas être aimée en retour de Don Carlo, se venge entre temps de ce dernier, en accusant la Reine d’adultère, jusqu’à ce que prise de remords elle lui avoue ses manigances avant d’être congédiée de la royale cour.

Une œuvre subtile

Sans vouloir dévoiler l’issue étonnante de cet Opéra, qui se permet quelques petits arrangements avec la vérité historique, il est à noter la subtilité de la partition musicale avec ses percussions, ses cuivres et ses cordes si bien amenées: elle semble coller au livret, ses mouvements paraissent fusionner avec le texte lui-même, suivant les inflexions des paroles pour offrir un Opéra dit « à la française » magnifique où nulle exposition préalable, nulle fioriture inutile ne viennent nuire à son écoute.

Dirigé ici par Lawrence Foster, formidable chef d’orchestre qui dévoile tout en finesse la richesse musicale de l’œuvre, déployant toute son intensité dramatique, j’avoue avoir savouré ce Don Carlo dont la mise en scène signée Charles Roubaud magnifie l’œuvre, renforçant via un travail de projections vidéo très bien réalisées, des costumes superbes, une direction d’acteur précise et subtile, des lumières tamisées en clair-obscur, l’atmosphère oppressante de l’Espagne de Philippe II, ce poids de l’Eglise sur la royauté.

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Une distribution à faire pâlir les autres maisons

Le ténor, Teodor Ilincai, que nous avions adoré dans Madame Butterfly l’an passé, doté d’une belle tenue de voix aux aigus lumineux, d’une belle projection et d’une qualité de jeu indéniable, est un Don Carlo, à la fois romantique quand il s’évanouit à la décision politique d’Elisabeth d’épouser son père et héroïque, impétueux, quand il tire alerte le fer de son fourreau, s’opposant à son père avec superbe et fierté ; également noble et affectueux avec son ami Rodrigue quand ce dernier se meurt.

Le baryton, Jean François Lapointe est un Rodrigue magnifique, un frère d’arme fidèle à l’âme noble et belle, dont le jeu et le chant sont pures merveilles avec sa voix souple et grave. La basse, Nicolas Courjal dans les habits du Roi est impérial, imposant, avec son port altier et sa démarche d’une rigidité militaire, mais il sait également être nuancé dans son jeu, conférant un peu d’humanité au Roi sanguinaire, et dans les subtiles modulations de sa voix profonde et puissante quand il s’agit d’exprimer sa douleur et sa peine. La vanité de son rang n’en devient que plus flagrante.

La soprano, Yolanda Auyanet, incarne joliment une jeune reine écartelée entre amour et devoir, avec grande délicatesse et sensibilité : elle gagne en corps et en voix après l’entracte, ses graves devenant bien plus posés, consacrant ainsi une dignité certaine à son personnage, notamment lors de son duo avec la mezzo-soprano italienne, Sonia Ganassi, qui interprète Eboli. Cette dernière nous avait émerveillés dans Anna Bolena cet hiver aux côtés de Zuzana Markova : elle nous a régalés cette fois-ci dans un rôle taillé à sa mesure. Elle est Eboli, malicieuse et espiègle, sautillante, lorsqu’elle amuse la cour avec sa chanson Sarasine, minaudant sous son voile, ou encore quand, ombrageuse et féroce, mue par la jalousie, telle une tigresse bafouée, elle jure de se venger de la Reine dans un rictus haineux ; voire repentante quand elle supplie le pardon de la Reine telle une mater dolorosa. La très étendue tessiture de son mezzo passe du grave profond à l’aigu éblouissant avec une aisance étonnante, volant quelque fois la vedette à la soprano.

La basse caverneuse de Wojtek Smilek est celle d’un homme sombre et malfaisant, le Grand Inquisiteur qu’il incarne avec magnificence, notamment quand il lève sa main, les doigts pointant le Roi dans un geste sûr et vindicatif, exprimant tout le venin de son âme,  quand ce dernier lui demande s’il doit sacrifier son rebelle de fils. A noter également la belle prestation de Patrick Bolleire qui incarne le fantôme de l’empereur Charles Quint.

In fine

Personne n’est en reste dans cet Opéra qui jouit d’une superbe distribution d’une homogénéité rare et il faut avouer que nous ne nous ennuyons à aucun instant au cours de cette œuvre, la préférée de Verdi, et nous en comprenons fort bien la raison tant elle est aboutie.

Nous en redemandons encore et le public marseillais ne s’y est pas trompé en acclamant les artistes, solistes et chœurs. Un pur régal ! D’autant plus que la belle articulation des chanteurs permet de savourer le jeu sans avoir recours sans cesse aux surtitres. DVDM

Toutes les photos sont signées Christian Dresse
Retrouvez notre interview de Charles Roubaud, metteur en scène de Don Carlo, un de ses opéras préférés, mais pas que.

 

Rmt News Int • 12 juin 2017


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