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The culture beyond borders

Rencontre avec les écrivains marocains Ahmed MASSAIA et Rachid KHALESS au TOURSKY

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       « Il n’y a qu’une seule morale, celle de l’excellence artistique »

« Ce n’est pas l’argent, c’est la culture qui est indispensable, c’est le vecteur le plus important de la cohésion sociale. »

 Voici résumé en deux phrases ce qui caractérise Ahmed Massaia et Rachid Khaless, invités à présenter respectivement leur dernier livre, dans  cette salle Léo Ferré où Richard Martin, directeur du Théâtre Toursky les accueille. Ils sont ici « dans leur maison », puisque l’amitié et la culture sous toutes ses formes ont investi ces lieux.

Universitaire, critique de théâtre (il a dirigé l’ISADAC –Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle- de 1993 à 2004), écrivain (Répertoire du Théâtre marocain, Un désir de culture, L’éloge de la Citoyenneté, Une humanité à partager, La dame à la djellaba rouge), Ahmed Massaia aborde, à travers ses livres différentes questions liées à la culture, au théâtre, à la migration, la mondialisation, le Maroc.

Assis sur cette estrade au côté de Rachid khaless, Ahmed Massaia rappelle l’amitié indéfectible qui le lie à Richard Martin, cette amitié qui le nourrit, le porte, quand il écrit et qu’il pense à l’atmosphère de ce théâtre, de cette ville « poétique et intéressante ».

Son dernier livre : Tayeb Saddiki, Le bon, la brute et le théâtre est un portrait de l’immense acteur disparu, un hommage fulgurant, intense, sans concession. La plume de Massaia est à son habitude, claire, simple, limpide. On entre dans ce portrait comme dans une fiction.

« Tayeb Saddiki a dit  «  je suis l’Orson Welles arabe ». Peut-être s’en est-il inspiré ? Savait-il que c’est dans la ville où il est né, Essouira, qu’Orson Welles a tourné son Otello ? En écrivant ce portrait, j’ai voulu comprendre pourquoi cet égo hypertrophié ? Saddiki est un homme fantasque, arrogant, qui dérange, un personnage controversé, un ami. A l’âge de 18 ans, il est à Paris, au « théâtre des Nations » où il joue avec sa troupe « Les fourberies de Scapin ». Le lendemain, tout Paris l’acclame. Le journal Le Parisien titre : « l’un des plus grands comiques du monde ». Rares sont les personnes qu’il a aimées et qui l’ont aimé. Il était admiré et craint. Du début à la fin de sa vie (il est mort seul), Molière a été son maître à penser, un maître absolu.

« La force de l’œuvre tient de ce qu’elle mime le destin de son créateur. Aucune expérience théâtrale n’avait alors à ce point rompu avec les normes du langage dramatique en multipliant les mises en scène qui bouleversent les codes et conventions du genre. Artisan intraitable, Saddiki a imposé dans le milieu une discipline et une légende ! Et l’homme s’est vite mis à égaler son œuvre monumentale, paradoxale, fascinante.

Ce sont ces liens qu’interroge le portrait ciselé et aimant qu’Ahmed Massaia dresse de cette figure emblématique de la culture marocaine. Plongeant dans l’âme du « maître », l’auteur nous en révèle l’énigme. Tout y est expliqué : de la vocation à la notoriété fulgurante qui a dépassé les frontières du Monde Arabe… D’une  révélation à l’autre, le portraitiste restitue la vérité sur ce grand artiste… Au-delà de l’hommage, Massaia signe un portrait sans concessions du dramaturge où il examine les ressorts subtils et délicats qui transforment une vie en destin. »

Absolut Hob est un roman de Rachid Khaless.

Poète marocain, romancier, traducteur, professeur agrégé de lettres françaises, enseignant à l’Université Mohamed V de rabat, célèbre au Maroc où il naît en 1966, Rachid Khaless vient pour la première fois au Théâtre Toursky. Il renouvelle ce qui a été dit en préambule à la rencontre par Ahmed Massaia, grâce à qui il est présent ce soir et insiste sur son émerveillement depuis qu’il est arrivé au Toursky :  « ce théâtre où tout se partage, où les mains se tendent, amies, où j’ai découvert hier, jusqu’à 4h du matin, le travail fait sur Léo Ferré, captivé, oubliant de dormir, et encore ébloui devant ces artistes russes, cet art russe que l’on ignore beaucoup au Maroc. Je me suis senti chez moi. »

« Avec Absolut Hob, sa 3e fiction, Rachid Khaless signe un roman d’amour étrange. Le lecteur, qui y découvre l’échec de l’homme devant les leurres de la vie, ne manquera pas d’en réinterroger l’ordre secret et l’horizon. »

« Par amour pour sa femme, le narrateur accepte et aussitôt regrette de ne pas avoir enterré sa belle-mère. Lilas, l’héroïne, croit déceler le sens même de sa vie dans les tatouages portés à sept zones névralgiques du corps de la défunte. L’homme entreprend alors une enquête au cours de laquelle il sera amené à s’interroger sur l’essence de cette passion que le couple baptise Hob. »

« Absolut Hob » est une ode à la passion, à la poésie, un voyage dans l’ivresse de l’amour et le tourment de la mort. Lilas est une fleur fertile. Ce roman, c’est la rencontre avec soi, l’essence des choses, la beauté. La beauté se suffit à elle-même.

A la lecture d’un passage de son texte Khaless se dit ému d’entendre ce texte de « l’aimance », mot inventé par un grand auteur marocain. Dès que je capte une idée, explique-t-il, j’écris rapidement en 25, 30 jours maximum. L’histoire a vécu en moi et c’est un travail assez physique car il met à contribution mes muscles, ma sueur, mon esprit. Depuis petit, j’aime les mots, la poésie des mots.

A présent, Rachid Khaless nous donne le sens des mots. Auteur de nombreux livres remarquables (Cantiques du désert, Dissidences, Pour qu’Allah aime Lou lou, Quand Adam (prononcer le m final) a décidé de vivre…) Rachid Khaless est une voix singulière de la poésie contemporaine. Ecrivain de langue française, son écriture traduit sa révolte contre l’ordre et la morale établis et une rencontre nouvelle avec le lecteur. Sa plume  d’une délicatesse absolue, peut se faire acérée et mordante. C’est un amoureux de la beauté et de l’amour, de la liberté (sa Loulou de « Pour qu’Allah aime Lou lou » l’incarne, la revendique). Baudelaire ? Il en parle dans son roman. « C’est mon Dieu, mon maître littéraire, bien que je n’aime ni les dieux ni les maîtres. J’ai découvert Baudelaire jeune encore et je lui rends hommage ; je rends hommage à l’amitié des lettres et des livres. Le personnage principal de mes romans, c’est la vie, la source de toute écriture, c’est la vie.»

« La liberté s’arrache. Elle ne se donne pas, il faut aller la chercher.» Et il y va, Rachid Khaless, avec talent avec force et tendresse.

Il est tout entier dans ces paroles Rachid Khaless : un écrivain cultivé, volontaire, combattif, amoureux de la vie et des hommes, sensible, vrai ; un homme, presque un ami.

Merci à ces deux grands écrivains qui ont réaffirmé avec force : « l’horizon de toute chose, c’est l’amour. »

Après des applaudissements et quelques questions, le verre de l’amitié a scellé cette rencontre.

Danielle Dufour-Verna

Rmt News Int • 24 mars 2017


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