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LES TRENTE ANS DE MUSICATREIZE

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 MUSICATREIZE FAIT SON CABARET !

 4 février 2017

 

Cœur choral de Roland Hayrabédian : après le Chœur Contemporain en 1978, c’est Musicatreize qu’il fondait en 1987 : 13 comme le numéro du département des Bouches-du-Rhône et treize, comme sans doute douze apôtres chanteurs de l’Ensemble, plus lui, directeur. On en fêtait joyeusement le trentième anniversaire.

Trente ans consacrés, corps et âme, en gros, à la musique contemporaine dont les plus grands noms des XXe et du XXIe siècles figurent à son répertoire. Un seul, Maurice Ohana, défendu et illustré avec passion, pourrait servir d’emblème, d’étendard et d’enseigne à Musicatreize puisque le disque du Llanto por Ignacio Sánchez Mejías / Syllabaire pour Phèdre, non seulement remporta le Prix de Ritmo, revue de musique espagnole, l’Orphée d’or, le Grand Prix des discophiles et le Prix Spécial de la Nouvelle Académie du Disque, après avoir déjà été Coup de cœur de l’Académie Charles-Cros en 2003. Les Victoires de la Musique 2007 couronneront Musicatreize. Mais on se perdrait à énumérer les distinctions reçues par l’ensemble pour sa trentaine de disques, si l’on ne s’abuse dans une prolifique production égale à sa qualité. Toutes les gloires donc de la musique contemporaine à son catalogue mais, bien au-delà, il faut souligner (et l’on a aussi du mal à compter), à son actif, plus d’une centaine d’œuvres créées, certaines des commandes expresses, sans oublier l’accent mis aussi sur des compositeurs régionaux ou ici établis, dont Olivier Messiaen, Georges Boeuf, Lucien Guérinel, Marcel Frémiot, André Boucourechliev…

La musique ancienne n’est pas oubliée, vocale ou instrumentale, de la Renaissance au Baroque, du XIXe siècle, et l’on soulignera aussi la dimension spectaculaire des concerts, comme les Contes ou les Cantates policières, joignant de, façon ludique, le jeu théâtral à la musique. Cette soirée cabaret d’anniversaire en fut un brillant exemple.

 

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CABARET

On se pressait dans le petit hall de Musicatreize, on s’empressait en souriant de passer le verre de l’amitié aux amis trop éloignés du bref comptoir jouant les bars, en attendant l’ouverture de la salle où devait se fêter cet anniversaire. Un vantail baille, s’ouvre, on s’engouffre gentiment. On longe l’entrée, on plonge en douceur dans la chaleur boisée de la salle ; au pied des gradins, sur le vaste plateau nappé d’une pénombre douce semblent flotter de grands nénuphars nocturnes, corolle rouge, constellés d’une douce flamme : des tables rondes éclairées d’une bougie, le bord brodé de chaises légères. Posé au fond de la scène, tel un grand oiseau à l’aile luisante repliée, le poli du piano se lustre vaguement des vers luisants pianissimi des chandelles chancelantes quand les spectateurs s’assoient, veillant à ne point verser le verre en main. Poliment habitué des concerts, le public murmure, chuchote ou parle mezza ou sotto voce et ne couvre pas trop un pianiste qui prélude rêveusement, dessinant légèrement de ses doigts une dentelle sonore discrète, enfilant avec nonchalance les perles d’un discret collier musical, qui file, tisse vaporeusement une ambiance de piano bar, de lounge, de cabaret qui semblerait à mille lieux de ce lieu voué à la création de la musique contemporaine si la musique avait des compartiments étanches, étrangers les uns aux autres. Preuve vivante première, Frédéric Isoletta, au clavier, musicien dont on sait déjà qu’il habite toutes les musiques, des plus pointues en leur recherche pour l’audition aux plus larges pour tous les auditoires. C’est l’image même de ce programme.

Soudain, une ruisselante chanson à boire fuse, nous asperge, inonde, Buvons d’Alexandros Markeas, compositeur franco-grec, entonnée à franches goulées gouleyantes par l’ensemble disséminé, spatialisé dans la salle, coupée de hoquets d’ivresse, puis Roland Hayrabédian, maître des lieux et maestro donne le tempo et programme de la soirée, son ton, sa teneur musicale, inhabituelle pour l’ensemble de musique contemporaine, décliné en texte enchaîné phrase à phrase par divers intervenants, dans une brouillonne ou plutôt bouillonnante polyphonie verbale :

 

« Ce soir, Mesdames et Messieurs, pas de numéro de haute voltige, pas de triple saut vocal périlleux, pas d’enchaînement ric-rac ; de quadruples croches mal emmanchées ; d’intervalles mal digérés ; de rythmes improbables ; d’harmonies douteuses ou de textes dénaturés ; non, on ose, on se lâche ; on se caresse la glotte, on se fait plaisir… »

 

Un plaisir communicatif qui sera largement partagé par le public amateur fidèle de cet ensemble de haut niveau qui, même « lâché », ne relâche en rien sa rigueur musicale, sa maîtrise, tout en tournant aimablement en dérision l’obsession du diapason, terreur ou paratonnerre des exigences tonales de la musique contemporaine, le lot et pain quotidien de ces musiciens exemplaires. Et l’on apprécie que la voix parlée soir traitée en partition, dans un rythme et ton, dont la simple accentuation, inflexion, est à l’origine même de chant théâtral depuis le  favellare in armonia  de la Camerata de’ Bardi. Ainsi, c’est un vrai duo d’acteurs avec la rigueur vocale de chanteurs auquel se livrent, et nous délivrent, Marie-Georges Monet, mezzo, et la sombre basse illuminée, égayée d’un vaste sourire, Patrice Balter, dans une Brève du compositeur et poète Jacques Rebotier, un texte drôle et grinçant sur le malentendu du couple, amour/haine ou indifférence ou, pire, « rien », distillé sur l’amertume des larmes ou gouttes des Parapluies de Cherbourg par le lointain piano, comme un adieu ou une invitation au voyage.

Et quels voyages ceux de Musicatreize ! Sur plusieurs continents même avec le port d’attache de Marseille, ouverte aux quatre vents : accompagné au piano par Astrid Marc, Jean Manuel Candenot, basse, détaille avec émotion le célèbre tango nocturne d’Alfredo Le Pera, mis en musique par Carlos Gardel, Melodía de arrabal, ‘Mélodie de faubourg’, évocation poétique d’un quartier de Buenos Aires qui pourrait être de Marseille, argenté par la lune, pénombre trouée d’un réverbère sous lequel une jolie fille attend le client, rumeur rouillée de bandonéon, plaintes, querelles, vieux murs avec, gravés au couteau, des noms de femmes aimées, quartier, disait le texte original, qui a « l’âme agitée d’un maquereau sentimental », gavión que l’oublieuse mémoire populaire a génialement trahi et compris comme gorrión, ‘moineau’ sentimental…

On revient en France et force, à dix, avec la fantasque Fantaisie Bleue de Michel Fugain, très jazzy. Puis, c’est avec un parodique vrai désespoir opératique, que le ténor Xavier de Lignerolles, déploie l’air hilarant « Le flûtiste amoureux », tiré de l’intermède Le toréador (1849) d’Adolphe Adam, déboires professionnels du musicien faisant détonner l’orchestre, éloge final du ménage à trois. On ne quitte pas le registre comique avec l’inénarrable Andréa, c’est toi de Bobby Lapointe, texte cousu et décousu de jeux de sons qui font et défont sens avec des échos, des rimes indiscrètes qui secrètent des alliances sémantiques absurdes et savoureuses de logique sonore : le ténor Gilles Schneider, avec un sérieux, une immobilité de marbre imperturbable d’amoureux transi, débite sa plaintive chanson comme une profession de foi amoureuse que la tonitruante basse de Grégoire Fohet Duminil  n’arrive pas à ébranler, à détrôner de son socle d’airain et d’amour. Les rires s’estompent avec la parenthèse poétique, rêveuse, murmurée, de Syracuse, musique d’Henri Salvador sur des paroles de Bernard Dimey, a cappella, d’une onirique mélancolie, surgie du premier horizon des gradins.

On fait un bond dans un cabaret berlinois digne de Marlène avec Surabaya Johnny de Kurt Weill, paroles de Bertolt Brecht, âpre complainte de la fille soumise à l‘homme cynique qu’elle a dans la peau, et sur l’implacable et impeccable touche d’Astrid Marc au piano, la mezzo Sarah Breton fait passer la sensualité blessée et le frisson lucide de la fatalité de l’amour sadomasochiste brisé sur l’incompréhension : « Surabaya Johnny, warum bist du so roh? », ‘Surabaya Johnny, pourquoi es-tu si méchant ?’ « Du hast kein Herz, Johnny, und ich liebe dich so ; ‘Tu n’as pas de cœur, Johnny, et moi, je t’aime tant’.

On revient à Paris sans abandonner un Weill exilé avec son fameux tango habanera sur un texte français de Roger Fernay, Youkali, que Xavier de Lignerolles chante, sur ce rythme d’une métrique fataliste, avec, finalement, le désespoir de cet adieu d’une époque trouble, déjà inhumaine, aux utopies généreuses de l’homme. Après ces serrements mélancoliques de cœur, Grégoire Fohet Duminil, apporte sa verve, sa veine, sa note burlesque réjouissante déjà exprimée, avec Aubade à Lydie en Do de Bobby Lapointe, feu d’artifice de jeux de mots malicieux, de paronomases, d’allitérations (« Si ! C’est ici qu’le sadique Sidi… ») : principe musical, génie des variations et dérives du son, des sonores sensations et tentations tentaculaires du sens varié.

En rupture de ton, dans la pureté a cappella d’un soprano aérien, Kaoli Isshiki fait planer, en trois couplets, la douce lumière, dessin musical d’estampe japonaise, Sur la plage de Morigasaki, ensuite ouverte doucement aux horizons par l’ensemble a tutti. Cabaret british avec Patrice Balter dont la basse abyssale semble sonder et interroger les abîmes de l’amour de O, tell me the truth about love, poème de W. H. Auden, mis en musique par Benjamin Britten justement pour ses Cabaret Songs. Apothéose vocale pour finir, sextuor vocal puis a tutti avec la Chanson d’amour de Wayne Shanklin et ses onomatopées qui se prêteront à de baroques ou jazzy et joyeuses variations et ornementations, d’une précision musicale remarquable, marque de fabrique de Musicatreize.

Une soirée où il a été audible et visible que Musicatreize est sans doute un ensemble, mais un ensemble de solistes, chacun avec sa voix, son caractère, sa spécificité, sachant fondre l’individualité dans les nécessités chorales des partitions. Pendant tout ce concert spectacle, les chanteurs, Hayrabédian lui-même, glissant harmonieusement entre tables, chaises et gradins pour chanter, auront joué avec entrain, plateaux en main également, les serveurs attentifs, apportant amuse-gueules et boissons aux spectateurs attablés, et, pour couronner cet anniversaire, une savoureuse création d’un voisin artisan-pâtissier, le gâteau Musicatreize aux treize saveurs, que l’on dégustera en présence des compositeurs Annette Mengel venue d’Allemagne et de Lucien Guérinel, souvent interprété par un ensemble dont  il présida un temps aux destinées.

Benito Pelegrín

Musicatreize fait son Cabaret !

Marseille, salle Musicatreize, 53 Rue Grignan, 13006 Marseille

4 février 2017

Musiques, successivement, de Markeas, Rebotier,  Gardel, Fugain, Adam, Lapointe, Salvador, Weill, Britten, Shanklin  par Astrid Marc, Frédéric Isoletta, pianistes et l’Ensemble Musicatreize (direction Roland Hayrabédian) : Claire Gouton, Kaoli Isshiki, sopranos ; Estelle Corre, Marie-Georges Monet, Sarah Breton, mezzos ; Jérôme Cottenceau,  Xavier de Lignerolles, , Gilles Schneider, ténors ; Patrice Balter, Jean Manuel Candenot, Grégoire Fohet Duminil, basses.

 

Prochains concerts

 

Rmt News Int • 15 février 2017


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