RMTnews International

The culture beyond borders

« Et l’acier s’envole aussi » au théâtre Toursky 3 et 4 février 2017

image_pdfimage_print
Share Button

L’amour est plus fort que la guerre

Il y a sur la scène de cette salle Léo Ferré du théâtre Toursky qui les accueille, une actrice, Florence Hautier, et deux musiciens-comédiens, trublions poètes, Martin Béziers, et Samuel Bobin. Elle est vêtue d’une robe blanche. Elle tournoie, lègère, onirique ; eux endossent une tenue évoquant des poilus de retour au foyer, betelles et tricots de peau à manches longues. Elle tient un chapeau muni d’une voilette, eux mettent sur la tête les casques lourds des poilus, elle aussi parfois, comme ils fument la pipe, assis tous trois sur des cageots de bois.

Plus de cent ans ont passé depuis la première guerre mondiale, et dans les tranchées d’une Europe lacérée, entre 1914 et 1918, le sergent-major Gui de Kostrowitzky –Guillaume Apollinaire-, écrit à Madeleine, une jeune-fille de 22 ans rencontrée en permission sur le train de Nice à Marseille. « Tendres comme le souvenir », ces lettres, nous offrent l’écho troublant d’une correspondance où l’amour et la poésie sont les ultimes armes déchirantes de l’humanisme sur les hurlements du précipice et témoignent de la quotidienneté de la guerre. Ecrites dans une prose nue, essentielle, grave, le compte-rendu de la vie et de la mort au front, images impressionnantes du premier conflit mondial, documentation intérieure qui joue avec l’âme du poète soldat, de l’enthousiasme primitif à la douloureuse piété pour le sacrifice des pauvres et courageux fantassins « qui meurent comme des mouches ». Le grand drame de l’histoire se grave indélébilement dans sa conscience. Avec la  jeune femme, fine et cultivée, Apollinaire  instaure une longue correspondance où ils discourent d’art et de littérature, de Tolstoi, de d’Annunzio, de son enfance et de ses goûts, de son quotidien dans les tranchées et de ses grandes idées esthétiques. Au fur et à mesure de la correspondance les lettres deviennent d’une intensité et d’une ardeur sans pareille, les poèmes d’amour, de sentimentaux et délicats se font passionnés, l’amour, de plus en plus sensuel : « Allons Madeleine, mettez-vous nue, l’âme, le corps et le cœur. Ne regrettez pas d’être aussi vraie». Le soldat amoureux fou demande et obtient le 15 août, de madame Pagès, la main de sa fille. Le soldat charge d’absolu son lien avec la jeune femme, un absolu sentimental et existentiel : « Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant ». Apollinaire exerce une séduction qui mène à l’« éducation sentimentale » et érotique de Madeleine. Il veut la rendre libre de ses pensées tout en la soumettant à son pouvoir d’homme. Et il y réussit. Madeleine répond à son amour, à ses lettres, à sa volonté. Apollinaire prétend encore hériter des romantiques une curiosité qui le pousse à explorer tous les domaines propres à fournir une matière littéraire qui permette d’exalter la vie sous quelque forme qu’elle se présente.

Trio1

« Nous dîmes adieu à toute une époque       

Des géants furieux se dressaient sur l’Europe. »

La guerre est une forme de vie que le poète doit assumer et il s’est engagé –il n’est pas encore naturalisé Français lorsqu’il est enrôlé en septembre 1914, naturalisation qu’il n’obtiendra qu’en 1916-, il s’immerge donc dans son enfer. Ces lettres ne sont pas un exutoire à la souffrance et au tumulte, c’est le poète qui la sublime car il doit la « représenter ». Le poète ne peut et ne doit pas se taire. Le lien étroit entre guerre, poésie, et sa correspondance sentimentale à Madeleine, Apollinaire les traduit en allusions, métaphores, comparaisons : « Le ciel est étoilé par les obus des Boches… ». Les armes représentent souvent les parties du corps, et deviennent des symboles de virilité, d’érotisme et d’amour.

Devant un écran au rideau noir, dans un décor sobre, ces trois comédiens nous offrent une fulgurance magnétique, poétique, essentielle. Leur jeu prend aux tripes, entre odes chantées, et prose lue, entre un envol du clavier et la clameur de la percussion, entre pauses et silences, éclairs et  explosions sèches.

Florence Hautier, actrice du spectacle, mais également instigatrice du projet, nous entraine avec elle, un moment derrière ce voile, mystérieuse, lointaine et proche à la fois, imaginée, imaginaire, c’est l’âme d’Apollinaire mise à nue, dans le romantisme et la douceur la plus totale ; c’est Madeleine que l’on découvre, tendre,  une Madeleine à l’écriture claire et voluptueuse comme une caresse ; c’est le soldat perdu, amoureux, solitaire dans la tourmente. Florence Hautier, démontre ici avec justesse et retenue la plénitude de son talent. On oublie la comédienne pour n’entendre par sa bouche que Madeleine, le poète et la vie.

Les musiques de Martin Béziers, Mabz, compositeur, interprète et acteur, se mélangent, ponctuent, explosent en couleurs sonores, provoquent et rythment : tempête, passion, guerre, amour, mélodies douces. Elle souligne les mots du poète. Martin Béziers passe avec bonheur de l’instrument à l’acteur, et le spectateur mute avec lui, voyage, se réincarne dans ce passé et cette contemporanéité manifeste. Un grand Martin Béziers.

Les percussions de Samuel Bobin, batteur magistral, nous relient à hier et nous ramènent à aujourd’hui. Rythme et fluidité, passion dévorante, tourments, peurs sourdes qui éclatent, déluge de feu et de mitraille. Le solo de batterie sur le casque éclairé d’une torche est d’une intensité  dépassant en émotion et dextérité les œuvres les plus accomplies. Quand il parle, Bobin n’est plus le batteur charnel et exultant, c’est le soldat portant sur le dos le poids de cette guerre immonde.

Pierre Béziers, qui signe une très belle et très réussie mise en scène, a choisi de projeter sur un tulle noir, en arrière de la scène, des images, bien visibles, mais qui n’inondent pas le plateau de lumière. Le spectateur les voit, les fait siennes ; les images se mélangent au jeu des acteurs, subtilement, point d’orgue qui appuie, souligne, élément indissociable de cette poésie qui sourd de tous côtés. L’amour surtout, l’amour partout ; dans les représentations du cubisme, dans la calligraphie soignée des lettres, dans les représentations érotiques, torrides, dans les photos des tranchées, des morts. L’amour près de la mort, plus fort que tout. Et les mots que l’on entend en deviennent encore plus légers, plus tendres. Ils sont autant de fontaines auxquelles il nous faut boire avidement l’espoir de la vie, de l’amour.

Apollinaire et Madeleine ne se marieront pas. La correspondance s’espace, s’éteint. Madeleine reçoit la dernière lettre qu’elle déchire lentement. Mais des années plus tard, elle témoigne de cet amour ardent, de cette tendresse infinie qui lui furent compagnons tout au long de sa vie. Et l’on découvre Madeleine, entr’aperçue seulement au travers d’Apollinaire. « Comme un souffle sur la nuque », la lettre qu’elle nous livre sur le souvenir de cet amour est d’une force poétique absolue. C’est la révélation de cette œuvre. Ses phrases tout en finesse nous bouleversent. On comprend mieux le soldat exalté et l’amour d’Apollinaire : plus fort que les sens, le pouvoir des mots.

Les lumières s’allument, les comédiens saluent. On voudrait les retenir. La salle, où sur les murs se côtoient les photos de Léo Ferré et d’Apollinaire, la salle est debout, haletante, conquise. La grande histoire les a rattrapés, ces spectateurs d’un soir, témoins toujours. C’est gagné, Ils gardent en eux ce bouleversant, ce fantastique poème « les neuf portes de ton corps ». Et comme un dernier salut, crient avec Apollinaire : « Puisque je t’aime » !

Danielle Verna Dufour

On retrouvera le Théâtre du maquis dans le Off du Festival d’Avignon, un spectacle à ne pas manquer ! On peut retrouver les chansons et les musiques de Martin Mabz sur un très beau cd. Production Les disques brûlants et le Théâtre du Maquis. LDB007.

Theatredumaquis.com

Toursky.fr

Le teaser du spectacle : http://www.dailymotion.com/video/x4f6kt6_et-l-acier-s-envole-aussi-saison-2016-2017_creation

 

 

Rmt News Int • 15 février 2017


Previous Post

Next Post