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The culture beyond borders

Mésaventures ubuesques aux archives du CD13 …

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La rédaction de la RMT a souhaité publier ci-dessous ce coup de gueule d’un journaliste émérite, spécialiste de la Russie, suite à une mésaventure qui lui est arrivé en début de mois de décembre dans un lieu public marseillais, dans la mesure où au delà de l’aspect anecdotique de l’aventure, il est question de respect de l’œuvre d’un artiste vivant et de liberté d’expression muselée. Car si nous n’avons plus le droit d’exprimer notre indignation dans un espace culturel, sachant qu’il fut un temps où le public avait le droit de manifester sa contestation (au lieu d’être obligé à faire preuve d’une politesse bienséante comme c’est l’usage de nos jours), qu’en est-il de notre liberté et de la démocratie? Une question encore plus d’actualité aujourd’hui.

 

Aux archives départementales, il est interdit de s’indigner!

Le programme annonçait concert de jazz et projection d’un film muet.

Le film, en l’occurrence était Les Saisons d’Artavadz Péléchian. Et les organisateurs avaient misé sur le fait qu’aucun spectateur n’ait connu le grand réalisateur, un vieux monsieur qui se meurt dans un hôpital de Moscou. La fiche Wikipedia du film indique bien qu’aucune adaptation musicale ne peut être réalisée sans une lettre en russe au maître du cinéma soviétique. C’est pour laver l’honneur du créateur que j’ai bruyamment manifesté mon indignation en demandant aux musiciens de nous laisser écouter The sound of silence si cher à Péléchian. Il n’en fallut pas plus pour que M. Xabi Castorene, le conservateur des lieux, m’envoie des vigiles pour m’expulser déniant ainsi le droit à l’indignation d’un spectateur devant une forfaiture et le viol indécent d’une œuvre.

J’ai donc envoyé une lettre de protestation à l’intéressé, qui m’a menacé de porter plainte contre moi, lettre que faute de réponse, je m’autorise à rendre publique.

 

« J’ATTENDS LE PAPIER BLEU »

Samedi soir j’ai manifesté publiquement mon désaccord avec un spectacle programmé dans votre salle. Elle est financée ainsi que votre salaire par nos impôts, aussi je m’en sens copropriétaire.

L’annonce ambiguë de votre programme annonçait Musique et Cinéma.

J’ai pensé naïvement qu’après un concert, je pourrais voir le chef d’œuvre muet Les saisons d’Artavazd Pelechian.

Hélas les bruiteurs ne baissèrent pas d’un ton et leur musique tonitruante mi-jazz, mi-moderne devait pirater le film.

Plus grave : vous m’avez expulsé de la salle en faisant appel à des vigiles, ce qui est le comble pour un prétendu acteur culturel. Je ne brandissais pas de Kalach mais des mots pour exprimer mon indignation. Si vous ne l’avez pas fait, lisez ou relisez La ferme des animaux d’Orwell pour savoir qu’il ne faut pas envoyer les chiens-policiers avec le troupeau de moutons bêlants pour faire taire une voix dissidente. (Je vous l’offre bien volontiers).

Plus grave encore : vous m’avez demandé de ne plus mettre les pieds dans « votre » maison.

Peut-être vos vœux d’ordre seront comblés si d’aventure le FN arrivait aux manettes et c’est ce à quoi m’a fait penser votre attitude et vos propos de gardien de la pensée.

Vous m’avez menacé de porter plainte et j’attends avec impatience le papier bleu.

Dans le cas contraire j’exige des excuses de votre part pour votre comportement inacceptable d’irrespect pour une oeuvre. Oui, les goûts et les couleurs se discutent.

J’ai passé ma vie à me battre avec des mots et des idées et vous avez transformé une indignation en Bataille d’Hernani.

Je veux croire que votre jeunesse et votre inculture ont oublié ce que furent les flots d’injures et de bagarres physiques dans les théâtres du début du XIXème siècle.

Alors allez jusqu’au bout de vos menaces, au demeurant irrecevables, car il n’y a pas eu de voie de fait. Je m’ouvrirai de ce propos au talentueux Roland Hayrabedian et je me réserve le droit de le faire circuler auprès de mes amis journalistes et de votre tutelle.

Sachez enfin qu’au cours d’une discussion avec Artavadz à Erevan chez le regretté cinéaste Frounzé Dovlatian (Nostalgie interdite), il m’a dit que Mosfilm lui avait suggéré de mettre du Vivaldi en fond sonore ! Son désir était précisément d’envelopper de silence les hommes, leurs bêtes et le travail. Imaginez du Zim-boum-boum à fond la caisse pour accompagner le Kid de Chaplin !

Avec mes sentiments les plus cordiaux dus à votre jeune âge.

Jean Kehayan

Journaliste et essayiste

Rmt News Int • 19 décembre 2016


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