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Festival SAND ET CHOPIN EN SEYNE

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DEUXIÈME FESTIVAL INTERNATIONAL SAND ET CHOPIN EN SEYNE ( LA SEYNE-SUR-MER)

26 août 2016

Force et fortifications

 

Tours

Fort Balaguer, Tour Royale : les deux forteresses face à face sont comme le fermoir, qui enserre sans fermer complètement, le collier illuminé de l’immense rade de Toulon. D’un côté, les plages de sable, ponctuées par le Fort, de l’autre une pointe rocheuse surmontée de la Tour, la ville, la base navale, au loin, la silhouette fantôme dans le soir tombant du porte-avions Charles de Gaulle. Sur cette rive de Saint-Mandrier, petit port à l’ancienne, de petits bateaux d’autrefois, pas de yachts mais de modestes barques, des canots, des voiliers, une échelle humaine. Des routes serpentant, rêveusement, entre monts et mer.  Un coin encore préservé.

Un chemin forestier dans la colline et des pinèdes surchauffées par la canicule, embaumées des senteurs des plantes aromatiques exhalées, exaltées par la chaleur, nous conduit, à pied, à une autre fortification : le Fort Napoléon.  Un quadrilatère de pierre, arêtes vives mais brouillées, gribouillées, adoucies d’arbustes et d’arbres qui ont pacifiquement pris possession des hautes murailles défensives, tendre prolongement végétal des murs minéraux guerriers.

À l’intérieur, une cour, percée d’ouvertures donnant sur des salles voûtées, vouées désormais, à des expositions, en ce moment, de belles photos de Gil Fréchet. Une scène, un candélabre, deux pianos anciens, l’un, de collection, un Érard de 1926, l’autre ayant appartenu aux Chorégies d’Orange, ayant accompagné Jon Vickers, Montserrat Caballé, Pavarotti… Car ces forts, ces fortifications, belliqueuses, défensives, autrefois subissant le bruit du canon, sont soumises désormais à la paix de la musique.

Tour de force

1-c

Chrystelle di Marco

C’est celui de la chanteuse lyrique Chrystelle di Marco, qui a dû puiser en ces lieux la force des murs et la volonté de fer, l’âme d’une guerrière pour réussir à planter, implanter un festival musical et littéraire autour des figures de Chopin et Sand, qui vécut tout près dans une villa et un lieu qui donnèrent nom à son feuilleton Tamaris publié dans la Revue des deux mondes, puis édité en 1862, dont le cadre est justement le décor de la corniche de Tamaris à La Seyne-sur-Mer, une histoire de mère et de fils malade, un aveu presque de son rapport maternel, inconsciemment incestueux, avec Chopin…

Chrystelle di Marco, qui a travaillé avec Raina Kabaivanska, qui chante déjà en Italie, en Espagne, a donc réussi l’exploit de créer ce festival autour de ces deux figures romantiques tutélaires avec, cette année, au programme, Le jeudi 25 août la pianiste internationale Maria Luisa Macellaro La Franca, associée à la comédienne Vanessa Matéo, pour conter en musique et texte les amours de Georges Sand et Chopin. Le 27 août, c’était  le spécialiste de la musique de Chopin, Jean-Marc Luisada, lauréat du Concours International Frédéric Chopin de Varsovie, victoires de la musique en 2010, qui, sur un piano de collection exceptionnel, un Broadwood and sons de 1863, évoquait sous ses doigts l’âme de Frédéric.

Et, ce soir, le 26, c’était, avec la complicité du ténor géorgien Iraklí Kakhídze et de la pianiste venue de Géorgie pour les accompagner, Níno Chaídze, que Chrystelle di Marco payait de sa personne. Et quand on emploie cette expression c’est au sens propre et par antiphrase : sans aucune subvention, pour payer les autres, elle renonçait à son cachet, participant, jusqu’à la limite du concert, à tout le travail matériel qu’exige le maintien et la préparation d’un lieu scénique quand la pauvreté des moyens ne permet pas d’avoir une équipe suffisante pour la maintenance. Ce sont des circonstances, qui doivent entrer en considération, des difficultés de l’art aujourd’hui, de sa production, de la vie des artistes, dont l’engagement, la générosité, à la limite du danger pour eux, sont les mesures aussi de leur réussite.

Tour de chant Verdi

Au programme, donc, en première partie, quatre extraits de la Traviata. Le fameux récitatif introspectif, « È strano… » suivi du grand air « Sempre libera » de l’acte I ne pouvait manquer.  On nous a tant habitués, à tort, à entendre ce rôle, notamment le passage de haute virtuosité « Follie, follie… » par des voix légères, qui ajoutent un abusif contre mi non écrit par Verdi, que l’on en oublie que la partition est écrite pour un soprano dramatique capable de vocaliser, d’alléger. La voix de Chrystelle di Marco, puissante, souple, ample tissu et volume, correspond exactement à cette tessiture, égale sur tout son registre, riche en harmoniques, colorée, grave onctueux et velouté, et un medium en mezzo forte d’une somptueuse beauté. Elle se tire admirablement des vocalises périlleuses, malgré le handicap d’une chaleur encore écrasante la nuit, dont le piano, malgré sa protection, souffre un peu avec, soudain quelques sonorités curieuses mais, finalement, agréables dans leur étrangeté. Cependant, l’éclatante belle santé de la voix correspond moins à la moribonde disant adieu à son passé, notamment dans des pianissimi bien tenus mais peut-être insuffisamment ténus.

Elle a un digne partenaire en Iraklí Kakhídze, tout juste arrivé du Festival de Bergen en Norvège, en plein air (et sous la pluie !), ce qui montre aussi à quelles conditions sont soumis les chanteurs dont la jeunesse est prisée pour une scène se rapprochant toujours plus du théâtre et du cinéma pour la beauté des personnages, mais qui ne peuvent s’offrir le luxe, pour vivre —et pas toujours bien— pour survivre souvent de leur art, de refuser l’emploi périlleux que leur proposent des directeurs plus soucieux de réussir un spectacle ponctuel que de ménager l’avenir des voix des jeunes artistes. Ainsi, engagé en troupe par l’Opéra de Manheim, il s’est déjà vu offrir ailleurs les rôles de fort ténors de Canio de Pagliacci et même d’Othello, dangereux en débuts de carrière et qui demandent une voix murie par le temps et l’expérience.

Il est vrai que la voix triomphante de ce ténor semble y inviter : un beau métal pour le timbre, une voix d’airain, des aigus tranchants d’une rare puissance et facilité dans une égalité remarquable de la tessiture, tout pour assurer le succès d’une soirée, si l’on ne songe pas au péril vocal de rôles trop tôt abordés. Il se lance avec passion dans l’air véhément des remords d’Alfredo de l’acte II et les deux chanteurs finissent cette première partie avec le duo final de Traviata.

Le ténor est rayonnant de force virile dans l’air célèbre « Celesta Aida… » d’un Radamès qui est certes dans ses cordes, mais dont il reconnaît sagement qu’il n’a pas intérêt vocal à le trop cultiver en continuité actuellement. Le duo de l’acte II, « Teco io sto », du Ballo in maschera conviendra mieux que les passages en trop grandes nuances à ces chanteurs très dotés en voix, d’une générosité qui se ménage pas en cette nuit estivale éprouvante de chaleur.

Grisés par la puissance exceptionnelle de leurs moyens, dopés, poussés par un public enthousiaste, ils poussent trop la voix et le duo d’amour final d’Aida, s’il est passionné comme il se doit, manque de cette douceur ineffable que Verdi demande expressément dans la partition.

Mais très belle soirée, avec, par ailleurs, une remarquable pianiste, Níno Chaídze, parfaite experte de cette musique italienne à grandes envolées, qui sait accompagner sans presser, laissant très largement respirer la musique et les chanteurs.

LUX CLASSIC

Pour donner la mesure de l’activité passionnée de Chrystelle di Marco, disons son activisme musical, il faut signaler que non seulement elle a créé le Festival Sand et Chopin mais qu’elle assure la direction, au Domaine Bunan, de  l’Opéra dans les Chais , ainsi que des Rendez-vous musico-littéraires de Lux Classic au Musée de la marine de Toulon, se déroulant d’octobre à juin et des Rencontres musico-littéraires au Musée de la Castre de Cannes.Sa passion pour les mélodies françaises et italiennes des 19e et 20e siècles, assurée de l’enthousiasme du public de ses récitals, l’amène a créer une maison d’édition et un label indépendant de musique classique, LUX CLASSIC.

LUX CLASSIC se veut créatif et ouvert sur la renaissance et la mise en valeur d’un répertoire riche de couleurs, de variétés de formes et d’émotions aussi bien dans le répertoire des deux derniers siècles que dans la réédition d’ouvrage littéraires de cette même période. Son premier enregistrement, Canti d’amore, est un florilège de mélodies du compositeur italien Luigi Luzzi en première mondiale accompagnées par le pianiste Hervé N’Kaoua. En 2015 elle enregistre dans la collection Livre/Cd Il était une fois… une anthologie de mélodies françaises Rêves d’Orient avec la pianiste Marion Liotard mise en miroir avec la réédition de Au bord du désert de Jean Aicard.

Benito Pelegrín

Ballo in maschera, lien vidéo de G. Monchablon:  https://youtu.be/4aXgxX9tsqA

Rmt News Int • 23 septembre 2016


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