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L’OPERA AU VILLAGE (II)

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Pourrières, l’Opéra au village. Le 26 juillet 2016 au Château de Roquefeuille. Faust en ménage de Claude Terrasse. Les Trois baisers du Diable de Jacques Offenbach

             Le cadre est splendide. Près du village de Pourrières, dans le Var, au pied de la Sainte-Victoire, le domaine viticole du Château de Roquefeuille est un écrin idéal pour l’art lyrique. L’ambiance y est chaleureuse surtout si l’on a décidé de réserver pour le repas qui précède la représentation. La notion de convivialité, chère à la directrice du festival, Suzanne Delenne, se matérialise par la disposition en grande tablée. On ne choisit pas ses compagnons de repas, et c’est tant mieux. C’est l’occasion de rencontrer d’autres amoureux de musique et de partager ses connaissances et ses attentes sur les pièces au programme.

Les œuvres

             Pour sa 12e édition, le festival «L’Opéra au village» nous a fait découvrir deux nouvelles œuvres charmantes, des opérettes de Jacques Offenbach et Claude Terrasse, respectivement Les Trois baisers du Diable et Faust en ménage. Si ces deux œuvres mettent en scène un couple aux prises avec un suppôt de Satan, l’unité thématique est accentuée par un prologue, créé pour l’occasion à partir d’extraits de Faust et Marguerite de Frédéric Barbier.

            Durant le premier quart du XXe siècle, Claude Terrasse fut un des principaux représentants de l’opérette en France. Son Faust en ménage a été représenté pour la première fois à Paris au théâtre de la Potinière le 5 janvier 1924 et a connu 200 représentations. Cette «fantaisie lyrique» en 1 acte, sur un livret d’Albert Carré, est avant tout un pastiche musical et théâtral du Faust de Gounod. En voici l’argument : Méphisto n’a pas, finalement, livré à Satan l’âme de Faust ce qui lui a valu d’être déchu de toute puissance ; il s’est retiré chez le docteur Faust, dont il est devenu le commensal et l’obligé ; Marguerite, toujours jeune, toujours aimante, se désespère de voir Faust vieillir et s’assagir un peu plus chaque jour et demande à Méphisto de l’aider ; ce dernier y voit une possibilité de rentrer en grâce auprès de Satan s’il parvient à lui donner l’âme de Marguerite ; la belle y consent en échange du rajeunissement de Faust ; malgré le retour de ses pouvoirs, Méphisto n’arrive plus à les maîtriser et rend tour à tour Faust trop jeune puis trop vieux. L’œuvre se termine ainsi, sans véritable fin.

Si les effets comiques fonctionnent, et que cette histoire alternative de Faust n’est pas dénuée d’intérêt, on pourra regretter le manque de rythme et la trop faible part du chant vis-à-vis de l’aspect théâtral. De plus, la partition est relativement faible surtout si on la compare à celle de la deuxième pièce, Les Trois baisers du diable (1856).

Le fait d’avoir associées ces deux pièces permet d’illustrer le talent insurpassable d’Offenbach dans le domaine de l’opérette. Musicalement, l’œuvre est très bien écrite, avec des duos et des trios qui font mouche. L’aspect comique est bien marqué, on sourit souvent, même si l’œuvre flirte aussi avec le Grand opéra. C’est sans nul doute l’opérette la plus dramatique du maître, notamment par son dénouement, et l’œuvre était d’ailleurs présentée comme un «opéra fantastique». Le livret de Mestépès partage des points communs avec celui de Faust en ménage. Gaspard, muni de pouvoirs similaires à Méphisto, doit obtenir trois «je t’aime» de la part de Jeanne s’il veut sauver son âme. Pour cela, il gagne la confiance de Jacques, son époux, mais ses plans vont être contrariés par le jeune Georges qui va dévoiler ses intentions au couple. Suite à cet échec, et le délai étant écoulé, Satan entraîne Gaspard en enfer. Si au plan musical, Les Trois baisers du diable surpasse largement l’œuvre de Terrasse, son livret reste néanmoins moins intéressant.

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Réalisation

La direction artistique de Bernard Grimonet fut un succès. Les deux pièces, et le prologue, proposaient une plaisante continuité thématique, même si l’on a pu déplorer l’absence de réel entracte.  Bien que sommaire, les décors (par Gérard, Jacky, Dominique, Alain, Jean-Pierre et Michel) ont parfaitement joué leur rôle. Quant aux costumes (par Mireille, Anne-Marie, Michelle et Nouch), ils étaient très bien conçus et adaptés avec justesse aux personnages. Il est aussi important de saluer la qualité des effets spéciaux nécessaires aux Trois baisers du diable.

L’Opéra au village ne pouvant s’offrir un orchestre complet, Luc Coadou a dû adapter la partition à un nombre d’instruments réduit : piano, clarinette, violoncelle et….accordéon ! Si ce choix peut paraître étonnant pour ce type d’œuvre, cet instrument et l’opérette font bon ménage. Autre excellente idée : les rôles de Siebel (Faust en ménage) et Georges (Les Trois baisers du diable), qui sont censés être des adolescents, n’étaient pas joués par des mezzo-sopranos comme le veut la tradition, mais par un contre-ténor. Cette courageuse décision est à applaudir car les situations y gagnent en vraisemblance.

Interprétation

             Luc Coadou nous a proposé une direction dynamique et précise. Tous les instrumentistes, Isabelle Terjan au piano, Claude Crousier à la clarinette, Angélique Garcia à l’accordéon et Virginie Bertazzon au violoncelle, ont répondu présent. Quant aux artistes lyriques, il faut signaler une remarquable homogénéité de chant et de jeu. On a admiré autant le talent de chanteurs que d’acteurs des protagonistes. Le baryton Thibaut Desplantes campe un savoureux Méphisto dans la pièce de Terrasse et un machiavélique Gaspard chez Offenbach. Raphaël Pongy, contre-ténor, est exquis en adolescent hébété dans les deux opérettes. Le ténor Olivier Hernandez a su passé avec facilité du sophistiqué Faust au bourru Jacques le bûcheron. Si ces trois chanteurs ont été à la hauteur dans le chant comme dans le jeu, la soprano Claire Beaudouin a tout de même survolé les débats avec une voix claire et précise, une diction parfaite et un talent comique épatant. Saluons aussi la qualité d’interprétation théâtrale de le jeune Annabelle, dans le rôle d’un enfant dans Les Trois baisers du Diable, et de la comédienne Béatrice Giovannetti, truculente servante de Faust et Marguerite dans Faust en ménage.

Après ce nouveau succès, on attend avec impatience la prochaine édition pour découvrir de nouvelles pièces méconnues ainsi que de jeunes interprètes aussi talentueux. Cela sera aussi l’occasion de retrouver, autour d’un excellent repas, ce lieu magique qu’est le Château de Roquefeuille et, de manière plus générale, la pittoresque commune de Pourrières.

(Retrouver le programme du festival sur loperaauvillage.fr)

 

Charles Romano

Rmt News Int • 8 août 2016


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