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Dracula – Le pacte – avignon off 2016

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Par le Théâtre Le Cabestan

Au Théâtre Buffon 18 rue Buffon 84000 Avignon

Du 7 au 31 juillet 2016

A 20h00/ Tout public/ Durée 1h15

Réservation : 04 90 27 36 89/ Tarifs : 10 à 19€

Auteur(e)(s) : Jeanne Béziers, d’après Bram Stoker/Mise en scène : David Teysseyre

Comédien(ne)(s) : Bertrand Beillot, Philippe Cariou, Fabien Duprat, Edwige Pellissier

Lumières : Vincent Lemoine/Vidéo : Nicolas Hurtevent

Création musicale : Thierry Garcia, Jean-Christophe Dumoitier

Scénographie : David Teysseyre/Effets de magie : Rémi Larrousse

Coproduction : Théâtre Le Cabestan / Jean-Claude Nohen

 

Un Dracula saisissant d’humanité

 

Créé en 2014, le spectacle Dracula-le pacte de la compagnie du Cabestan revient cette année pour le plaisir des spectateurs. Auréolée de critiques élogieuses, cette création connaît également un succès public non démérité. La recette, s’il en est une ? Une mise en scène cinématographique réussie, avec ses arrêts sur image, ses ralentis et ses flashbacks, jouant de la mise en abyme d’un texte réécrit avec humour et ironie, et reposant sur une scénographie ingénieuse accompagnée de projections vidéos sobres, le tout servi par un jeu d’acteur de fort belle qualité et une création lumière et son en parfaite adéquation avec le propos.

 

Sous le signe du Diable

 

Sur scène, un personnage inquiétant, vêtu d’un costume nous plongeant dans l’Angleterre gothique du 19ème siècle, avec sa veste cintrée de style militaire et son pantalon moulant, apparaît : nous comprenons vite qu’il s’agit du Diable en personne avec lequel le comte Dracula a passé un pacte.

En fond de scène, se découvre un couple prêt à convoler en justes noces, dont le cérémonial est stoppé net par notre maître de cérémonie : ce dernier -magnifiquement incarné par Fabien Duprat qui lui offre ses traits anguleux et son physique atypique – se propose, dans un flashback savamment amené, de nous raconter l’histoire de Vlad l’Empaleur.

Ce dernier est parti de Transylvanie en 1462 afin de combattre les Turcs au nom de Dieu. Revenu victorieux du combat, il découvre que sa bien-aimée, le croyant mort, a mis fin à ses jours. Fou de douleur, Vlad reniera sa foi et signera un pacte avec le diable pour devenir Dracula, cet être sanguinaire craint des hommes, jurant de venger la mort de son amour…. jusqu’à ce que quatre siècles plus tard, il découvre le portrait de Mina : la fiancée d’un jeune clerc, Jonathan, venu de Londres lui faire signer l’acte de propriété d’une bâtisse anglaise récemment acquise par le comte.

La jeune femme  ressemble étrangement à son amour perdu et ravive en lui cet amour éternel qu’il vouait à sa défunte épouse. Troublé et attiré par la jeune femme, il séquestre le craintif clerc et se décide promptement à traverser les mers, accompagné de 50 cercueils de sa terre natale, pour retrouver la belle, se nourrissant du sang de l’équipage au fil de la traversée…

 

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Une mise en abyme judicieusement mise à la scène  et un excellent jeu d’acteur

 

Du texte de Bram Stoker, Jeanne Béziers en a conservé les éléments et personnages clés. Néanmoins, à la différence du roman originel, l’auteure propose de faire découvrir l’histoire de Dracula au travers du récit du Diable, dans une mise en abyme judicieusement exploitée par le metteur en scène.

La figure du Diable, narrateur aux manettes du récit, permet d’introduire un effet de distanciation, notamment lorsque tel un marionnettiste ou un magicien, d’un léger mouvement de main, il stoppe l’action des comédiens, et à l’image d’un metteur en scène tatillon, non satisfait du jeu, leur demande de rejouer la scène (exemple de la rencontre autour d’un verre entre Mina et Dracula) ou lorsqu’il intervient pour commenter, sarcastique, la scène qui se déroule sous nos yeux (par exemple quand Dracula se nourrit du sang de l’amie frivole de Mina et qu’il trouve son cher Dracula si hésitant, « humain, trop humain » dirait Nieztsche), voire encore lorsqu’il tient à nous préciser un point de détail des aventures de Dracula avec un humour sensiblement provocateur (quand il explique avec délectation comment Vlad, ce héros romantique, est venu à lui signer le pacte).

Les interventions du Diable qui rythment le spectacle sont parsemées de touches d’humour fort bienvenues, qui empêchent au récit de sombrer dans le pathos. Et une des réussites de la mise en scène de ce Dracula consiste en ce qu’il nous apparaît ici éloigné du mythe sanguinaire traditionnellement véhiculé : le metteur en scène nous fait réfléchir sur la dualité de notre humanité, à mi-chemin entre le bien et le mal, en y montrant un homme en proie à de complexes dilemmes, un homme pouvant être à la fois héroïque et bestial, docilement amoureux et impitoyable avec ses ennemis, sans pour autant tomber dans un manichéisme simpliste, à l’image du choix de 4 comédiens pour interpréter tous les personnages du récit. Chacun joue deux personnages aux personnalités opposées, se répondant les unes aux autres.

Les comédiens deviennent ainsi en alternance les marionnettes du diable et les machinistes de cette création, manipulant un décor habilement conçu (pouvant figurer un intérieur de château, un bar, un chemin entre deux montagnes ou encore une chambre), dans un clair-obscur lumineux adéquat.

Philippe Cariou est magistral en Dracula (à noter la scène de sa mort très belle) et en Van Helsing, ce professeur fou, affublé d’instruments bizarres, vêtu à la façon d’un garçon bouché avec son pieu fermement tenu en main : son jeu théâtral et sa diction n’ont rien à envier à l’excellent Fabien Duprat, diable magnifique et délicieux, également fort juste en docteur inquiet et peureux, faisant montre de l’étendue de son talent.  Bertrand Beillot est un Jonathan frêle, réservé et inquiet qui au fil du récit s’anime d’une volonté farouche pour protéger sa bien-aimée tombée  dans les crocs du comte séducteur. Son jeu est tout en nuance et il incarne joliment un capitaine d’un navire vigoureusement décimé (la scène est fort réussie par ailleurs). Edwige Pellissier incarne les deux personnages féminins du récit : Mina, la timide et amoureuse jeune femme qui se languit de revoir son aimé, en même temps ostensiblement attirée par le comte – cruel dilemme-, et son amie, au caractère dévergondé. Hélas, elle est dans l’interprétation de cette dernière un peu trop en retenue dans son jeu.

 

Le final de cette création où les deux jeunes mariés s’enlacent comme pour se croquer n’est pas sans rappeler la fin du « bal des vampires » de Polanski et conclut joliment le spectacle, laissant le spectateur sur une note à la fois drôle et inquiétante. Et de conclure que ce Dracula qui nous a fait rire et frissonner est notre second coup de cœur avignonnais car il donne à voir une chose fort précieuse, devenue quelque peu rare de nos jours : du Théâtre, du vrai, incarné et vivant, émouvant et sensible, comme on l’aime ! DVDM

Rmt News Int • 25 juillet 2016


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