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Les rats dans les murs de la Cie KA – avignon off 2016

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Forme brève pour comédien, masques et marionnettes/Durée 35 min/ interdit aux -15ans

Mise en scène : Catherine Hugot /  Comédien : Guillaume Clausse

Création son : Uriel Barthélémi/Création lumière : Bastien Hennaut

Conception scénographie : Ana Kozelka

JUILLET 2016- AVIGNON OFF au Théâtre de la Porte Saint Michel  du 7 au 30 Juillet > 13h45 (relâche : 10, 17 et 24)

1 au 3 février 2017 au CCAM Scène nationale de Vandoeuvre-Lès-Nancy

11 et 12 Avril 2017 Le Dôme – Albertville

Nous avions découvert la compagnie KA (originaire de Besançon) lorsqu’elle présentait ses « désillusions marionettiques » à la Condition des soies au début des années 2010. Ayant été agréablement surpris de leur travail artistique, ce fut avec plaisir que nous sommes retournés les voir cette année pour assister à un des volets de leur diptyque « je suis d’ailleurs », composé de « les rats dans les murs » et « les outsiders » de HP Lovecraft, deux petites formes pour comédiens, masques et marionnettes au théâtre de la porte saint Michel! Et « les rats dans les murs  nous ont conquis : cette création», fidèle au texte de l’auteur, est par ailleurs notre premier coup de cœur avignonnais.

Folie cannibale et/ou rage meurtrière ?

« Les rats dans les murs » est une nouvelle considérée comme mineure dans l’œuvre de Lovecraft. Pourtant, on y retrouve ses thématiques fétiches que sont  la culpabilité héritée et le destin, ainsi que sa vision pessimiste de l’humanité capable de commettre les actes les plus abjects. La localisation de l’action, la vieille Angleterre avec ses ruines gothiques, ses légendes druidiques et ses fantômes, ne sont pas sans rappeler un certain Edgar Allan Poe dont il s’inspira pour nommer son héros au nom de famille inquiétant (De la Poer) et au comportement de plus en plus troublant, qui va découvrir peu à peu l’horreur de ce qu’il est et n’aura de solution que la fuite dans la folie.

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De quoi parle donc cette nouvelle ?

Raconté à la première personne, le récit est celui de l’héritier de la famille De la Poer, un personnage bonhomme, retraité d’une honnête entreprise dont il était le patron : il apprend de la bouche de son fils, Alfred, que ses aïeux viennent d’Angleterre et que son ancêtre Walter, 11ème baron d’Exham, a selon la rumeur assassiné sa famille sans être inquiété par la justice avant d’émigrer en Virginie. De cet événement en date de 1610, il n’en connaît point la raison, une lettre transmise de père en fils ayant été détruite lors d’un incendie à Carfax, du temps de son grand père.  Le narrateur décide alors de racheter et rénover le Prieuré d’Exham, demeure familiale annexée aux terres du capitaine Edouard Norrys, compagnon d’arme de son fils pendant la Grande Guerre. Son fils mort des suites de ses blessures de guerre en 1921, il emménage avec son vieux chat Nigger le 16 juillet 1923 au Prieuré. C’est alors qu’en diverses occasions, le protagoniste, tout comme ses chats, entendent le bruit de rats qui se déplacent et courent dans les murs. Il relate, à Norrys, ces événements nocturnes qui affolent ses 9 chats et le remplissent de terreur, le faisant de rêver de gigantesques rats voraces…

Avec Norrys, et en compagnie de quelques hommes, dont Sir William Briton, archéologue, le Docteur Trask et Thornton, spécialiste en psychisme, rencontrés à Londres,  il décide d’explorer les bas-fonds de la demeure, la crypte familiale, construite sur des ruines druidiques où était célébré le culte phrygien de Cybèle, qui trompée par Attis le rendit fou…. Après quelques recherches, le petit groupe découvre des restes d’ossements humains, preuve de l’existence d’une cité souterraine ayant perduré de longs siècles. Dans cette dernière, sa famille, maudite depuis le 14ème siècle, élevait du bétail humain pour assouvir l’appétit cannibale de ses habitants mangeurs de chair humaine. Rendu dément par la découverte de ce passé et conduit par la force de son hérédité, le narrateur attaque Norrys dans l’obscurité de la cité caverneuse et entreprend de le dévorer, quelque peu gêné dans son action par son chat qui le griffe à la gorge. Le tue-t-il lui parce qu’il a réchappé à la guerre et non son fils ? Une question qui restera sans réponse….

À la suite de cela, il est arrêté et placé dans un établissement de soins psychiatriques et le Prieuré d’Exham est détruit. Néanmoins, il ne cesse de clamer son innocence, répétant que ce sont « les rats, les rats dans les murs » qui ont dévoré Norrys, continuant de les entendre se déplacer dans les murs de sa cellule.

Un récit inquiétant sur la monstruosité humaine magistralement mis en scène et interprété

Cette nouvelle parle ainsi de monstre, du monstre qui git au fond de nous-mêmes.  Pour Catherine Hugot, metteur en scène, « le monstre, comme son étymologie latine nous l’indique, est d’abord ce qui montre. Il nous aide à comprendre d’une façon à la fois poétique, burlesque et effrayante, notre humanité. Il est le miroir idéal de nos ombres, de nos peurs ; il les met à distance et nous permet de mieux les appréhender pour les transcender. Pour Lovecraft, les monstres sortis de son imagination sont les symboles de ce que nous ne voulons pas voir, c’est à dire qui nous sommes. Le monstre amène naturellement l’évidence et la nécessité de la marionnette et du masque. Dans le spectacle, ce n’est pas juste l’histoire horrible qui est racontée, mais la cérémonie qui a pour office de la dépasser. Ce décalage cathartique, pour le personnage comme pour le spectateur, est amplifié par la marionnette et le masque. » D’où le choix d’une mise en scène mêlant masque, marionnette et jeu d’acteur pour mieux servir le texte.

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Dans cette création, le travail de mise en scène proposé est précis et délicat. Il repose sur une scénographie divisant l’espace scénique en deux parts : un espace central où se trouve érigé un amas de cordes et de tissus entrelacés, enchevêtrés à la façon de toiles d’araignées géantes, symbolisant l’entrée escarpée d’une caverne souterraine, une demeure délabrée ou bien un costume macabre, voire encore un arbre irréel et mystérieux, plusieurs fois centenaire pour filer la métaphore généalogique de la famille De la Poer, au ramage déplumé et aux tentacules inquiétantes, avec en son sein un trou béant duquel émergent deux grosses têtes de rats, gouailleurs et goguenards, qui ne manquent pas d’humour lorsqu’ils nous invitent à l’écoute du récit de l’héritier De la Poer, dernier du nom, et de la radité qui le guette ; et un espace, situé côté cours, où nous découvrons alors le protagoniste de l’histoire, assis sur une chaise avec son vieux chat paisiblement installé sur ses genoux.  Ainsi débute cette histoire inquiétante…

La marionnette représentant Nigger, le chat alter égo du héros, d’un blanc pelage (et non noir comme dans le texte original, pour des raisons probablement de lumière) avec son museau de face de rat, est manipulée avec doigté et grande dextérité par Guillaume Clausse à tel point que le spectateur -si ce n’étaient la taille surdimensionnée du chat et ses énormes yeux ronds au contour légèrement rouge-, l’aurait pris pour un véritable animal de compagnie, tendre et affectueux, ronronnant de plaisir aux caresses délicates de son maître. Non seulement Guillaume Clausse donne vie aux marionnettes avec subtilité (exemple de la scène du chat attrapant un rat dans la crypte, prémisse de celle où il s’attaquera à son maître, toutes deux fort réussies), il est également un excellent comédien : d’une voix posée et distincte, il donne chair au récit, puis d’éclats de voix en râles de peur, il fait monter la tension en crescendo jusqu’à l’apothéose finale où, légèrement recouvert de sang au niveau des mains et avant-bras (juste ce qu’il faut, sans débauche d’effets sanguinolents), il joue avec grande justesse la rage meurtrière qui s’empare du narrateur et sa folie cannibale attenante, avant de revêtir un masque de bête, symbole de son enfermement dans la maladie mentale ou démence causée par la découverte du passé-héritage familial.

La création lumière, qui n’est pas en reste, est quant à elle toute en finesse, révélant par de subtils jeux de couleur, alternant ocres rouges et blancheur blafarde, de ci-de là des éléments du décor pour nous en dévoiler un détail, dans un clair-obscur propice à la découverte des ténèbres familiales racontées. La petite comptine musicale (racontant l’histoire de la famille De la Poer) telle une litanie ponctue de son leitmotiv enfantin une création sonore efficace et diablement sombre, aux accents de films d’horreur à la Dario Argento, avec ses bruits de rats et miaulements de chats apeurés. Des voix off (celle de Norrys ou de l’infirmière de l’Asile psychiatrique) interagissent avec le comédien-narrateur seul en scène. Sons et lumière nous plongent dès le début et sans relâche dans une atmosphère sombre et inquiétante en accord avec le récit de Lovecraft, accompagnant sans le gâcher le jeu du comédien.

Le spectateur plonge ainsi peu à peu dans la folie rampante du personnage, incarné avec brio par un comédien manipulateur de marionnette extraordinairement talentueux : il est ici difficile de ne pas penser à une folie à la Antonin Artaud, les rats circulant eux-mêmes dans cette folie.

Et pour finir

Cette création est à découvrir pour de multiples raisons que nous ne vous détaillerons point ici. Car la mise en scène, la scénographie, le jeu et la manipulation des marionnettes, le tout sublimé par un travail sonore et de lumière en parfaite adéquation, sont ici d’une qualité rare. Et même si le thème et l’atmosphère ne sauraient engager des personnes à l’âme trop sensible, n’ayez crainte : ce spectacle sombre, voire aussi inquiétant qu’il peut être, n’est pas si effrayant  ou horrifique qu’il le paraît tant il appelle le spectateur à la réflexion sur notre nature humaine avec justesse et intelligence. En notre époque marquée par la barbarie des terrorismes et l’ultra violence des images véhiculées par nos médias, nous ne pouvons que vous recommander cette création très en phase avec l’actualité ! DVDM

© photos : Nicole Diemer

Rmt News Int • 22 juillet 2016


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