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Les Muses rassemblées par l’Amour, un CD par les FESTES D’ORPHÉE

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AIX EXALTÉE PAR CAMPRA (1660-1744)

Je le disais dès l’annonce de ce disque l’an dernier : « une nouvelle heureuse, une nouvelle rose, en ces temps gris et moroses :  Guy Laurent, infatigable animateur des Festes d’Orphée, découvreur et explorateur des terres inconnues ou méconnues aujourd’hui de la musique baroque provençale d’hier, après avoir exhumé et ressuscité en 2014 dans un concert qui ravit le public, une œuvre perdue de Campra, le grand compositeur aixois (1660-1684), veut lui donner la vie pérenne d’un enregistrement. » Eh bien, malgré les difficultés financières, c’est fait, nous avons enfin en mains et dans l’oreille charmée Les Muses rassemblées par l’Amour, un CD précieux qui vient de nous arriver comme pour ouvrir de rose et heureuse façon une année nouvelle dont nous espérons qu’elle ne sera pas, je ne dis plus « grise et morose », mais qu’elle ne sera pas noire et triste des malheurs qui nous ont tous accablés en frappant Paris. Et ce magnifique disque d’une musique d’hier tellement vivante sonne comme un symbole revigorant de notre récente et sinistre actualité, fêtant l’amour, célébrant la fête, bref, chantant, affirmant la vie après des heures noires de fureur mortifère. Et il faut écouter ces vers du premier air de l’œuvre, chantés par l’Amour, le fils de Vénus, qui revient en des lieux ravagés par la mort :

Une épouvantable Furie

A trop long tems désolé ces climats ;

Qu’un doux repos succède à tant de barbarie,

Et que l’image du trépas

De vos plaisirs nouveaux à jamais soit bannie. »

On les croirait écrits d’aujourd’hui. Mais il suffirait encore d’écouter un bref extrait de la plage 6, un autre air —ils sont toujours très brefs dans la tradition imposée par Lully— où une Musicienne, ici, Catherine Soubrouillard, dessus, c’est-à-dire, soprano, fait encore allusion aux angoisses, aux dangers passés et exhorte l’Amour, grâce aux charmes du plaisir, à souffler, insuffler à un monde désolé, ravagé, l’espérance et le désir, bref, de rallumer la vie.

Car cette idylle, un texte pastoral dans la tradition poétique mythologique, située à Aix, est une allégorie du retour à la vie par l’amour, après un fléau sans que ce dernier soit dit, nommé, explicité, auquel il est fait allusion par des périphrases que nous avons entendues : « Une épouvantable Furie » qui a désolé ces climats, cette région, en fait, la Provence, qui a semé les trépas, causant toutes ces alarmes. Les contemporains ne s’y trompaient pas si, pour nous, il ne s’agit que d’un souvenir historique, parfois illustré dans quelque tableaux terribles, ou symbolisé par telle statue, celle du Chevalier Roze. Il s’agit de la terrible peste de 1720 qui ravagea à partir Marseille eet la Provence, causée déjà par l’appât du gain de marchandises contaminées débarquées indûment d’un navire en quarantaine.

Et cette œuvre, élégante, pleine de charme, de gaîté, Les Muses rassemblées par l’Amour à Aix, sont comme un vœu exaucé, ex-voto rétrospectif en quelque sorte pour le salut de la cité. Composée et jouées en 1723, elles sonnent telle une éclosion, résonnent de la résurrection de l’espoir après la cataclysme : c’est une gracieuse action de grâce comme on les conçoit au XVIIIe siècle, délicatement enrubannée de vocalises et de guirlandes de roses. Et il faut entendre, dans le style de Campra, magnifique synthèse de la musique italienne et française de son temps, ces ornements joyeux qui ondulent avec virtuosité dans la grande voix de basse de Guy Laurent se faisant joliment légère, qui incarne le dieu Mars, et le chœur foisonnant, frissonnant, qui se lance aussi dans des notes piquées du plus bel effet. Mais il faut aussi entendre, comprendre l’Amour, qui par la voix de Laure Bonnaure, dessus, expose, pratiquement un projet culturel pour la ville d’Aix, en rappelant son passé romain, n’oublions pas que son nom latin était Aquæ sextiæ, les eaux thermales de Sextius (on connaît le cours Sextius) :

Les Romains, autrefois, ornèrent cette ville,

Elle doit plaire à vos regards,

Je veux qu’elle serve d’asile

Aux jeux, aux plaisirs, aux beaux Arts. (Plage 9)

Un vrai programme urbain digne déjà de l’Office du Tourisme : Aix, ville d’eau, ville d’art… et ville de jeux avec son casino ! Et rappelons que l’âge d’or de l’architecture d’Aix est justement ce XVIII siècle, l’époque de Campra et de son librettiste.

Non seulement le passé romain d’Aix est évoqué au détour d’une phrase, mais, également, en une époque où revient dans la littérature et la musique un goût du Moyen-Âge à travers les inusables romans de chevalerie espagnols et les opéras tirés de l’Arioste et du Tasse, l’Amour, par allusion rapide, évoque d’un simple mot « rime », le temps des troubadours provençaux qui inventèrent et enseignèrent les Leys d’Amor, la rhétorique de la virtuosité poétique de l’amour courtois et rêve de ressusciter son ancienne Cour d’Amour où les dames jugeaient les cas d’amour, les délits amoureux des amants policés. Les seigneurs maris partis en quête de croisade laissant à leur femme les rennes du pouvoir, celles-ci, comme les villes libérées du poids féodal, font la conquête de leur émancipation : la femme, qui n’est plus le simple butin de guerre du chevalier triomphant, règle et régit enfin l’amour où le héros n’est plus le brutal guerrier vainqueur mais le vaincu et blessé d’amour soumis au service envers sa Maîtresse, au sens littéral de ce mot galvaudé depuis.

Sous sa brièveté, d’une durée d’une heure à peine, après l’horreur de la peste, cette idylle est une ode à la gloire passée et présente d’Aix. En effet, commande de l’Académie d’Aix au plus grand compositeur de la ville célèbre à Paris, également académicien, l’œuvre fut composée sur un texte de l’académicien aixois Denis-Marius Perrin, par ailleurs premier éditeur des lettres de Madame de Sévigné. C’est donc une œuvre triplement aixoise par sa genèse et sa finalité explicite : exalter l’exception, l’excellence d’Aix. Aix, Aix, Aix. Campra viendra lui-même dans sa chère patrie blessée en diriger la création.

Cette idylle musicale, allégorie du retour à la vie par l’amour, sinon inédite, était restée inouïe jusqu’au miracle de sa redécouverte et enregistrement par Guy Laurent.

En une époque où le statut des femmes est insidieusement grignoté par les intégrismes, où la peste de la barbarie mortifère nous assiège, le seul refuge vivant, c’est l’art, la culture, et leur quintessence, la musique.

On pourra savourer aussi, comme un autre chant aux couleurs de la Provence, les accents provençaux de l’air interprété par Bastien Caillot, contre-ténor (Plage 19).

Un régal. Benito Pelegrín

 

Les Muses rassemblées par l’Amour, un CD PAR LES FESTES D’ORPHÉE, « Les Maîtres Baroque de Provence », vol. V.

Rmt News Int • 22 juin 2016


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