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The culture beyond borders

Rencontre avec Yan Gilg, compagnie Mémoires Vives

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Depuis janvier 2016, l’Espace Culturel Busserine, situé au cœur du « grand St-Barthélémy », existant depuis 1985, est menacé de fermeture. L’ex-rappeur Yan Gilg, éducateur spécialisé de métier, créateur de la Compagnie « Mémoires vives » en 2006, s’exprime sur cette fermeture, qui encore une fois, sacrifie l’accès à la culture dans les quartiers populaires. Il partage également sa vision de la culture et nous parle de ses projets marseillais.

 

Quel est votre point de vue sur cette menace de fermeture de l’espace culturel de la Busserine ?

Je me demande qui va prendre le relai. La mairie du 14ème et 15ème arrondissement de Marseille (dont le maire est Stéphane Ravier, Front National, ndlr) est à l’origine de cette décision. Il existe un appauvrissement des quartiers populaires, mais ce n’est pas dû qu’au Front National (FN), je pense que les autres partis politiques se cachent derrière le FN. La preuve, la mairie centrale pouvait reprendre ce local à la mairie de secteur au profit d’associations, par exemple. De plus, comment expliquer l’arrêt des subventions du centre culturel de Frais Vallon ? Pourtant, contrairement aux centres culturels du centre-ville de Marseille, notamment dans le 3ème arrondissement, les quartiers comme La Busserine sont des endroits où notre travail est valorisé : il est plus facile de travailler avec les habitants*. La Compagnie « Mémoires vives » (dont je m’occupe) est une sorte de sas entre le terrain et la scène nationale : nous avons créés plusieurs spectacles à l’ECB avec des jeunes à l’issue de résidences. Nous faisons le travail que les cultureux n’ont pas le temps ou l’envie de faire, sans leur demander d’aides financières, et malgré cela on nous ferme les portes. On nous refuse les scènes nationales, parce que notre art n’est pas dans la ritualisation et la sacralisation du théâtre. Parce que jeune, on nous a mis devant les écrans, ce qui a fait de nous une génération télé. Aujourd’hui, ils refusent notre art et les jeunes qui tentent de proposer des choses nouvelles sont brulés, tels des hérétiques sur l’autel des esthétismes. D’ailleurs, la presse ne se déplace pas lors de la présentation de leur travail, ce qui n’aide pas à les faire reconnaître. C’est pour cela que depuis des années nous cherchons, nous les rappeurs, à épaissir nos prestations avec un travail sur la diction, sur l’utilisation de l’espace scénique, les enrichir en utilisant également d’autres styles de musique.

 

Comment expliquez-vous ce manque d’intérêt des pouvoirs publics, envers l’accès à la culture pour tous ?

Je pars du principe que la culture peut jouer un rôle d’accélérateur de particules et rassembler : le problème, c’est qu’on peut se demander si notre culture théâtre est adaptée à la démographie d’aujourd’hui. Tout simplement parce qu’il y a une surdité de la part de tous. La culture a des critères qui relèvent presque de la monarchie, c’est une culture aristocratique. La plus-value sociale n’est pas valable à leurs yeux. Il faut des gens connus pour se permettre de présenter une création aujourd’hui. Il y a une sacralisation de l’artiste et du metteur en scène, ce qui fait que l’on en oublie l’œuvre. Je ne fais pas tout ce travail avec les jeunes pour devenir un grand metteur en scène, et heureusement, car je vois que cette culture hip-hop fait encore peur, elle dérange. D’ailleurs pour donner quelques chiffres, la ville de Strasbourg octroie 25% de son budget à la culture. Malheureusement, le centre hip-hop dont je m’occupe ne reçoit que 0,1% de ces 25%. J’attendais de la gauche un vrai changement mais il n’a pas eu lieu. Je dirai même que j’ai perdu mes deux parents qui sont l’éducation et la culture populaire. J’ai quitté le social pour la culture en pensant pouvoir faire plus de choses mais au contraire, c’est difficile. Heureusement, nous pouvons compter sur l’aide d’associations comme la fondation Abbé Pierre, qui fait beaucoup pour le droit d’accès à la culture. Car il faut remettre les habitants au centre de tout. Le problème est que les gens sont politiquement non inclus de nos jours, on parle d’insertion au lieu de parler d’inclusion. Par exemple, faire un spectacle avec des femmes de quartier qui jouent leur propre rôle serait plus juste que de fantasmer leur vie dans les quartiers.

 

Quelles actions menez-vous afin de permettre aux jeunes de participer à la culture en France ?

Nous avons un projet « La rue mon théâtre », nous ne connaissons pas encore la forme qu’il va prendre. C’est un travail aléatoire avec un public de jeunes laissés à eux-mêmes, un public déstructuré (prochaine résidence du 11 au 15 avril au contact club, ndlr). Il y a aussi le projet « Héritages » avec les quartiers de la Savigne et de la Busserine, autour de la littérature africaine. Par ailleurs, nous avons créé un cercle Césaire**, ouvert aux jeunes, afin de discuter de la question du colonialisme. En effet, dans les livres d’Histoire, on ne nous parle pas du colonialisme en terme de crime contre l’humanité, ni du fait qu’il est toujours d’actualité dans notre monde aujourd’hui.

 

*un travail de longue haleine en termes de sensibilisation et d’accès à la culture en faveur et avec les habitants du quartier a été mené depuis plusieurs décennies par l’ECB.

**RDV mensuel au Contact Club.

         Manon QUENEHEN (propos recueillis en février 2016)

 

Prochain rendez-vous du CERCLE CÉSAIRE 13 Dimanche 10 avril de 11h00 à 14h00 au Contact Club – 2 rue Louis Astouin 13003 Marseille

Plus d’infos sur la compagnie : http://cie-memoires-vives.org/

Prochain représentation à Marseille : Les raisons d’un retour au pays natal, dramaturgie et mise en scène : Yan Gilg  d’après les textes de Mohamed Nour Mhoumadi, Issa Youm, Yanavec avec Pat’ et Ninw les MARDI 24 MAI 20H30 et MERCREDI 25 MAI 14h30 & 19H au théâtre du Merlan (tout public à partir de 12 ans)

Plus d’infos http://www.merlan.org/accueil/detail/les-raisons-dun-retour-au-pays-natal/

(photo du spectacle Les raisons d’un retour au pays natal, (c) compagnie mémoires vives)

 

Rmt News Int • 8 avril 2016


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