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The culture beyond borders

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Fin de Partie (II)

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2013-2015 : le début de la fin de l’Espace Culture

Néanmoins, quelques 168000 personnes (chiffres 2014) fréquentaient, en une année, le lieu : certes sur les 500 à 600 visiteurs quotidiens, un bon pourcentage de personnes demandaient où se trouvait l’Office du Tourisme (déménagé depuis 2013 dans l’ancien Musée de la Mode, à proximité) ou venait récupérer quelques tracts (dixit une des salariées de l’accueil). Ceci dit, c’est une fréquentation honorable (au regard des longs travaux de la ligne de tramway Arenc-Castellane, qui en ont ralenti la fréquentation) mais pas suffisante. Sabine Bernasconi et Jean Claude Gaudin d’un commun accord jugent la fréquentation de l’Espace Culture trop faible : « il y avait de moins en moins de monde » (dixit Mme Bernasconi). Hélas, aux vues de son emplacement des plus stratégiques, de son utilité culturelle forte et de la population d’amateurs de culture en notre ville (rappelons que nous avons autant, voire plus, d’abonnés aux Théâtres qu’à l’OM), beaucoup de marseillais ne connaissaient pas la structure sur la Canebière et sa fréquentation eut pu être meilleure : par contre, tous connaissaient le coûteux Pavillon M éphémère, conçu pour l’année capitale dont certains services étaient redondants avec ceux de l’Espace Culture. Pour mémoire, le Pavillon M reçut en une année plus de 1,2 million de visiteurs (soit 7 fois plus que l’Espace Culture) mais il faut avouer que le service communication bénéficiait d’une belle couverture médiatique et d’un soutien exceptionnel des services dédiés de la ville! En 2013, Le Pavillon M de Monsieur Parakian a éclipsé l’Espace Culture que certains salariés de l’accueil surnommaient ironiquement « l’Hospice Culture ».

Fort heureusement, le 22 décembre dernier, quelques centaines de fidèles – hélas, pour la plupart, du troisième âge- se sont déplacés au 42 de la Canebière, émus de sa disparition annoncée seulement un mois et demi avant sa fermeture définitive. Rappelons que seul un article de la Provence – paru le 16 septembre, signé Laurent d’Ancona – a questionné l’éventualité d’une fermeture dont personne jusqu’en octobre – à l’exception de quelques salariés inquiets- ne voulaient parler : Bernard Jacquier, le président, et Jean Jacques Gilliard, son directeur, se refusaient à tout commentaire, Anne Marie d’Estienne d’Orves -qui rappelons-le y a travaillé un temps certain avant de devenir conseillère municipale puis adjointe à la Culture de la Ville-, ne confirmait ni n’infirmait fin août l’éventualité, précisant « un possible redéploiement partiel des missions de l’Espace Culture au Hangar du J1,sur le modèle du Pavillon M », le service de communication de la structure restant muet sur le sujet … J’avoue avoir été mise au courant de cette éventualité début août, à l’instar de plusieurs confrères, mais pour diverses raisons plus ou moins défendables (le refus de la plupart des parties de confirmer ou infirmer l’information m’empêchant de mener une enquête digne de ce nom), je n’ai rien publié sur le sujet avant ce jour même si j’avais commencé à préparer un dossier complet, recueillant témoignages et recoupant les informations, pour mieux saisir les raisons de cette fermeture. Le projet de cette dernière me semble remonter au tournant des années 2013/2014 : aux vues de certains éléments détaillés ci-dessous, le mécanisme amenant à la fermeture du lieu semble relever d’une volonté et d’un choix politique évident, entérinés par une baisse de subventions sans précédent en 2014.

Un audit avait été demandé par la Ville en février 2015 afin de donner des éléments de réponse à la question de l’opportunité d’un maintien ou non de la structure dans sa forme actuelle, vues les difficultés financières de l’établissement en 2014. D’un budget global de plus de 1 600 000€ en 2013, l’Espace Culture a réalisé près de 237 000€ d’économies en un an (soit 15% de dépenses en moins par rapport à 2013), ramenant son budget global à 1 370 000€ : les frais de locations mobilières, frais postaux, frais de réception et frais de catalogues et imprimés (l’arrêt de l’In situ y a été pour beaucoup) additionnés ont permis 140 000€ d’économies en matière de frais de fonctionnement sur les 237 000€ réalisées. Les salaires occupant près de deux tiers des charges d’exploitation, il était difficile de les réduire à moins de supprimer des postes. Il est important de noter ici que l’Espace Culture est subventionné à hauteur de près de 80% par la ville de Marseille et que les comptes de résultat au 31/12/14, consultables par tous, montrent un déficit de 140 000 € au lieu des 659 € de déficit en 2013. Ce déficit peut s’expliquer d’une part, par une baisse de près de 20% des subventions d’exploitation données par la ville de Marseille (passant de 1 295 000 à 1 080 000 € soit 215 000€ de diminution en un an) et une perte sèche de 160 000€ de partenariat (entre 2013 -où les entreprises avaient plus investi dans la culture en raison de l’année capitale- et 2014), soit une perte totale de 375 000€ que ne pouvaient compenser les économies réalisées.

Alors, certes, en juin dernier, l’éventualité d’une fermeture avait été avancée par le directeur auprès de ses salariés, la raison avancée (et réitérée par M. Gilliard lorsqu’enfin il répondit à notre interrogation fin octobre) étant la baisse des subventions (ce que corrobore d’un point de vue purement comptable, mais en partie seulement, notre analyse des comptes de résultats). Mais à l’exception de quelques salariés, personne n’en parlait comme si la loi du silence ne pouvait être brisée. Et pourtant, c’est une perte à laquelle les habitués, professionnels et publics, doivent faire face aujourd’hui, sans possibilité de retour en arrière sur ce choix. Car ce n’est pas en un mois et demi après le vote de la dissolution de l’association (approuvée lors de l’AG d’octobre) qu’une action pour la survie du lieu pouvait être mise en place (quelques pétitions étaient encore à signer sur Facebook début janvier 2016, Marie Arlette Carlotti avait, courant décembre, lancé un appel de soutien, en vain). Par ailleurs, le manque d’information du public l’empêchait de pouvoir tenter une quelconque action dans les temps, les médias -à l’exception de la Provence et France3- ayant peu parlé de ce sujet avant novembre/décembre (la Marseillaise/Marsactu). Sauf pour déplorer la fermeture du lieu après coup.

Les raisons d’une fermeture.

Une première réalité me vient à l’esprit pour expliquer cette fermeture : le lieu était à juste titre réputé vétuste et le coût des travaux était trop onéreux, du fait d’une absence d’entretien récurrent de l’immeuble. Sans parler de la polémique sur les écoles marseillaises décrépites et insalubres, la vétusté liée à un entretien parcimonieux des structures au fil des ans est un problème trop fréquent à Marseille et a causé de nombreux torts à plusieurs structures culturelles : rappelons-nous les difficultés de la Criée et ses désamiantages successifs ayant abouti à sa fermeture temporaire de longs mois durant entre 2014 et 2015 (cette affaire avait fait scandale en son temps), ou encore l’Opéra dont nous ne savons quand les travaux de mise aux normes au coût exorbitant vont être mis en route, vu qu’en dehors de quelques travaux de rapiéçage ou colmatage récents (la fosse qui tombait en ruine), voire de beauté (les façades qui s’écroulaient), rien n’a été fait depuis fort longtemps (les murs sont fissurés, la peinture écaillée, la climatisation inexistante, sans parler de l’absence d’accès pour les handicapés… avec un coût total estimé des travaux à 58 millions au bas mot, selon nos sources, soit plus de 44% du budget culture de la ville de Marseille 2015).

En cette période de recherche effrénée d’économies, la ville ne s’engagerait pas à de tels travaux pour un lieu dont elle juge -à tort ou à raison- l’intérêt relatif (avec entre autres choses, la redondance de son agenda culturel avec celui mis en place par la ville sur son site)! Autre raison avancée par certains salariés : une mauvaise gestion salariale (16 personnes étaient salariées, peut-être était-ce trop ? La question des compétences a été également posée quant à l’efficacité et au dynamisme de l’équipe…) et une sous exploitation de l’outil (il est vrai que les conférences de presse après MP2013 se faisaient de plus en plus rares, et qu’en 2013, tout se passait presque exclusivement au Pavillon M, un des fossoyeurs de l’Espace Culture ?) avec un matériel vieillissant et parfois peu fonctionnel (pour en avoir été témoin). Avec la fermeture, chose rarement vue à l’issue de la dissolution d’une association, les salariés se retrouvent néanmoins affectés ailleurs, dans d’autres fonctions au sein des services municipaux de la ville dont le Protocole, la DAC, le service communication et le site internet de la ville. A l’exception d’une salariée en licenciement économique, tous ont accepté après une démission (passage obligé avant leur embauche dans les services de la ville) leurs affectations nouvelles et leurs corollaires : perte d’ancienneté, salaires moindres et contrats souvent à durée déterminée, dans un premier temps, avant une éventuelle embauche définitive. La majorité des intéressés ont semblé soulagés par cette issue en leur faveur.

Ceci étant dit, revenons-en à la raison officiellement avancée : la fameuse baisse des subventions accordées par les tutelles que sont la Ville de Marseille, MPM, le CG13 et le Conseil Régional PACA du fait des baisses des dotations par l’Etat. Cette baisse généralisée à tous les acteurs culturels (oscillant entre 10 et 50% selon les structures concernées) impacte grandement leur frais de fonctionnement : elle nécessite une adaptation pas forcément évidente du personnel à ces nouvelles contraintes budgétaires*. Elle apparaît d’autant plus cruelle lorsqu’il s’agit d’une structure dont la vocation est la promotion des actions culturelles et des acteurs de la culture, petits et grands. Or, en cette période de disette budgétaire, en parallèle, voici inauguré en grande pompe à la Friche Belle de Mai, début septembre, l’Institut Méditerranéen des Métiers du Spectacle (sorti de terre en un temps record) ou créé un entre deux biennales du cirque (encore un nouveau festival). De nouveaux espaces voulus et soutenus financièrement par la ville vont bientôt apparaître : citons le retour du Hangar du J1, avec ce fameux projet de nouvelle vitrine de l’excellence marseillaise culturelle et maritime, le MJ1 de la ville dont le slogan est « Vous avez aimé le Pavillon M en 2013, vous allez adorer le MJ1 en 2016 ».

La raison financière officiellement avancée fait bien pâle figure quand nous constatons qu’une ville qui dit faire des économies investit dans des structures nouvelles et pas des moins couteuses (coût pour la ville de l’IMMS : 3.4 millions d’€ soit deux fois et demi le budget global de l’Espace Culture), déshabillant Pierre pour habiller Paul. La fermeture de l’Espace Culture et son obsolescence décrétée* *(même si à l’évidence, certaines choses pouvaient et devaient être réorganisées au sein de cette structure) est plutôt à mettre en lien avec la politique culturelle menée par la ville : délocaliser au détriment du centre historique de Marseille les activités culturelles (mais également les activités économiques avec les ouvertures en cascade de trois espaces commerciaux nouveaux : citons les Terrasses du Port en 2014, les Voutes de la Major et les Docks de la Joliette inaugurés courant 2015) vers la Joliette et les Ports, nouveau centre de Marseille. Il est évident que tout cela concoure de la politique générale de la ville orientée plutôt vers le tourisme et les croisiéristes avec pour ambition de faire de Marseille « The Place to Be N° 1» à l’International, en Europe et en France. En atteste la volonté nouvelle de J.C. Gaudin de faire sortir de terre un Casino de Jeux à Marseille, lui qui auparavant était formellement opposé à cette idée. Elle se double dangereusement d’une concentration croissante des subventions en quelques mains au nom de « la mutualisation des moyens » (en soi, une belle idée). M. Le Maire de Marseille précise, à l’occasion de ses vœux à la presse, les deux critères privilégiés d’attribution des subventions : la mutualisation des moyens, citant en exemple la fusion Opéra/Odéon et Bernardines/Gymnase, et la créativité (exit donc la qualité artistique ?).

(A suivre) DVDM

* La baisse des aides en fonctionnement force les structures à l’adoption de nouvelles pratiques plus économiques, notamment en termes de print : or, la dématérialisation de leur communication peut induire un surcout en termes de formation du personnel et d’achat de matériels et logiciels informatiques adaptés.

**Comme pour tout objet de consommation, nous décrétons son obsolescence dès lors que nous estimons son usage obsolète ou inadapté et le coût de son entretien trop élevé par rapport à l’achat d’un nouvel objet au lieu de réfléchir à son recyclage, idée pourtant en vogue.

La photo en exergue est l’image d’un dessin placardé sur la vitrine du théâtre des chartreux dont nous n’avons pas trouvé l’auteur.

Rmt News Int • 6 février 2016


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