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Hommage à Léo Ferré, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa disparition, Théâtre Toursky, 14 juillet 2013.

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14 juillet 2013, 19h30, les deux parkings du Théâtre Toursky sont déjà pleins, le peuple de Marseille, dont André Suarés disait qu’à part celui de Paris,  nul autre n’est  plus humain, se retrouve pour une soirée historique dans les espaces mis à sa disposition : devant le théâtre,  sur la terrasse, dans le nouveau lieu dédié à Léo Ferré, dans les halls, partout ;  le peuple de Marseille est chez lui au théâtre Toursky. L’atmosphère est celle de la grande Fête popu, il y a des crêpes, des frites, des glaces et des merguez, des vieux, des jeunes et des enfants et dès qu’on arrive Impasse Léo Ferré,  les chanteurs comédiens danseurs d’ElKabaret sont à l’accueil, joyeux, entraînants et professionnels. C’est le premier hommage à Léo : ses chansons offertes comme chansons des rues pour ceux qui s’arrêtent, les écoutent et parfois fredonnent avec les « saltimbanques ».

À Marseille, il paraît que « La beauté de la vie l’emporte de tout le poids du monde réel  sur la beauté de l’art. »  Cette phrase de Suarès ‒encore ‒ qui aima et détesta Marseille plus que tout autre  n’est évidemment pas qu’un compliment,  surtout si on lui adjoint ce jugement définitif : « Il faut l’avouer, la vie de l’esprit est étrangère à cette forte ville. » Or, le spectacle qui, à 21 heures, suit la mise en bouche festive démontre la fausseté des oppositions caricaturales entre l’art et la vie. Peut-être parce qu’à Marseille en général et au Toursky en particulier, le cœur n’est pas l’ennemi de l’esprit.

Pertinente donc,  l’idée de commencer ce spectacle (après l’ovation du public faite à Richard Martin et l’hommage rendu par lui à Robert Vigouroux qui toujours soutint ce théâtre) par Marseille interprétée  par Francis Livon, l’un des plus anciens compagnons de Ferré et de Martin. Ô Marseille on dirait que le cœur te va bien. Et la preuve se fait ensuite que l’art est présent à Marseille en cette soirée comme jamais, puisque tous les artistes qui contribuent  à redonner vie aux textes de Ferré ne se contentent pas de les dire ou de les chanter ou de les accompagner mais font avant tout acte de création dans sa lignée,  illustrant  ainsi  la parole d’Eluard : « Le poète est celui qui inspire bien plus  que celui qui est inspiré. »

Inspiré, Richard Martin qui, comédien prodigieux, réinvente et enchante les textes les plus complexes : La Préface à Poète, vos papiers, manifeste théorique d’une puissance et d’une actualité remarquables ou bien Le chien, poème provocateur et enthousiasmant : « À  l’école de la poésie, on n’apprend pas, on se bat. »

Inspirée, la flamboyante  Caroline Casadessus qui, de sa voix sublime de soprano, donne à la chanson la plus datée de Léo  ( C’est extra , accompagnée à l’origine par le groupe pop  Zoo et véritable phénomène de mode)  l’estampille « classique », donc immortelle, qu’elle mérite.

Inspirés,  Michael  Lonsdale qui, à l’opposé du lyrisme fougueux de Ferré, imprime aux textes choisis  ( Y a une étoile et  Paris – Dieu est nègre !) une fragilité malicieuse, spirituelle aux deux sens du terme,  ou Sapho qui, accompagnée de deux musiciens gitans, chante en arabe populaire Avec le temps, dont la mélancolie tragique relève  alors du flamenco et du chant oriental de Oum Kalsoum.

Et magnifiques, Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault qui, dans une chorégraphie originale spécialement créée pour le poème La vie d’artiste, rendent de façon bouleversante la beauté déchirante de l’amour, à la fois impossible et miraculeux, dansant loin l’un de l’autre la solitude et le désarroi, puis l’un avec l’autre la volupté tendre,  dans  l’entente  de leurs corps parfaits ‒ et avec  des gestes « d’oiseaux » !

Ce n’est pas le lieu d’énumérer toutes ces interventions d’une qualité artistique rare, elles sont trop nombreuses mais on peut en  nommer  les auteurs : musiciens comme Levon Minassian, Michel Bourdoncle, Jacques Chalmeau , Didier Lockwood, Fatos Querimi, J. Fernandez.  Chanteurs comme le ténor Luca Lombardo, Yerso,  Angélique Ionatos ( poignante, Cette blessure  chantée par une  femme-flamme),  Christiane Courvoisier , Michel Hermon (grands professionnels de la chanson, trop peu entendus dans les circuits commerciaux).  Comédiens exceptionnels comme Rufus,  Michel Bouquet, Pierre Arditi ou Philippe Caubère.  Ces derniers témoignant, de façon symbolique pour tous les autres invités,  en faveur de l’alliance du cœur et de l’esprit, puisqu’ils  ont tenu à prêter leur talent à cette  soirée malgré les contrariétés de la vie :   Philippe Caubère, handicapé par un pied cassé, est présent sur scène en fauteuil roulant, Pierre Arditi, absent physiquement, est   remplacé par son image vidéo et Michel Bouquet, pressé par ses occupations, fait un aller-retour en avion pour une  lecture de cinq minutes.  Au Toursky en ce 14 juillet, les artistes  ont honoré la mémoire d’un immense poète par la justesse de leurs propositions mais aussi par la force de leur foi dans l’amitié et la sincérité.  Ainsi ont-ils exaucé le vœu de Léo : « Place à la poésie, hommes traqués. Mettez des tapis sous ses pas meurtris, accordez vos cordes cassées à son diapason lunaire, ouvrez les portes sur ce no man’s land où les chiens n’ont plus de muselière, les chevaux de licol, ni les hommes de salaire. »

À la fin fut un bal populaire comme il se doit pour un 14 juillet, et là encore, « les copains » étaient au rendez-vous : Léda Atomica et le Taraf Querimi.  Qu’on se le dise, le théâtre Toursky est à Marseille un lieu du spectacle vivant  où souffle encore l’esprit.

Francoise Donadieu

Rmt News Int • 18 juillet 2013


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